Hello ! Me revoila pour une pure fiction sterek ! C'est un petit cadeau à Calliope pour son travail de béta-lecteuse/correctice ;) Pour cela, j'ai décidé de vous faire remonter le temps jusqu'à la légendaire époque de l'épopée arthurienne ! Ni Camelot ni Arthur ou le graal ne sont mentionnés, mais si j'ai bien fait, vous devrier retrouver l'ambiance de ces temps de légende ;)

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Petite précision toutefois, pour cette fic j'ai utilisé pas mal de vocabulaire spécifiquement ancien. J'ai préféré simplifier certains termes mais en ai gardé d'autres, pour leur sonorité ou l'atmosphère qu'ils dégagent ;). Petit lexique présent à la fin !

Eh bien il est temps pour moi de vous souhaiter une bonne lecture ! Et surtout, un bon voyage…

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La geste du chevalier aux loups

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Le chevalier et la forêt maudite

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La grande salle du château résonnait du bruit des festivités. Des plats lourds chargés de volailles et de venaisons fourrés aux fruits et couverts de miel et d'épices étaient posés sur les longues tables, des coupes de vin et chopes de bières s'entrechoquaient joyeusement et les rires forts de ses frères et les bavardages de ses sœurs résonnaient dans toute la pièce, le tout au son des cordes frappées de la doulcemelle jouée par le barde mandé tout spécialement par dame sa mère.

C'était un jour heureux et chacun profitait de ces temps de paix qui semblaient vouloir durer jusqu'à la fin des temps, toutefois le malheur frappe indifféremment pauvres gens et âmes bien nées.

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Deux pupilles aussi claires que l'eau vive d'un ruisseau sous des sourcils noirs et broussailleux se révélèrent brusquement dans la faible lumière du petit matin naissant. Le chevalier allongé dans le lit s'assit et grogna, faisant sursauter la servante venue ouvrir les rideaux.

- Monseigneur, s'inclina prestement la domestique.

Les yeux céruléens la détaillèrent succinctement avant de se détourner pour observer l'armure, elle aussi présente dans la pièce.

Le haubert était bien là, posé sur son support, surmonté de son heaume. Tous deux brillaient d'argent dans la lueur pâle du petit matin. Ils étaient recouverts d'une cotte écartelée de sable et d'argent, fatiguée et usée par le temps et les combats. À côté, une lourde épée bâtarde à la lame étincelante reposait sur un écu au blason d'argent chevronné de sable, accompagné de trois loups sables.

L'armoirie des seigneurs Hale.

Derek de Hale, dernier fils et héritier de cette ancienne lignée, se leva de son lit sans dire mot et s'avança vers une cruche d'eau claire pour procéder à ses ablutions matinales cependant que la servante sortait quérir un valet. Ce dernier arrivé, il rasa le chevalier et l'aida à enfiler gambison, chausses, armures et armes. Dès l'épée ceinte à ses hanches, l'éperon chaussé à son pied et son heaume sous le bras, le chevalier se mit en marche, allant trouver le châtelain dans la salle d'apparat de son palais.

Il fléchit respectueusement le genou devant le prud'homme avant que, d'un geste, celui-ci ne l'invite à s'asseoir à sa table. Pâtés de poire et rissoles de pommes accompagnés de doux vins furent servis au seigneur et à son hôte.

- Votre nuit ici a-t-elle été agréable, beau sire ? s'enquit le prud'homme lui ayant offert l'hospitalité.

- Elle fut délassante et je ne demande guère plus à mon sommeil désormais, répondit sobrement le chevalier.

- Comptez-vous toujours vous rendre au tournoi de Jaufré de Mordrain ?

- C'est là mon intention. Dès aujourd'hui je m'en vais suivre la grande route et traverser la verte forêt que j'ai aperçue du haut de la colline il y a deux jours de cela en m'approchant de votre château.

- Doux sire, dit le prud'homme, soudain alarmé. Si la raison vous savez écouter, détournez-vous de la route marchande et contournez cette maudite forêt même si pour accomplir ce dessein, vous devrez emprunter un chemin plus long. Nul homme armé de fer n'a pu ressortir vivant de cette forêt depuis des décennies et nulle âme n'ose plus parcourir ses routes !

- Seigneur, je ne crains ni les malédictions ni la mort, répondit Derek d'une voix d'où perçait la mélancolie. Je vous remercie cependant de votre conseil, quand bien même votre inquiétude me va droit au coeur, j'ai l'intention de cheminer à mon gré.

- Vous me voyez bien triste de vous voir lancé dans cette hasardeuse aventure, aussi prierai-je pour votre salut et votre survie, annonça le prud'homme, affecté par la décision de son invité.

Derek inclina la tête en signe de reconnaissance, sans que son désir ne change pour autant ou que la peur ne le fasse fléchir. Si la mort ne lui offrait pas encore d'attrait suffisant pour qu'il s'y précipite, elle n'était pas pour autant source de frayeur, plus depuis qu'elle lui avait ravi de sa faux impitoyable ce qu'il avait de plus précieux.

Le repas fini, le seigneur et son hôte se rendirent sur le perron du château. Derek enfourcha son noir destrier et prit son écu des mains de celui qui lui avait offert l'hôtel. Camaro, en noble étalon, se tint sagement, attendant l'éperon ou la bride de son cavalier pour avancer.

- Mes serviteurs auront pris soin de déposer de quoi vous sustenter durant votre voyage dans vos fontes. Chevalier, une dernière fois, ne puis-je réellement vous convaincre de renoncer à votre folie ? le questionna à nouveau le prud'homme.

- Que non, doux sire. Ma décision fut prise avant même mon arrivée ici et je ne vois rien qui puisse m'en détourner. Je garde néanmoins en mon sein vos avertissements et saurai m'en souvenir si le besoin s'en fait sentir.

- En ce cas, je m'en remets à Dieu et Le prie pour que votre aventure ne se finisse fatalement, lui souhaita le châtelain.

- Que Dieu vous garde en retour, répondit Derek avec sincérité, avant d'éperonner Camaro.

Docile, le fier destrier à la robe nocturne se mit au pas, puis au petit trot. Les vapeurs de son souffle le précédaient dans son avancée et son cavalier pouvait sentir les muscles forts de l'étalon se contracter entre ses jambes. La ville fut rapidement loin mais les tours du château restèrent longtemps en vue.

Le brave animal permit au chevalier d'atteindre l'orée de la forêt au crépuscule après une journée d'une longue chevauchée. Courageux sans être téméraire, Derek décida de passer la nuit dans la plaine pour ne s'engager dans la verte forêt que le lendemain.

Sitôt le jour levé, le chevalier entra en ces lieux avec détermination et se sentit rapidement galvanisé par l'atmosphère si vivante qui se dégageait des bois. Un étranger aurait eu peine à dire qu'une quelconque malédiction hantait cette forêt. Bien que le printemps ne soit qu'à ses débuts, les passereaux chantaient à en perdre la voix tandis que mulots et campagnols faisaient frémir les buissons. Le brame orgueilleux du cerf s'entendait au loin et quelques belettes curieuses vinrent observer l'avancée de cet étranger caparaçonné.

Contrairement à ce que l'on eût pu croire, nulle brume mystérieuse ne recouvrait le sol, pas plus que la mystérieuse forêt ne paraissait sombre ou ses arbres tordus. Au contraire, chênes et frênes verdoyaient comme nulle part ailleurs et leurs branches ployaient sous le poids des glands et des écureuils. Le sentier était net et bien délimité, tellement qu'on l'eût cru tracé au cordeau. Le soleil perçait difficilement les frondaisons, répandant une douce et reposante lumière s'harmonisant avec la teinte vert tendre des jeunes pousses bourgeonnant sur les lieux. L'air lui-même embaumait la verdure et la terre riche, ainsi que l'odeur des primevères en fleurs et de la résine s'éveillant après le long engourdissement de l'hiver.

Derek commençait à se dire que son hôte s'était moqué de lui. Sur son honneur, aucun danger, aucune diablerie ne semblaient pouvoir se cacher en pareil lieu ! On eût pu davantage considérer cet endroit plus béni que maudit !

Le chevalier continua de cheminer, ralentissant inconsciemment l'allure de son destrier pour profiter de la douceur de cette forêt. Il n'était nullement pressé par le temps, le tournoi ne devait débuter qu'au moment des moissons, or ce lieu avait un tel effet apaisant pour son âme meurtrie et son cœur en berne… Il ne souhaita dès lors plus rien d'autre que de reposer son esprit et sa peine sous les vertes frondaisons.

Il ne faisait plus attention à la route, laissant son destrier suivre le sentier de terre battue comme bon lui semblait. Il perdit peu à peu la notion du temps, le jour semblant ne jamais réellement décliner ou s'épanouir ici-bas. Lorsqu'il se sentit en proie à la fatigue, il dormit à même l'humus tendre et souple et se réveilla avec une impression étrange de bien-être qui apaisait la triste mélancolie devenue sa compagne de route. Il remonta sur son destrier et reprit sa route, chevauchant sans empressement, jusqu'à ce qu'il aperçût un jeune homme accompagné d'un âne gris chargé de brindilles sur le bord de la route. Le valet, pauvrement vêtu d'une tunique de chanvre, serrée par une corde, et de chausses trop courtes d'une bonne main si bien qu'on lui voyait les chevilles, marchait au rythme lent de sa bête de bât.

Derek se redressa et se secoua, les sens de nouveau aux aguets. Son destrier, bien qu'étant formidablement dressé, s'ébroua avant de se pavaner en voyant l'équidé placide aux longues oreilles, levant haut les genoux et faisant claquer ses sabots ferrés sur le sol. Le valet sursauta de surprise et se tourna vers le chevalier, dévoilant le visage souillé de suie d'un charbonnier.

- Mon seigneur, s'inclina-t-il immédiatement.

- Que fait ici un valet, dans une forêt que l'on m'assura maudite et vide de toute âme ? s'enquit le seigneur Hale.

- Maudite ? s'étonna le garçon. Je ne savais pas ! On m'avait juré que ces lieux étaient parfaits pour un charbonnier changeant d'herbage tel que moi… M'aurait-on menti ou trahi ? Vous m'inquiétez, mon seigneur.

- Je ne le sais, répondit sombrement Derek.

Le chevalier regarda les fourrés avec une attention renouvelée, sans réussir à imaginer que ceux-ci puissent receler quelques maléfices. Tout n'était que verdure et vie animale. Cependant, le mal était fait, il avait effrayé par ses paroles le pauvre valet qui se pressait désormais contre son âne, caressant ses longues oreilles avec anxiété tout en contemplant le sous-bois avec crainte.

- Croyez-vous que le Diable ou quelques sorcières aient fait de cette forêt leur lieu de sabbat ? trembla le garçon. Sire, voilà que vous avez ancré le doute en mon cœur, et je ne sais si je serai désormais capable de sortir de ces bois sans succomber à mes propres terreurs, si ce n'est sous les ruses du Malin… C'est un bien mauvais tour que vous venez de me jouer.

- Je n'ai pas là essayé de te jouer un quelconque tour, contesta Derek tout en regrettant ses malheureuses paroles. Cependant, si cela te sied et te permet de soulager tes inquiétudes, tu peux à loisir m'accompagner jusqu'au sortir de ces bois.

- Cela me siérait amplement, seigneur ! Mais cela ne vous retarderait-il point ? Un Seigneur tel que vous doit être occupé par maintes affaires et mon fidèle compagnon ne saurait avoir le pas leste de votre noble monture.

Derek sentit un sourire naître face à la naïve inquiétude du valet, présente aussi bien sur ses lèvres que sur son visage maculé de poussière. S'étonnant d'une si surprenante et imprévisible faiblesse de son cœur, le chevalier se reprit et toisa le charbonnier du haut de son destrier.

- Une promesse que je fais est une promesse que je tiens, car nul homme d'honneur ne saurait se parjurer, sauf à s'attendre au parjure en retour. Nous cheminerons ensemble, au pas de votre âne, aussi paisible soit-il, c'est bien là le moins que je puisse faire pour le désagrément que je vous ai causé. Quant à mes affaires, aucune ne m'est urgente à ce jour et je dispose de bien plus que le temps nécessaire pour arriver à ma destination. Allons, reprenons la route, conclut Derek en claquant légèrement ses rênes.

- Bien, mon seigneur.

Le charbonnier se hissa sur la selle rudimentaire de son âne et lui commanda d'avancer.

Derek comprit bien vite, avec un soupçon de détresse et de lassitude, qu'en effet son temps de voyage allait se retrouver fortement allongé. L'âne, aussi brave fût-il, ne semblait connaître pour seule allure que le pas nonchalant. Il n'aurait pourtant servi à rien que d'essayer de lui faire forcer le rythme, le caractère têtu de l'animal ne leur valant alors qu'un arrêt forcé et nombre de braiments outragés, sans que sa vitesse ne s'en trouvât accélérée pour autant. Après cette douloureuse constatation, vint celle de s'apercevoir qu'il s'était attaché un compagnon de route fort bavard. Lui qui ne vivait que de silence et de mélancolie, le débit de paroles du valet l'étourdissait et troublait ses pensées ainsi que son humeur.

- Par ma vie, jamais je n'aurais cru un jour me retrouver en si noble compagnie, commentait le charbonnier d'une voix joyeuse. Savez-vous qu'enfant déjà, il me prenait à rêver d'accompagner un chevalier dans ses nobles et périlleuses aventures ? Je me voyais écuyer à son service, lustrant son armure et polissant son épée, rapiéçant ses chemises et nourrissant son palefroi. Je me voyais fièrement le vêtir de ses armes qui auraient brillé au soleil comme autant d'atours fabriqués par notre Seigneur Lui-même ! Nous aurions chevauché par monts et par vaux, les plus beaux palais nous auraient ouvert leurs portes et nous aurions bu dans des coupelles d'or sous les soupirs des plus ravissantes pucelles que Dieu ait pu créer…

- Et comme écuyer, tu aurais appris à tenir ta langue et à ne parler plus que de mesure, déclara sèchement le chevalier dont les oreilles bourdonnaient déjà de ce trop plein de paroles.

- Étrange, les histoires ne font jamais mention de cela… Peu importe, j'aurais chevauché aux côtés de mon maître et il m'aurait appris les armes aussi bien qu'à me servir à bon escient de ma langue ! Ensemble, nous aurions été au-devant des plus vils et maléfiques dragons et nous les aurions pourfendus pour le compte de quelques seigneurs qui nous auraient promis terre et pucelles en échange de cette délivrance !

- Des dragons, rien que cela, renifla Derek avec mépris. Bien peu parcourent encore ce monde et je ne me sens pas prompt à aller déranger l'un de ces rares survivants dans sa tanière pour un sourire ou un champ reculé.

- La vue du sang vous ferait-elle trembler ? se moqua le valet en toute impunité.

- Ni peur ni faiblesse n'étreignent mon cœur à la vue du sang, mais je n'éprouve pas davantage le besoin de le faire couler à mauvais escient. Maintenant, silence, jeune sot, si écuyer tu souhaites devenir un jour, voici ta première leçon : retiens ta langue et ne t'avise plus de médire sur le compte d'un quelconque chevalier dont les qualités ne sauront que te faire défaut.

Le valet, ainsi mouché, rougit sous la poussière noire et baissa le visage sans plus dire un mot. Derek savait avoir été dur, mais il n'appréciait pas plus les va-t-en-guerre que les langues trop bien pendues. Il ne doutait pas que le garçon fût plus ignorant que méchant, mais la remise en cause de son honneur était une chose qu'il ne saurait souffrir, celle-ci vînt-elle du roi lui-même.

Ils chevauchèrent silencieusement l'un à côté de l'autre, et une culpabilité malvenue vint piquer le cœur du chevalier à la vue des larmes roulant sur les joues du valet, traçant des sillons pâles sur le visage barbouillé.

Se serait-il montré trop dur ? Le jeune garçon ne possédait que l'espièglerie de son âge après tout, agrémentée de la langue trop prompte à la fanfaronnade de quelqu'un n'ayant jamais vu de nobles gens de près ou de loin.

- Vas-tu rejoindre ta famille ? demanda Derek d'une voix bourrue, espérant ainsi dissiper le malaise qui, lentement, s'installait.

- Je ne voudrais pas ennuyer mon Seigneur avec mes histoires, aussi me contenterais-je de vous dire que mon brave âne est la seule famille qu'il me reste.

L'étau de la culpabilité enserra un peu plus le cœur de Derek, accompagné de sa sœur qui jamais ne le lâchait : la mélancolie.

D'une manche, le valet avait à nouveau étalé la suie sur son visage, recouvrant le peu de peau pâle jusqu'alors découverte. Une main tout aussi crasseuse caressa le beau pelage gris de l'âne dont la courte crinière brune n'était pas sans rappeler celle tout aussi courte et dressée de son maître.

- Comment t'appelles-tu ? demanda le chevalier.

- Cela a-t-il réellement de l'importance, messire ?

- Je suis Derek de Hale et oui, si je te le demande, c'est que j'attache de l'importance à ton nom.

Le visage du valet se releva, étonné, et le chevalier croisa deux pupilles miel écarquillées de surprise.

- Je me nomme Stiles, abdiqua le garçon tout en revenant à une prudente apathie.

- Stiles, mon armure se fait lourde sur mes épaules et je crains de me sentir bien trop las pour la défaire, accepteras-tu de m'aider à m'en dévêtir lorsque viendra l'heure de nous arrêter pour reposer nos bêtes et nos corps ?

- Vous me laisseriez cet honneur ? demanda le valet dont le visage s'éclaira soudain.

- Pour sûr, si tu t'attaches à mettre dans cette noble tâche tout le soin dont tu seras capable.

- Vous ne saurez trouver meilleur écuyer, mon seigneur, je vous le jure !

- Nous verrons cela…

Derek se questionna durant un bref instant sur les éventuels regrets que sa promesse pourrait lui valoir… Toutefois, l'ambiance plus légère et le sourire du valet le confortèrent dans sa décision. Ce n'était pourtant pas une habitude que de se montrer courtois et avenant avec inconnu, fussent-ils de haute naissance et encore moins de très basse extraction, mais ce valet exerçait une étrange attraction sur lui. Sûrement était-ce là sa compassion qui s'était réveillée en entendant une histoire d'apparente similarité avec la sienne. Ne plus posséder que sa monture comme seule famille… Un bien triste coup du sort qui, aujourd'hui encore, le faisait ployer sous une ardente tristesse.

Les trilles des jais et rouges-gorges s'éteignirent doucement pour laisser place à une douce quiétude agrémentée par la lumière feutrée des lucioles, signe que le jour se couchait.

Les compagnons de route s'enfoncèrent de quelques pas dans le sous-bois et y établirent leur campement.

Comme promis, Derek laissa le soin au valet de lui retirer épée et écu, heaume et haubert. Le garçon s'avéra un brin maladroit mais le chevalier prit son mal en patience et ne dit mot tandis que les doigts étonnamment déliés du charbonnier le frôlaient et le touchaient bien plus qu'un écuyer entraîné ne l'aurait fait. Étranges caresses volatiles qui firent frémir le chevalier.

Le valet lui proposa ensuite de le raser, offre que Derek déclina, ne se sentant pas assez en confiance pour laisser quelqu'un approcher une lame de sa gorge, encore moins un inconnu qui pouvait aussi bien se révéler être un talentueux coquin. Heureusement, le chevalier pouvait compter sur son fidèle destrier pour monter la garde auprès de ses affaires durant la nuit.

- Mon seigneur apprécierait-il un air de flûtiau avant le souper ? demanda le valet, sa bonne humeur aussi contagieuse que la paix de ces lieux.

- Si le cœur t'en dit, accepta généreusement le chevalier.

Stiles lui sourit et fouilla dans sa besace pour en tirer un pipeau grossièrement taillé dans le bois. Derek, uniquement vêtu de son gambison moelleux et de douces chausses de lin, s'adossa à un tronc d'arbre et patienta, s'attendant à ouïr un air guilleret sans grande sophistication.

De fait, les premières notes sonnèrent pures et enfantines dans le crépuscule, toutefois, le chevalier aurait été de bien mauvaise foi de dire que la musique lui déplaisait. Simple, elle n'en restait pas moins agréable à l'écoute et elle se mariait en tout point avec l'ambiance apaisante des lieux. En fermant les yeux, Derek pouvait presque voir l'un de ses petits frères souffler dans le flûtiau pendant que ses sœurs, jeunes et moins jeunes, faisaient la ronde, des couronnes de fleurs tressées agrémentant leur chevelure d'ébène. Lui et ses frères, plus jeunes que lui mais ayant dépassé l'enfance, s'entraîneraient à l'épée et à la mêlée, se donnant bourrades et coups de poing avec un joyeux entrain tandis que les plus petits s'escrimeraient avec des épées de bois. Sa mère les observerait tout en brodant, un sourire attendri aux lèvres, et leur père jugerait quelque affaire ardue dans la grande salle…

- Il suffit, résonna soudain la voix rocailleuse du chevalier. Tu as assez joué pour la soirée, mange.

Renfrogné et plus ému qu'il ne saurait l'admettre, Derek lança sa roue de fromage entamée d'un quart, son pâté de chevreuil et de pigeon ainsi que son pain au valet. Ce dernier récupéra le tout avec stupeur. Nul doute que rarement il n'avait dû toucher pain blanc de cette qualité et fleuré fromage aussi bien affiné.

Stiles sortit un couteau et coupa une belle et bonne tranche de pain ainsi que de pâté, et tendit le tout accompagné d'une bonne longueur de fromage au chevalier qui mangea le tout sans rien dire. Le valet se servit à son tour puis remballa la nourriture avant de la rendre à Derek.

- Demain, il ferait peut-être bon de chasser, nota le valet avant d'arracher un gros morceau à sa tranche de pain. Vos vivres ne dureront pas éternellement.

Derek vérifia ceux-ci et constata, en effet, leur bas niveau. A croire que cela faisait déjà de nombreux jours qu'il chevauchait en ses lieux. Perplexe, il porta la main à son menton et sentit quelques poils rêches contre ses doigts, preuve supplémentaire s'il en fallait une.

- J'irai nous chercher du gibier dès demain, puis nous repartirons, je m'attarde ici depuis déjà trop de temps, semblerait-il.

- Comme vous le souhaitez, messire, acquiesça Stiles.

Un sourire espiègle étira les lèvres du valet si brièvement que le chevalier ne sut s'il s'agissait de la réalité ou d'une illusion. Nul feu n'ayant été allumé, le fond de l'air étant doux à toute heure, les deux hommes se contentèrent de se rouler chacun dans leur couverture, l'un adossé à un arbre, prêt à agir à tout instant, l'autre lové contre son âne, sans aucune défiance.

Le matin, ils petit-déjeunèrent tôt et avec appétit, après quoi le valet vêtit le chevalier avec soin et mille caresses aussi légères que nées de sa maladresse, puis ils se séparèrent, préférant mener leur chasse chacun de leur côté.

Le chevalier, son arc en main et son épée ceinte aux hanches, s'enfonça dans les bois, les yeux rivés sur le sol encore couvert de brume matinale à la recherche d'une piste. Il en trouva une rapidement, preuve que ces bois foisonnaient de vie, la malédiction semblant agir telle une protection sur ces lieux.

Suivant les troncs écorchés et l'humus dérangé, le chevalier louvoya entre les arbres, prenant tout de même garde à conserver en tête son chemin de retour.

Puis il la vit, magnifique créature à la robe dorée, aux membres délicats, au poitrail d'une blancheur de neige et au fin museau. Elle paissait gracieusement les vertes fougères et tendres bourgeons.

Derek encocha sa flèche, banda son arc et cessa de respirer.

Elle était là, dans sa ligne de mire, biche offerte en sacrifice.

Il n'avait qu'à relâcher la corde et c'en serait fini d'elle. Une flèche lui transpercerait la gorge, proprement.

Pourtant, Derek hésitait, sans pouvoir réellement l'expliquer. C'était comme une impression, une intuition. Se résigner à lâcher sa corde lui semblait une tâche presque impossible, comme si le Seigneur lui-même retenait son bras.

Une brise impromptue souffla, apportant son odeur à la magnifique créature qui se dressa et tourna son museau vers lui.

Le cœur de Derek se gonfla d'affection face au deux lacs sombres et soyeux qu'étaient les yeux de la biche. Lui, le chevalier guerroyant, ne voyait que tristesse, douceur et résignation dans ce regard tendre. Ni colère ni haine envers lui qui s'apprêtait à lui ôter la vie, uniquement une âme désarmante d'amour et de pardon.

A l'assurance qu'abréger sa vie serait mal, s'ajouta une faiblesse dans sa volonté.

Il ne pouvait tout simplement pas se résoudre à tirer.

Dans un soupir las, le chevalier détendit lentement la corde de son arc.

La biche tourna ses oreilles, surprise, examina le sire à quelques pas d'elle, comme hésitante, avant de bondir gracieusement au loin, hors de sa vue.

Le chevalier rangea son arc en grinçant légèrement des dents. Toute cette chasse pour rien…

Il fit un pas prudent en avant, dans le possible espoir de découvrir de nouvelles traces, quand le sol se déroba sous ses pieds. Vivement, il attrapa une branche et s'en aida pour se hisser en terrain plus sûr. Le cœur affolé, Derek observa le gouffre empli de ronces aux épines larges comme la main dans lequel il avait manqué de peu choir. Nul doute que s'il avait tiré sur la biche, pris dans le transport de l'avoir abattue d'une flèche ou par la précipitation de devoir la poursuivre, il serait tombé dans ce vil piège tendu par mère nature.

Prudemment, il recula et décida de faire demi-tour, renonçant à la chasse pour retourner au campement. Il y retrouva le valet en train de refaire les liens de son fagot de bois.

- Mon seigneur, s'écria-t-il en le voyant. La chasse a-t-elle été bonne ?

- Je n'ai, hélas, croisé ni perdrix, ni biche, ni gibier d'aucune sorte sur ma route, mentit le chevalier.

- Pas un seul ? Il m'avait pourtant semblé entendre un cerf au loin… sa harde devrait se trouver aux alentours.

- Notre présence a sûrement rendu ses braves bêtes méfiantes, je n'en ai pas croisé une seule.

Le chevalier décida d'ignorer le regard surpris que le charbonnier posa sur lui. Nul doute qu'il ternissait la réputation que le garçon s'était faite sur lui et ses frères d'arme, mais il préférait cela à la mort de la biche. Non pas qu'il prît en pitié toute créature foulant cette terre, mais celle-ci, par sa beauté et sa résignation, lui avait donné un tel vague l'âme qu'il lui aurait semblé criminel de la tuer.

- La fortune aura préféré me sourire en ce jour, dit le valet avec fierté. Deux beaux lièvres ont filé droit dans mes collets, comme s'ils n'attendaient que ceux-ci pour venir s'y laisser prendre ! Dépecés et vidés, ils nous sustenteront pour les jours à venir.

- Voilà une bonne chose, pouvons-nous désormais reprendre la route ? interrogea le chevalier à l'humeur sombre.

- Quand il vous plaira, mon seigneur.

- En ce cas ne tardons pas davantage, j'aimerais voir la sortie de ces bois avant l'arrivée de l'été.

- Bien, mon seigneur ! Mon seigneur ?

- Quoi ? gronda le chevalier en se hissant sur son destrier, vêtu de pied en cap.

- Accepteriez-vous que nous devisions, chemin faisant ? demanda timidement le valet.

- Soit, mais ne t'attends pas à une quelconque participation de ma part.

- Merci, mon seigneur !

Le charbonnier encouragea son âne à avancer puis se mit à parler et parler… Derek en vint rapidement à considérer ses bavardages comme autant de bruit de fond, au même titre que les trilles des rouges-gorges et les cris des pies. A l'occasion, son attention était attirée par une parole ou l'autre, et il se surprenait à écouter le valet lui conter les légendes de chevaliers pourfendeurs de dragons et de trolls, sauvant royaumes et pucelles de périlleuses menaces ou découvrant un lourd trésor d'or et pierreries.

Le valet semblait ne jamais être en manque d'histoires et Derek n'aurait su dire s'il s'agissait là d'une bonne ou d'une mauvaise chose. Certes, il devait dire adieu à toute idée de calme ou de silence, mais il y gagnait une compagnie moins désagréable qu'il ne l'eût craint au premier abord. Et si, d'aventure, le chevalier faisait entendre sa lassitude face à ses mots incessants, alors le garçon sortait son flûtiau et c'était au son d'une musique légère et joyeuse que le sentier se déroulait sous les pas mesurés de son destrier et ceux de l'âne gris.

La faim décida de leur prochain arrêt, la lumière paraissant ne jamais réellement faiblir ou s'accentuer au coeur de ces bois doucement éclairés.

Le valet fut de nouveau autorisé à le désarmer et le dévêtir. Pas moins maladroit que la première fois, Derek put sentir ses doigts presser son gambison et effleurer la peau de sa nuque et de ses poignets, déclenchant à nouveau d'inopportuns et inexplicables frissons. Durant un bref instant au cours de ce déshabillage, le regard brun teinté d'or de Stiles rencontra celui de Derek, et plus aucun ne bougea. Le temps sembla se suspendre, tout comme les sons nocturnes des bois. Ce fut l'âne, bramant sa faim, qui éloigna les deux hommes aux visages empourprés.

Le chevalier alla bien vite récupérer leur pitance dans ses fontes, détournant son regard du valet pour mieux se reprendre, caressant le chanfrein d'un Camaro étonnamment apathique. Il y trouva pâtés, lapins et fromage, mais point de pain, uniquement des miettes. De même, il ne put que constater la petitesse de son pâté et la taille en demi-lune de sa roue de fromage autrefois entière.

Son visage le démangea et ses doigts rencontrèrent une douce et courte épaisseur sur ses joues. Tout ceci étonna le chevalier qui, en y pensant, n'arrivait pas à se souvenir d'autres jours que celui-ci et celui de sa rencontre avec le valet. Pourtant, preuve lui en était donnée que plus d'un jour s'était passé entre ces deux moments ! Sa barbe poussait et ses provisions diminuaient !

- Mon seigneur souhaite-il que je lui rafraîchisse le visage ? proposa timidement le charbonnier au regard fuyant.

- Sans offense aucune envers ta personne, ma confiance est longue et difficile à obtenir et notre courte chevauchée commune ne saurait suffire à cela.

- Sans offense aucune, répéta le valet d'une voix amère et étouffée.

- Souhaites-tu jouer du flûtiau pour nous ouvrir l'appétit ? s'enquit le chevalier.

- Je crains que ces deux envies ne m'aient été coupées. Je m'en vais plutôt aller poser quelques collets en espérant y trouver piégées d'imprudentes proies à notre réveil.

Le charbonnier caressa le museau de son âne avant de s'enfoncer dans le sous-bois, cordes et appâts en main.

Derek sombra dans une profonde mélancolie alors qu'il se retrouvait seul, sans rien pour le distraire de ses noirs souvenirs.

Au devant de sa triste mémoire, point d'armes s'entrechoquant avec ardeur ou de cors trompétant l'arrivée d'un souverain et de sa dame, uniquement le lourd et douloureux silence de la mort et la vue et l'odeur des corps parsemant la colline, pas même enterrés, pas même toilettés, certains défigurés. Les mains dans la terre des jours durant, il lui avait fallu creuser, pour enfin pouvoir offrir une dernière demeure à ses proches et s'assurer du repos de leur âme, un moinillon terrifié exécutant l'office liturgique, la dague de Derek piquant le creux de ses reins tremblants.

Son château aux mains d'un seigneur félon, il avait dû fuir, loin, trahi par des hommes en qui il avait eu confiance pour protéger sa famille en son absence. Depuis il errait de châteaux en tournois, acceptant l'hébergement de prud'hommes et nobles seigneurs.

- Vous n'avez pas mangé, nota le valet en revenant dans leur campement de fortune, le visage partagé entre la perplexité et la culpabilité.

- La faim m'aura aussi déserté, semble-t-il, expliqua platement le chevalier qui avait perdu tout désir de se sustenter malgré son estomac grondant. De même que le sommeil…

- Souhaiteriez-vous que je vous joue une berceuse ? demanda le charbonnier avec un rien d'insolence.

- Ce serait là pour vous un réel défi que de trouver un air capable de me faire rejoindre le monde des rêves, répliqua Derek, l'humeur bien triste.

- C'est un défi que je devrais pouvoir relever, s'enthousiasma Stiles en sortant son pipeau.

Derek regarda le valet avec scepticisme. Cependant, il prit tout de même le soin de remettre ses victuailles dans ses fontes et de s'installer confortablement sur la mousse souple, son dos tenu droit par un haut chêne.

Les premières trilles sortirent, clairs et enthousiastes, avant de s'assagir. La musique devint lente et langoureuse, hypnotique. Derek sentit son esprit se vider de toute idée, de toute forme de pensée, ne resta que la contemplation de Camaro dont le poitrail montait et s'abaissait à mesure de sa respiration. Derek sentit à peine sa tête rouler et ses yeux se fermer, la musique le plongeant dans un profond sommeil de ses douces notes velourées.

Le chevalier se réveilla en sursaut le matin, frappé de stupeur d'avoir si facilement et si lourdement dormi , sous le charme de la berceuse simpliste d'un pauvre charbonnier. Ses pensées se tournant vers lui, ses yeux suivirent le mouvement et il contempla la forme endormie, repliée sur elle-même, du valet. Jeune et bien inoffensif, paraissait-il dans son sommeil, recroquevillé sous sa liquette, semblant bien frêle à côté de son âne. Un pauvre hère perdu en ce monde cruel de danger et de mort.

Soupirant de lassitude face à ses propres états d'âme, Derek se leva et rassasia enfin son ventre affamé. Puis il décida d'aller lui-même relever les collets du valet, permettant à ce dernier de bénéficier ainsi d'encore un peu de sommeil. Le chevalier n'avait aucun doute quant à ses capacités à trouver la piste de Stiles, ce qui lui fut rapidement confirmé par les faits. Le premier collet s'avéra vide, tout comme le second, mais le troisième…

Une magnifique hermine, encore vêtue de son pelage hivernal, s'y était emmêlée et finalement endormie d'épuisement. Nul doute qu'une telle fourrure, d'une blancheur immaculée hors la pointe de sa queue, noire comme le charbon, lui rapporterait un bon prix auprès de n'importe quel fourreur.

Le chevalier s'agenouilla à côté du petit animal et posa ses mains avec fermeté et assurance dessus, l'une sur son corps délicat et l'autre sur sa tête fragile.

Le rongeur se réveilla immédiatement dans un couinement effrayé.

Un simple geste, un tour de main précis et le chevalier lui romprait la nuque proprement.

L'hermine tremblait et respirait en toute hâte sous ses doigts. La peur exsudait de la créature aux doux yeux noirs. Elle connaissait son futur destin entre les mains du chevalier et le craignait.

Derek fit lentement glisser son pouce sur le pelage doux entre ses oreilles, encore hésitant à l'idée de tordre le cou à la petite créature. L'hermine, au commencement méfiante et fuyante, prit lentement confiance sous les caresses du chevalier, et s'apaisa pour mieux couiner de satisfaction. Le nez frémissant de plaisir, elle ne semblait plus éprouver aucune crainte et frottait de son propre chef le haut de sa tête contre la main calleuse du chevalier.

Le chevalier sentit sa mélancolie s'amplifier, ses souvenirs du drame encore frais dans son esprit. Quelles douces paroles avaient endormi la méfiance de ses frères ? Celle de son père ? Au point qu'on puisse en toute impunité les poignarder dans le dos, y compris sa mère, y compris ses soeurs.

Dans un accès de pitié, Derek ne put se résigner à tuer l'innocente et immaculée créature. En lieu et place, il la souleva avec délicatesse jusqu'à lui, et découvrit brusquement et avec horreur, sous le corps chaud et fourré, moults serpents aux vives couleurs dormant dans la tiédeur du matin. Nul doute que le mouvement brusque et l'odeur de la mort, s'il avait eu la malheureuse idée d'occire le blanc rongeur, eussent réveillé ces vils reptiles et qu'il eût été bien en peine d'éviter une fatale morsure.

Amenant la délicate créature contre lui et s'éloignant du danger pesant sur ce nid de serpents, le chevalier coinça l'hermine entre son bras et son ventre pour mieux venir caresser le tendre poitrail à la fourrure soyeuse. Un sourire naquit sur les lèvres de Derek tandis que l'hermine se tortillait joyeusement dans ses bras. Ses doigts parcoururent la fourrure et grattèrent la gorge du rongeur couinant et frétillant entre ses mains, mordillant et léchant son pouce lorsque celui-ci passa devant son museau.

Il eût désormais été bien en peine d'abréger la vie de la tendre créature. Sa confiance et sa douceur avaient réussi à se frayer un étroit chemin vers son cœur blessé et y apposer un peu de baume apaisant. Tendre et agile petite créature…

Doucement, Derek la reposa au sol et caressa une dernière fois le fragile petit crâne avec de la lâcher complètement. L'hermine l'observa une poignée de secondes, le cou tendu et la queue enroulée autour de son corps, avant de brusquement s'enfuir et disparaître derrière le premier buisson venu.

Le chevalier sentit son cœur se serrer l'espace d'un instant face à cette brusque disparition qu'il ressentit comme un abandon. Soupirant, il se leva et alla constater la vacuité des derniers collets du charbonnier avant de revenir au campement, le cœur lourd, un fantôme de pelage continuant de caresser ses mains.

Il retrouva le valet, son compagnon de route, qui regardait dans le vide en jonglant avec son flûtiau.

- Mon seigneur, le salua-t-il d'une voix neutre à son arrivée, sans prendre la peine de tourner son regard vers lui.

- Tes collets ai-je été vérifier en attendant ton réveil, je crains qu'aucun animal n'ait souhaité s'y laisser prendre durant la nuit.

- Aucun ?

- Pas même un lapereau nouveau-né. Reprenons la route, nous trouverons bien des lieux de chasse plus propices plus en avant.

- Dois-je vous armer messire ?

- N'est-ce pas là ton devoir, écuyer ?

- Si fait, acquiesça le valet, un timide sourire venant adoucir ses traits.

Le chevalier se tint bien droit tandis que le charbonnier lui faisait revêtir haubert et tabard, chausses de fer et éperons, toujours ses doigts vagabondant là où nul écuyer plus exercé et habile ne serait allé. Plus encore peut-être cette fois, à moins que ce ne fût une vue de l'esprit de Derek. Le valet lui ceignit en dernier sa ceinture à laquelle il attacha son épée, puis leva les yeux vers son maître, fier de son œuvre.

Avec étonnement, Derek décela un empourprement sur les joues du valet et une lueur chaude dans son regard. Dans un accès de bonté, le chevalier posa une main sur l'épaule du plus jeune pour le remercier de sa tâche, sentant sous sa main les muscles se tendre de surprise, puis alla enfourcher son destrier au manteau de nuit.

- Je ne vous ai pas demandé mon seigneur, mais par où vous rendez-vous ainsi ? s'enquit le valet en mettant son âne au pas, aux côtés du chevalier.

- Au tournoi.

- Joutes et mêlées, épées se frappant et belles gens applaudissant, tentes multicolores et preux chevaliers de tout côté ! s'enthousiasma le jeunot. Que ce doit être là un splendide spectacle que ces oriflammes flamboyantes virevoltant au vent comme autant de blé dans un champ coloré ! Que ce doit être exaltant que de voir ces nobles combats entre hommes de l'art ! Vous devez être impatient d'arriver à destination, mon seigneur !

- J'y vais car c'est là la seule façon que je connaisse pour vivre et faire vivre le peu d'honneur demeurant encore attaché au nom des Hale, dit le chevalier, sans passion ni élan. J'ai malheureusement perdu le goût du combat depuis longtemps et n'y vais plus que pour gagner la menue monnaie et la renommée nécessaire à ma survie sans faire honte à mon nom, qui est aussi celui de mes bien-aimés parents, aujourd'hui défunts.

- Je trouve tout cela bien triste et espère de tout cœur que vous retrouverez un jour le goût de vivre pour jouir de quelques plaisirs terrestres, avoua le charbonnier. Il y a bien des choses sur cette terre qui vaillent la peine d'être vécues.

- Nul besoin n'ai-je de la pitié ou des vœux d'un charbonnier perdu et froussard, répondit le chevalier avec brusquerie.

Qu'est-ce qu'un pauvre sans nom pouvait comprendre de ses malheurs et de sa vie ? Du devoir de faire briller sa maison aujourd'hui occupée par d'infâmes traîtres ? De l'obligation de vivre quand au ciel se trouve tous ceux que l'on aime ? Que connaissait ce jeune ingénu du malheur et de la peine ? Celle de tout perdre, de n'avoir plus qu'un animal, souvenir vivant, à quoi se raccrocher...

Une brusque bouffée de culpabilité envahit le chevalier tandis qu'il se souvint que le valet chevauchant à ses côtés était aussi orphelin que lui-même. La bile amère de la honte envahit sa bouche et son visage s'empourpra de sa propre vilénie. Cependant, les mots lui furent difficiles à prononcer, tout comme paraissait désormais difficile pour le valet de le regarder.

- Mes paroles n'étaient points honorables, lâcha le chevalier d'une voix aussi rauque que brisée. Ce sont mon cœur alourdi par la tristesse et mon orgueil piqué au vif qui ont parlé.

- Plus homme est blessé, plus homme est prompt à attaquer, dit sourdement le valet.

- Ce sont de bien sages paroles, convint tristement Derek.

Un silence de fierté blessée les accompagna sur quelques lieues, jusqu'à ce que le valet sorte son pipeau et ne se décide à agrémenter leur chemin de quelques légères notes.

Seule la musique les accompagna durant ce jour, emplissant la forêt de notes légères. Pourtant, une dissonance se faisait entendre, comme un doute du musicien. La musique vive s'allongeait soudainement pour devenir doucement mélancolique, avant de revenir à une trille joyeuse, pour mieux replonger dans une sombre mélodie.

Ces réguliers changements de mesure tirèrent désagréablement le chevalier de son agréable léthargie due au voyage dans ces terres de pénombres permanentes. Son destrier lui-même se mit à broncher, comme gêné de ne pouvoir se laisser aller dans la quiétude des lieux.

- Eprouves-tu quelque affliction, mon jeune ami, pour n'être capable de te décider sur un unique chant ? s'enquit poliment Derek.

- Nulle affliction, uniquement des questions, mais aucune qui ne saurait mériter votre attention, mon seigneur, dit le valet d'une voix lointaine en éloignant son flûtiau de ses lèvres. Mon seigneur ?

- Oui ? répondit Derek.

- Ce tournoi… En m'accompagnant comme vous le faites, moi et mon âne à l'allure paisible, ne risquez-vous pas d'arriver après les joutes ?

- Je n'ai pas de hâte à avoir, celui-ci ne se déroulera qu'à la Samain, soit dans une demi-année.

- Mon seigneur ?

- Quoi encore ? s'impatienta Derek.

- Puis-je me permettre une question indiscrète à votre sujet ?

- Au moins as-tu demandé avant, cette fois… Je te laisse le soin de choisir une et une seule question à laquelle je répondrai avec honnêteté, je te le promets sur mon honneur.

Le silence reprit ses droits et seuls les claquements des fers du noir destrier et des sabots de l'âne gris résonnèrent dans la paisible forêt.

- Mon seigneur, commença le valet avec lenteur, si vous n'aviez qu'un souhait à prononcer, un vœu que vous souhaiteriez voir réaliser plus que tout au monde, quel serait-il ?

Derek tourna son regard vers le charbonnier et découvrit un visage si grave et si sérieux qu'il s'en trouva perturbé. Cette simple question semblait revêtir une grande importance pour le jeune homme.

Il se mit à réfléchir sérieusement à la question et, comme à chaque fois qu'il songeait à l'avenir ou au passé, à ses envies ou à ses devoirs, la mélancolie prit le dessus sur son humeur. Ayant promis sincérité et franchise, il se força à répondre et mit ainsi son âme à nue devant cet inconnu qui n'en était plus vraiment un.

- J'aimerais tant, si Dieu m'en donnait la possibilité, revoir une dernière fois ma famille, leur dire au revoir, à ma mère, à mon père, à mes frères et à mes sœurs. J'aimerais leur exprimer toute l'affection que j'ai pour eux, tout le manque que je ressens de leur absence, souffla le chevalier tout bas, le corps courbé, fatigué, avachi sur son destrier dont le pas frappait lourdement la route. Il y a tant de choses que j'aurais aimé leur faire savoir avant qu'on ne les arrache à ce monde et à moi...

Le vent fit doucement bruisser les feuilles dans les arbres et Derek crut entre-apercevoir brièvement le ciel, d'un bleu pur et tranchant sur le vert tendre de ces bois.

Le valet sortit tout naturellement son pipeau et recommença une lente et triste mélodie. Derek s'enfonça encore plus profondément dans sa mélancolie, oubliant le monde l'entourant au profit des déchirements de son âme.

Il ne vit pas le temps passer, Camaro suivant le chemin sans avoir à être guidé de sa part dans ces terres intemporelles.

Ce fut l'âne gris du valet qui, à son tour, fit cesser leur chevauchée en s'arrêtant brusquement et en se mettant à braire avec force. Stiles dut descendre de son dos pour aller caresser sa tête et ses longues oreilles tout en lui murmurant d'affectueuses paroles. L'âne se calma progressivement jusqu'à venir pousser son museau contre le maigre torse du valet.

- Le jour décline, nous devrions songer à nous arrêter et à trouver de quoi subvenir à nos besoins pour les prochains jours.

- Es-tu certain que le soir est là ? J'avoue ne pas savoir distinguer le jour et la nuit ici, tout semble se ressembler, remarqua Derek en regardant les frondaisons serrées de feuilles au-dessus de leur tête.

- Je dois avoir davantage que vous l'habitude de vivre en forêt, à moins que ce ne soit mon estomac grondant qui se révèle être le meilleure des indicateurs, plaisanta le valet sans cesser de caresser son âne.

- En ce cas, je crains que nous ne possédions la même mesure du temps, grimaça le chevalier tandis que ses propres entrailles criaient famine.

- Installez-vous, seigneur, je m'en vais de ce pas attraper une ou deux perdrix pour notre souper. Je vous laisse mon âne pour compagnie, je vous serais extrêmement reconnaissant de bien le traiter.

Le jeune valet s'éclipsa avant que le chevalier ne soit en mesure de protester, le laissant seul avec son fier destrier et l'âne gris qui le regardait de ses grands yeux affectueux. Derek soupira et prit une poignée de picotin, une dans chaque main, avant de les tendre aux deux équidés qui caressèrent ses paumes de leur doux menton piqueté de poils durs.

Le chevalier entraîna les deux montures vers le bas côté de la route et se mit en devoir de les décharger, en commençant par son destrier. Sa selle et ses fontes posées à terre, transpirant sous sa lourde armure, il entreprit de s'occuper de l'âne avant d'envisager une quelconque pause. Il en était à déboucler sa sous-ventrière, quand des grattements dans son dos l'alertèrent. Il se retourna et découvrit un goupil squelettique, le nez fourré dans ses affaires, tirant son dernier quart de fromage hors de sa sacoche.

Derek jura et éloigna l'animal d'un revers de sa main gantée de fer sur son museau. Le goupil glapit et alla vivement se réfugier parmi les fourrés. Cependant, le chevalier devinait sa robe flamboyante entre les branches et les fougères, signe que l'animal attendait un nouveau moment d'inattention de sa part pour agir.

Le chevalier se baissa et ramassa le fromage tombé au sol. Le découvrant brisé et couvert de terre, Derek soupira sa consternation. Il le retourna dans ses mains, essayant d'imaginer un quelconque moyen pour sauver le peu qui lui restait, avant de conclure que le fromage eût mieux servi à nourrir une basse-cour qu'un humain.

Le goupil continuait de l'observer, le chevalier le percevait à l'occasion sous la forme de ses yeux à l'éclat doré, l'observant à l'abri derrière la végétation. Derek aurait pu sortir son arc ou même son épée, seulement le fromage était, quoi qu'il arrive, gâché pour lui et le charbonnier.

Il arma son bras, loin et arrière, et lança le quart de roue brisé au loin.

Le goupil déguerpit sans demander son reste à la recherche de sa rapine.

Derek contempla ce qui lui restait de nourriture, à savoir le talon du pâté offert par le châtelain une poignée de jours plus tôt, à moins que ce ne fût plus... ? Les jours se ressemblaient tous pour le chevalier depuis qu'il avait mis le pied dans cette forêt, écrin d'émeraude et de sérénité, et il eût été bien en peine de dire précisément depuis combien de temps il chevauchait ici.

Il passa une main sur ses joues, intrigué, et constata avec surprise qu'une douce barbe lui recouvrait désormais le visage.

L'âne se mit à braire, détournant son attention de sa contemplation méditative des bois. Le chevalier acheva de décharger l'animal à la robe grise et au doux pelage. Il disposait les dernières affaires au sol quand le valet revint, la mine boudeuse et deux perdrix attachées à sa ceinture. Malgré la poussière noire maculant toujours sa peau, le chevalier crut distinguer une teinte plus sombre, s'étalant de son œil droit à son menton en passant par la pommette.

- Une racine traîtresse a eu raison de mon équilibre, marmonna Stiles en surprenant le regard insistant du chevalier sur son visage. Au moins suis-je « tombé » nez à nez avec cela.

Il dénoua la bourse de la corde qui lui servait de ceinture et dévoila baies et champignons à l'aspect fort appétissant.

- Cela nous sera plus qu'utile, mon jeune ami, je crains que mes provisions ne se soient réduites à peau de chagrin.

- Un mal pour un bien. Souhaitez-vous que je vous débarrasse de vos armes ? Vous semblez bouillir de chaleur et vous risquez d'attraper la mort ainsi recouvert et humide.

- J'attendais le retour de mon écuyer, plaisanta Derek.

- Eh bien, le voici ! s'exclama aussitôt le valet en posant les oiseaux près de son fagot de bois.

L'âne de Stiles eut un bref braiment qui sonna moqueusement aux oreilles des deux hommes. Le valet lui lança un noir regard avant de revenir au chevalier, rougissant de la nuque à la pointe des oreilles.

Derek eut l'impression que, plus que jamais, les mains de Stiles l'effleuraient et le touchaient. De même, il pouvait sentir son souffle chaud sur sa peau à découvert et il en gagna mille frissons qui firent vibrer son échine et grêlèrent sa peau. Le bout de ses doigts s'engourdit tandis que le reste de son corps s'échauffait d'une façon qu'il n'avait jamais connue jusqu'à ce jour. Pourtant, il avait eu nombre de pages et d'écuyers et croisé maintes pucelles de qui il avait reçu baisers et caresses, mais le toucher innocent et maladroit du valet sur lui avait un effet très différent, entraînant son âme vers des turpitudes jusqu'alors inconnues, ouvrant son esprit vers des délices interdits jusqu'alors jamais envisagés.

- Vous voici délesté de toute cette ferraille, sire chevalier, dit Stiles avec un grand sourire, ses yeux brillant dans la pénombre ambiante. Souhaitez-vous que je m'occupe aussi de vous rafraîchir le visage ?

- Saurais-tu seulement t'y prendre ? Je ne vois pas un poil sur le visage devant moi, se moqua le chevalier.

- Mon seigneur ! se vexa le charbonnier. Je sais me raser ! Et je savais fort bien manier le couteau quand il s'agissait de mon père ou de mes frères ! Pas une seule fois ne les ai-je coupés ! Pourquoi ne pouvez-vous pas avoir confiance en moi ? Ai-je fait quoi que ce soit depuis notre rencontre qui vous porte à croire que je...

- C'est entendu, je te donne ta chance, annonça Derek avec un sourire en coin tout en sortant son outre et une longueur de lin de ses affaires.

Le valet se stoppa dans sa diatribe et se tourna vers le chevalier en ouvrant des yeux émerveillés.

- Ceci est réel ? Pas de mauvais tour ou de plaisanterie ?

- Aucunement, contesta Derek avant de passer la serviette humide sur visage pour enlever le gros de la poussière du chemin et de la suée qu'il avait subie précédemment. Me voici, assis, attendant que tu daignes m'enlever cette barbe inopportune et priant pour avoir encore la tête sur les épaules après ton œuvre.

- Constatons ensemble si je n'ai pas perdu le coup de main, dit le valet en se prenant au jeu.

Derek l'attendit, confortablement installé contre un large tronc. Il vit le charbonnier aiguiser son couteau sur une pierre à affûter et s'approcher, son visage sale teinté d'un timide rouge - et de violet là où son visage avait brutalement rencontré la terre ferme. Les mains se posèrent d'abord maladroitement sur son visage, presque tremblantes.

- Ne te loupe pas, dit le chevalier d'une voix grave en attrapant le poignet au bout duquel luisait le couteau bien tranchant.

Leurs yeux se rencontrèrent et Derek distingua un éclat d'or dans les prunelles noisette. Puis l'expression du valet s'adoucit d'une façon que le chevalier n'aurait su définir.

- Je vous jure sur ce que j'ai de plus cher que je ne vous blesserai d'aucune façon, mon seigneur, déclara Stiles avec une maturité et un sérieux que Derek lui connaissait bien peu.

Le chevalier relâcha lentement le valet et se força à fermer les yeux.

Les doigts de Stiles furent les premiers à se poser sur sa peau, redessinant l'angle de sa mâchoire avec délicatesse. Ce n'était qu'un premier et faible contact et pourtant, le chevalier avait déjà l'impression de brûler là où la chair reposait contre son visage. Après la chaleur, vint le froid, celui du couteau, tranchant, mortel, quand le fil de la lame appuya tout contre son oreille.

Derek était totalement à la merci du garçon en cet instant et, pourtant, une ardeur nouvelle naquit dans le creux de ses reins et monta lentement en lui, répandant un long frémissement tout le long de son dos jusqu'à sa nuque.
Le coeur battant à tout rompre, la lame froide courant sur sa peau tendre, il rouvrit les yeux et tomba sur le spectacle fascinant du visage de Stiles, son regard s'attardant sur les lignes et courbes de son minois, sur la teinte entre l'ambre clair et le miel foncé de ses yeux ombragés par ses longs cils, pour finir par s'intéresser à la façon dont la pommette et la joue tuméfiées suite à sa chute se moiraient de violet. Pour la première fois, un constat s'imposa à l'esprit de Derek : Stiles était beau, et ce simple constat émut le chevalier au-delà du raisonnable, le rendant fébrile sous les attentions du valet.

La lame froide glissa de nouveau, raclant sa barbe, mais Derek y prêta à peine attention, trop pris par le désir qui l'enivrait doucement, par le toucher de Stiles sur son visage, par sa présence qui semblait envahir son espace vital tout entier. Les doigts de Stiles glissèrent un peu plus bas et sa jambe s'appuya contre sa cuisse, y diffusant une chaleur aussi terrible que délicieuse qui fit s'emballer son cœur d'un doux tourment. Il se mit à ressentir avec une sensibilité nouvelle le souffle du valet qui venait s'échouer sur son visage et se perdit sous l'indicible sensation que suscitaient en lui les doigts du valet, parcourant son visage avec douceur, caressant sa peau nue et exacerbant ses sens.
Une torpeur mêlée d'ardeur engourdit son esprit et son âme et ses doigts se mirent à fourmiller, le forçant à lutter pour ne pas étreindre le corps savamment penché au-dessus de lui et s'approprier un peu plus de sa chaleur humaine.

Stiles, tout à sa tâche, concentré comme jamais auparavant, laissait pointer un bout de langue rose d'entre ses lèvres , sous le regard fiévreux de Derek, lorsque le couteau passait un contour délicat. Le chevalier se découvrit immédiatement fasciné par ce bout de muscle rosi pointant entre les lèvres pâles et bien formées. La déraison serra son ventre d'une envie ne pouvant être nommée qui causa des tourments supplémentaire à son coeur déjà malmené, et plongea un peu plus son âme dans des supplices de tentation. Et cette chaleur contre sa cuisse, et ce visage à l'expression intense au dessus de lui, et ce souffle qui affolait ses sens...

Comme pour jauger son œuvre, à moins que ce ne soit pour précipiter un peu plus la chute du chevalier, le pouce du jeune homme caressa la peau désormais à vif, exacerbant ses sens déjà mis à mal. Derek eut bien du mal à se retenir de tourner son visage vers cette paume douce et blanche pour la baiser avec ferveur. Les yeux de Stiles brillèrent brièvement d'une lueur dorée, son corps se pressant un peu plus contre celui du chevalier, leur souffle se mêlant dans le court espace qui séparait leurs deux visages.

Les doigts du valet reprirent leur route et s'arrêtèrent, cette fois, sur sa gorge, effleurant la peau du chevalier avec délicatesse, son pouce si proche de sa pomme d'Adam que Derek en déglutit par avance, d'appréhension et d'envie, alors que la lame aiguisée appuyait contre sa gorge si dangereusement découverte.

Une maladresse, un geste mal placé, et il ne serait plus.

Le temps parut se figer. Derek plongea son regard dans les orbes miel, dévoilant par ses fenêtres de l'âme tout ce qu'il ne pouvait, ne saurait dire à voix haute.

Il crut un bref instant sentir la main de Stiles se presser plus fortement contre sa jambe imberbe, puis le valet reprit sa tâche sans mot dire, avec concentration, glissant encore et encore le métal désormais tiède sur la peau si fine de son cou, de son menton, de ses joues, pendant que Derek se laissa faire, tournant son visage au gré des pressions de doigts sur son visage. Il sentait toute la chaleur du corps de Stiles contre le sien, respirait son odeur, bien loin de l'âpreté attendue du charbon, et se laissait envoûter par le contact de ses doigts sur son visage.

Le valet, un fois son visage libéré de son encombrante barbe, caressa la chair rose ainsi mise à nu du bout de ses phalanges. Stiles se rendait-il compte de son geste ? Le chevalier était persuadé que non, mais comme pour sa façon de le toucher quand il l'habillait et le déshabillait, Derek ne fit aucune remarque, son cœur se gonflant simplement d'une affection telle qu'il croyait ne plus jamais être capable de ressentir un jour, se laissant aller à ses tendres caresses qui faisaient s'envoler son âme d'allégresse.

Stiles éloigna le couteau de son visage, puis ce fut le tour de son corps qui cessa d'échauffer celui du chevalier en s'appuyant dessus.

Vivement, Derek sortit une petite flasque d'argent magnifiquement ciselée de ses affaires et la tendit au valet.

- Tu devrais aller jusqu'au bout, fit la voix enrouée de Derek.

- Qu'est-ce ? l'interrogea le valet dans un chuchotement en ouvrant doucement le bouchon. Cela sent bon…

- De l'huile, à l'amande douce, expliqua le chevalier. Fais comme ceci…

Derek prit avec douceur l'une des mains de Stiles dans la sienne et la tourna paume vers le haut, avec la seconde. Il y versa un peu de l'huile odorante, capiteuse et exotique. Il referma le précieux contenant et frotta les mains Stiles l'une contre l'autre en prenant sont temps, remarquant seulement leur étonnante blancheur et propreté.

Puis, le cœur battant frénétiquement, il posa les mains ointes du valet sur ses joues, s'enivrant de l'odeur douceâtre et appréciant la tiédeur de l'huile sur sa peau irritée.

Les longs doigts agiles agirent sans avoir à être guidés. Ils passèrent sur la peau avivée, la massèrent, sans hâte, avec calme et assurance, retraçant les contours de son visage avec application. Ces caresses exaltèrent le cœur et l'âme du chevalier, l'emmenant dans un monde de délice doux embaumant l'amande et le printemps.

Perdant le contrôle sur ses gestes, Derek leva une main et la posa avec affection sur la nuque de Stiles. Le valet eut un léger sursaut d'étonnement et leur regard se croisèrent à nouveau. Derek ressentit un brusque afflux d'émotion qui lui coupa la voix et fit chanter son âme d'allégresse. Il caressa du bout du pouce la nuque de Stiles, son cœur s'enorgueillissant de déclencher frissons et chaleur dans le corps du jeune homme. Contre sa cuisse, la hanche du valet se fit plus présente, mettant tout son être en émoi.

Les doigts du valet recommencèrent à caresser ses joues avec douceur, un sourire étrange sur le visage, ni heureux, ni triste, mais résigné.

Le chevalier voulut dire quelque chose, poser une question, comprendre, mais ses yeux se fermèrent d'eux-mêmes sous la tendre caresse et l'odeur capiteuse de l'amande. Le plomb du sommeil se mit à peser lourdement sur ses épaules.

- Reçois le plus beau présent que je puisse te faire, chuchota la voix de Stiles, comme venant de très loin. Ma clémence...

Incapable de résister à l'engourdissement qui le prenait tout entier, le chevalier s'endormit, avec pour dernière sensation, celle d'une pression sur son front.

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A suivre…

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Beau sire : il n'est pas question de beauté ) ça veut simplement dire : cher sire, cher ami. Pareil pour « doux sire ».

Doulcemelle: oui d'accord, là j'avoue, je cherche les ennuis X) C'est un instrument de musique de la famille des cithares. Une large caisse de résonance rectangulaire posée sur une table ou les genoux et dont les nombreuses cordes sont frappées par des baguettes. Courant au moyen-âge ;)

Couleur : quand on parle de blason ou de bannière, les couleurs sont appelées différemment : gueule = rouge, sable = noir, azur = bleu, argent = blanc… quant à la façon de décrire un blason, c'est un vocabulaire encore plus spécifique ! Pour faire simple sur celui de Derek : Un écu blanc avec au centre une bande en V inversé noir avec trois loups noirs présent sur le fond blanc.

Cotte : tunique

Fonte : sacoche pour cheval

Goupil : ancien nom du renard

Haubert : cotte de maille

Prud'homme : un homme sage

Pucelle : fille vierge, mais je soupçonne très fortement que cela veuille dire simplement "jeune fille" !

Samain : En gros, Halloween et/ou la toussaint ;) C'est du moins la fête celtique à la base de ces deux-là, et elle se déroule donc fin octobre début novembre ;)

Valet : désigne un jeune homm

Voilà pour le lexique ! J'espère que ce chapitre et cette histoire vous aura plu :) et je suis curieuse des éventuelles théories que ce chapitre aura fait émerger en vous ;)

Je n'ai pas encore décidé de quand je publierai la suite, sachant que tout est entièrement écrit (dernier chapitre ne bêta lecture). Soit à la fin de cette semaine, soit la semaine prochaine… Je l'avoue, cela dépendra de votre enthousiasme et/ou de mon impatience à vous faire découvrire le chapitre suivant X) Mais pas d'inquiétude, la suite sera de toute façon publiée au plus tard mercredi prochain :D