Alta Alatis Patent
Le ciel est ouvert à ceux qui ont des ailes
Elle marchait, tremblante, plus pâle qu'elle ne l'était d'habitude, dans les couloirs qu'elle connaissait bien pour les avoir foulés depuis sa plus petite enfance.
- Artémia ? Que fais-tu là ?
La voix de la Médicomage raisonnait dans le couloir, avant que la petite ne se décide à se retourner.
- Je crois qu'Edern est mort, lui aussi.
La petite fille leva ses yeux bleus et rencontra ceux inquiets de la Médicomage. Ann s'approcha d'Artémia et posa sa main sur l'épaule de l'enfant.
- Tu as du faire un cauchemar ma petite. C'est normal dans ces circonstances, tu veux m'en parler ?
Mia fronça les sourcils et s'écarta de la Médicomage. Elle n'avait peut-être que onze ans, bientôt douze répétait-elle, mais l'expression qu'elle arborait la vieillissait considérablement.
- Mais non Ann ! Je l'ai vu ! Il s'est pendu à la maison !
Ann agrandit les yeux de surprise, face à la révélation abrupte de l'enfant.
- Que racontes-tu ? Il était là il y a trois heures.
La petite fille inspira une grande bouffée d'oxygène avant de s'exprimer. Elle n'aimait pas la faiblesse de sa voix, elle n'aimait pas la détresse qui émanait d'elle à cet instant.
- Il est dans le salon, au-dessus du tapis beige. Il pendouille dans les airs, sa tête est plutôt bleue et…
- Arrête Mia!
Ann fronça les sourcils à son tour et s'éloigna de la fillette. Artémia regarda l'amie de sa mère, décontenancée. Elle savait que les adultes n'aimaient pas ce qu'elle disait, ce qu'elle faisait remarquer parfois. Sa mère lui avait souvent dit de se taire plutôt que de déblatérer des mots que les gens ne voulaient entendre, des mots qui pouvaient les blesser ou les rendre malheureux. Mais à ce moment, elle ne comprenait pas la réaction d'Ann. Elle avait seulement dit la vérité, comme on le lui avait toujours exigé.
- Tu en es sûre ?
La Médicomage considéra l'enfant devant elle. Elle portait son pyjama bleu et des chaussons en forme de lapin. Elle paraissait fatiguée et son visage bouffi indiquait qu'elle avait pleuré une partie de la nuit.
- Évidemment.
Un nœud se créa dans le ventre de la Médicomage. Elle avait déjà perdue son amie dans l'après-midi, elle espérait ne pas en avoir perdu un de plus.
- Tu es venue par cheminée directement ?
Mia hocha la tête et baissa les yeux.
- Je ne... je ne savais pas quoi faire d'autre, où aller…
- Tu as bien fait. Va dans mon bureau, je t'y rejoins au plus vite.
Artémia hocha une nouvelle fois la tête et regarda Ann partir rapidement. Elle se retourna et continua à déambuler dans les couloirs de la clinique Wizardry. Elle s'arrêta finalement devant une porte qu'elle connaissait maintenant bien pour y avoir collé l'oreille bien trop souvent. Elle posa sa main sur la poignée et fit pivoter la porte.
Pendant un instant, elle pensa que l'après-midi avait été un simple cauchemar et que tout était comme avant. Les bougies éclairaient faiblement la chambre, comme elles étaient programmées pour le faire la nuit. Elle fit un pas en avant et découvrit une vieille dame, allongée, les yeux fermés.
Elle laissa couler une larme silencieuse, avant de retourner silencieusement dans le couloir.
- Mia !
La fillette se retourna devant Byron, le médicomage qui avait, lui aussi, remplacé sa mère, alors que la maladie la gagnait. Tout le monde avait déjà remplacé sa mère.
- Ta mère n'est plus dans…
- Je sais, coupa la petite fille, froide comme jamais Byron ne l'avait vu. J'allais rejoindre le bureau d'Ann.
Le Médicomage se mordit la lèvre inférieure.
- Tu veux que je t'y accompagne ? Tu risquerais de te perdre.
- Non merci. Je suis ici depuis plus longtemps que toi, ajouta la petite fille avant de lever les yeux au ciel et de s'éloigner de l'homme.
Mia continua à marcher, laissant ses chaussons grincer contre le sol plastifié de la clinique. Elle se sentait vide, tellement vide. Et tellement épuisée.
Elle trouva le bureau de la Médicomage et poussa la porte. Mia se détendit légèrement dans la pièce. Elle y avait passé tellement de temps qu'elle connaissait le nom de chaque livre de la bibliothèque, bien qu'elle n'en comprenait pas encore le contenu. Elle s'installa sur le fauteuil d'auscultation en attendant l'amie de sa mère et ne tarda pas à s'endormir.
ooo
- Mia? Artémia ?
La petite fille ouvrit les yeux doucement et fit face à Ann. Ses yeux bruns brûlaient de tristesse.
- Artémia, tu avais raison.
La petite fille ferma les yeux et inspira doucement pour tenter de calmer le malaise qui l'embaumait.
- Je suis terriblement désolée, Artémia.
La fillette cacha son visage dans ses mains, alors que ses épaules se soulevaient irrégulièrement.
- Mia ? Tu veux une potion calmante ?
La fillette inspira une grande bouffée d'air avant d'ouvrir les yeux et de dégager son visage pour regarder la Médicomage.
- Non, non ça va.
Elle se redressa sur le fauteuil, regardant à droite puis à gauche. Elle percevait un étau qui comprimait son cœur, elle sentait les larmes qui voulaient couler.
- Donc maintenant, il n'y a plus que moi ?
La Médicomage regarda la petite fille, intriguée, ne s'attendant pas à cette réaction. Prise au dépourvue, Ann entoura la petite fille de ses bras. Artémia laissa tomber sa tête dans le creux de son épaule et laissa chacune de ses larmes abîmer la blouse blanche du Médicomage.
- Mais je vais faire quoi ? Je vais dormir où ? Je vais faire comment ?
Ann s'éloigna et regarda la petite fille. Elle l'avait connu lorsqu'elle avait deux ans, lorsque sa mère avait repris sa formation, puis la petite était venue régulièrement, peut-être trop pour une enfant de son âge. Elle avait grandi ici, dans cette clinique, pendant des années, puis Thalia avait rencontré Edern et enfin la fillette était restée à l'écart de cet endroit morbide. Du moins jusqu'à ce qu'Edern s'investisse lui aussi au sein de la clinique. Artémia, lorsqu'elle n'allait pas à l'école, venait ici, comme elle irait chez ses grands-parents, c'était sa deuxième maison. Ce qui faisait d'Ann, en somme, sa tante.
- Ne t'inquiète pas pour ça, tu vas venir avec moi quelques jours pour qu'on trouve une solution.
Artémia hocha la tête et se leva du fauteuil.
- Tu es blessée ?
Ann lança immédiatement un sort de diagnostic sur la petite qui frissonna désagréablement.
- Arrête ! Je n'aime pas ça, tu le sais !
- Chut !
La Médicomage fronça les sourcils, alors qu'elle fermait les yeux, tenant toujours sa baguette face à la petite fille.
- Qu'est-ce qu'il y a ?
Mia ne put empêcher son cœur de battre rapidement, alors que de légères gouttes de sueur se formaient sur son front. Voyant qu'elle n'obtiendrait pas immédiatement de réponse, Artémia attrapa la baguette de la femme.
- Mia ! Rends-moi ma baguette !
La fillette cacha la baguette dans son dos.
- Qu'est-ce qu'il y a ? Pourquoi tu fais cette tête-là ?
Ann désigna le fauteuil et reporta immédiatement son regard vers la petite fille, analysant sa réaction. Elle la connaissait depuis suffisamment longtemps pour savoir que c'était une gamine un peu spéciale, qui avait des réactions un peu déplacées par moment, comme aujourd'hui, par exemple. Elle était un peu paradoxale, parfois s'émerveillant sur un simple objet et se désintéressant de la Septième Merveille du Monde. Elle n'avait pas, non plus, un caractère facile, plutôt difficile à cerner.
- Oh !
Elle baissa ensuite les yeux et porta sa main à l'entrejambe de son pyjama.
- Oh !
Mia releva les yeux vers Ann et croisa ses yeux bruns. Son regard, habituellement doux, était dur, inquiet.
- Qu'est-ce que…
Elle ouvrit la bouche afin de répondre quelque chose. Mais son esprit était blanc, vide.
- Tu es blessée ?
Aucun son ne voulait sortir de sa bouche.
- Rends moi ma baguette, Artemia.
La petite fille serra d'autant plus l'objet magique. Si Ann lançait un sortilège de diagnostic, elle découvrirait la réalité. Elle ne trouvait pas d'autre alternative, cependant.
- Ann ! s'écria-t-elle alors qu'un frisson la traversa.
- Heureusement qu'un Médicomage sait se passer de sa baguette.
Ses entrailles se nouèrent et pendant une seconde, elle pensa qu'elle allait vomir. Elle scruta la Médicomage dont les traits semblaient se durcir.
- Mais… Quoi ?! Elle s'approcha de la petite fille et s'agenouilla à sa hauteur.
- Que s'est-il passé Artemia ? Elle s'adressa avec une telle douceur que la petite ne put retenir ses larmes.
Elle pleura comme elle n'avait jamais pleuré. Elle pleura le décès de sa mère, la perte de son beau-père, la disparition du semblant de famille qu'elle avait et ça. La peur, la trahison, la douleur. Elle était incapable de parler maintenant. Incapable de mettre des mots sur cette journée horrible.
