Chap 1 : Rencontre

Will piétina devant le seuil de l'établissement car il n'aimait pas ce genre d'endroits, mais il avait fait une assez longue route pour venir, alors après une minute d'hésitation supplémentaire, il entra. La salle d'attente ressemblait à un salon et elle était bien chauffée et lumineuse, mais ça ne voulait pas dire que le reste du bâtiment l'était également et que les pensionnaires y étaient bien traités. Il lui faudrait aller plus loin pour se rendre compte des conditions de vie réelles des Hanims qui vivaient ici. Will pressa son doigt sur la sonnette prévue à cet effet puis s'assit dans le canapé et attendit, dédaignant les magazines passés de mode étalés sur la table basse devant lui. Quelques minutes plus tard, un Hanim qui appartenait sûrement au propriétaire des lieux se présenta avec une petite courbette que le professeur de criminologie trouva amusante.

― Bonjour monsieur, je m'appelle Matthew et je vais vous conduire à mon maître. Qui dois-je annoncer ?

Le jeune homme aux cheveux bouclés retint de justesse une petite moue désapprobatrice à l'utilisation du mot maître plutôt que propriétaire, se disant que les choses ne s'annonçaient pas bien. Si le directeur de cet établissement considérait les Hanims comme des créatures soumises plutôt que comme des compagnons de vie potentiels, ces derniers ne devaient pas être très heureux en ces lieux. Et s'il y avait bien quelque chose que Will détestait plus que tout, même davantage que son ancien patron Jack Crawford, c'était bien les mauvais comportements envers les humains-animaux. Cela dit, Matthew semblait en bonne santé. Will l'observa de plus près et nota un autre signe positif : ses vêtements blancs impeccables étaient adaptés à sa morphologie particulière, en effet, sa longue veste possédait deux larges fentes dans le dos pour laisser passer ses ailes de faucon.

― Ah. Hem. Graham, Will Graham

― Enchanté monsieur Graham, sourit l'Hanim-faucon, ouvrant ses ailes et faisant un léger tour sur lui-même pour lui permettre de le voir sous toutes les coutures.

Will lui sourit en retour, amusé qu'il fasse le beau mais pas surpris, la plupart des hommes-animaux (qui avait donné la contraction « Hanim ») aimaient plaire, et celui-ci ne faisait pas exception.

― Moi de même. Votre propriétaire a beaucoup de chance.

― N'est-ce pas ? Les Hanims oiseaux sont plutôt rares, et les faucons plus encore.

― Êtes-vous capable de voler ? demanda Will pour être aimable et lui montrer qu'il s'intéressait à lui.

Matthew appartenait déjà à quelqu'un mais cela ne changeait rien pour le professeur qui voulait s'en faire apprécier, comme de tous les Hanims qu'il croisait. Il en aurait bien adopté toute une famille si ça lui avait été possible, mais même s'il avait un bon salaire, les soins, l'habillement et la nourriture coûtaient cher, et il préférait n'en avoir qu'un qu'il pourrait gâter que plusieurs à qui il devrait imposer des restrictions.

― Oui, mais pas très longtemps et cela me demande beaucoup d'efforts. Avez-vous déjà un humain-animal monsieur Graham ? Ou peut-être venez-vous chercher ici votre premier compagnon ?

Le professeur avait toujours voulu en avoir un mais son père n'avait rien voulu entendre, il n'avait donc sauté le pas qu'une fois avoir obtenu un logement et un travail. Il avait alors rencontré Winston.

― Mon Hanim est décédé il y a peu de temps. Il était déjà vieux et avait été laissé pour mort non loin de chez moi.

― Oui, cela arrive souvent. Lorsque les Hanim sont trop vieux ou malades, leurs maîtres s'en débarrassent. On nous en apporte fréquemment, et quand ils ne retrouvent pas une famille, nous devons hélas leur faire une injection parce que nous manquons de place.

― Ce n'est tout de même pas vous qui devez vous charger des euthanasies, n'est-ce pas Matthew ?

― Il faut bien que quelqu'un le fasse, monsieur Graham. C'est mon travail. Mais vous savez, parfois la mort est pour eux davantage un soulagement que quelque chose qu'ils redoutent. Enfin, pour certains...Mmh, nous arrivons au bureau de mon maître, s'il-vous-plaît, dites-lui quelque chose de positif à mon sujet, voulez-vous ? Et tutoyez-moi, habituellement les humains ne vouvoient pas les nôtres.

― Comme vous...comme tu voudras, accorda Will, laissant Matthew lui ouvrir la porte et lui présenter le directeur de l'établissement.

― Monsieur Chilton, le directeur. Et voici Will Graham.

― Enchanté monsieur Graham.

Le directeur avait les yeux verts comme Matthew mais un ton légèrement plus froid, et son large sourire dévoilant des dents parfaitement blanches était probablement un des plus faux que Will ait jamais observé.

― Bonjour, monsieur le directeur.

― Je peux me charger de lui montrer nos pensionnaires si tu veux, Frederick, proposa Matthew en se faufilant auprès de Chilton, puis il lui passa les bras autour du cou. L'homme se raidit et repoussa l'Hanim, mais avec des gestes doux.

― Matthew, je t'en prie...

―Oui, toutes mes excuses monsieur le directeur, répondit Matthew avec un sourire tout sauf repentant, puis il recula pour être hors du champ de vision de son propriétaire et fit un clin d'œil à Will. Celui-ci s'efforça de garder un visage neutre, ne voulant pas qu'il se fasse réprimander une seconde fois.

― Matthew a été très aimable avec moi. Je pense qu'il saura fort bien me renseigner, tenta-t-il, n'oubliant pas sa promesse de glisser un compliment sur l'homme-faucon à son maître.

― Bonne visite dans ce cas, monsieur Graham.

― A tout à l'heure, monsieur le directeur., roucoula Matthew.

Le professeur nota avec amusement le pincement de lèvres de Chilton, se demandant si ces deux-là étaient amants, mais il ne posa pas la question à l'Hanim-faucon car ça ne le regardait en rien. Lorsqu'ils furent seuls dans le couloir, Matthew se tourna vers lui et remua légèrement les ailes, ce qu'il perçut comme un signe de contentement étant donné la façon dont il lui souriait.

― Je vous aime bien, vous êtes de ceux qui tiennent leurs promesses. Bon, je vais vous conduire dans le couloir des adoptions, s'il-vous-plaît, ne mettez pas les mains dans les cellules, tenez-vous à distance des barreaux et ne faites pas trop de bruit. Les Hanims ne vous parleront pas : cela leur est interdit sauf si vous entamez la conversation, sinon ils essaieraient tous d'attirer votre attention et on ne s'entendrait plus. Certains d'entre eux sont rares et sont, de ce fait, à vendre et non pas à adopter. Je vous les signalerai.

― Très bien, répondit Will, même si certaines des règles ne lui plaisaient pas.

Lorsqu'il entra dans le fameux couloir, il nota que la température était agréable, que l'endroit était lumineux et que les cellules, même si elles restaient des endroits où les Hanims étaient enfermés, étaient assez spacieuses et propres.

― D'abord les Hanims qui sont à vendre, commença Matthew, et Will ne l'arrêta pas même s'il comptait prendre un Hanim dont, a priori, la plupart des humains ne voudraient pas. Il était juste curieux de voir lesquels se monnayaient, et à quoi ils ressemblaient.

― Je vous écoute.

― Voici...

― Freddie ! se présenta l'Hanim-renarde, dont les oreilles, la queue et les cheveux étaient du même roux éclatant qui contrastait avec ses yeux bleu profond, ainsi qu'avec son tailleur bleu marine.

― Son défaut principal est qu'elle est incapable de se taire et de respecter la moindre règle. C'était l'assistante du directeur du Tattlecrime, vous savez, le journal à scandales...

― Oui je sais, j'y ai été quelques fois en couverture, lorsque j'étais profiler.

― Je me souviens de vous, monsieur Graham, sourit la femme-renarde, avec un ton plutôt moqueur.

― Et moi je me souviens de ce que vous avez écris sur moi, après l'affaire Hobbs.

― J'ai écris la vérité, que vous n'avez pas pu sauver cette pauvre fille...Abigail je crois, et qu'après ça, vous êtes devenu un peu dérangé.

― Un peu dérangé ? répéta Matthew, curieux.

― Il est resté quelques mois dans un centre de soins psychiatriques.

― Être dépressif ne signifie pas être fou, contra Will.

― Oh il parait que vous étiez bien plus que simplement dépressif. Que vous vous sentiez proche du tueur, instable et que vous aviez des idées de meurtres... Tu sais Matthew, tu ne devrais pas confier l'un des nôtres à quelqu'un comme ça.

― Et moi je crois que tu ferais mieux de la fermer Freddie, si tu ne veux pas passer la nuit dans une cellule d'isolement pour avoir enfreint les règles une fois de plus.

― Ce qu'elle dit est totalement faux, je...

― Vous n'avez pas à vous justifier monsieur Graham, et je vous présente mes excuses pour le comportement de Freddie. Poursuivons, s'il-vous-plaît ?

― Oui, poursuivons.

Will suivit Matthew, rendu mal à l'aise par son altercation avec la femme-renarde, mais pas au point de repartir sans ce qu'il était venu chercher. Il observa le second Hanim que l'homme-faucon lui présenta, un Hanim-loup absolument superbe prénommé Randall, mais qui n'était pas encore officiellement à vendre parce qu'il était sauvage.

― Voilà, ce sont les deux seuls Hanims qui sont à vendre pour l'instant, et j'imagine qu'ils ne sont pas ce que vous recherchez.

― Non, en effet. Je n'ai rien contre Randall, mais je pense qu'il trouvera facilement un propriétaire une fois qu'il sera habitué au contact humain, je préférerais donner une chance à un Hanim qui est là depuis longtemps.

― Bien sûr, je vais vous les présenter.

Matthew lui résuma rapidement le parcours de chacun des pensionnaires et Will sentit son cœur se serrer à de nombreuses reprises. Il avait envie de leur offrir un toit à tous, mais il ne le pouvait pas. Il connaissait bien les Hanims-chiens puisque Winston avait partagé sa vie durant 5 ans, et il avait pensé opter pour cette espèce, mais il avait été très touché par Peter dont apparemment personne ne voulait. Peter était un homme-rat, extrêmement craintif et aux capacités intellectuelles un peu plus limitées que les autres pensionnaires du refuge parce qu'il avait servi de cobaye presque toute sa vie dans un laboratoire, mais il semblait être la gentillesse incarnée. Le professeur savait qu'il lui faudrait beaucoup de patience s'il le choisissait, mais il était presque décidé lorsqu'il entendit un grattement provenant du fond du couloir.

― Qu'est-ce que c'est ?

― Oh ce n'est rien, n'y faites pas attention.

― C'est une cellule d'isolement, là-bas ?

― Oui, mais c'est inutile d'aller voir, je vais lui faire l'injection aujourd'hui même. Il n'est pas à adopter.

― Il est très vieux ? demanda Will, en allant malgré tout jusqu'au fond du couloir pour voir l'Hanim condamné, suivit de très près par Matthew qui lui saisit le bras et le tira vers l'arrière quand il voulu s'en approcher.

― Non, il a tué son propriétaire. Il est dangereux, s'il-vous-plaît, n'approchez pas.

La cage dans laquelle était enfermé l'homme-chien était si étroite qu'il ne pouvait pas s'y tenir debout. Il était adossé contre l'une des parois, de sorte que Will pouvait voir uniquement son profil jusqu'à ce qu'il tourne la tête vers lui. Il avait les cheveux blonds cendrés et les yeux marrons clairs, et le professeur y vit un léger reflet rouge qu'il attribua à son imagination.

― Bonjour, tenta-t-il, en s'accroupissant à hauteur de l'Hanim canin qui, contrairement aux autres, était entièrement nu, sans doute une punition pour s'être montré agressif.

― C'est inutile, répéta Matthew, puis il expliqua : Il ne parle pas. Pas un mot depuis qu'il est ici, juste des bruits étranges lorsqu'il dort.

― Les Hanims qui tuent leurs propriétaires sont n'est pas dans leur nature.

― Oui et bien, c'est dans la sienne. Vous en avez peut-être entendu parler, son propriétaire était plutôt connu. Un éleveur de cochons milliardaire, hum...Verder ou Verger. Il lui a mangé le visage et il l'a laissé comme ça un moment avant de lui arracher aussi la gorge.

― Oui, c'est horrible, mais peut-être que ce Verger avait mérité ce qui lui est arrivé. Je n'ai travaillé comme profiler que trois ans, mais j'ai eu un aperçu assez large de ce dont les humains sont capables de faire.

― Tout de même, ce n'est pas prudent, s'inquiéta l'homme-faucon en voyant Will s'approcher de la cage.

Aussitôt, l'occupant de l'étroite cellule plongea son regard dans celui de l'ex profiler.

― Expliquez-moi pourquoi vous avez fait ça à votre ancien propriétaire. Vous n'avez pas besoin de me parler. Faites-moi un signe. Un simple geste suffira.

l'Hanim-doberman détourna le regard, mais après un instant d'hésitation il changea de position de façon à ce qu'il puisse voir son dos qui était couvert de cicatrices. Sur son épaule, le sceau des Verger avait été appliqué au fer rouge et était cicatrisé, l'homme-chien n'eut donc pas mal lorsque Will posa les doigts dessus. Il tressaillit et se raidit, mais se laissa faire lorsque la main de l'empathe remonta sur sa nuque, caressante.

― Là...Je ne vous veux aucun mal. Regardez-moi, s'il-vous-plaît.

L'humain-canin obéit, se tourna et replongea son regard dans celui de l'ancien agent spécial du FBI. Will ne détourna pas les yeux, même s'il n'était pas un grand fan des contacts visuels prolongés qui avaient tendance à le gêner.

― Quel est votre nom ? Je vous emmène chez moi, si vous êtes d'accord, mais j'ai besoin de votre nom. Et de votre promesse que votre attitude sera exemplaire, dès que vous sortirez de cette cage.

― Monsieur Graham, je pense que vous ne réalisez pas ce que vous dites, le coupa Chilton, qui venait d'entrer dans le couloir et les rejoignit rapidement près de la cellule du fond.

― Comment... ?

― J'ai des micros et des caméras absolument partout dans mon établissement. Mesure de sécurité.

― Je vois.

― Il est hors de question que je vous laisse l'emmener. Un Hanim qui mord une fois mordra à nouveau, et je sais de quoi je parle. J'avais accueilli un Hanim-bouledogue qui avait mordu dans son ancienne famille, je pensais pouvoir le changer en lui donnant un travail ici, mais j'avais tort.

Sur ces mots, le directeur sortit sa chemise de son pantalon et la remonta pour découvrir son ventre barré par une large cicatrice.

― Ça suffira, comme avertissement ?

― Que s'est-il passé ? demanda le professeur, pendant que Chilton rajustait sa tenue.

― Gideon m'a ouvert avec un coupe-papier et il m'aurait sorti les tripes dehors si Matthew n'était pas arrivé à ce moment-là et ne lui avait pas planté un bic dans l'œil jusqu'au cerveau.

― Je vous remercie de m'avoir fait part de ce qui vous est arrivé, mais je souhaiterais quand même tenter ma chance.

― C'est la police qui nous l'a amené. Je tiens des registres, s'ils les vérifient et qu'ils voient qu'il n'a pas été euthanasié, mais que vous l'avez emmené, je ne serais pas en règle. S'il vous mord...ou pire, je serais tenu pour responsable.

― Alors inscrivez qu'il a reçu l'injection, et que vous m'avez laissé adopté un autre Hanim-doberman. Ils ne sont pas si rares. Personne ne pourra savoir que vous n'en avez pas trouvé un récemment...

― C'est hors de question. Choisissez un autre Hanim ou partez, monsieur Graham, ordonna le directeur, avant de tourner les talons et de retourner dans son bureau.

Will l'ignora et s'accroupit à nouveau auprès du condamné.

― Répondez-moi, le reste, j'en fais mon affaire.

L'homme-chien baissa les oreilles mais approcha des barreaux, et ce fut à cet instant que Will constata à quel point il était jeune. A l'ombre, il lui aurait donné le même âge que lui, dans les trente ans, mais de près, il était clair qu'il ne devait pas en avoir plus de vingt. Il porta sa main griffue à son cœur, ce qui était sa façon de dire qu'il promettait d'être tranquille, puis il articula nettement les trois syllabes composant son prénom, mais sans émettre le moindre son. L'empathe lu sur ses lèvres :

― Ha-ni-bal. Très bien, Hannibal, faites-moi confiance, je reviens vous chercher.

Ce dernier hocha la tête, mais il ne semblait pas réaliser pleinement, ou bien peut-être qu'il ne croyait pas à ce qu'il venait de dire. Will ne tenta pas de le persuader, revenant avec Matthew jusqu'au bureau de Chilton qui ne voulu rien entendre jusqu'à ce qu'il prononce les mots magiques, et pas ceux en rapport avec la politesse.

― Je vous l'achète. L'injection vous coûterait de l'argent, non ?

― En effet. Vous êtes du genre obstiné et je n'ai pas de temps à perdre, alors c'est d'accord. Mais que ce soit bien clair, je me lave les mains de ce qui pourrait vous arriver.

― Je comprends.

― Vous pourriez avoir n'importe lequel de ces Hanims inoffensifs, pourquoi celui-là ? Qu'est-ce qui vous dit qu'il ne vous arrachera pas le nez une fois seul avec vous ?

― J'ai un don pour ces choses-là. Donnez-moi votre prix et faites-moi la paperasse, je vais chercher mon compagnon.

Chilton lui demanda un prix assez élevé, mais en-dessous de ceux pratiqué pour les Hanims rares (c'est-à-dire autres que chien, chat, rat et cochon) et Will ne discuta pas, lui donnant la somme demandée avant de retourner dans le couloir des adoptions. Matthew ne fut absolument pas ravi de la nouvelle : Hannibal devait porter une muselière pour sortir de l'établissement, et que c'était lui qui était supposé la lui mettre.

― Je vais le faire, proposa Will, nouant sa veste autour des hanches de l'homme-doberman dès qu'il fut hors de sa cellule. Ce dernier ne semblait pas être gêné par sa nudité, mais ce n'était peut-être qu'une façade. Il ne protesta pas lorsque Will lui posa sur le visage une muselière opaque blanche qui ne le gênerait pas pour respirer ou parler, même si le professeur doutait qu'il lui dise le moindre mot.

― Je vais l'emmener prendre une douche et lui donner des vêtements et des chaussures du refuge, annonça Matthew, pas vraiment surpris quand Will répondit :

― Bien, je l'accompagne.

Les douches possédaient des parois opaques aussi Hannibal pu se laver, se sécher et se changer à son aise, et il se présenta vêtu entièrement de blanc comme Matthew devant Will qui avait récupéré sa veste entre temps.

― Je vous achèterai d'autres vêtements, mais en attendant, ceux-ci vous vont plutôt bien, tenta le professeur, mais Hannibal détourna le regard et l'ignora.

― Vous pouvez me suivre, le directeur doit avoir terminé de préparer les documents, dit Matthew, coupant le silence gêné qui s'était installé.

Hannibal se tint tranquille pendant que son nouveau propriétaire remplissait la paperasse, apposant sa signature un peu brouillonne sur les nombreux documents et écoutant les habituelles recommandations d'usages. Will se contenta d'un « au revoir » poli envers Chilton quand il eut terminé, mais il se montra plus chaleureux envers Matthew, touchant délicatement ses plumes avec sa permission lorsqu'ils arrivèrent à l'accueil.

― Merci de votre visite. J'espère que vous ne rencontrerez pas de problèmes avec Hannibal, vous êtes un humain vraiment agréable. Téléphonez-moi pour me donner de vos nouvelles, d'accord ? Si vous tombez sur le directeur, vous n'aurez qu'à raccrocher.

― C'est d'accord. Prends bien soin de toi , Matthew, et de ton propriétaire. Je ne peux pas dire que je l'apprécie, mais il semble être correct envers toi.

― Oh oui. Il est vénal, arrogant, trouillard et trop soucieux du qu'en-dira-t-on, mais en privé c'est l'humain le plus exquis que je connaisse. Ne vous inquiétez pas pour moi, je suis heureux ici.

Le professeur hocha la tête puis il retourna jusqu'à sa voiture (une vieille Volvo qui ne payait pas de mine, mais à laquelle il tenait beaucoup car c'était un cadeau de son père) avec Hannibal. Lorsque ce dernier fut installé sur le siège passager, il leva les mains vers lui doucement et lui ôta son masque, car il détestait ne pas voir les expressions (ou le manque d'expression) de son visage. Il posa la muselière sur le tableau de bord, puis prit sur lui pour regarder l'Hanim dans les yeux une nouvelle fois.

― Voilà, c'est bien mieux comme ça.

Un léger changement s'opéra dans l'expression de l'humain-canin et il approcha son visage tout près de celui de son propriétaire qui ne bougea pas d'un millimètre, très calme. Voyant qu'il n'obtenait aucune réaction, Hannibal découvrit les dents et se mit à gronder. L'empathe ne s'inquiéta pas pour autant car il ne ressentait aucune agressivité émaner de son nouveau compagnon.

― Vous voulez me tester ? Je comprends, on ne se connaît pas encore. Cependant, il y a une chose dont vous pouvez être sûr, c'est que je ne vous ferais jamais aucun mal, assura Will, le ton de sa voix volontairement bas.

Il leva doucement la main vers le visage de l'Hanim-doberman mais suspendit son geste quand ce dernier émit un grondement plus marqué et recula.

― D'accord, je ne vous toucherais pas si vous ne le voulez pas. Vous préférez rentrer chez moi pour vous reposer, ou bien nous partons chercher des vêtements ? Vous pouvez juste hocher la tête...Non pour la maison, oui pour les vêtements.

Hannibal le considéra un petit moment en silence, le mettant même un peu mal à l'aise, mais il finit par faire un léger signe positif de la tête.

― D'accord. Il faudrait qu'on trouve un moyen de communiquer...Ah. Voilà, j'ai ce qu'il faut, dit Will en s'empara nerveusement d'un bic et d'un carnet qu'il laissait toujours dans sa voiture.

L'Hanim s'en empara à son tour et écrivit un seul mot, de l'écriture la plus élégante que Will ait jamais vue, et tracé avec un simple bic :

Merci.

― Je vous en prie. Mmh...quel genre de vêtements aimez-vous ? Que vous faisait porter votre ancien propriétaire ?

Mason ne me laissait pas porter de vêtements. Par contre ma première propriétaire était très exigeante à ce sujet.

Will ne releva pas à propos de la nudité exigée par le dernier propriétaire de l'Hanim-doberman pour ne pas le gêner, par contre il demanda des précisions sur les exigences qu'avait sa première propriétaire et ouvrit de grands yeux lorsque Hannibal lui fit une liste de boutiques de luxe où elle l'emmenait.

― D'accord...Je ne vais pas vous mentir, je n'ai pas les moyens de vous offrir toute une garde-robe dans ces boutiques, alors nous pouvons y aller tout de même mais vous aurez peu de tenues différentes, ou nous pouvons aller ailleurs.

La qualité vaut mieux que la quantité, lui écrivit Hannibal, ses longues oreilles pointues et droites remuant légèrement.

― Très bien. Est-ce que...c'est Mason Verger qui vous a fait ceci ? demanda-t-il prudemment en désignant ses oreilles, mais l'Hanim referma le bloc-notes et le posa sur le tableau de bord à côté de la muselière, signifiant que la conversation était finie.

Le professeur ne se vexa aucunement, respectant sa volonté de ne rien dire même s'il était curieux, car si les oreilles d'Hannibal avaient été taillées de la même façon que l'on coupait autrefois les oreilles des dobermans, sa longue queue elle, était intacte. Elle était cependant toujours immobile ce qui n'était pas normal, et il espérait qu'elle n'ait pas été cassée et mal soignée de sorte que l'homme-chien était incapable de la remuer.

Le trajet se passa en silence, mais une fois dans la rue commerçante, Hannibal changea nettement de comportement : il fit rapidement le tour des boutiques, se retournant de temps à autre vers Will quand ce dernier n'allait pas assez vite à son goût, puis il se décida à entrer dans une seule d'entre elles. Le professeur avait quelques costumes pour donner cours mais il ne s'y connaissait pas plus que ça en matière d'habillement, et il n'était certainement pas un adepte du shopping, pourtant, son intuition lui soufflait qu'Hannibal l'avait emmené dans la boutique qui proposait le meilleur rapport qualité/prix. Pas la plus chère, mais certainement pas la moins chère non plus.

L'Hanim ne pouvait pas parler, mais il se débrouilla fort bien pour faire son choix. Il refusa l'aide du vendeur et sélectionna lui-même des chaussettes et des sous-vêtements en quantité suffisante pour pouvoir se changer régulièrement. Il choisit ensuite des tenues pour la nuit, quelques pantalons et chemises, ainsi que des pulls (la plupart en cachemire), et enfin des chaussures en cuir vernis car la boutique vendait absolument de tout, bien qu'uniquement pour les hommes. Will demanda à combien tout ça lui reviendrait, plutôt soulagé en apprenant le prix car il s'était attendu à bien pire. Il remarqua aussi les coups d'œil que lançait l'homme-chien aux cravates, gilets brodés et costumes trois-pièces et même si ce n'était pas vraiment raisonnable, il lui fit un petit signe de tête pour l'inviter à poursuivre. Hannibal choisit donc quatre gilets, six cravates et deux costumes, et comme pour le reste il essaya tout, s'assurant que tout lui allait parfaitement malgré sa taille mannequin qui lui permettait de porter à peu près n'importe quoi. Il était resté dans la cabine à chaque fois, mais lors du dernier essayage, il ressortit avec sa tenue complète composée d'une chemise bordeaux, une cravate anthracite brodée, le gilet assorti de la même teinte, une veste et un pantalon d'un ton plus sombre. Will essaya de rassembler ses esprits et bredouilla :

― Vous êtes superbe.

― Vous vouvoyez votre Hanim ? demanda le vendeur, curieux, tout en pliant et en rangeant les tenues qu'Hannibal ne portait pas. Il replaça un gilet en rayon et le remplaça par un autre sans que le professeur s'en rende compte, mais l'humain-canin lui le remarqua et s'empara du gilet de remplacement, le retournant sous toutes les coutures avant de trouver un petit accroc. La plupart des humains-animaux montraient leur mécontentement en grognant ou en sifflant selon leur espèce, mais Hannibal se contenta cette fois d'un regard glacial au vendeur, ne le quittant pas des yeux pendant un long moment.

― Je...je...je connaissais pas le défaut. L'étiquette de l'autre était un peu décousue, c'est pour ça que j'ai voulu échanger... mentit le vendeur.

Will approcha, sentant l'irritation de son compagnon et lui posa la main sur l'épaule, mais ce dernier l'ignora, découvrant légèrement les dents face à l'homme qui bredouilla :

― Je vais vous faire une réduction ! Dix pour cent sur tous vos achats, d'accord ? Quinze pour cent !

― C'est très aimable à vous. Et pour répondre à votre question de tout à l'heure, oui, je vouvoie les Hanims tant qu'ils ne m'ont pas autorisés à les tutoyer.

― Je comprends tout à fait. Merci beaucoup pour vos achats, et passez une bonne journée tous les deux, s'empressa de répondre le vendeur, remettant les sacs à Will dès que celui-ci eut payé.

L'empathe sortit de la boutique avec un large sourire (malgré le petit épisode avec le vendeur) pour la simple et bonne raison qu'il venait de voir la queue de son compagnon remuer légèrement. Il songea que c'était vraiment pratique que tous les habits soient adaptés aux humains comme aux Hanims grâce à un petit zip là où se trouvait la base de la queue, qu'il suffisait donc de descendre si l'on en possédait une. (Pour les Hanims plus rares comme Matthew, les vêtements devaient être faits sur mesure.) Une fois de retour dans la voiture, Hannibal attrape le carnet de notes et inscrivit de son élégante écriture penchée :

Merci monsieur Graham. Vous pouvez me tutoyer.

― Je t'en prie, ça m'a fait plaisir. Ta première propriétaire avait beaucoup de goût. C'est comme si je t'avais toujours vu habillé de cette manière, tant cela semble naturel.

Lady Murasaki était une femme extraordinaire, oui.

― Elle est décédée ?

Oui.

― Je suis désolé, répondit Will, navré pour l'Hanim qui semblait vraiment peiné.

Pourquoi ? Vous, vous ne la connaissiez pas.

― Je suis désolé que tu aies eu à souffrir de sa perte.

Hannibal hocha doucement la tête puis referma le carnet et s'enfonça confortablement dans le siège de la voiture, puis il ferma les yeux, probablement fatigué, ou voulant juste être un peu tranquille. Will resta silencieux jusqu'à la maison, laissant l'homme-chien entrer avant lui et découvrir son nouvel environnement. Habituellement, le professeur était plutôt désordonné et il lui arrivait de faire de la mécanique dans son salon, mais pour l'occasion, il avait tout rangé et nettoyé.

― Bienvenue chez toi, Hannibal. Je vais te montrer ta chambre.

Will se baissa pour reprendre les paquets de vêtements, mais l'Hanim-canin s'empara le premier de quelques paquets, ne le laissant pas tout porter.

― Merci, c'est gentil.

L'Hanim haussa légèrement les sourcils mais bien sûr, il ne dit rien et suivit son nouveau propriétaire à l'étage, content de posséder sa propre chambre, un endroit où il pourrait s'isoler s'il en ressentait le besoin. Avec l'aide de Will, il plia et rangea ses nouveaux vêtements avec soin dans la garde-robe et les armoires prévues à cet effet, puis il esquissa le geste d'écrire, ce qu'il ne pouvait pas faire dans l'immédiat car le carnet de notes était resté dans la voiture.

― Oh, oui bien sûr, je t'apporte ça tout de suite.

Le professeur alla chercher un nouveau carnet et l'un de ses plus beaux stylos, songeant qu'Hannibal préférerait un outil un peu plus raffiné qu'un bic pour écrire. Il sut qu'il ne s'était pas trompé lorsqu'une ombre de sourire apparu sur le visage du jeune humain-animal.

Ce n'était pas gentil de vous aider, monsieur Graham. C'était la moindre des choses après ce que vous avez fait pour moi. J'aimerais savoir quelles sont vos attentes.

Hannibal se relu puis barra « monsieur Graham » , la ligne traversant les deux mots aussi nette que s'il l'avait tracée avec une règle, puis il écrivit au-dessus « Will », ce qui fit sourire ce dernier.

― Mes attentes ? Et bien, je cherche juste une compagnie.

Pas de tâches à effectuer ? nota l'Hanim, l'air perplexe.

― Et bien nous vivons tous les deux ici alors tu peux m'aider à entretenir la maison et à effectuer les tâches quotidiennes, mais ce n'est en rien une obligation. Je veux que tu te sentes chez toi ici. Quel genre de tâches faisais-tu, avant ?

Chez Mason Verger, aucune, je ne pouvais sortir de la cage. Chez Lady Murasaki, j'étais domestique. Les tâches variaient selon les occasions. Je peux m'occuper du linge, de l'entretien de la maison, de la cuisine, organiser des réceptions, faire des compositions florales, jouer du clavecin et du thérémine. Je peux également réaliser des portraits et enseigner six langues : le français, l'italien, le lituanien, le russe, le grec et le japonais.

― Ça fait énormément de choses pour quelqu'un de si jeune. Tu devais passer beaucoup de temps à étudier et à pratiquer.

La majorité de mon temps. Je peux aussi enseigner les mathématiques et je m'intéressais à l'histoire de l'art lorsque j'ai été vendu à Mason Verger.

― Lady Murasaki n'avait pas fait de testament, avec une clause pour que tu puisses rester dans sa propriété ? Je sais que les Hanims ne peuvent pas hériter au sens propre mais il y a des procédures qui permettent de les protéger en cas de décès de leur propriétaire.

Elle était ruinée. Si elle n'était pas morte de maladie, elle aurait de toute façon dû me vendre et retourner dans sa famille. Comment était votre Hanim, Winston ?

― Très gentil. Et très calme, il était vieux et il passait beaucoup de temps à dormir, mais quand il était au mieux de sa forme, on parlait, on allait pêcher, et il me donnait un coup de main pour réparer des voitures. Je fais ça de temps en temps, pour gagner un peu d'argent en plus de mon salaire.

Vous aussi, vous avez de multiples talents.

― Pas autant que toi.

Est-ce que ce sont les livres de Winston ? demanda Hannibal en désignant une bibliothèque à moitié remplie.

― Oui, j'ai enlevé ses affaires personnelles, mais pas ses livres ni ses cd de musique. J'ai laissé un carton vide ici pour que tu puisses y placer ce que tu n'aimes à, hum, je vais te laisser te reposer un peu et je vais préparer le dîner. Je t'appellerais quand j'aurais terminé, mais bien sûr, tu peux me rejoindre quand tu veux.

Will leva la main doucement vers l'Hanim, sachant que la plupart d'entre eux n'apprécient pas seulement le contact physique mais en ont également besoin pour être heureux, mais il la laissa retomber en le voyant se crisper. Il n'insista pas et descendit préparer le repas comme annoncé, de simples macaronis au fromage parce que la cuisine n'était pas son fort et qu'il ne voulait pas risquer la catastrophe culinaire en préparant quelque chose qu'il n'avait encore jamais fait. Quand tout fût prêt, il dressa la table et appela Hannibal qui arriva dans la minute, son carnet de notes à la main. Will interpréta la chose comme un signe qu'il n'était pas fermé au dialogue, mais il le laissa tranquille et lui fit signe de se servir, haussant les sourcils quand l'Hanim le servit en premier.

― Je sais qu'on apprend aux Hanims à considérer les humains comme des supérieurs, mais je ne vois pas les choses comme ça. Tu n'as pas à me servir en premier, ou à attendre que je mange pour manger, ni rien de ce genre.

Hannibal s'empara de son stylo et lui répondit :

Lady Murasaki était intransigeante à ce sujet. J'aimerais autant conserver ces habitudes, sauf si cela vous contrarie.

― Ah...non, ça ne me contrarie pas. Si c'est plus...confortable pour toi comme ça, ça me convient.

L'ex profiler n'aimait pas tellement cette distance que créait cette façon d'agir, mais il avait aussi conscience qu'Hannibal avait passé un long moment probablement sans aucun repères de ce genre chez Mason Verger, et que reprendre ses vieilles habitudes devait le rassurer.

Bon appétit, Will.

― Bon appétit, Hannibal. Je ne suis pas très doué en cuisine alors mmh...j'espère que ça ira.

L'Hanim goûta le plat juste après qu'il ait commencé à manger et écrivit :

C'est correct.

Will porta la main à sa bouche pour étouffer un petit rire, essayant en même temps de ne pas s'étrangler parce qu'il avait pris une gorgée d'eau juste avant.

― Hum, j'apprécie ton honnêteté. Dis-moi, quel âge as-tu ?

Dix-huit ans. Et vous ?

― Trente.

Vous paraissez plus jeune.

― Merci.

C'était une simple observation.

― C'est un problème si je le prends comme un compliment ?

Non. Je voulais juste que vous sachiez que ce n'était pas formulé comme tel.

Le professeur hocha la tête et laissa l'Hanim terminer son assiette, puis lorsqu'ils eurent fini tous les deux, il débarrassa et s'apprêta à faire la vaisselle, mais Hannibal le devança en s'installant devant l'évier. Il protégea ses vêtements avec un tablier et remonta ses manches, puis il commença à laver tout ce que Will lui apportait progressivement, et ce dernier dû bien reconnaître qu'il était infiniment plus efficace que lui. Il sourit en songeant à Winston qui appréciait faire la vaisselle, mais écoutait de la musique en même temps et prenait tout son temps, mettant parfois jusqu'à une demi-heure pour cette simple tâche, là où Hannibal termina...en dix minutes. L'Hanim avait également essuyé et rangé, avec quelques hésitations car il ne connaissait pas les lieux.

― Merci beaucoup pour ton aide, le remercia l'humain, puis il lui proposa de jouer ou de regarder la télévision avec lui, mais l'Hanim déclina et lui demanda par écrit de pouvoir remonter dans sa chambre, ce qu'il accepta, supposant qu'il devait être épuisé émotionnellement par cette longue journée.


Voilà le premier chapitre de cette nouvelle fiction qui au départ devait être un OS, mais je suis incapable de faire court x). C'est aussi le cadeau de Noël pour Maeglin qui fait de l'Hannigram super cool sur lequel je vous encourage vivement à jeter un œil (et même les deux).

Comme toujours, n'hésitez pas à me laisser un petit mot pour me dire ce que vous en avez pensé !