Plusieurs semaines s'étaient écoulées depuis l'arrestation de Negan et de sa suprématie. Plusieurs jours, plusieurs mois. Le Royaume avait continué à vivre dans l'harmonie, tout comme Alexandria ou la Colline, avec qui ils avaient souvent des contacts. Julia, quant à elle, avait continué sa vie et mené sa grossesse à terme. Avec quelques complications, elle avait dû donner naissance plus tôt que prévu et s'était vue dans l'obligation de se reposer après l'opération. Hormis cet incident, tout se déroulait dans un semblant de meilleur des mondes. L'on n'avait plus de nouvelles des Sauveurs, à part quelques lettres adressées de la part de Simon, dénonçant la perfidie de retenir leur meneur en otage, tout en remerciant pour cette douloureuse épine sortie du pied. Il se retrouvait désormais à la tête du Sanctuaire, et qui sait ce qu'il pourrait préparer à l'avenir. Comme Negan le disait, il était comme lui voire pire. Néanmoins, dans l'attente d'une riposte, aucun ne souhaitait penser à une éventuelle attaque et vivait comme si de rien n'était. Ezekiel passait la majeure partie de ses journées, seul, à méditer sur l'avenir comme il le faisait régulièrement. Mêlant nostalgie, peur et espoir, il restait près de la cage de Shiva, comblant les doutes et les appréhensions de Jerry, qui voyait son roi sombrer. Mais son obéissance l'obligeait à suivre les ordres et ne pas agir, contre son gré. Tout semblait pourtant normal au Royaume. Diane était souvent à l'extérieur et traquait des proies pour alimenter le garde manger qui s'amenuisait au fil des jours. Depuis peu, les plantations n'étaient pas bonnes et certains repensaient à la stabilité de la communauté, si une famine venait à perturber le climat. Aussi, elle et Julia partaient en excursion à Alexandria, qui en solidarité de leur cause commune, avait accepté de leur fournir quelques provisions. Negan n'était plus, mais l'horizon se voilait au loin. Hormis cela, tout allait bien, tout était calme, trop calme. Richard et Morgan se côtoyaient en s'invitant chez l'un ou chez l'autre. Les deux hommes renfermés appréciaient la compagnie pour éponger les lourds moments habitués à leurs personnalités solitaires. Et lorsqu'il n'était pas chez ce dernier à boire une bière, affalé dans son canapé en bavardant, Richard gardait la fille de Julia, sa protégée qu'il chérissait toujours malgré leurs déboires passées. La petite arborait un regard qu'il redoutait lorsqu'il la prenait dans ses bras. Mais les yeux de son père soulignait toutefois une innocence enfantine et le mentor tentait de la câliner comme sa propre fille, celle qu'il avait eu autrefois. L'on ne choisissait pas ses parents, et Negan était vaincu. Il fallait vivre avec. Quand les souvenirs se faisaient trop douloureux, il s'enfermait comme à son habitude, à double tour dans son camping-car, priant intérieurement pour qu'elle vienne lui rendre visite. Julia. Celle avec qui il partageait une étrange routine lorsqu'il faisait la nounou le temps d'une journée, parfois d'une nuit, parfois les deux. La jeune femme partait en mission, elle qui voulait continuer à servir la communauté coûte que coûte, et il patientait, la boule au ventre de ne jamais la voir revenir. Mais quand elle rentrait, pleine de joie de retrouver sa fille, il éclatait à l'intérieur, de constater tant de bonheur sur son visage dévasté par Negan. Comment pourrait-il lui pardonner ? Quand les secondes de la nuit la tiraillait dans son lit, elle lui demandait niaisement de rester, et il veillait sur elle, loin sur le matelas. Au petit matin, Richard avec la plus grande des politesses, lui qui avait toujours été ce chevalier qui ne voulait pas qu'on lui prenne sa place, préparait le café pour rentrer ensuite chez lui, discrètement. Alors, tout semblait anodin au Royaume, même pour celui qui attendait, l'âme rongée dans sa cellule. Negan. Il n'avait plus Lucille, il n'avait plus rien. Il n'avait plus Julia. Sa fille était née, il ne l'avait jamais vu, ni ne connaissait son nom. Le brun n'avait que ses souvenirs pour le conforter dans la puissance passée dont il avait hérité. Depuis, tout était flou, tout avait changé, mais tout semblait normal. Comme promis, Julia lui rendait visite pour lui apporter un vulgaire sandwich et lui tenir compagnie. Elle tenait sa promesse et ne s'en plaignait guère. Ils discutaient, lui s'ouvrant un peu plus, à l'inverse d'elle, qui se montrait un peu plus sur ses gardes et sur la défensive. Cependant, depuis de longues et interminables semaines, elle n'était passée le voir. Sa femme, celle qui avait détruit Lucille sous ses yeux. Il avait compris qu'elle avait certainement accouché et qu'elle avait besoin de repos. Alors, il continuait à attendre, assit dans la crasse, la lueur des rayons du soleil passant par la fenêtre, permettait à son imagination de s'évader quelques instants. Son esprit égocentrique et impulsif, voilà ce qui réveillait régulièrement ses journées emprisonnées. Et il s'illuminait, un rictus narquois aux lèvres en fixant le ciel. Dès qu'il entendait le moindre bruit métallique, lui rappelant le lourd verrou de sa prison, il relevait la tête emplit d'un espoir à la fois malhonnête et passionnel. Negan se sentait seul et faible, mais toujours si fort en présence de la brune. Il fallait masquer la vérité et ne pas se montrer défaillir. Mais quand ce n'était pas celle qu'il espérait, il se retrouvait en tête à tête avec de parfaits inconnus, habitants du Royaume qui venaient lui jeter une bouteille au sol, sans le moindre regard. Car ce n'était que ce qu'il méritait, sa punition dont Julia avait accepté la responsabilité. Pourtant, même s'il ne l'avait pas vu depuis un moment, même si le son de sa voix ne l'avait pas bercé depuis un moment, tout semblait calme. Le Royaume hibernait alors que quelque chose ne manquerait pas de se préparer, à coup sûr. Ce monde ne pouvait rester harmonieux bien longtemps.

Julia rentrait d'une journée de ravitaillement à l'extérieur avec Diane. Les deux femmes étaient devenues plus proches et Julia avait un peu plus appris à faire confiance. Non pas qu'elle se méfiait, mais en tant que femme de Negan, elle pensait être sur la sellette à tout jamais. Toutefois, il semblait que la communauté ait retenu de ses erreurs d'antan et l'entraide était obligatoire. La brune n'avait aucun soucis à se faire quant à un probable bannissement ou règlement de comptes. Bien sûr, certains lui en avaient voulu au début, comme Richard, Morgan ou encore Ezekiel lui-même, mais rapidement, ils avaient compris sa détresse et avait compatis. Le chef des Sauveurs était le seul responsable et la pauvre femme en avait lourdement payé les frais. Tout comme Alexandria, tout comme la Colline. Ils étaient tous concernés, ils n'allaient pas tous se tourner le dos. Julia marchait en direction de sa maison, accompagnée de la blonde, qui s'apprêtait à tourner pour rentrer elle aussi. Une atmosphère conviviale, malgré les tourments de la vie avait gagné le refuge. Depuis que le parasite avait été capturé, depuis que la menace avait été amoindrie :

- J'en connais un qui va encore être soulagé de te voir rentrer ! plaisanta t-elle en un clin d'œil malicieux. Je ne l'ai jamais vu aussi dévoué envers quelqu'un, vous avez passé un marché ou ?

- Non... l'arrêta la jeune femme, il veut seulement apporter son aide, même si je n'ai pas été à la hauteur il n'y a pas si longtemps que cela. Sans lui, je ne pourrais plus partir en expédition ou aider la communauté, alors je lui en suis reconnaissante. Et puis, il s'occupe bien d'elle, je vois que ça lui fait du bien cette responsabilité. Ça nous fait du bien à tous les deux. Ça nous fait grandir.

- Dans tous les cas, sache que je pourrais te donner un coup de main à l'avenir aussi, si tu le souhaites. Ma sœur a eu un bébé avant l'épidémie, je sais ce que c'est que pouponner !

Elle réussit à lui arracher un rire complice, alors qu'elle tournait pour emprunter la grande allée qui desservait les maisons près du centre. Julia l'observait en ré-ajustant son sac à dos remplit à ras bord. Puis, elle lâcha un profond soupir en se sentant redevable, sentiment qu'elle ne supportait pas de ressentir. Mais elle devait accepter lorsque les mains se tendaient vers elle. Pour le moment, elle devait rentrer chez elle, prendre ce qui lui semblait nécessaire et déposer le reste à la Boutique. Un principe qui avait été mis en place récemment, fonctionnant sur le troc et l'amabilité des habitants. Chacun déposait ce dont il ne se servait pas, pour alimenter la réserve et permettre à d'autres, surtout ceux qui n'étaient pas aptes à sortir et se défendre, de mener une vie ordinaire en obtenant des ressources. L'idée était venue du jeune Ben, qui avait donné son avis sur les missions RS lors d'un repas chez le roi. Tout le monde avait trouvé cette idée juste, pour être ensuite mise en application deux jours après. Le jeune homme s'était vu gracié par Ezekiel, qui l'avait nommé en charge du stock de la Boutique, une fois créée.

La brune arrivait chez elle, commençant à fatiguer de cette expédition dans laquelle elle avait encore dû se battre pour survivre. Des rôdeurs s'étaient introduits dans la station essence qu'elles pillaient et les deux femmes avaient sorti leurs armes pour se défendre. Toutefois, cet acte ne lui faisait plus rien désormais. Julia s'en souvenait, au début, elle détestait tuer les morts, espérant trouver en leurs êtres un semblant d'humanisme encore présent. Après ce qu'elle avait subi aux côtés de son amant, elle ne ressentait plus les émotions culpabilisantes et honteuses du meurtre. La seule chose qu'elle redoutait encore, malgré ce que lui avait dit Negan le jour où il l'avait entraîné au tir, était le fait de tuer un vivant. Elle ne se sentait pas prête, et elle repoussait mentalement la prédiction du jour où elle serait amenée à le faire. En ouvrant la porte, elle déposa le sac dans l'entrée, pour enlever sa veste et l'accrocher au porte manteau, presque vide. Elle n'avait pas refait une garde robe aussi fournie que dans son ancienne vie. Julia n'y voyait pas l'intérêt, ce n'était pas comme si Negan était présent, à lui demander de s'habiller correctement et de manière sulfureuse pour lui. Depuis son arrestation, elle se sentait libérée d'un immense poids, pour se rendre compte à son plus grand désarroi, qu'elle pensait constamment à sa personne. Il ne lui manquait pas, car elle le côtoyait en cellule régulièrement, mais elle ramenait sans cesse certaines idées à ses façons de procéder. Mais une chose était sûre, elle ne regrettait rien. Richard, qui venait d'entendre du bruit en bas, descendait les escaliers silencieusement. Quand il la vit, il retint un sourire bienveillant, lui qui demeurait de nature timide :

- C'est vous, vous êtes rentrée. Tout s'est bien déroulé ? Il la serra dans ses bras, geste auquel elle répondit généreusement. Oppressée par la journée qu'elle avait passé, la brune se colla contre son torse en soulageant son esprit débordé par la morbidité. Il lui embrassa prudemment les cheveux.

- Diane a trouvé une station essence à l'abandon. Au début, j'étais persuadée qu'elle était occupée, mais je me trompais. Diane a persévéré pour qu'on y jette un coup d'œil et nous avons trouvé de quoi nous rationner pour quelques jours. Il ricana tendrement.

- Toujours aussi méfiante à ce que je vois. Elle douta sur ses propos, lui qui se montrait aussi prudent qu'elle. Diane a toujours eu du flair vous savez. Il vit le sac et s'en approcha pour le porter à la cuisine et prendre l'initiative de le vider. Julia eut l'impression de revivre des moments familiers lorsqu'elle était jeune mariée, dans sa vie d'avant.

- Et vous, comment s'est passée votre journée, la petite a été sage ?

- Justement je viens de la recoucher, j'étais en train de la bercer dans le canapé et elle s'est endormie. Mis à part ça, et quelques pleurs car sa maman devait certainement lui manquer, rien à signaler. Un sourire chaleureux se dessina sur ses lèvres. Votre fille est entre de bonnes mains Williams, je vous en fait la promesse. Je préfère la garder pour vous éviter de vous inquiéter lorsque vous partez en mission. Même si je dois vous l'avouer, je préférerais que vous y renonciez pour ne pas risquer le danger de l'extérieur.

Elle vint l'aider en vidant le sac, en rangeant des bouteilles dans un placard près du réfrigérateur. Ce n'était pas la première fois qu'il lui faisait un tel discours. Cette attention la touchait, d'autant plus que le mentor avait lui-même demandé à Ezekiel l'autorisation de déplacer ses horaires de missions pour les faire correspondre avec les absences de la brune :

- Vous êtes si paternaliste, si vous pouviez vous entendre ! ria t-elle en lui donnant une pichenette sur l'épaule. Je suis une grande fille, je sais me débrouiller seule, même avec un enfant à charge. Il ne répondit pas et haussa les épaules en l'invitant à retrouver sa fille, pour continuer à la débarrasser de la corvée ménagère.

- Elle a besoin de sa mère et je ne suis pas son père.

Il était son principal pilier. Après l'arrestation de Negan, elle avait eu du mal à basculer vers une vie paisible en le sachant sous les verrous. Désorientée, Julia avait mis du temps à reprendre ses marques, malgré les bienfaits de son absence. Et grâce à Richard qui l'épaula, elle n'était jamais seule à se morfondre sur sa décision. Malgré leur proximité, ils avaient décidé d'un commun accord d'en rester au vouvoiement et aux politesses, chose contradictoire malgré leur grande tendresse. Mais cette barrière leur permettait de garder leurs limites et de ne pas franchir les règles. Tout était calculé pour que l'entente continue à se dérouler parfaitement. Et elle le bénissait pour tout cela. Richard la maintenait sur le droit chemin.

La chambre était au fond du couloir, accolée à la sienne. Elle était plus petite, mais bien mieux ordonnée. Pour sa fille, elle s'était vue aidée d'un grand nombre d'habitant qui lui avait donné berceau, table à langer et autres meubles pour la nouvelle arrivée. Pour l'occasion, quelques jours après sa naissance, Diane lui avait préparé des brownies qu'elle avait délicatement déposé dans un plat et laissé devant chez elle, alors qu'elle consultait le médecin le jour même. Les semaines qui avaient suivi avaient été éprouvantes et Julia avait dû rester aliter. Ezekiel lui avait rendu visite le jour de la naissance, pour veiller sur elle dès les premiers instants. Devenir mère dans ce monde, elle ne l'avait jamais envisagé. Si elle avait pu auparavant, la question aurait été mûrement réfléchi, mais les événements de l'apocalypse, ses fréquentations avant le Sanctuaire et ses dérives en solitaire n'avaient pas aidé à la réflexion.

Elle entrait sans un bruit dans la petite pièce, pour voir le bébé enveloppé dans un drap dormant à poings fermés. La tête basculée sur le côté et un bras levé, s'ouvrant sur une petite main boudinée, Julia explosa de bonheur et relâcha enfin la pression qui demeurait sur ses épaules. Elle se pencha pour l'observer plus attentivement. Plus proche de sa fille, elle sentit l'odeur du shampoing du bain, donné peu de temps avant par Richard. Ses petites joues roses et sa bouche entrouverte laissait échapper un filet de salive sur le matelas. Un petit ange posé innocemment dans un monde détruit par le funeste sort de la mort. La brune s'inquiétait quant aux conséquences de sa venue face aux menaces des rôdeurs. Toutefois, tant qu'elle restait entre les murs du Royaume, et tant que le Royaume restait loin des Sauveurs et de leur hostilité alors peut-être qu'elle pourrait grandir sans risque. Après tout, Rick avait vécu cela avec Judith et la petite était en excellente santé, pensa t-elle pour se rassurer, alors qu'elle caressait du bout des doigts le bras potelé pour ne pas réveiller sa poupée. Puis, protectrice et débordant d'amour pour cet être qui pourtant lui rappelait celui qu'elle avait aimé, elle embrassa son front pour partir et refermer avec la plus grande des précautions la porte. Une fois en bas, Richard attendait devant les escaliers :

- Maintenant que vous êtes revenue, je vais y aller. Les yeux de la brune s'ouvrir honteusement, et il comprit, mal à l'aise.

- Je dois partir pour la prison... Est-ce que vous pouvez la garder encore un peu ? L'homme se referma sur le champ, affichant une mine crispée par la jalousie.

- Vous allez le voir ?

- J'ai fait une promesse. Elle haussa les épaules et se rendit compte de la tension qui s'installait, elle qui ne pouvait pas renier les directives qu'elle avait accepté de suivre. Je suis désolée Richard, je ne vais pas vous encombrer. Je vais l'amener à son père, il ne l'a encore jamais vu...

- Non ! se réveilla t-il soudainement en lui agrippant le bras. Je vais rester, ça ne me dérange pas, vous savez. Laissez la petite dormir et je vais veiller sur elle durant votre absence. Lui qui tenait fortement à la brune ne pouvait l'imaginer avec Negan, alors imaginer sa fille, cet enfant si doux, entrer en contact avec son monstre de géniteur, il n'arrivait pas à le concevoir. Lorsqu'il fallait se montrer protecteur, le bras droit se présentait dans les extrêmes, au lieu de prendre des pincettes et d'avancer doucement. C'était ainsi, et pas autrement. Et il fallait l'avouer, cette main-mise sur la jeune femme l'arrangeait. Pas en tant qu'homme perverti comme pouvait l'être la plupart des autres. Non, en tant qu'homme, ancien père de famille, qui ne souhaitait qu'une chose, retrouver ce qu'il avait perdu.

Elle le remercia d'une bise ambiguë au coin des lèvres, pour partir en direction des cellules, le cœur lourd. Le jeu qu'elle entretenait avec le mentor était presque naturel et beaucoup s'était accoutumés de les voir régulièrement l'un avec l'autre. Jerry avait une fois lancé la rumeur d'une liaison pudique, alors que les deux protagonistes défendaient leurs opinions et niaient fermement. Suite à cela, la brune avait arrêté de protester, agacée de se voir questionnée par le garde du corps du roi. Néanmoins, c'est vers la prison qu'elle se dirigeait en ce moment même, et c'est dans cette prison qu'elle se sentait la plus vulnérable. Cette sensation emprisonnait sa poitrine à chaque visite. Surtout qu'elle n'avait pas vu l'homme à la batte depuis de nombreuses semaines. Pourtant, il était derrière les barreaux et elle en liberté, il ne pouvait rien faire, mais l'impression que laissait sa présence ne pouvait être ignorée. Elle le sentait continuer à grignoter son être petit à petit. C'était un douloureux cauchemar qu'elle revivait. Si tout ce qu'elle avait vécu n'avait été qu'un rêve, alors elle se réveillerait. Mais pour l'heure, c'est quand elle ne trouvait pas le sommeil qu'elle partait dans la salle de bain boire un verre d'eau, et se contempler dans le miroir avec écœurement. Ce que Negan avait laissé, ce que Negan avait fait d'elle. Tout était sa faute, et non la sienne ! Ainsi, Julia avait décidé de mettre en place une stratégie visant à cadenasser son esprit et ses émotions. Cela avait eu pour conséquence d'inverser les rôles et elle s'était auto apeurée en constatant qu'elle pensait comme lui, alors qu'il répondait à sa manière, de façon plus soumise et émotive. Si par cet agissement, elle arrivait à se protéger, alors pourquoi le rejeter ? La brune finirait par avoir le dessus et ne plus angoisser à l'idée de se retrouver face à son amant les prochaines fois. Elle sortit la clé pour ouvrir la porte métallique, qui grinça sous le poids. Elle sentit de suite son aura. Malgré la pénombre, elle devina ses gestes. Il venait de lever la tête dans sa direction et attendait, impatient. Un frisson la parcourut, tandis que ses doigts cherchaient l'interrupteur. Julia allait le revoir. Ce n'était plus qu'une question de temps. Quand son épiderme frôla la lumière, elle l'entendit gémir de plaisir, alors que ses traits se dessinait enfin sous ses yeux. Elle dissimula un sursaut. Il la fixait de ses yeux sombres et malins. Negan avait beaucoup changé depuis le début de son emprisonnement. Ses cheveux avaient poussé, venant s'échouer en arrière sur sa nuque et débordant légèrement sur ses oreilles. Quant à sa barbe, elle recouvrait ses joues et grisonnait son menton. Son visage était marqué par la saleté de la pièce, dont il ne sortait jamais. La seule visite qu'il recevait était celle de sa femme, et cette dernière se demandait comment il faisait pour ne pas devenir fou. Quelle question, puisqu'il l'était déjà. Alors qu'elle s'approchait en tentant de se montrer la plus distante possible, il se mordit la bouche en détaillant son corps :

- Enfin... admit-il soulagé, je reçois enfin ta putain de visite ma belle. Comme tu m'as manqué, nos petites réunions m'ont atrocement manqué tu sais.

- Je n'ai pas pu venir plus tôt... Il afficha un sourire fier, lisant en elle. Il savait ce qui l'avait retenu, et se savoir de nouveau si faible face à lui l'électrisa sous une colère inconsciente. Elle ne voulait plus se laisser faire, elle se l'était juré, elle pouvait le faire.

- T'as accouché, hein... vint-il brisé le silence d'une voix rauque. Toujours aussi poétique, pensa t-elle déjà harassée. Je sais que t'as mis au monde notre bébé. Sur ces mots, elle ferma les yeux, bouleversée de constater les liens du sang. C'était une honte difficilement avouable, mais Julia ne souhaitait pas y penser, de peur que cela s'imprègne sur sa fille. Si elle devenait comme Negan, ou si la petite devenait l'image de son père, quel cauchemar impensable. Alors, comment se porte ma fille ? Est-ce qu'elle est née avec un blouson en cuir et une foutue batte de baseball ? Que sa mère a détruite, soit-dit en passant...

Il ne pouvait pas s'en empêcher, et remuer le couteau dans la plaie malgré les semaines de détention ne le dérangeait pas :

- C'est la chose la plus merveilleuse qui me soit arrivée. Il ouvrit une bouche ronde d'admiration.

- Ouais, c'est pas ma gamine pour rien, hein. Ma Julia chérie ! Alors comme ça, tu as enfin décidé de venir retrouver ton mari.

- « Ancien mari », comme tu dis.

- Allez ma belle, ne sois pas si sauvage, ça te fais du bien de me revoir, j'en suis sûr ! Tu sais, on va pouvoir reprendre nos petites discussions toi et moi, ça sera marrant, tu verras...

- Je n'en ai plus envie.

- Regarde moi dans le blanc des yeux et dis moi que t'en as plus envie, se défendit t-il menaçant.

Elle accepta sa provocation et vint à sa rencontre, le dévisageant méprisante alors qu'il souriait, subitement enjôleur. La brune porta ses mains aux barreaux pour être au plus proche de son amant. D'aussi près, elle constata les marques trahissant son âge, et se maudit d'imaginer un contour bonifié par le temps. Le Diable avait toujours été attirant, il ne fallait pas l'oublier :

- Non, trancha t-elle froidement. Non.

- Sérieusement ? Elle n'eut pas besoin de répéter pour qu'il comprenne. Elle venait de prendre la main. T'es en train de me dire que je ne t'ai pas manqué ?

- Tu ne m'as jamais manqué. Il recula d'un pas en se grattant la nuque.

- La vache, je dois t'avouer que tu me fais toujours autant d'effet, mais putain, qu'est-ce que t'es froide d'un coup ! Il n'y a aucun moyen pour que je puisse réchauffer nos rendez-vous à la Bonnie and Clyde, hein ?

- Je respecte simplement ma promesse, rien de plus.

Negan soupira en s'asseyant au sol. Il semblait atteint par ses dires, lui qui ne s'attendait pas à cela, surtout après son absence :

- T'es vraiment pas drôle aujourd'hui... T'es pire que Rick et sa clique !

En entendant son nom, Julia le fixa intensément en se demandant ce qu'il manigançait en son esprit :

- Tu n'as pas à citer les habitants d'Alexandria. Cette affaire, c'est entre toi et moi.

- Oh, mais ça te touche, dis moi ! T'as passé du bon temps là-bas, je me trompe ?

- Je m'y rends parfois... quand je n'en peux plus de te voir. Quand je n'en peux plus de supporter la responsabilité stupide que j'ai endossé !

- Tu ne le penses pas...

Malgré son orgueil déplacé, il fut tout de même piqué à vif et afficha une moue saccagée par le rejet. Lui, qui pourtant avait maudit son nom quand elle avait détruit la batte, n'avait pu se résoudre à la supprimer de sa vie. Quant à son épouse, c'est exactement ce qu'elle faisait. Il se sentait mal, mal au point de se tordre, recroquevillé sur lui-même. Mais il ne montra rien, du moins, il essaya, en reprenant piteusement :

- T'en es sûre ? vérifia t-il ainsi, l'âme lourde. Il eut pour réponse un hochement de tête, accompagné d'un regard glacial. Qu'est-ce que je t'ai fait pour mériter une telle sentence, hein ? A peine es-tu entrée dans cette putain de prison, que tu me crache déjà à la gueule... Pourtant, il n'y a pas si longtemps que ça, t'étais aussi farouche, mais pas à ce point. Là, t'es carrément devenue une mégère !

- N'oublie pas tout le mal que tu as commis.

- Je me suis rendu, j'ai accepté mon sort et je suis toujours entre les mains de ta petite communauté qui te tient tant à cœur !

- Tu n'imagines pas à quel point j'ai été déchirée de devoir faire une chose pareille.

- Et pourtant tu l'as fait...

- Et je ne le regrette pas...

Negan avait du mal à l'admettre, mais voir sa femme avoir un tempérament si froid le déstabilisait. Il n'imaginait pas de telles retrouvailles. Il la toisa un instant, cherchant à deviner ce qui avait pu changer en elle. Mais ses barrières étaient si résistantes qu'il eut du mal à discerner le moindre indice. Il fatiguait. Depuis combien de semaines n'était-il pas sorti de cellule ? Depuis combien de semaines ne s'était-il pas douché, ou eut un soupçon de confort ? Quant à la nourriture, il ne préférait pas y penser. Peut-être que tout se passait dans sa tête. Comme il l'espérait car se voir piétiné de la sorte lui était inimaginable :

- Hé ma belle... jeta t-il à voix basse, même si j'ai été un sacré connard, t'as toujours été ma femme, ici. Il vint poser une main sur son cœur, cherchant à réveiller en elle les sentiments éprouvés auparavant. Avant, cette tactique fonctionnait, désormais, il fallait s'armer autrement et ruser un peu plus. Elle le connaissait, ses petits tours ne pouvaient avoir les effets escomptés, plus maintenant. J'ai été un prisonnier super sage, j'ai pas bronché et j'ai obéis à chaque fois. J'aurais pu gueuler pour qu'on me libère, mais non. J'aurais pu menacer mes bourreaux, mais non. J'aurais pu chercher à faire un sale coup à l'un de vous, mais non. J'ai suivi la putain de danse Julia.

- Pour mieux te retourner ensuite et nous avoir...

- Non, parce que j'ai confiance en toi.

- Je croyais qu'il ne fallait jamais avoir confiance avec toi ?

- Ha ! Tu marques un point, ça, c'est certain ! Mais pas avec ma femme. Je t'en prie, déride toi, tu veux. Ma vie est déjà assez nulle à chier comme ça pour avoir de la mauvaise compagnie. Non... la mère de ma fille, même si j'ai été un enfoiré avec elle, je continuerai à la respecter, c'est ainsi.

Julia eut un profond sentiment de dégoût, elle lui fit signe de s'approcher, pour lui murmurer à l'oreille. Negan capitula et accepta l'offre, étant en infériorité dans sa cage. Il vit ce minois un peu plus détaillé et serra le poing pour ne pas flancher. Il aurait tant souhaité effleurer sa peau, caresser sa joue, seulement se rappeler leur passé commun. Mais au moindre faux pas, elle lui tomberait dessus. Son regard se posa avec sournoiserie sur ses lèvres, alors qu'il tendait l'oreille de moitié :

- Toi, tu respectes peut-être ta femme et c'est merveilleux de l'entendre venant d'un monstre comme toi. Il rayonna de satisfaction sur le moment, ce qui ne tarda pas à retomber dans la seconde qui suivit. Julia reprit d'une voix sérieuse et étrangement calme. Mais elle, sache qu'elle te voit comme un chien à qui elle ne tendrait jamais la main. Elle le vit hausser les sourcils. Même s'il était malheureusement en train d'agoniser devant elle. Elle l'achèverait même... Et tu sais pourquoi Negan ? Tu veux savoir pourquoi elle a tant de mépris pour toi ? Parce qu'il n'a même pas eu la présence d'esprit de demander le nom de sa propre fille ! Son propre sang ! Il balbutia mais elle le coupa en plongeant sa main au travers des barreaux pour appuyer sa bouche avec force. Laisse moi terminer ! lança t-elle hors d'elle. La mère qu'elle était devenue ne pouvait tolérer ce genre de comportement, elle qui avait continué à faire des efforts pour lui. Parce que c'est un être immonde et inutile à ce monde, qui pourrit au fin fond d'une cellule, alors pourquoi irait-il se soucier des autres, même d'un nouveau-né ?! termina t-elle en le laissant dans le silence du choc.

La voir cracher cette haine si enfouie et si convaincue, il ne sut quoi dire sur le moment. La brune tremblait, sentant son corps s'enflammer sous le venin qu'il lui forçait à répandre. Elle desserra son étreinte pour constater dans ses yeux la fureur dont elle avait fait preuve. Elle vit son reflet s'y dessiner, et une angoisse macabre saisit son corps. Les tremblements continuèrent. Il comprit lui aussi. Et si elle devenait comme lui ? Et si elle devenait au final, pire que lui ? L'homme à la batte la dévisageait soupçonneux, paralysé et le cœur martelant sa poitrine. Il n'avait pas réussi à la maîtriser sur ce coup. Elle l'avait devancé, et elle l'avait eu, encore, pour la seconde fois. La première, quand elle l'avait menotté, pour le livrer à Rick et Ezekiel et l'enfermer à double tour dans ce maudit cachot. Un frisson hérissa ses poils, lui laissant le dégoût de l'échec en mémoire :

- Ma belle... tenta-il doucement pour l'amadouer. Je t'en prie, raisonne toi... Tu sais très bien que je le voulais cet enfant, c'est moi qui t'ai demandé de le garder.

- Pour mieux m'avoir moi. Pour mieux me garder près de toi. Je comprends parfaitement les choses désormais, et ce temps loin de ton emprise m'a permis de revivre !

- Ma belle... continua t-il désabusé. Je t'en prie, laisse moi t'aider, laisse moi t'aider à revivre !

- Tu ne m'as même pas demandé son nom ! !

Elle poussa un cri aigu en frappant le barreau alors qu'il s'éloignait de justesse par réflexe. Julia éclatait de rage, maintenant qu'elle avait une vie à charge. Le meneur des Sauveurs lui, restait immobile à la fixer. Peut-être avait-il passé trop de temps enfermé ? Peut-être était-il devenu fou ? Peut-être était-il en plein cauchemar ? Mais cette Julia là n'était pas sa femme, du moins, elle n'avait plus le même comportement en apparence. Car son ego le persuadait qu'elle ne pouvait avoir tant changé de l'intérieur. Il fallait se montrer patient et creuser pour l'attendrir de nouveau. Mais bordel, qu'est-ce qu'elle avait changé. Julia était devenue autoritaire et impulsive. Il se demanda alors les dégâts qu'elle pourrait faire, une batte entre les mains. Il jubila presque en masquant ses émotions. Elle serait parfaite, il n'en doutait pas. La mâchoire serrée, elle lui jeta un juron à la figure, elle qui avant paraissait si réservée, pour s'aventurer vers l'extérieur et le quitter, attristée :

- Elle s'appelle Dana... lâcha t-elle sans se retourner.

Il ne le méritait pas et la jeune femme regrettait presque cette entrevue. Et alors qu'une partie d'elle se battait pour se convaincre de son choix, l'autre résistait fortement. Elle était sur le bon chemin, elle devait construire sa vie sans son influence. Sa présence était acceptée, mais sa manipulation ne serait plus jamais l'un de ses principaux soucis. Lorsqu'elle fut dehors, elle resta quelques secondes abasourdie, à observer devant elle un point fixe. Puis la pluie fit son apparition. Elle s'abattit sur elle avec rapidité, mais Julia prenait son temps. Elle marchait, l'esprit ailleurs vers sa maison. Rien ne pressait, tout était calme. Negan, quant à lui, une fois seul, plaquait sa nuque contre le mur, les yeux clos :

- Dana... chuchota t-il. Il ne chercha pas à dessiner une minute de plus sa fille en son esprit, espérant tout de même la voir un jour. Et alors que ses pensées s'entrechoquaient dans sa tête, tourmenté et indécis, ce qui était rarement le cas, il reprit, comme si elle était encore présente. Ma belle Julia Williams... bordel, tu donnes à l'amour une putain de mauvaise réputation...


Voilà pour ce premier chapitre ! J'espère qu'il vous a plu :)

Je vous dois une explication. A la base, je ne pensais pas faire de suite cette fiction - ou même ne jamais la faire tout court - mais mince, ce n'est pas facile de dire au-revoir à son OC, haha ! (Un grand merci d'ailleurs aux avis et conseils :) Alors voici un petit bout, d'une petite suite... ! Un dernier voyage.