Bienvenue sur ma fiction =)
Avant de commencer, quelque chose d'important : Edward, ici, s'appelle Daniel, et Bella : Elizabeth. Pour le personnage de Dylan, j'ai utilisé Charlie Bewley qui incarne Démétri.
J'espère que ça vous plaira, je tiens à dire qu'elle sera assez longue. Merci de me dire ce que vous en pensez ! = )
Bonne lecture à tout le monde.
Prologue
J'ai constamment imaginé d'être quelqu'un d'autre, de m'inventer une vie beaucoup plus captivante et pleine d'intrigue, d'événements qui vous tiennent en haleine du début à la fin, une vie à vous couper le souffle, littéralement.
Je m'appelle Elizabeth, je vais bientôt avoir vingt ans, au mois de mars prochain. J'habite près de Casper, la seconde ville la plus peuplé de l'Etat du Wyoming et siège du Comté de Natrona. Je ne suis jamais allée plus loin que Casper en y réfléchissant un instant, je n'ai jamais vu non plus la capitale de notre Etat, Cheyenne. J'irais un jour, peut-être. Il faut dire que la région est peu propice aux longs voyages. La Terre est essentiellement constituée de grandes plaines où naissent d'énormes ranches, les uns après les autres. Des montagnes semblent diviser la population en deux clans distincts, l'Ouest et puis l'Est. Je suis à l'Est des rocheuses, près du parc national de Yellow Stone. Je ne prétendrais pas connaître la ville comme ma poche mais je dois dire qu'on prend vite ses repères dans un endroit si reculé et si réduit. De toute façon il n'y a pas grand-chose à faire, il y a un centre commercial, Riverside, qui est bordé par le front nord du parc de Casper. Il y a un hôtel aussi, qui donne des airs d'hospitalité bienveillante à la ville, et un hôpital près du cimetière en contrefont. Mais, ne vous y méprenez pas. Vivre dans un endroit tel que celui-ci ne me porte pas préjudice, et malgré le fait qu'il ne s'y passe jamais rien, j'aime vivre ici. Je travaille depuis quelques mois à la bibliothèque locale pour pouvoir reprendre mes études, les universités sont chères comme partout ailleurs. Je m'occupe simplement d'enregistrer les livres et de nettoyer un peu les tables noires lorsque la bibliothèque ferme ses portes ; ça n'est pas des plus fatiguant je dois dire, juste un peu répétitif. J'aimerais devenir écrivain, alors en attendant de pouvoir m'offrir des études supérieures en littérature, et de pouvoir écrire mes propres livres avec à-propos, je les range. C'est vrai, ça doit être fascinant d'écrire, d'inventer des vies fictives en tous points, mais qui détiennent une part de vous malgré tout, sans même que vous vous en rendiez compte. J'habite chez mes parents, mais à mon âge, c'est quelque chose de plutôt commun ; je suis la cadette de la famille, mon frère s'appelle Dylan, est d'un an mon aîné. Je fais partie des rares personnes encore qui possèdent une famille soudée, au complet, pas de divorce, pas de drames familiaux. Au contraire, tout c'est toujours bien passé, c'est incroyable en y songeant bien d'ailleurs. Mes parents disent toujours de moi, que le fait d'avoir grandit avec un frère à mes côtés m'a donné ce côté garçon manqué et près à toutes les sottises possibles et imaginables, mais ça n'est pas vrai, en réalité, je suis assez peureuse et plus que féminine d'aspect, j'ai simplement cet esprit particulier et piquant qu'on souvent les garçons, moi je trouve ça beaucoup plus cocasse ! J'ai toujours été proche de Dylan, il faut dire que grandir pour ainsi dire en même temps ça aide, même si comme tous frères et sœurs qui se respectent, nous avons surement du passer les trois quarts de notre enfance à nous crier l'un sur l'autre, mais ça laisse de bons souvenirs, à moi en tous cas. Il étudie le Droit à l'Université de Laramie, et, bien que ça soit aussi dans le Wyoming, c'est assez loin de la maison. Voilà la raison pour laquelle, depuis presque un an désormais, Dylan possède sa propre chambre sur le campus étudiant, ça lui évite tous ces trajets. Il me manque, c'est dur de vivre sans quelqu'un quand vous y étiez habitué depuis des années qui vous semblent des lustres. Mais il vient nous voir au moins une fois par mois, deux avec de la chance, et à chaque fois c'est une vraie fête. Il est mon frère, mon meilleur ami, mon alter-ego, il est mon tout.
Partie 1
Chapitre 1
La nuit est tombée depuis quelques heures déjà, pourtant il n'est pas tard, mais nous sommes mi-janvier et le soleil ne fait pas de vieux os à cette époque de l'année. Pourtant il ne fait pas très fois ces derniers jours, bien sur la température ne dépasse pas les douze degrés, un hiver assez agréable en somme. Nous sommes vendredi et c'est le grand retour de mon frère, pour au moins une semaine, il vient de passer ses premiers examens. La joie qui règne chez moi dès qu'il franchit le seuil de la porte me donnerait presque l'impression d'une claque, un sourire s'étend sur mes lèvres lorsque j'entends sa voix qui résonne dans toute la maison, puis celles de mes parents, heureux de revoir leur fils. Je descends les escaliers en gambadant presque et claironne son prénom à sa vue, un sourire béat sur ma bouche. Ses yeux bleus pétillants et rieurs me souhaitent la bienvenue à eux seuls et je me jette dans ses bras sans plus attendre. Sa carrure me parait plus carrée que la dernière fois, pour Noël, lorsqu'il était venu en coup de vent, le vingt-quatre décembre au soir. Après nos retrouvailles et avant le diner, mon père l'appelle à l'aide, lui qui a un problème avec « ce fichu ordinateur » comme il l'appelle, depuis plus de dix jours. Dylan me lance un clin d'œil moqueur voyant que notre père ne change pas et grimpe derrière ce dernier, sa main sur la rampe en bois de l'escalier. Je suis ma mère dans la cuisine, l'aide à finir de mettre la table dans notre salon où la télévision passe un match de hockey en sourdine. Après le repas, Dylan et moi, nous allons sortir. Car à chaque fois qu'il revient, c'est une occasion pour lui de revoir ses amis restés ici, et de nous amuser pleinement. Durant le repas, les rires et les éclats de voix de bonne humeur retentissent encore et encore dans toute la maison, on se raconte des choses que l'un ou l'autre n'a pas sues depuis le mois écoulé, des choses qui nous ont fait rire ou pleurer, enfin, façon de parler bien sur. J'aime tellement le revoir à la maison, manger avec nous, comme s'il n'était jamais partit. Je retombe en pleine enfance et je pense à tous ces repas de famille, aux fêtes d'anniversaires, aux longs Noël avec les bougies partout et le grand sapin toujours trop décoré, aux présents qu'on découvrait lui et moi le matin, où même cette nuit précise où nous étions descendu comme des voleurs et avions aperçus nos parents déposer eux-mêmes les cadeaux, nous en étions restés sans voix ; j'avais six ans, lui sept. Nos parents nous avaient toujours dit depuis que nous étions si drôles à voir, deux bouts de chou main dans la main, une peluche dans notre main libre et affublés de nos pyjamas en coton de l'époque ; un blondinet à la peau bronzée et une petite brune pâlotte. Oui je sais, c'est rare, et pourtant c'est un fait, mis à part les traits sans doute, nous n'avons pas grand-chose en commun physiquement.
Après le repas je monte me préparer tandis que mon frère déballe le peu d'affaires qu'il a du vite enfourner dans son sac de sport avant de quitter sa chambre d'étudiant. J'observe mon reflet dans le miroir de la salle de bain, ovale, regarde avec attention la couleur chocolat de mes iris, puis décide de ne rien faire finalement. Je détache simplement le chignon léger que j'avais fait à la va-vite plutôt dans la journée et mes cheveux mi-longs viennent chatouiller ma nuque et tombent légèrement un peu plus bas que mes épaules. Toujours dans son ancienne chambre, Dylan arrache les clés de sa voiture posées sur le bureau en pin de son enfance, passe un bras autour de mon épaule en un « C'est partit » joyeux et animé. Nous descendons les marches en parlant de là où nous allons, de qui va s'y rendre aussi pour nous y rejoindre, lançons des paris sur les éventuelles personnes absentes à la dernière minute. Notre mère, dans sa robe de chambre nous attend en bas, près de la porte d'entrée, comme lors de toutes les fois où nous étions sortis plus jeunes, et notre âge ne semble pas y avoir changé grand-chose. Ca me fait sourire. Après les éternels consignes de sécurité, promesses de mon frère de ne pas boire car il conduit, elle nous laisse sur des embrassades maternelles et referme la lourde porte derrière nous. L'air frais de la nuit vient se frotter à mes joues et leur donne des couleurs instantanément. A la vue de l'antique voiture de mon frère, en piteuse état jour après jour, une vieille Datsun qui semble avoir fait la guerre, j'éclate d'un rire moqueur qu'il connait bien. Il maugrée quelques paroles et me donne un coup de coude et rit à son tour.
-Elle n'est pas si mal que ça. Déclare-t-il en guise de défense je suppose.
L'intérieur était encore plus pittoresque, le sol jonché de bouteilles en plastique vides et de vieux paquets de cigarettes éventrés.
-Maman te tuerais si elle voyait ça.
-Bien pour ça que je ne fais jamais monter maman dans la voiture. Rigole-t-il en démarrant, tandis que la Datsun fait un boucan d'enfer.
-Alors, c'est comment l'Université ?
-Ca a ses bons côtés. Répond-t-il calmement en observant la route.
-Si tu dis ça c'est qu'il y en a de mauvais alors.
Il tourne ses yeux vers moi, un regard amusé et vif.
-Perspicace ma sœur. Se moque-t-il.
-Alors ? Qu'est-ce que c'est les mauvais côtés ? Tu t'es fait mettre la tête dans la cuvette des chiottes par une bande de brutes ? Dis-je avec un sourire sadique pour l'embêter. Mais je sais que ça ne risquerait pas de lui arriver, c'est plutôt lui qui le ferait vu son caractère.
-Ca n'risque pas ! Réplique-t-il en faisant le beau comme il en a l'habitude. Non, c'est juste qu'il y a vraiment beaucoup de travail, je m'accroche mais ce n'est pas si simple.
J'hoche la tête tout simplement. Nous atteignons le centre ville et les lumières et autres néons semblent sortir de nulle part tout d'un coup et viennent nous piquer les yeux comme une nuée de moucherons en plein printemps. Il n'y a pas grand monde dehors, mais on entend en passant devant les différents bars et pubs du centre la musique et les petites foules qui s'y trouvent. Nous passons devant l'unique grand hôtel de Casper, le Days Inn tout illuminé, puis la route redevient plus sombre, éclairée par les lampadaires tout les cent mètres.
-C'est le bar de la dernière fois ? J'observe par la vitre tout en lui posant la question.
-Oui, enfin non, c'est celui qui était juste en face. Mais c'est au même endroit.
Ce qui est drôle à Casper c'est qu'il ne semble ne pas avoir âme qui vive, et une fois la nuit tombée, cette impression de fourmilière adolescente qui grouille dans les pubs de la ville vous frappe. Dylan commença à ralentir, cherchant une place sur le parking déjà plein, situé juste à gauche des deux bars.
-Là ! M'écriais-je en apercevant enfin la place tant convoitée.
-Super. Déclara-t-il satisfait en se garant.
Sur le parking il y avait d'autres jeunes de notre âge approximativement, des bandes d'amis qui riaient ou parlaient entre eux, adossés à leurs voitures. La vie était plaisante ici, calme. Le taux de criminalité était assez bas et il était rare qu'une catastrophe vous tombe sur la tête lorsque vous habitiez dans la région. Dylan et moi allions toujours ou presque dans ce pub ci ou celui d'en face parce qu'ils demandaient rarement pour tout dire jamais nos cartes d'identité. Si lui avait depuis quelques semaines ses vingt-et-un ans, moi je n'en en avais pas encore vingt et je n'étais donc, pas censée rentrer dans ce genre de lieu. D'extérieur, le bar ressemblait plutôt à une sorte d'usine, des néons rougeoyants donnaient à l'entrée une atmosphère insolite. La musique était assez forte et on l'entendait depuis l'extérieur. Une musique rythmée aux intonations rock. Et comme à l'habitude on ne nous demanda rien, alors nous entrâmes, nous fondant dans la masse déjà présente à l'intérieur. Le contraste avec l'extérieur était saisissant, et la chaleur qui régnait ici me donna vite l'envie d'ôter ma veste pourtant fine. Cherchant un endroit où il y aurait moins de monde pour voir si nous apercevions les amis de mon frères, nous bousculions les gens un par un, passant en plein milieu de la piste, se tenant la main pour ne pas se perdre dans la foule.
-Près du bar ! Cria-t-il dans le brouhaha ambiant.
J'observais l'endroit qu'il venait de pointer du doigt, et en effet, il y avait moins de monde. Je me hissais sur l'un des hauts tabourets tandis que Dylan s'adossait au bar, observant de ses yeux bleus s'il distinguait ses amis. Moi en tout cas, je ne voyais rien. J'en déduisis que son portable sonna car il le porta rapidement à son oreille et posa sa main sur l'autre pour mieux entendre et étouffer le bruit qui régnait ici.
-Quoi ? Quoi ?! Attends j'entends… Quoi ? Mais vous-êtes où ? Attends je sors, ouais attends !
Il rangea le portable dans sa poche de jean.
-Ils sont dehors ? Demandais-je.
-Je crois que oui mais je ne suis pas sur j'ai rien entendu avec ce bruit ! Tu peux rester là ? Je vais juste vérifier s'ils ne sont pas devant et je reviens, okay ?
-Pas de problème, vas-y.
-Bouge pas hein, avec ce monde je vais mettre trois heures avant de te retrouver. Il rigola en commençant à s'éloigner.
-A tout de suite !
-A tout de suite ! S'écria-t-il déjà de loin, un geste de la main en guise d'au revoir.
Je plongeai mon regard sur un point fixe en attendant, une de mes jambes croisée sur l'autre, la barmaid passa, affairée et me lança un sourire léger se dirigeant vers deux jeunes hommes qui attendaient un peu plus loin de là où j'étais assise. Je la quittais du regard et me mettait de nouveau à observer ça et là, les gens tout autour de moi. Le temps commença à me paraitre long lorsque je m'aperçus qu'au moins trois musiques s'étaient écoulées depuis le départ de Dylan, je fis pianoter mes doigts, les uns après les autres sur le bar, remarqua que les deux garçons avaient fini leurs verres et étaient partis un peu plus loin. Les yeux établis sur les récipients vides à défaut de regarder ailleurs.
-Bonsoir.
Je sentis une main se poser sur mon poignet et tournais la tête en conséquence. La voix de velours qu'on m'avait servit s'accordait parfaitement avec le visage que je vis, un visage qui vous paraissait sculpter tant il semblait parfait. Malgré ça je retirais ma main de la sienne, il pouvait très bien ressembler à Adonis ou Apollon, je ne le connaissais pas. Une mimique étrange passa sur ses lèvres nerveuses un instant puis il reprit tout son aplomb avec un sourire enjôleur. Je pivotais légèrement sur mon siège, tachant de l'ignorer, mais il ne s'en inquiéta pas vraisemblablement. Au lieu de partir il avança et se positionna face à moi, des yeux amusés dirigés sur moi. Je l'observais embarrassée.
-Je t'ai dit « Bonsoir » il y a un instant, n'aurais-tu pas entendu ? Me demanda-t-il avec un sourire en coin, moqueur.
Je restais muette devant tant de toupet et regardait vaguement sa peau claire. Ses joues étaient creuses, non par maigreur mais parce que les os de ses joues étaient saillants et hauts. Sa mâchoire était légèrement carrée, son nez droit et son regard perçant. Ses iris verts, brillaient comme de l'émeraude qu'on lui aurait insérée à l'intérieur des yeux. Une couleur verte soutenue qui semblait s'assombrir selon le degré de luminosité, la couleur ne cessait de varier, de la lumière vive des néons, à la lumière plus faible des lampes d'éclairage près du bar. Ses yeux semblaient posséder tant de nuances et de tonalités que je m'y perdis un instant.
-Faut-il que je le redise ? Lâcha-t-il ambitieux, s'approchant un peu plus, le regard rivé sur moi.
-Non... Soufflais-je, gênée par la si fine distance qui nous séparait, je me sentais à l'étroit.
-Bien. Attesta-t-il ravi.
Alors il recula de quelques centimètres, restant face à moi, puis vint se placer à côté de moi, accoudé au bar, il était grand, une taille fine et élancée. Je l'observais succinctement, il portait une chemise blanche dont les premiers boutons étaient ouverts, surmontée d'une veste cintrée coupée dans du velours vermeille, et étrangement, la tenue sur lui était magnifique et faisait ressortir sa carnation opaline.
- Deux « sourires d'ange ». Asséna-t-il à la barmaid qui vint à lui.
La façon dont il prononça ces quelques mots français était mélodieuse, moi j'étais tout simplement abominable lorsque je parlais cette langue.
-Tu aime la vodka j'espère ?
Je l'observais, intriguée par ses drôles de manières. J'hochais la tête doucement.
-Pas très bavarde on dirait hein ?
Je me sentais de plus en plus mal à l'aise, sans savoir pourquoi, on m'avait déjà accosté comme ça, mais là, là c'était différent. Je ne répondis pas, j'avais l'impression d'avoir perdu ma langue.
-C'est bien ce que je disais. Amusa-t-il.
Il s'empara des deux verres que la serveuse venait de poser devant lui, la remercia brièvement d'un signe poli et avança l'une des boissons dans ma direction. Sa façon de m'examiner me gênait, il semblait toujours là, à m'observer, à l'affut, me sondant à chaque instant, je n'appréciais pas cette impression, qui à mon avis, n'en était pas une. Je commençais vraiment à me demander ce qui prenait tant de temps à mon frère, il n'était jamais là quand il fallait ! En attendant j'allais bien devoir me débrouiller seule. Toute seule.
-Merci. Fis-je en prenant mon verre.
-Tu attends quelqu'un ? Demanda-t-il, ayant surement remarqué que je venais d'observer à travers la foule.
-Mon grand frère. Dis-je en insistant sur l'adjectif « grand ».
Un sourire presque triste se figea sur ses lèvres, lui donnant un air accablé, puis il reprit son masque sur de lui et arrogant. J'étais étonnée de voir à quel point il pouvait paraître si humain et si déploré et l'instant d'après d'une beauté froide et d'un air étrange à vous faire peur.
-Tu es sure qu'il n'est pas là ? Reprit-il soudain, une lueur bizarre dans ses yeux verts.
Je lui jetais un air curieux, les sourcils surement froncés.
-Je sais à quoi ressemble mon frère quand même. J'avais été plutôt sèche pour le coup.
-Oui sans doute. Eluda-t-il froidement en buvant une gorgée rapide.
J'observais le liquide par-dessus mon verre, le faisant tournoyer légèrement.
-Et bien ? Bois.
Je lui jetais un coup d'œil puis porta le verre à ma bouche et le liquide presque sirupeux et fort vint me bruler la trachée lorsqu'il y coula. Je me demandais quelle âge il pouvait bien avoir, il avait l'air aussi jeune que moi à première vue, mais si l'on y regardait à deux fois ce n'était surement pas le cas. J'essayais alors d'établir secrètement son âge, sans trop y arriver. Vingt ans ? Non, beaucoup plus. Vingt-deux ? Non, plutôt vingt-cinq. Mais je n'en étais pas sur, encore plus avec cet éclairage-ci. Je bus une autre gorgé, passée la première, le cocktail ne me semblait plus aussi fort, mais plutôt sucrée, très sucrée.
-Comment t'appelles-tu ?
J'ôtais mes lèvres du verre et lorsque je tournais la tête vers lui, je vis qu'il m'observait avec soin. Est-ce que je devais lui dire ? Mentir ? Partir et lui balancer mon verre à la gueule ? Hum… Mauvaise option. Après tout ça n'était qu'un prénom, ça ne comptait pas vraiment.
-Elizabeth. Dis-je sans sourire. Il le remarqua.
-Je ne vais pas te manger tu sais. Il s'était penché vers moi avec un petit sourire en coin, farceur.
Je l'observai faire, et malgré moi, qui désirais me montrer impassible, je sentis un léger sourire amusé me trahir et grandir sur mes lèvres. Il se redressa visiblement satisfait, légèrement plus détendu.
-D'accord. Dis-je pour lui montrer que je cessais mon mutisme. Toi ?
-Moi ?
-Ton prénom.
-Daniel, je m'appelle Daniel.
Je l'avais regardé en lui posant la question, ce qui ce relevait être une mauvaise idée, il plongeait son regard arrogant dans le mien. Je vis qu'il avait finit son verre et qu'il observa le mien, il était encore à moitié.
-Deux autres. L'entendis-je dire à la serveuse qui vint prendre son verre vide. Elle acquiesça.
-Je n'ai même pas fini celui-là, et puis… Il me coupa.
-C'est moi qui régale. Lâcha-t-il avec son sourire enjôleur.
J'étais toujours mal à l'aise. Il y avait quelque chose dans sa façon de sourire qui m'inquiétait, trop beau pour être vrai sans doute. J'étais prise d'une envie de détaler pour qu'il cesse d'être avec moi.
-Je vais faire un tour dehors, voir si je trouve mon frère et ses amis.
-Tu reviens n'est-ce pas ? Son sourire crispé trahissait chez lui une grande nervosité.
-Bien sur. Mentis-je avec un air aimable.
-A tout de suite alors… Fit-il en plissant ses paupières ce qui me fit l'effet d'être transpercer par son regard et qu'il discernait clairement que je lui mentais.
-A tout de suite ! Répliquais-je en m'éloignant à la manière de Dylan tout à l'heure.
Je retrouvais la fraicheur au dehors du bar. Je pris une grande goulée d'air puis avançait de quelques pas, regardant aux alentours si je n'y trouvais pas mon frère au moins. Personne. J'avançais alors, me dirigeant vers le parking où nous nous étions garés à notre arrivée. Sur le chemin des bris de verre du lampadaire cassé à ma gauche se craquelèrent sous ma chaussure. Je frottais ma semelle contre l'asphalte pour enlever tous les morceaux de verre qui auraient pu s'y incruster et repris ma route jusqu'au parking. La Datsun n'y était plus. Je fis des allers retours entre les différentes allées du parking pour m'assurer que je ne m'étais pas trompé de place, mais non, la voiture était bien absente. J'étais même persuadée que nous nous étions garés ici même, à la place de cette longue BMW noire. Je restais là, perplexe à observer la voiture qui n'était pas celle de mon frère, ou alors elle avait drôlement changé ! Paniquée à l'idée que mon frère soit partit sans moi je plongeais mes mains sur mon visage inquiet, puis me ressaisit. Jamais Dylan ne m'aurait laissé toute seule dehors la nuit, ça j'en étais persuadée, et puis nos parents l'auraient tué pour un truc pareil. Il n'empêche que ni lui ni sa voiture n'étaient là désormais. Je songeais à rentrer jusqu'à chez moi à pied sauf que c'était beaucoup trop long et que je me perdrais certainement en cours de route. Et ce maudit portable que j'avais laissé à la maison ! Quelle parfaite idiote je faisais maintenant. Le vent nocturne commençait à me glacer les bras, je décidais donc de retourner voir dans le bar.
L'impression de chaleur, pire de moiteur, fut encore pire qu'à ma première entrée. On suffoquait ici. Les gens me bousculaient, ne faisant pas attention à moi tandis qu'ils dansaient entre eux. Je me frayais un passage et vis plus loin le bar, l'inconnu toujours près du haut tabouret que j'avais abandonné plus tôt. Je soupirais dans la foule, hésitant entre une tentative de rentrer à pied même si ça me semblait perdu d'avance, ou, aller lui demander de l'aide. Mais le fait est que j'avais beau me dire que j'avais le choix, je n'en avais pas. M'extirpant des danseurs, j'atteignis le bar, et il m'observa. Je pouvais presque lire de la surprise dans son regard. Puis, un sourire large, usurpait ses lèvres, lui donnant un air de manipulateur qui vient d'avoir une idée grandiose.
-Tu es donc revenue… Déclara-t-il doucement.
-Eum, oui, j'ai… Un problème. Avouais-je d'entrée.
-Oh... Murmura-t-il sans me lâcher de ses yeux de rapace. Mais je peux sans doute t'aider.
Je notais que c'était une affirmation et non une supposition.
-Mon frère a semble-t-il disparu… Sa voiture aussi. Expliquais-je, me sentant idiote d'avouer une situation pareille.
-J'ai une voiture, je te ramènerais… A… Une condition. Que tu m'accorde un peu de ton temps ici avec moi, ensuite nous rentrerons.
-On ne t'a jamais dit qu'entre « boire et conduire il faut choisir » ? Répliquais-je avec sarcasme.
-Je tiens merveilleusement bien l'alcool. Riposta-t-il avec un regard charmeur.
Je rougissais.
-Alors c'est oui ?
-Ais-je le choix ? Lui demandais-je.
-Je pense que non. Répliqua-t-il d'une voix ferme, mais un sourire doux était porté à sa bouche. Au fait, ton verre est là.
Il m'indiqua d'un geste léger et mesuré le verre derrière moi, posé sur le bar. J'y jetais un coup d'œil avant de le regarder lui.
-Tu veux à tout prix me faire boire ou je me trompe ?
-On s'amuse beaucoup plus lorsqu'on a bu. Tu ne pense pas ?
-Peut-être que je n'ai pas envie de m'amuser avec toi. Ripostais-je.
-Je ne te demande pas si tu as envie, c'est un ordre. Il était doucereux, trop doucereux. Et il me semble que je suis ton chauffeur ce soir donc…
-Donc je ferais mieux de t'écouter c'est ça ? Dis-je d'une voix dure.
-C'est à peu près ça oui.
Rageuse, je pris le verre et bu la moitié d'un trait avant de le faire claquer sur le marbre du comptoir, le fixant droit dans les yeux. Pour toute réaction il rit et me jaugea de ses yeux scintillants. J'étais révoltée. Comment pouvait-il me rire au nez alors que l'énervement se lisait sur mon visage !?
-Ne sois pas si… timoré. Dit-il buvant le fond de son troisième verre.
Je fis pareil avec le mien pour taire la colère qu'il animait en moi en cet instant précis. Je vis ses yeux, m'observer en coin.
-Un autre ? Demanda-t-il, ses yeux semblaient s'exprimer eux-aussi.
-Autant te faire payer un maximum. Lâchais-je acerbe.
-Deux autres !
La barmaid s'exécuta aussitôt. Moi, j'avais la tête qui tournait légèrement, j'avais bu rapidement, et je savais que les pires contrecoups se joueraient plus tard. Le regard un peu dans le brouillard je vis le verre qu'il me tendait et ne réagis pas tout de suite. Je le sentis alors s'approcher, me donnant encore plus chaud. Je pris le verre dans mes deux mains, sonnée soudain, il entrechoqua son verre contre le mien, d'un doigt sous mon menton, releva mon visage vers le sien, et déclara tout près :
-A cette soirée inoubliable… Je sentis l'odeur doucereuse de l'alcool qui émanait de lui, son haleine était sucrée, et enfin, un sourire effrayant étira ses lèvres humides.
Je me réveillais sans même me souvenir de l'instant où je m'étais endormie, et la lumière criarde d'une horde de néons m'aveuglait la vue. J'étais allongée à même le sol, un sol carrelé et sale, puis je me rendis compte que je me trouvais dans un des toilettes. Je ne bougeais pas, effrayée, tandis qu'une envie de vomir ahurissante m'empoignait l'estomac, ma tête, elle, allait exploser semblait-il. La porte n'était pas fermée, seulement poussée vers le loquet. J'entendais de l'eau couler, puis un bruit, un mouvement. Je n'étais pas seule. Au bord de la crise d'hystérie, je me recroquevillais contre la cuvette des toilettes et je distinguai sous la porte que quelqu'un venait dans ma direction, un sanglot nerveux m'échappa et la porte s'ouvrit d'un coup, j'hurlais.
-Tu étais moins bruyante quand tu vomissais tout à l'heure. Déclara-t-il avec sérieux, comme si la peur que je venais d'avoir ne le touchait pas. Tiens.
Il me tendit une serviette qu'il avait humectée d'eau. Je la passais brièvement sur mon visage fatigué. Je ne sais pas vraiment pourquoi, mais j'inspectai ma tenue, vérifiais qu'il ne manquait rien sur mon corps. Il remarqua.
-Qu'est-ce que tu crois !? S'énerva-t-il vivement.
-Rien, rien !
-Si je devais violer quelqu'un ça ne serait pas une fille en train de vomir, rassure-toi. Cru-t-il bon de me faire remarquer, de plus il était si sérieux qu'il m'était dur de voir s'il s'agissait là d'un sarcasme ou de la stricte vérité.
-Tu peux arrêter de me le rappeler s'il te plait ?!
- Avec tout ce que tu as bu ce n'est pas étonnant !
-A qui la faute !? Non mais je ne le crois pas ça. Je posais une main sur mon crâne douloureux. Ramène-moi chez moi, s'il te plait…
En guise de réponse il me souleva du sol et me ballota contre son torse ferme jusqu'à ce que je sente le vent froid sur mon visage et devine que nous étions sortis du bar. Le cauchemar serait bientôt finit.
C'était étrange comme sensation, car même si je percevais le vent sur mon visage, ses bras me soulever, la chaleur qui émanait de lui, ma vision et ma vue s'en trouvaient totalement altérées. C'était comme se retrouver sourd et malvoyant, un monde inconnu et invisible à vos portes sans que vous ne puissiez rien y faire. Il me déposa dans sa voiture, plaça mes jambes comme mortes dans l'habitacle, je sentis ma nuque tomber sur mon épaule, mes yeux fermés. J'avais mal au bout des doigts, une sensation bizarre, ça n'était pas du au froid, ce n'était pas la même chose. J'ouvrais mes yeux, clos jusqu'ici, avec une difficulté assommante et déroutante, plus les minutes passaient, plus mon corps paraissait ne plus vouloir me répondre. Il faisait bon dans la voiture, malgré ça j'avais froid, j'étais gelée en réalité. Je remarquais qu'il roulait déjà, paisiblement, observant la route de campagne mal éclairée. Je n'avais aucune idée d'où nous nous trouvions, il faisait trop noir dehors. Il me jeta un regard de côté, sa tête restant droite, ses doigts crispés sur le volant en cuir noir. La voiture était spacieuse, élancée, j'étirais mes jambes de plus en plus douloureuses et lourdes devant moi, il m'observa à nouveau, rapidement, je fronçais les sourcils.
-Tu connais la route ? Me risquais-je.
-Bien sur que je la connais. Répondit-il, de l'ironie dans la voix.
Je fixais la route de là le par brise, je ne reconnaissais rien, absolument rien. Mes cils venaient m'obstruer la vue, se fermant d'eux même, je les ré ouvrais presque colérique de ne pas réussir à contrôler mon propre corps.
-Qu'est-ce que c'est comme voiture ?
Je voulais me tenir éveillée, je ne voulais pas m'endormir ici, à côté de lui.
-Une BMW. M'expliqua-t-il simplement, d'une voix monocorde, sans même me jeter un regard cette fois-ci.
Je repensais à la voiture de la même marque garée à la place de la Datsun de mon frère. J'avais une impression désagréable, pire j'étais terrorisée sans avoir une réelle raison.
-Une BMW noire ? Demandais-je avec une fausse assurance.
-Il te suffit de regarder le capot. Me retourna-t-il froidement cette fois.
Elle était noire. Je voulus bouger ma jambe droite, la replier un peu vers moi, rien ne bougea. Je restais pétrifier sur mon siège. J'essayais discrètement avec l'autre. Elle resta également immobile, in déplaçable. J'eus envie d'hurler dans l'habitacle de la voiture mais me contenais. J'étais paralyser, me rendis compte que j'arrivais seulement à bouger ma nuque, bien qu'avec difficulté, et mes doigts bougeaient à peine, j'accomplissais ce qui me semblait un effort considérable pour soulever mon index et mon pouce. Son regard était à nouveau tourné vers moi avant de se tourner à nouveau sur la route.
-Tout va bien… ? Me demanda-t-il avec un regard brillant.
J'avais l'impression qu'il se moquait de moi.
-Tout va bien. Affirmais-je désirant garder mon sang froid le plus longtemps possible.
La sensation de paralysie était horrible, j'avais l'impression que ce corps ne m'appartenait plus. Je me sentais inanimée, engourdie, inerte, morte. Ma tête devenait lourde. Mes yeux teintés de fatigue, imprégnés par l'effroi, rencontrèrent l'un des panneaux directionnels au dehors : « Sortie 187 », plus haut il était indiqué : « Vers Mc Kinley St ». C'était comme si une sirène d'alarme venait de m'hurler aux oreilles, d'un seul coup. Nous n'aurions jamais du prendre cette route, j'habitais à l'extrême opposé. Je sentis son attention se poser sur moi à nouveau, un sourire étendu frappait ses lèvres pourpres. Je tournais la tête, ou plutôt, je voulus le faire, ça n'arriva pas. Mon visage resta immobile, ma tête droite, ne répondant plus. Un sanglot hystérique fit éclater la barrière de ma bouche nerveuse. Il rit doucement.
-Cataplexie. Déclara-t-il d'une voix claire qui sembla claironner dans l'habitacle de la voiture.
Une larme roula sur mon visage immobile, comme statufié.
-Perte brusque du tonus musculaire sans altération de la conscience. Récita-t-il en une allégresse sérieuse. Mais je pouvais le sentir, il jubilait.
Je vis du coin de l'œil qu'il sortait quelque chose de la boite à gant face à moi, un livre pas très épais qui semblait avoir vécu.
-« Le malade ne perd pas connaissance. Il est parfaitement éveillé et ses perceptions sensorielles sont normales, mais il reste cependant incapable de réagir à toute stimulation. Cependant les muscles autonomes, les organes vitaux, les organes sensoriels et les muscles oculomoteurs restent en activité. Ce qui fait défaut, c'est tout le tonus musculaire nécessaire au maintien du corps. Le sentiment d'impuissance vécu par le malade en cataplexie est parfois la source d'un trouble ou d'une panique intérieure qui alimente et maintient la cataplexie ». T'entends ça ?! Ria-t-il joyeux.
Je sentis mon cœur s'emballer sous mon corps inanimé. Je n'arrivais plus à parler, ma bouche refusait de s'ouvrir à présent.
-Dire que cette simple substance que j'ai utilisé peu faire des dégâts pareils, c'est très fort. Continua-t-il sérieux, comme si il avait avec moi une conversation normale.
Mes yeux semblaient pleurer tous seuls. Mes paupières semblaient être la seule chose qui pouvait bouger encore.
-Tu veux savoir comment on appelle ça ? Il se pencha vers moi, une main sur mon épaule. Il sourit. Bien sur que tu veux savoir.
Il prit un virage et je vis le panneau indiquer « N Federal Blvd/US-26E ».
-On appelle ça le Curare.
J'en avais vaguement entendu parler, et savais qu'autrefois, certains Amérindiens et Aborigènes l'utilisaient comme poison pour enduire leurs flèches. Mes yeux clignèrent une nouvelle fois, venant chasser les larmes se trouvant au bord.
-Par extension et pour faire simple… Poursuivit-il joyeusement, tu es totalement anesthésiée, tes muscles ne t'obéiront plus avant un bon moment.
Je ressentais en moi monter une agitation effrayante, une angoisse féroce me lacérait l'esprit. Ressentir un état de mal être si grand, une telle sensation d'oppression et d'enfermement dans mon propre corps, me donnait l'impression d'une mort imminente contre laquelle j'étais totalement impuissante.
-Mais ne t'inquiète pas trop, Badina-t-il, Nous rentrons à la maison, tu te sentiras beaucoup mieux demain matin.
Une plainte fut tout ce que je réussi à faire sortir d'entre mes lèvres closes.
-Bah alors t'as perdu ta langue ? Il éclata d'un rire réjouit.
J'éclatais en sanglots, hurlais la bouche fermée ce qui ressemblait au bruit que j'aurais probablement fait si l'on m'avait mit un ruban qui m'aurait obstrué la bouche. Il pouffa de rire, et je vis le reflet de ses dents parfaitement blanches dans le rétroviseur.
-Arrêtes, tu risque d'abimer tes jolies cordes vocales, j'aime le son de ta voix, je n'apprécierais pas que tu les abime. Déclara-t-il sérieusement.
Je continuais d'hurler à l'intérieur de ma bouche, c'était le seul moyen de lui montrer ma rébellion, s'il ne voulait pas que je le fasse alors je continuerais. Il crispa ses mains sur le volant, je continuais.
-Arrêtes-ça. Il était calme, en apparence.
Je continuais.
- Arrêtes ! Hurla-t-il, tournant son visage entièrement vers moi.
Je sentis une lumière m'aveugler, me foudroyant toute entière. Je fermais les yeux brusquement et sentis mon corps valser contre lui lorsqu'il manœuvra afin d'éviter le poids lourd que nous allions heurter de plein fouet. Le choc était d'une violence inouïe, je ressentais tout, les parois de la voiture s'affaisser sur moi, mon crâne frapper quelque chose, le goût du sang pénétrer ma bouche écorchée. Je m'immobilisais enfin. Lorsque j'ouvris les yeux, j'avais la tête en bas, la voiture s'était retournée dans sa course folle et nous étions dans un fossé en contrebas de la chaussée. Je voyais au dehors de la fenêtre brisée et du par brise, les hautes herbes traverser l'habitacle. Je ne sais pas pourquoi mais je réussis à tourner la tête, tout le reste de mon corps ne répondait toujours pas. Il n'était plus là, et malgré l'obscurité, je vis le sang sur les murs et parois de la voiture. Il y avait du vent dehors, un vent bruyant, qui semblait vouloir ne rien me laisser entendre. Mon bras droit me brûlait atrocement et je vis les morceaux de verre qui s'y étaient amoncelés, j'eus la nausée.
Je ne sais pas combien de temps je restais là, la tête en bas. Le temps vous semble long lorsque vous souffrez. J'entendis un râle de douleur, un râle colérique et rageur, j'avais peur, je voulais périr dans cette voiture plutôt que d'avoir à l'affronter lui. Mais je ne fus pas exaucée. Je le vis faire le tour de la carcasse de la BMW, oscillant légèrement. Il se baissa de mon côté, son visage était placide et toutefois emprunt d'une dureté effrayante. Ses mains agitées détachèrent ma ceinture et j'allais heurter le sol plus bas, un cri de douleur s'extirpa de mes lèvres. Il me sortit de la voiture, me traînant sans ménagement par le poignet, poignet du bras blessé en question, je crus qu'il allait finir par me l'arracher. Mes hurlements silencieux refirent leur apparition. Il me laissa retomber contre l'herbe humide, lui debout, droit, me jetant un regard furieux. J'hurlais de douleur, j'avais l'impression qu'on m'avait arraché le bras un peu plus en dessus du coude. Il s'agenouilla vers moi lentement, et déclara comme si nous reprenions simplement la discussion que nous avions dans la voiture :
-Je t'ai dit d'arrêter ça.
Mes yeux grands ouverts l'observèrent horrifiés, puis je vis son poing venir s'abattre sur mon visage. Plus rien à part le néant.
Plongée dans un sommeil si profond, cet état où votre conscience et votre vigilance n'ont plus le dessus, des images semblaient défiler devant mes yeux pourtant clos. Une sorte de, parade silencieuse, de souvenirs anciens que je croyais enfouis, oubliés. Ce coma irréel m'ôtait toute lucidité du monde extérieur, et ces rêves, comme si l'on avait modifié ma conscience, me faisant observer ces images, il y avait tout : l'aspect visuel était bien sur présent, mais aussi olfactif, tactile. En un mot, si réel. Je me souviens du parc où nous allions enfants, Dylan et moi, l'aire de jeux, près de la seconde entrée, entre les deux arbres presque toujours nus. Je me souviens et je vois la chaise en forme de trône, sculptée dans le bois batard, près du banc vert à la peinture défraichit. Nous y passions des heures. Je nous vois inventer des histoires à travers les pins maigrichons que nous prenons pour un immense bosquet remplit de mystère. Je nous vois passer dans la construction, crée pour les enfants de notre âge. D'abord je passe l'échelle, sur la gauche il y a le petit toboggan jaune et vert, avec ses gros boulons en plastique gris, je ne l'emprunte pas. Tout est si réel alors que c'était il y a déjà tant d'années. Ensuite, il y a cette espèce de passerelle, suspendue dans les airs par de la grosse corde noire. Dylan est derrière moi, je l'entends marcher, suivant mes pas de petite fille de neuf ans. Dans la petite tour, je suis une princesse et lui un aventurier qui n'a peur de rien. Il y a une seconde passerelle, avec des lattes en bois, simple, facile. Arrivés à la deuxième tour, mon frère passe devant moi, prend la descente de pompier le premier parce que j'ai le vertige, j'ai peur. Il m'attend en bas de ce qui me semble être d'une hauteur indomptable, les bras tendus. Je fais non de la tête et descends simplement par la petite échelle de corde nouée. Il me traite de « fille », je me moque de lui en lui disant que j'en suis une après tout. Nous jouons au loup, nous courons à travers les gens qui jouent au ballon près de l'herbe. On nous crie dessus et ça nous fait rire très fort. Je nous revois, cette fois où nous avions apporté un ballon nous aussi. Dylan porte son pantalon kaki en velours et le petit pull en laine bleu marine, je vois le col de sa chemise qui en dépasse. C'est l'hiver, papa et maman nous ont interdit de sortir dehors parce qu'il fait trop froid et que la neige a envahie notre sol. Mais nous avons désobéit, nous sortons en douce pendant que papa regarde la télévision et que notre mère est partit faire les courses dans la ville la plus proche. Je me souviens que lorsque nous étions rentrés, il faisait noir et nous étions mouillés et gelés jusqu'aux os. Ils nous avaient sacrément punis. Nous l'avions mérité je suppose. Je ne sais pas pourquoi, mais je sens que les images deviennent de plus en plus flous, respectant de moins en moins la véracité des faits passés. Je suis dans une pièce blanche, sans porte ni fenêtre. Dylan est en face de moi, il ne dit pas un mot. Nous nous observons calmement. Je vais me réveiller je le sens, c'est proche. Mes oreilles bourdonnent doucement, étrangement tandis que mon frère ouvre la bouche pour me parler, toujours du haut de ses dix ans. Je n'entends pas, mes oreilles sifflent trop fort, trop vite. Et la seule chose que je remarque avant de sombrer à nouveau dans la réalité, c'est la couleur de ses cheveux de petit garçon. Il n'a pas ses cheveux blonds clairs, presque platines, non. Ils sont bruns, d'une teinte soutenue, et les plus hautes mèches semblent refléter la lumière, qui peu à peu, s'évapore de mon rêve, en même temps que moi.
