Le jour se levait sur Toronto. On entendit au loin le clocher de la cathédrale sonner l'angélus. Dans les rues les balayeurs étaient déjà à l'œuvre. Les chevaux des premiers fiacres damaient vaillamment le pavé de la chaussée.

Julia se réveilla brusquement. Clignant des yeux pour s'habituer à la clarté naissante, elle fut toute surprise de voir l'univers familier de sa chambre. Elle se frotta les yeux pour voir si elle ne rêvait pas. Quand elle les rouvrit elle vit son armoire en bois précieux, sa coiffeuse avec son miroir ovale et aux fenêtres, les beaux rideaux couleur bois de rose assortis au velours douillet de ses deux fauteuils.

Un soupir de soulagement s'échappa de sa poitrine. Oui, elle était bien dans sa chambre ! Fini cette sordide cellule avec sa couchette si dure, ses barreaux noirs et nus, ses murs sombres et maculés par endroits. Fini ce couloir austère, ces portes métalliques qui, en claquant, la faisaient sursauter à chaque fois.

Heureusement, les gardiens l'avaient traitée avec respect, sans brutalité. Peut-être était-ce dû au fait qu'elle avait par le passé pu sauver la femme du surveillant de l'étage. Une méchante pleurésie l'aurait emportée si Julia n'était intervenue rapidement et avec efficacité. En remerciement, le couple lui avait apporté à l'hôpital où elle travaillait alors, une délicieuse pizza, spécialité de leur pays d'origine : l'Italie.

Julia s'étira longuement. Elle sentit alors combien ses muscles étaient meurtris et endoloris. C'était comme si on l'avait frappée. En fait, toutes ces émotions l'avaient profondément ébranlée. N'eût été William…

Un frisson parcourut alors tout son corps quand elle repensa à cette horrible corde qu'elle avait eue autour de son cou ! William l'en avait délivrée ! Un sentiment de reconnaissance et d'amour l'envahirent peu à peu. Quel homme fort et courageux ! Une fois encore son intelligence et sa perspicacité lui avaient permis de déjouer les plans machiavéliques de James Gillies !

Julia s'était cramponnée à William de toutes ses forces. Qu'importe le code de bienséance! Tout le monde connaissait maintenant leurs sentiments réciproques. Quel réconfort et quel sentiment de sécurité elle avait alors ressentis quand il l'avait serrée dans ses bras tout en lui disant d'une voix douce et rassurante que c'était fini maintenant. Elle avait pensé ne jamais le revoir et voilà qu'il était là son héros, son sauveur…

Gillies avait été mis en prison en attendant son jugement. Il avait tué Darcy… parce qu'elle aimait William. De nouveau Julia se sentit coupable. Le sort semblait s'acharner. Comment être heureuse avec William après ce meurtre ?

Comme pour ajouter à sa peine, Julia repensa aussi à la déception de William quand elle avait décliné sa proposition de dîner ensemble. Son cœur se serra à la pensée qu'elle l'avait probablement blessé et qu'il lui en voulait peut-être. Y aurait-il vraiment une autre fois pour eux deux ?

Toutes ces pensées douloureuses agitèrent Julia un long moment encore. Finalement elle se leva et alla se préparer dans la salle de bain.

Une journée difficile l'attendait. Elle devait se rendre ce matin au 693 Jarvis street, chez Darcy pour ranger ses papiers et mettre en ordre ses effets. La plupart seraient remis à sa famille. L'avocat de Darcy devait exécuter son testament.

Cette maison, Darcy venait de l'acheter. Julia s'y était arrêtée une fois pour remettre un document. Elle se rappelait combien elle avait été furieuse de voir que Darcy emménageait si près de chez elle. Il voulait sans aucun doute la mettre mal à l'aise, l'espionner, la provoquer ! Mais tout ceci n'avait plus beaucoup d'importance maintenant.

Emilie avait gentiment proposé de l'accompagner dans cette démarche. Quelle chance avait Julia de pouvoir compter sur une amie discrète et dévouée ! Emilie devait passer à 8 heures 30. Déjà 8 heures à la pendulette de la chambre ! Julia s'empressa de descendre au rez de chaussée pour aller se préparer une tasse de thé à la cuisine.

C'est alors qu'elle vit par terre, une enveloppe qui visiblement avait été glissée sous la porte d'entrée. Le cœur battant, Julia se pencha pour la ramasser, déjà effrayée à l'idée qu'il pouvait s'agir d'une mauvaise nouvelle.

Elle reconnut alors l'écriture caractéristique de William : des lettres franches et régulières. Pourquoi lui écrivait-il ? Fébrilement elle ouvrit l'enveloppe. Une délicieuse odeur de fleur des champs s'en échappa. Julia caressa délicatement les doux pétales de la fleur et ferma les yeux.

Elle se revit dans la campagne avec William quand ils se promenaient loin des regards indiscrets. C'était après cette enquête au magasin Eaton. La coupable était une vendeuse manipulatrice. William avait rassuré Julia en lui disant qu'elle seule (Julia) habitait ses rêves. Bras dessus, bras dessous ils s'étaient ensuite dirigés vers un petit coin tranquille où ils pourraient s'asseoir. William l'avait alors surprise par un tendre baiser sur les lèvres et il lui avait accroché une petite fleur des champs dans les cheveux…

Sourire aux lèvres, Julia ouvrit les yeux pour lire le message qui se trouvait dans l'enveloppe.

« Très chère Julia » lut-elle.

« J'espère que tu as pu prendre un peu de repos. Sache que j'attendrai tout le temps qui te sera nécessaire. Je suis si heureux que tu sois en vie. Je t'aime Julia. Cette petite fleur te rappellera je pense de doux souvenirs.

William »

Julia serra la lettre contre son cœur et murmura « je t'aime aussi William, de tout mon cœur ».

Deux petits coups secs frappés à la porte la firent sursauter. C'était Emilie, un peu en avance. Julia la fit entrer. Elles prirent toutes les deux une tasse de thé revigorante à la cuisine. Puis Julia ajusta son chapeau.

L'instant d'après elles étaient dans la rue. C'est à pied qu'elles iraient. Julia poussa un soupir. Elle appréhendait cette visite au domicile de Darcy.

Elle était loin de se douter qu'elle y ferait une étrange découverte…