Chapitre 1
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Un Guymelef, un Alseides bleu, tomba lourdement sur le dos dans un bruit sourd. Son cockpit s'ouvrit aussitôt et un soldat en armure bleue, sonné, s'extirpa difficilement de la machine qui se vidait de son liquide de démultiplication de force, sorte d'épais fluide violet et gluant.
Le Commandant de cette garnison regarda son soldat clopiner vers la forêt pour se mettre à l'abri puis il retourna à son combat.
— Meurs ! hurla-t-il à son adversaire en le chargeant.
L'immense Guymelef blanc qui se dressait devant lui brandit son épée et s'en servit pour parer les coups de griffe de Climer du Guymelef adverse. Celui-ci riposta à l'aide son autre main, elle aussi pourvue d'une griffe de Climer modulable à volonté, mais, là encore, le Guymelef blanc esquiva.
Du haut de la falaise, une jeune fille et une petite chatte humanoïde se tenaient debout, regardant avec angoisse le Guymelef blanc et un autre Guymelef gris se battre contre cinq Guymelefs bleus, et un rouge particulièrement acharné.
Hitomi Kanzaki, seize ans, les mains serrées sur son pendentif en forme de larme fait d'un éclat de Drag-Energiste, craignait de voir ses deux amis se faire blesser, voir tuer. Elle hésitait entre faire un souhait et renoncer en laissant les deux jeunes hommes risquer leur vie.
Finalement, elle ne fit rien mais elle garda ses mains près de son pendentif.
À son côté, assise à même le sol, Merle, une petite fille-chat de treize ans, regardait le Guymelef blanc aux prises avec l'Alseides rouge. Son Maître et Roi était aux commandes du Guymelef blanc et elle craignait pour la vie du jeune homme qui se remettait d'une blessure assez sérieuse infligée par le pilote du Guymelef rouge en personne, plusieurs jours en arrière.
Van Slanzar de Fanel, seize ans, Prince puis Roi de Fanélia, aux commandes d'Escaflowne, un superbe Guymelef blanc pouvant se transformer à volonté en un immense Dragon de métal, vengeait la destruction de son Royaume en infligeant de sérieuses blessures au Guymelef rouge, piloté par Dilandau Albatou, un jeune homme de seize ans, tyrannique, empli de haine et de destruction, qui ne pensait qu'à tuer et réduire en cendres pour son propre plaisir.
Aux côtés d'Escaflowne, un Guymelef gris combattait lui aussi les Alseides : un Shérazade, le Guymelef du Chevalier Céleste Allen Shézar, un jeune homme de vingt et un ans aux incroyables cheveux blonds comme les blés, au coup d'épée mortel et au pouvoir de séduction impressionnant.
Hitomi suivit des yeux un des Alseides bleus faire un vol plané, s'effondrer sur le sol de terre parsemé de rochers, puis elle reporta son attention sur ses deux amis.
Van évita la griffe de Climer d'un autre Alseides bleu et Allen en dévia une autre d'un coup d'épée tandis que Van en tranchait une troisième qui tentait de perforer le Cœur de Dragon, un énorme diamant rose, vital à Escaflowne.
Dos à dos, les deux Guymelefs amis combattaient l'Escadron du Dragon depuis plus de deux heures. Chaque soldat de Zaibacher était déchaîné, déterminé à exécuter les ordres. Van et Allen s'efforçaient de les empêcher d'exécuter ces ordres, à savoir ramener le Dragon Escaflowne et la Fille de la Lune des Illusions – Hitomi – à leur Empereur, le vieux fou Dornkirk.
Déviant deux griffes coup sur coup, Van jeta un furtif coup d'œil vers Hitomi et Merle, en sûreté sur leur rocher. Allen, lui, avait bien trop à faire avec trois Alseides bleus pour s'occuper des deux jeunes filles.
— « Dilandau ! » dit soudain une voix dans le Guymelef rouge. « La fille ! Occupe-toi de la fille ! Ils ne la surveillent pas ! »
Dilandau fit un pas en arrière pour supporter le poids du coup que Van venait de lui infliger et, tout en retenant l'épée, il regarda en direction du rocher où se tenaient les deux jeunes filles.
Se débarrassant de l'épée de Van, Dilandau leva son bras droit pour lancer sa griffe de Climer mais, au lieu de viser Van, il déporta son tir et visa Hitomi qui, percevant le bruit de la lance de métal, poussa un cri et se jeta sur le côté.
— Tu devrais avoir honte ! hurla Van. T'en prendre à une fille n'est pas digne d'un homme !
Dilandau ne répondit pas et il tenta une seconde attaque contre Hitomi. Furieux que la précédente ait échoué, il bouscula Van en donnant un grand coup d'épaule dans le Guymelef blanc qui dû reculer.
Faute de pouvoir rétablir son équilibre, Escaflowne trébucha et tomba lourdement sur le sol. Van se morigéna intérieurement mais, le temps qu'il se relève, Dilandau avait déjà ciblé Hitomi et sa seconde lance n'épargna pas la jeune femme. Enfin si, mais le Commandant de l'Escadron du Dragon avait fait en sorte, et il l'avait déjà capturée et ramenée à lui.
Repoussant l'épée de Van, l'Alseides rouge se détourna, fit quelques pas en arrière et son pilote remarqua le Guymelef de l'un de ses hommes sur le sol.
Quatre étaient debout et d'un geste, ils passèrent en mode vol et s'enfuirent en direction de la Forteresse Volante de Biwan, leur repaire, un gigantesque rocher flottant au sommet duquel on avait construit une forteresse.
Dilandau, tout en gardant un œil sur Van et Allen, ordonna à ses deux hommes de monter près d'Hitomi sur son bras avant qu'il ne s'envole à son tour et ne disparaisse de la vue des deux jeunes hommes.
— Et merde ! s'écria Van en transformant Escaflowne en Dragon.
Il sauta au sol et fut rejoint par Allen puis Merle.
— Pourquoi tu n'as pas surveillé Hitomi ! s'écria Allen en direction de Van.
— Quoi ? répliqua Van. Tu crois que j'avais le temps de la surveiller en ayant Dilandau sur le dos ? Tu n'avais qu'à le faire !
— Ça suffit ! s'exclama Merle. Taisez-vous ! Au lieu de vous disputer, vous devriez plutôt chercher un moyen de la ramener !
Van fusilla Allen du regard puis ils se tournèrent le dos et Merle soupira.
Depuis deux semaines, ils étaient si désagréables entre eux que la jeune chatte et Hitomi avaient toutes les peines du monde à les empêcher de se disputer.
Cette tension s'était déclarée un matin où, lorsque Van s'était réveillé d'une courte nuit à la belle étoile, il avait vu Hitomi, encore endormie, quasiment dans les bras d'Allen, lui aussi endormi.
Bien qu'Hitomi lui eût démenti s'être couchée près d'Allen la veille, le jeune Roi avait développé une antipathie envers le Chevalier.
Ce n'était que de la pure jalousie et Allen, d'habitude insensible à ce genre de manifestations, avait fini par répondre aux sarcasmes de Van et s'en était ainsi depuis deux semaines.
Merle soupira puis elle s'éloigna et Van la suivit. Allen suivit lui aussi, à quelques pas derrière les deux Fanéliens.
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Miguel et Daletto sautèrent du Guymelef de leur Commandant quand celui-ci fut à l'intérieur de Biwan.
Dilandau attendit que le liquide démultiplicateur se soit vidé de son cockpit avant de sortir et, sautant à terre, il se dirigea aussitôt vers Hitomi qui était à genoux sur le sol, encadrée par les six jeunes soldats de son escadron.
La saisissant par le bras sans aucune douceur, il la fit se lever et l'entraîna dans la Forteresse. Un sourire mauvais se dessina alors sur le visage tordu du jeune homme aux courts cheveux argentés et Hitomi y vit là un très mauvais signe.
Elle avait bien trop peur pour tenter de se débattre, et la puissance de la main refermée sur son bras lui faisait comprendre qu'elle n'avait aucune chance de s'enfuir. Elle s'étonnait cependant qu'un si frêle garçon puisse avoir une poigne si solide…
— Entre ici ! dit sèchement Dilandau en poussant la jeune fille à travers une ouverture faite dans un mur.
La porte coulissante s'était ouverte quand Dilandau s'en était approché et, jetant un coup d'œil en arrière, Hitomi remarqua que les six soldats en armure bleue restaient sur le seuil.
Sur un ordre de Dilandau, ils disparurent et la porte se referma.
Hitomi sentit aussitôt un violent frisson de peur l'envahir et lorsque Dilandau la poussa, elle trébucha et s'effondra sur le sol froid sûrement composé de métal. Elle se blessa aux genoux et aux mains et Dilandau ricana.
— Debout ! Aller, petite sotte, lève-toi ! cracha-t-il.
Péniblement et les larmes aux yeux, Hitomi se mit sur les genoux et se redressa. Elle vit alors en face d'elle une étoffe de tissu noir et, relevant les yeux, elle découvrit le visage du Général de la Forteresse : Folken.
Hitomi eut un brusque mouvement de recul et elle avala sa salive bruyamment. Le jeune homme se tenait debout devant elle et la regardait prétentieusement. Hitomi en eut un frisson, soudain une main lui attrapa l'épaule, la forçant à se relever.
Quand elle fut debout, Hitomi regarda Folken et celui-ci eut un sourire mauvais.
— Très bien, Dilandau. Pour une fois que tu fais ce que l'on attend de toi… dit-il.
Il marqua une pause puis ajouta :
— Pour la peine, je te la laisse, souffla-t-il. Fais-en ce que tu veux. Je ne ferais mon rapport à l'Empereur qu'à la prochaine lune. D'ici là, elle est à toi…
Cette dernière phrase arracha un sourire mauvais à Dilandau puis les deux jeunes hommes éclatèrent de rire glacial qui tourna le sang d'Hitomi en plomb. D'un geste, Folken fit alors venir un soldat qu'Hitomi reconnu comme étant Daletto, bien qu'elle ne connût pas son nom.
Sur un ordre de Dilandau, le soldat emmena la jeune fille avec lui, tout aussi indélicatement que son Maître, et il la traîna dans un long couloir éclairé de vert.
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Quand Daletto s'arrêta, ils avaient traversé ce qui semblait être l'étage entier à Hitomi. Elle avait mal partout, elle avait peur et elle était frigorifiée. Lui lâchant le bras, Daletto passa sa main sur le mur et une porte s'ouvrit en face de lui. Là, il poussa Hitomi à l'intérieur puis la porte se referma, laissant la jeune fille dans le noir. Une lampe s'éclaira ensuite, lorsque le verrou de la porte fut actionné, diffusant une faible lumière jaunâtre dans la pièce.
Terrorisée mais curieuse, Hitomi regarda autour d'elle et réalisa qu'elle se trouvait dans une chambre assez spacieuse, peu meublée, mais bien plus grande que ce qu'elle avait toujours imaginé être les cabines d'une forteresse de combat…
Le mur en face de la porte était gravé de signes et de dessins compliqués, et la tête d'un grand lit en fer forgé à baldaquin s'appuyait contre, de même qu'une immense armoire aux portes entrouvertes qui laissaient voir quelques vêtements impersonnels.
À droite de la porte, il y avait une table ronde avec deux chaises. Sur la table, une bouteille de vin entamée et un verre à pied étaient posés. Hitomi frissonna quand elle remarqua le poignard profondément enfoncé dans la bouteille de vin et elle détourna le regard.
À gauche de la porte, il y avait le mur qui rejoignait celui d'en face. Ce mur était lui aussi gravé de dessins complexes mais aucun meuble ne s'appuyait contre. Seule une porte masquée par un rideau noir se découpait dans ce mur et Hitomi hésita à bouger pour visiter.
Elle allait se décider quand la porte derrière elle, celle par laquelle elle était entrée, s'ouvrit. Se retournant vivement, la jeune fille découvrit Dilandau en face d'elle. Elle fit quelques pas en arrière et Dilandau entra dans la chambre. La porte se referma derrière lui sans un bruit. Son sourire avait disparu et il portait la veste de son armure à la main.
Dans un soupir, il passa à côté d'Hitomi, jeta la veste sur le dossier d'une chaise et se laissa tomber sur l'autre chaise. Il se servit un verre de vin qu'il vida d'un trait avant de remarquer enfin Hitomi qui, face à lui, le regardait faire sans bouger ni parler.
D'un œil jaugeur, il la regarda de haut en bas et Hitomi eut l'impression qu'il la déshabillait du regard. Elle en fut mal à l'aise et le garçon dû s'en rendre compte car un sourire amusé déforme son visage barré d'une vilaine cicatrice.
— Je ne vais pas te manger, tu peux respirer, tu sais, dit-il, sarcastique.
Le sarcasme était évident pour Hitomi mais cette phrase soulagea la jeune femme qui soupira profondément et croisa les bras.
— Que va-tu faire de moi ? demanda-t-elle alors. Je ne vaux pas grand-chose.
Dilandau haussa un sourcil puis se servit un second verre de vin et le vida. Un silence s'installa avant qu'il ne se décide à rependre la parole et sa voix fit sursauter Hitomi.
— Ce qu'un homme fait à une femme quand elle lui est offerte.
Les méninges d'Hitomi se mirent aussitôt à tourner à toute vitesse et, quand elle eut réalisé ce qu'il sous-entendait, elle recula d'un pas en prenant un air horrifié. Elle n'avait que seize ans, elle avait été déjà amoureuse, bien évidemment, mais elle n'avait jamais… L'idée lui donna la nausée.
— De quoi as-tu peur ? demanda alors Dilandau avec un sourire mauvais. On dirait une vierge effarouchée…
Il se leva et s'approcha d'Hitomi. La jeune fille du lever les yeux pour le regarder et, quand Dilandau lui empoigna brutalement le menton, elle se dégagea d'un mouvement de tête.
— Je ne te laisserais pas me toucher. Tu n'es qu'un…
— Silence, dit Dilandau en se détournant. Tu n'es pas autorisée à parler.
— Je me fiche bien de tes ordres, répliqua Hitomi, bien décidée à ne pas se laisser faire.
Un peu étonné qu'elle soit si rebelle, Dilandau haussa un sourcil puis il leva la main et s'apprêta à gifler la jeune fille qui ferma les yeux.
Attendant le coup, Hitomi garda les yeux fermés un long moment et, quand elle remarqua qu'aucune gifle ne l'avait assommée, elle rouvrit lentement les yeux et vit Dilandau debout devant elle, la main levée.
— Tu n'as pas peur de moi ? demanda soudain le jeune homme, étonné.
Hitomi le regarda dans les yeux et Dilandau baissa la main.
— Tu es bien la première personne qui ose me tenir tête, dit-il en retournant s'asseoir.
Il vida un troisième verre de vin et, regardant Hitomi, il reprit :
— C'est pourquoi je ne vais pas faire de toi mon jouet. Pour être franc, tu m'intrigues et j'ai bien envie d'en savoir plus sur toi… La Fille de la Une des Illusions… Qu'est-ce que le vieux fou peut bien te trouver, hein ? Tu n'as rien d'exceptionnel…
Hitomi en croisa les bras.
— À quoi cela va-t-il te servir d'en savoir plus sur moi ? demanda-t-elle. Je viens d'un monde que tu ne connais pas et que tu connaîtras sans doute jamais. À quoi cela va-t-il te servir de connaître ce monde ?
Dilandau se servit un nouveau verre de vin, mais il ne le but pas et se contenta de le regarder un instant, les lèvres pincées.
— Assied-toi donc… soupira-t-il alors.
Méfiante, Hitomi obéit néanmoins et, une fois qu'elle fut assise, raide comme un piquet, tout au bout de la chaise, prête à bondir au cas où, Dilandau lui montra son verre de vin.
— Tu aimes le vin ? demanda-t-il.
— Je n'y tiens pas, dit Hitomi. L'alcool de Gaia et moi ça fait deux.
— Tu as tort, dit le jeune homme en reprenant le verre. Ce sont de très bons alcools…
Il le vida puis le reposa sur la table et s'appuya contre le dossier de sa chaise en passant une jambe sur l'autre dans un grognement.
Hitomi remarqua que le soldat, qui portait une sorte de débardeur parme assez large et court, avait une estafilade sur le bras droit. La jeune fille devina aussi qu'il devait souffrir de la jambe ou de la hanche pour que simplement le fait de croiser les jambes lui tire un grognement de douleur.
— Laisse-moi soigner ta blessure, dit alors Hitomi, s'étonnant de son audace.
Dilandau la regarda puis il jeta un coup d'œil sur son bras qui saignait.
— Ce n'est rien, dit-il. Ça se soignera tout seul, comme les autres.
Hitomi faillit demander « Quelles autres ? » mais elle se ravisa et Dilandau ajouta :
— Personne ne s'est jamais soucié de moi de toute façon. Pourquoi commencerais-tu ?
— Peut-être parce que je ne suis pas comme « personne », dit la jeune fille en posant une main sur la table de métal.
Dilandau la regarda en plissant un œil puis il décroisa ses jambes, l'air intrigué.
— Je vois que tu souffres aussi de la jambe ou peut-être de la hanche… dit Hitomi.
— Et alors ? Je suis un soldat, j'ai l'habitude des blessures de combat…
Hitomi soupira intérieurement puis soudain, elle se leva, contourna la table et s'approcha de Dilandau par la droite. Emportant sa chaise avec elle, elle s'assit de façon à se trouver face à la blessure dont le sang avait séché.
— C'est une vilaine blessure, remarqua-t-elle.
Elle avança les mains mais Dilandau recula et lui prit les poignets.
— Tu… Tu me fais mal… dit Hitomi en serrant les dents.
— Qu'allais-tu faire ? Réponds ! Qu'allais-tu me faire !
— Mais rien ! dit Hitomi, au bord des larmes. Je voulais juste regarder ta blessure… Lâche moi ! Tu me fais mal…
Quelques larmes s'échappèrent des paupières étroitement serrées d'Hitomi et elle eut un hoquet.
— Lâche moi… Tu me fais mal, Dilandau… souffla-t-elle alors, les poignets douloureux.
— Quoi ? dit le jeune homme en la lâchant brusquement.
Hitomi se massa les poignets, le nez baissé, et renifla discrètement.
— Qu'as-tu dit ? demanda alors Dilandau. Répète !
La jeune fille le regarda, étonnée.
— Je t'ai dit de me lâcher… dit-elle doucement, apeurée.
— Non, après…
— J'ai dit ton nom, dit Hitomi. Pourquoi ? Je me suis trompée ?
Dilandau fronça les sourcils puis il croisa les bras et secoua la tête.
— Personne ne m'a encore jamais appelé par mon nom, sauf Folken…
— Je te l'ai dit, dit Hitomi. Je ne suis pas comme toutes les personnes que tu connais…
Dilandau plissa les yeux puis il se leva et s'éloigna. D'un geste, il repoussa le rideau noir qui masquait l'entrée d'une seconde pièce et disparut derrière.
Hitomi entendit alors des bruits d'eau puis une porte que l'on ferme et le jeune homme revint avec une boîte de fer blanc qu'il posa devant Hitomi. La jeune femme remarqua qu'il avait le visage légèrement humide. Il avait dû s'asperger d'eau pour se remettre les idées en place. Il se rassit ensuite sur sa chaise et regarda sa prisonnière.
— Fais vite.
Hitomi hocha vivement la tête et ouvrit la boîte, en sortit de quoi nettoyer et désinfecter la plaie et observa ensuite l'estafilade sur le bras du jeune homme.
Prenant un tissu imbibé d'une solution qu'elle supposa antiseptique à sa forte odeur, elle nettoya les bords de la plaie tout en guettant les réactions de Dilandau mais celui-ci regardait fixement devant lui et aucune expression de douleur ne passa sur son visage, même quand Hitomi enleva une saleté de la plaie en insistant un peu avec le tampon de tissu…
Il lui fallut une ou deux minutes pour tout bien nettoyer et quand ce fut fait, elle voulut continuer à enlever les saletés qu'il y avait à l'intérieur de la plaie mais Dilandau l'arrêta dans son geste par un grognement de douleur.
— Je t'ai fait mal, je suis désolée, dit précipitamment Hitomi.
— Ce n'est pas toi, dit Dilandau en la regardant du coin de l'œil. Ce sont mes autres blessures qui me font souffrir. Continue.
Hitomi se souvint alors qu'il avait aussi mal à la jambe gauche ou à la hanche.
— Je peux ?
Nouveau grognement de la part du jeune homme.
— Qu'est-ce que tu y connais ? marmonna-t-il.
— Pas grand-chose, en effet, dit Hitomi. Mais à défaut de te soigner, je peux te soulager de la douleur. J'ai passé un peu de temps avec les femmes des environs…
Dilandau la regarda en fronçant les sourcils.
— Fini donc ce que tu es en train de faire, on verra après, soupira-t-il.
Les choses ne se passaient pas exactement comme prévue et cela l'agaçait, mais il savait que s'il abimait la jeune fille, Dornkirk ne le lui pardonnerait pas.
Hitomi acquiesça silencieusement, posa le tissu rougit de sang sur la table puis prit une bande de tissu de coton dans la boîte de fer. Elle fit quelques tours autour du biceps de Dilandau avant de faire un nœud sur le dessus du bras.
— Voilà, dit-elle en reculant.
Le jeune homme posa sa main sur le bandage puis fronça les sourcils en serrant les mâchoires. Ses doigts se crispèrent sur son bandage.
Hitomi sentit de la douceur l'envahir et elle se leva, contourna Dilandau et se baissa de nouveau à sa gauche. Là, elle posa une main sur la cuisse du jeune homme qui baissa les yeux sur elle, surpris, mais ne dit rien.
La jeune fille déglutit difficilement puis elle avança son autre main et la plaça sur la peau de Dilandau, de façon à ce que son pouce puisse palper la hanche gauche.
— Tu as mal, là ? demanda Hitomi en regardant le jeune homme qui secoua la tête.
Hitomi passa ses autres doigts sur la hanche de Dilandau et, inconsciemment peut-être, il étendit sa jambe gauche.
— Et là ? demanda Hitomi en appuyant doucement sur l'os de la hanche.
Dilandau sursauta et Hitomi retira aussitôt sa main mais le jeune homme lui saisit le poignet et Hitomi reposa sa main sur le ventre du garçon.
— Oui, dit-il en serrant les mâchoires.
Passant sur le cuir du pantalon noir, Hitomi pressa d'autres points et Dilandau lui fit savoir qu'il avait mal sur certains d'entre eux mais pas tous. Au bout d'un moment, Hitomi laissa retomber ses mains et soupira profondément.
— Je me demande comment tu fais pour te tenir encore debout, dit-elle en se relevant. Tu dois souffrir le martyr à chaque pas…
— Comment l'as-tu deviné ? demanda Dilandau.
— Je pense que tu as la hanche gauche fêlée et de très nombreux bleus, répondit Hitomi en se levant. Il n'y a donc pas de médecins ici ?
Dilandau ne répondit pas et Hitomi grimaça.
— Lève-toi.
— Pardon ? demanda le jeune homme.
— J'ai dit lève-toi, Dilandau, répéta Hitomi. S'il te plait…
Elle tendit une main et attendit.
Hésitant entre obéir et lui faire payer son audace, Dilandau considéra la main tendue puis il finit par la prendre et la jeune fille le tira à lui pour l'aider à se lever.
Quand il fut sur ses pieds, Hitomi se glissa derrière lui et posa ses mains sur ses côtes, sous son t-shirt. Un frisson parcourut la peau de Dilandau.
— Si tu as mal ailleurs, il est temps de me le dire, lâcha alors Hitomi.
— Pourquoi fais-tu cela pour moi ? demanda Dilandau en se retournant. Je t'ai capturé, j'ai détruit Fanélia, Astria et des dizaines d'autres royaumes, je suis un soldat ennemi mais tu n'as pas l'air de t'en rendre compte.
— Oh, si ! s'exclama Hitomi. Je me rends parfaitement compte que tu es un ennemi. Mais un ennemi de Van et d'Allen. Je ne t'ai rien fait et tu ne m'as rien fait qui puisse justifier que je te haïsse… pour l'instant du moins.
Devant l'évidence de la chose, Dilandau hocha la tête puis marmonna.
— Soit tu es très naïve, soit stupide. Mais à part la hanche, je ne souffre nulle part ailleurs.
Hitomi hocha la tête puis elle toucha la hanche du jeune homme qui frissonna.
— Il faut t'allonger, dit-elle alors.
Hitomi passa ses bras autour de la taille de Dilandau et le garçon s'appuya sur elle en soupirant, soulageant sa hanche douloureuse.
Il était plus grand qu'elle, environ une tête et aussi plus lourd à cause de sa musculature de soldat, et Hitomi sentit rapidement qu'elle ne pourrait pas le soutenir longtemps.
— Allons-y, dit-elle en l'entraînant vers le grand lit sombre qui trônait au milieu de la pièce.
Dilandau n'offrit aucune résistance et Hitomi l'aida à s'allonger sur les couvertures noires. Il gémit de douleur et serra les mâchoires.
— Ça va aller ? demanda-t-elle. Il faut aller chercher un médecin ?
Le torse de Dilandau se soulevait régulièrement à chaque respiration et Hitomi laissa son regard glisser sur le ventre plat du jeune homme. Soudain, Dilandau redressa la tête et il passa rapidement ses mains sur les yeux en inspirant profondément.
— Ne te cache pas… C'est bête et inutile, dit Hitomi en lui prenant le poignet.
Dilandau la regarda et Hitomi lui sourit et leva la main. Elle voulut lui caresser la joue mais le jeune homme la repoussa. Hitomi recula sa main en baissant le nez.
— Merci… souffla alors Dilandau.
Hitomi esquissa un sourire et soudain une lampe rouge clignota au-dessus de la porte. Dilandau bondit sur ses pieds et Hitomi recula, surprise, et le regarda s'éloigner en boitillant.
— Hey, dit Hitomi en repérant la veste restée sur la chaise.
Elle s'en empara et s'approcha du jeune homme qui s'était retourné. Il la regardait durement mais Hitomi savait à présent que ce n'était qu'un masque.
— Tiens, dit la jeune fille en tendant la veste de cuir.
Dilandau la lui prit des mains et l'enfila prestement. D'un geste rapide, il la ferma et quitta la pièce d'un pas raide où on ne décelait plus aucune douleur.
À peine la porte refermée, Hitomi se laissa tomber à genoux sur le tapis en soupirant et elle regarda sa montre. Les aiguilles indiquaient qu'il était passé neuf heures du soir et la jeune fille se rendit alors compte qu'elle était épuisée, affamée et aussi terrifiée. Elle se roula en boule sur le sol et s'autorisa à pleurer…
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Le long du couloir, Dilandau était tout à ses pensées.
Je ne sais pas ce que tu cherches mais j'ai l'impression que je peux te faire confiance, Fille de la Lune des Illusions… Tu n'as pas peur de moi, on dirait. Tu te fiche bien de savoir que je suis bien plus fort que toi et que, si je le veux, je peux te tuer d'un simple coup de poing… Qu'est-ce que tu cherches ? Tu devrais être terrorisée, rien qu'à l'idée de m'avoir été offerte, mais non. Tu m'as soigné la blessure que j'avais au bras depuis deux jours… Personne n'a jamais témoigné autant d'estime pour moi. Pas même Folken qui m'a aidé à devenir ce que je suis à présent…
Il eut un petit rire muet, franchi un seuil et reprit le fil de ses pensées.
Pour la première fois de ma vie j'ai quelqu'un qui va m'attendre chez moi quand je vais rentrer d'un énième combat, sûrement contre Escaflowne, contre Van ou Allen, tes amis… Pourquoi ne cherches-tu donc pas à partir ? Tu sembles avoir envie de rester ici, dans cette maudite Forteresse Volante… ce tombeau…
Dilandau interrompit cette introspection intérieure quand il fut parvenu devant le bureau de Folken. Lorsqu'il fut autorisé à entrer, il découvrit le Général Zaibach debout devant la grande baie vitrée de la salle, enveloppé dans sa sempiternelle cape noire.
— Tu voulais me voir ? demanda le soldat à l'homme qui lui tournait le dos.
— Oui, dit Folken en se retournant. Comment se tient la fille ?
— Elle est terrorisée, mentit Dilandau avec un petit sourire mauvais.
Folken le regarda en fronçant les sourcils puis il hocha la tête.
— N'hésite pas à la frapper si elle te résiste, mais ne l'abîme pas trop quand même, notre Empereur en a besoin…
Dilandau ne répondit pas puis Folken lui fit savoir que l'Escadron du Dragon devait se tenir prêt pour l'aube afin d'attaquer une petite ville d'Astria vers laquelle se dirigeait actuellement la Forteresse Volante.
— Très bien, dit Dilandau en s'inclinant légèrement. Nous serons prêts.
Folken s'apprêta à faire signe à Dilandau de partir mais il ajouta :
— Au fait, deux machines ont été prêtées à tes hommes qui ont abîmé les leurs en attendant qu'elles soient réparées. Si elles sont de nouveau abîmées, tes hommes seront renvoyés à la capitale et bannis des rangs de l'armée pour une durée indéterminée. Tu seras également puni. Cela va de soit puisque que tu es leur chef…
Dilandau hocha la tête puis il prit congé de Folken et s'en retourna dans ses appartements.
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Quand il entra dans sa chambre, il chercha Hitomi des yeux et la trouva roulée en boule sur le tapis, au centre de la pièce, profondément endormie. Elle serra son pendentif dans sa main et ses sourcils étaient froncés.
Avec un soupir, le soldat ôta sa veste, la jeta sur le dossier d'une chaise sur laquelle il prit place avant de se servir un verre de vin et de le vider d'un trait. Au bout d'un moment, il se leva, souleva la jeune femme dans ses bras et alla la déposer sur le lit. Il rabattit le couvre-lit sur elle et alla s'installer sur le canapé en soupirant profondément.
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Quand Hitomi ouvrit les yeux, un courant d'air la fit frissonner. Elle se redressa sur un coude et regarda autour d'elle. Quand la mémoire lui revint, elle fronça les sourcils et se rallongea. Elle perçu alors des bruits dans la pièce masquée par un rideau qu'elle avait désignée comme étant la salle de bains.
Dilandau apparu alors, sortant de la petite pièce. Il était en train de lacer le cordon situé en haut de son T-shirt parme et, disciplinant ses courts cheveux d'un geste de la main, om enfila son armure puis il vida un verre de vin et quitta la pièce sans un regard à la jeune femme qu'il devait penser encore endormie.
Après s'être assurée, en attendant, immobile, que le jeune soldat n'allait pas revenir, Hitomi céda à la curiosité et, se levant prestement, décida de le suivre en silence. C'était une mauvaise idée et elle le savait, mais quand, au détour d'un couloir, elle tomba sur le sombre Général Folken, dos à elle, elle prit peur et se réfugia dans l'ombre d'une porte ouverte en retenant un couinement.
— Tu as compris ta mission ? demanda Folken à Dilandau en lui tendant un parchemin roulé.
— Oui, dit Dilandau en hochant la tête.
— Vous n'attaquez que si le Conseiller de cette ville refuse d'adhérer à Zaibacher, dit Folken.
— Et pour les habitants ? Je les fais tous tuer ? demanda Dilandau comme s'il s'agissait de jeter un journal ou un vieux papier.
— Ma foi, dit Folken en haussant les épaules. Une fois la ville détruite, ce seront des réfugiés. Si tu veux une ou deux femmes, sers-toi, les autres, tue-les.
Hitomi sentit l'horreur lui serrer le ventre en entendant les paroles des deux hommes et, pour son plus grand malheur, le hoquet de surprise qu'elle laissa échapper attira l'attention de Folken qui tourna la tête dans sa direction.
Hitomi plaqua aussitôt ses mains sur sa bouche en priant pour qu'il ne vienne pas vérifier ce qui avait fait du bruit, mais le Général Zaibach contourna Dilandau et s'approcha d'elle.
— Folken ? demanda Dilandau en pivotant sur lui-même pour suivre Folken des yeux. Où va-tu ? Qu'est-ce qu'il y a ?
Folken ne répondit pas et Hitomi poussa un cri quand la main droite du jeune Général jaillit de sa cape et se referma sur sa gorge.
— Tiens, tiens, dit Folken en tirant Hitomi de sa cachette, la soulevant de terre. Mais qui vois-je en train de nous espionner… Dilandau, ceci ne serait pas à toi, par hasard ?
Dilandau regarda Hitomi puis Folken, et la colère monta en lui. Les deux mains de la jeune fille étaient crispées sur le poignet de métal du Général et elle ne tarderait pas à manquer d'air s'il ne la lâchait pas bientôt.
— Mais que vais-je faire de toi, fille de la Lune des Illusions ? demanda alors Folken en serrant ses griffes. Hein ? Le Seigneur Dornkirk te veut, mais j'ignore pourquoi parce que tu n'es même pas jolie…
Folken plaqua soudain la jeune fille contre le mur et Hitomi laissa échapper un gémissement de douleur.
— Ici, nous n'aimons pas les fouineurs... reprit Folken entre ses dents. Et encore moins les fouineuses. Sais-tu ce que nous en faisons des espions ici ?
Hitomi déglutit difficilement et Folken lui fournit la réponse à la question en resserrant encore ses doigts sur la gorge de la jeune fille. L'air manqua aussitôt à Hitomi qui haleta en remuant les pieds dans le vide.
— Laisse-la, dit soudain Dilandau en approchant.
Folken regarda son soldat du coin de l'œil, surpris, et desserra légèrement ses doigts. Hitomi aspira une grande goulée d'air et toussa. Soudain, Folken soupira et lâcha sa prisonnière qui glissa au sol en se massant la gorge tout en tentant de recouvrer son air.
— Tu n'as pas à t'occuper d'elle, Folken, dit Dilandau en croisant les bras. Cette femme est à moi, tu me l'a offerte, c'est à moi de m'en occuper si elle désobéit.
Folken émit un grognement de dédain en relevant le nez. Il regarda Dilandau, puis Hitomi, avant de se détourner.
— La prochaine fois, Dilandau, elle mourra, dit-il en passant près du jeune soldat. Tu es prévenu. À présent, ramène-la chez toi et rejoins ta machine. Tu t'occuperas d'elle plus tard.
Il partit ensuite, se fondant dans les ombres et Dilandau se tourna vers Hitomi qui, à genoux sur le sol, le dos contre le mur, semblait attendre son sort.
— Debout, dit sèchement le jeune homme en s'éloignant.
Hitomi dû s'y reprendre à deux fois avant de tenir sur ses jambes puis elle suivit Dilandau jusqu'à sa chambre où il la poussa sans ménagement. Elle regrettait amèrement son audace à présent, la gorge en feu…
Trébuchant sur le tapis, elle s'étala sur le sol et Dilandau lui empoigna les cheveux pour qu'elle se relève. Il la fit asseoir sur le sol puis il la regarda durement, penché sur elle.
— Tu as de la chance que je sois pressé. Je réglerais ton cas en rentrant, siffla-t-il en la lâchant.
Hitomi baissa aussitôt la tête et se mit à pleurer. Sentant Dilandau s'éloigner, elle s'autorisa à le regarder mais ce fut une grosse erreur car elle reçut une gifle d'une puissance extraordinaire qui la sonna à moitié. Elle s'effondra sur le sol, et se roula en boule pour éviter un autre coup. Dilandau renifla ensuite et quitta la chambre à grands pas. Hitomi se mit à pleurer à gros sanglots, la joue brûlante, la gorge en feu, et nantie d'une peur qui la faisait trembler des pieds à la tête.
