Chapitre 1
Lisa Kemper était assise sur la banquette de pierre froide. Les genoux repliés sur sa poitrine mutilée, elle grelottait. Les prêtres qui l'avaient fouillée sans aucune pudeur à la recherche du moindre signe du diable sur son corps n'avaient pas jugé nécessaire de lui rendre ses vêtements. Ils l'avaient percée d'aiguilles pour tester sa résistance, Lisa n'avait apparemment pas hurlé assez fort, puisqu'ils avaient décrété qu'elle ne ressentait pas la douleur, et qu'elle était donc protégée par le Malin. Pourtant, cette douleur, la jeune femme la ressentait dans chaque partie de son corps. Le froid et l'humidité lui transperçaient les membres, le sang s'échappant de ses blessures coulait sur son corps, son visage et son crâne, qu'on avait rasé sans se préoccuper de savoir si on enlevait des cheveux ou des lambeaux de peau. Sa langue était gonflée par la soif, sa gorge râpeuse à force d'avoir tant crié de douleur et d'avoir manqué d'eau. Les membres du clergé l'avaient examinée trois jours durant. Et chaque jour, elle avait subit de nouvelles douleurs, de nouvelles horreurs, de nouvelles humiliations. Et aujourd'hui... Aujourd'hui serait sans doute la délivrance.
Soudain, un homme cagoulé ouvrit la porte lourde de la cellule, qui grinça sinistrement.
-Ton heure a sonné, sorcière ! fit-il dans un grognement.
Seul le désir de sortir le plus rapidement possible de cet horrible endroit la poussa à se tenir sur ses jambes. Elle monta l'escalier en titubant, s'écrasant les orteils contre les marches humides.
Enfin, elle vit la lumière, aveuglante pour ses yeux habitués à l'obscurité. Le soleil se levait, face à elle, au dessus de l'immense foule réunie au pied d'une estrade dressée pour l'occasion. Lisa sentit tous les regards tournés vers elle et tenta tant bien que mal de cacher sa nudité. Le bourreau la fit monter sur l'estrade, où elle reconnut, debout, lui faisant face, un des prêtres qui l'avaient mutilée. Instinctivement elle poussa un cri et se recroquevilla. Le saint homme eut un rictus cruel et lui jeta une tunique de toile épaisse et rêche qu'elle enfila à la hâte. Il ordonna ensuite au bourreau de l'attacher au piquet dressé sur le tas de paille.
Lisa sentit les larmes couler sur ses joues et ferma les yeux. Elle entendit au loin, dans la foule lui criant des injures, un cri de désespoir. Elle fut la seule à l'entendre et ouvrit les paupières pour en voir l'auteur. Raphaël Aeguira, son fiancé, hurlait et pleurait de toutes ses forces, essayant de traverser la place bondée pour atteindre l'estrade. Mais la foule était bien trop dense et, heureusement pour lui, bien trop bruyante pour que les gens, trop occupés à exprimer leur colère envers Lisa, ne l'entendent.
Lisa referma les paupières. Le prêtre somma le bourreau d'allumer le bûcher. Si seulement elle avait une baguette magique... elle aurait pu jeter un sortilège afin d'ôter la chaleur des flammes... mais sa baguette avait été brûlée, tout comme le reste de ses biens.
La fumée lui monta à la gorge et elle toussa, puis suffoqua, avant de s'évanouir. Sa tête roula alors sur ses épaules, et on entendit, dans la foule à présent silencieux, un « NOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOON!». Raphaël Aeguira s'effondra sur le sol en sanglotant comme un enfant. Quelques secondes plus tard, Lisa poussa son dernier souffle. Et une odeur immonde se répandit dans l'air, tandis que la foule avait les yeux rivés sur le bûcher, une lueur sadique allumant presque tous les regards.
William Gray, le meilleur ami de Raphaël, qui avait refusé de le laisser venir seul à la crémation de sa fiancée, le releva et le força à s'engager dans une des ruelles qui s'éloignaient de la place. Raphaël se laissa conduire, William le portait à moitié. Des larmes coulaient silencieusement sur ses joues. Lisa était son amie, et assister à ce spectacle avait été une horreur. Il avait bien tenté de dissuader son ami d'y aller, mais Raphaël n'en avait fait qu'à sa tête, et prévoyant sa réaction, il s'était fait un devoir de l'accompagner.
Le jeune homme prononçait des paroles incompréhensibles quand ils franchirent les murs de la ville pour se rendre dans la maison de William, qui se trouvait un peu à l'écart. William assit son ami sur le matelas de paille qui se trouvait dans un coin de l'unique pièce, raviva le feu et fit chauffer de l'eau afin de servir du thé à Raphaël. Celui-ci prit la tasse mais n'y trempa pas ses lèvres.
-Tu verras, Lisa, dit-il, les yeux dans le vague. Nous construirons une grande maison, nous aurons de beaux enfants et ils iront à Poudlard. Ils apprendront la magie pour tuer les moldus, tous les moldus, et les sorciers seront heureux !
Ca commençait donc. Raphaël, Raphaël qui était toujours si tolérant, se mettait à détester les moldus. Il délirait, oui, sans doute, mais William connaissait d'autres sorciers qui avaient perdu un membre de leur famille dans des conditions similaires, et beaucoup finissaient par devenir de véritables bouchers, par vengeance, ou par folie. Assis sur le matelas, Raphaël était pitoyable. William, qui l'avait connu beau, séduisant et intelligent était navré de ce spectacle. Il s'assit sur une chaise de bois et regarda distraitement son ami, se repassant sans cesse les plus horribles visions, les dernières qu'il avait eues de son amie. Soudain, Raphaël renversa sa tasse de thé sur ses genoux et se mit à sangloter. William prit une de ses tuniques, la posa sur le matelas et ramassa la tasse.
-C'est rien, c'est rien, Raph... Tiens, enfile ça, dit-il et lui tendant la tunique.
Il s'exécuta sur le champ. William le força à s'allonger en lui parlant calmement, et Raphaël s'endormit immédiatement.
