C'est une tache sur un tableau, une ombre, comme une douleur qui naît au creux de la poitrine sans qu'on ne parvienne à l'en déloger. C'est une angoisse qui se forme au gré d'une pensée, une obsession qui prend vie et s'accroche, un poison qui s'écoule.
Ce matin-là, Remus se réveilla avec la certitude que la journée n'allait pas être bonne. Il envisagea un moment de se rouler dans ses couvertures et de ne plus bouger, de rester là jusqu'à ce que son humeur s'améliore, jusqu'à ce que la guerre soit finie peut-être. Mais alors qu'il amorçait le geste de se replier sur lui-même, un soupir s'échappa de ses lèvres et il se leva. Rester au lit ne l'avancerait à rien.
Tandis qu'il repoussait les couvertures et s'asseyait sur le bord du matelas, il grimaça de douleur, fit jouer l'articulation de son épaule droite. La dernière transformation l'avait laissé meurtri. Depuis qu'il ne bénéficiait plus de la potion tue-loup de Severus, il avait l'impression que la bête se déchaînait davantage, laissant libre cours à sa rage comme jamais encore.
Le fait d'être un loup-garou était déjà assez pénible en soi à supporter mais il se trouvait toujours quelqu'un, quelque part, pour lui rappeler que c'était « la maladie honteuse ». Il ne comptait plus le nombre de fois où on l'avait regardé avec dégoût, celles où on l'avait carrément mis à la porte ni tous les emplois qui lui étaient passés sous le nez sans qu'il puisse réagir. Il ne comptait plus non plus ceux qui avaient ri de lui.
Le désespoir lui étreignit la poitrine et il enfouit sa tête entre ses mains. Depuis quelques temps, les choses allaient de mal en pis. Un soir où il était particulièrement déprimé, il avait fait le compte de tout ce qui n'allait pas, de tout ce qui le faisait réellement souffrir. Il avait commencé par le plus évident : sa condition de lycanthrope. Il avait été mordu alors qu'il n'était encore qu'un enfant et si, à l'époque, il n'avait pas bien compris l'ampleur de la tragédie, maintenant il en mesurait pleinement les conséquences.
De fil en aiguille, il en était venu à la conclusion que sa lycanthropie était la base de tout. A cause d'elle, il ne parvenait pas à décrocher d'emploi suffisant pour lui permettre de vivre convenablement et chaque fin de mois ressemblait aux autres, il devait se battre pour joindre les deux bouts. Il lui arrivait parfois de jeûner aussi, faute de moyens pour s'acheter de quoi manger. Le loyer de l'appartement lui coûtait une fortune mais il était hors de question de déménager. La cave privée qu'il avait ensorcelée pour y enfermer la bête une fois par mois était devenue vitale autant pour lui que pour tous ceux qui risquaient de croiser sa route.
Remus n'avait clairement pas les moyens de se payer l'appartement mais il avait tourné et retourné la question dans son esprit bien des fois et jamais aucune solution ne s'était présentée à lui.
Il se leva, enfila ses vêtement. Tous ses muscles semblaient vouloir protester au moindre geste qu'il effectuait.
Il boucla sa ceinture et soupira une fois de plus. Le cuir était usé depuis bien longtemps. En réalité, la majeure partie des vêtements qu'il portait était bonne pour la poubelle mais là encore, il n'avait pas particulièrement la possibilité de refaire sa garde-robe. Déjà qu'il n'avait pas les moyens de manger à tous les repas alors se rendre présentable, c'était tout à fait exclu. De temps en temps, Molly lui donnait des vêtements de ses garçons, la plupart du temps, ayant appartenus à Charlie. Mais Remus avait bien remarqué que certaines chemises ou certains pantalons étaient en trop bon état pour être de vieux vêtements.
Non seulement il culpabilisait parce que Molly et Arthur n'avaient pas particulièrement les moyens de vêtir convenablement leurs enfants mais encore en plus ça le gênait horriblement. Evidemment, ça partait d'une bonne intention et ce n'était certainement pas dans le but de lui rappeler qu'il n'avait pas la possibilité de subvenir lui-même à ses moyens. Mais c'était pourtant ce à quoi il pensait à chaque fois.
Il quitta la chambre d'un pas traînant. L'un des plus gros coups qu'il avait eu à subir avait été sa démission de Poudlard. Remus n'avait jamais vraiment eu la fibre enseignante mais la proposition de Dumbledore avait été la meilleure qu'il eut jamais eue au cours de sa misérable vie. Et puis il y avait fait la connaissance d'Harry. Pour la première fois depuis des années, il s'était senti utile, s'était senti revivre et parcourir les couloirs du château avait ramené à la mémoire de vieux souvenirs qui l'avaient fait sourire dans l'obscurité plus d'une fois.
Il y avait également retrouvé Sirius. Son opinion à son sujet avait longtemps été erronée et aujourd'hui, maintenant que son vieil ami n'était plus, il s'en voulait affreusement. Il connaissait Sirius depuis l'enfance, il aurait dû savoir qu'il n'aurait jamais trahi James et Lily…
James et Lily. Les pensées se bousculaient dans son esprit maintenant. Il avait fait le compte de ce qui l'avait le plus fait souffrir au cours de sa vie et la liste était interminable, bien trop longue à son goût. La mort de James et Lily lui avait semblé insupportable, des jours et des jours durant, il avait erré comme une âme en peine, abandonné et désespéré. Merlin, il avait même pleuré sur ce traître de Peter. Evidemment, à l'époque il ignorait tout de la supercherie de Peter.
Retrouver Sirius avait été pour lui une lueur au bout du tunnel. Le temps qu'il avait passé en sa compagnie lui avait semblé bien plus agréable. Il avait eu la sensation de pouvoir faire face au monde, de cracher au visage de ses blessures. Mais Sirius lui avait été enlevé à nouveau et tout s'était écroulé.
Il avait fait le tour de ce qui le faisait souffrir et la liste était longue. Chaque jour un peu plus, un nouvel élément venait s'y greffer.
