- On peut y retourner ! cria Ljana en poussant la porte de ma maison.
Je soupirai, puis levai mes yeux du livre de maîtrise des armes pour observer mon amie.
- Tu sais bien qu'on n'a pas le droit. Le Rathalos est toujours dans la forêt, donc on doit rester chez nous en attendant que les chasseurs s'occupent de lui, ajoutai-je.
- Mais les chasseurs viennent de revenir ! s'exclama-t-elle. Ça veut dire qu'on peut enfin y retourner !
Je réfléchis quelques secondes. Si les chasseurs étaient revenus au village, cela voulait dire que la chasse était terminée, et que le Rathalos était mort, ou au moins avait fui.
- Bon, on y va, mais on s'assure que c'est sûr d'abord, d'accord ?
- Évidemment, sourit-elle. De toute façon, je ne cours aucun danger si tu es avec moi, non ?
Je souris à mon tour. Je venais d'entrer à l'école de chasse, et j'étais encore loin d'être capable de dominer un grand monstre, mais l'entendre vanter mes talents ainsi m'emplissait de joie.
- Laisse-moi au moins prendre mon arme.
Je montai rapidement récupérer mon épée courte, même si sa seule utilité serait probablement d'impressionner les quelques Velocipreys suffisamment stupides pour venir nous déranger, puis redescendis retrouver Ljana.
- Je suis prêt. On y va ?
Quelques minutes plus tard, nous nous retrouvâmes à l'orée de la forêt. Aucun bruit inquiétant ne s'échappait de celle-ci.
- Tu vois, sourit Ljana, tout est calme, aucun danger.
Ljana, tout comme moi, avait 14 ans. Nous nous connaissions depuis notre plus tendre enfance et nous avions grandi ensemble. Elle mesurait un mètre soixante environ, c'est à dire cinq centimètres de moins que moi, et avait de longs cheveux auburn qu'elle attachait souvent en une queue de cheval. Contrairement à moi, elle n'était pas encore à l'école de chasse, mais ce n'était pas par choix : ses parents le lui avait interdit, par peur qu'il ne lui arrive quelque chose. Ljana était bien plus remuante que moi, et elle adorait se balader dans la forêt, comme nous étions sur le point de le faire aujourd'hui.
- Mouais. Tu sais bien que ça ne signifie rien, soupirai-je.
Quant à moi, j'étais bien plus posé et calme que Ljana. Je préférai toujours la réflexion à l'action, ce qui me valait de nombreuses moqueries de la part de mon amie. J'étais plutôt grand pour mon âge, mais je restais plus fin que la plupart des autres garçons. J'adorais aussi les ballades en forêt, simplement pour le fait d'être avec Ljana.
- Allez, ne me dis pas que tu ne veux pas y aller, murmura-t-elle en se collant contre moi.
Ljana savait que le contact physique était mon point faible et en jouait un maximum, ce qui la rendait encore plus attirante à mes yeux.
- Bon, on y va, mais tu restes près de moi, d'accord ?
Elle fit un bond de joie, avant de me déposer un rapide baiser sur la joue, me faisant passer à une couleur proche de celle d'une pivoine.
- Je t'adore ! s'exclama-t-elle.
Je souris à nouveau, puis nous entrâmes dans la forêt.
Quelle erreur.
En effet, dans les bois, tout semblait calme. Les oiseaux chantaient, les petits mammifères tels les Kelbis, des quadrupèdes de couleur vert foncé possédant de petites cornes, avaient refait leur apparition. Un Velociprey solitaire, un reptile bipède rouge et bleu d'un mètre cinquante de haut et de trois de long en comptant la queue, fit son apparition, mais il repartit bien vite en apercevant ma lame, sans même chercher à combattre. L'épée réalisait efficacement son travail de dissuasion, comme prévu. La présence des Kelbis ne signifiait rien, mais celle d'un Velociprey me rasséréna. Les petits carnivores évitaient de se montrer quand les grands étaient là, tout du moins c'est ce que j'avais appris des livres.
- Tu vois, sourit Ljana en s'accrochant à mes épaules, absolument aucun risque.
J'étais de plus en plus calme, la simple perspective d'une ballade tranquille en compagnie de Ljana me remplissait de joie et me calmait en même temps.
- Tu entends ce bruit ? murmura Ljana.
Je n'y avais pas fait attention, mais on entendait en effet un souffle, ou du moins un bruit semblable à un souffle, tout proche probablement et extrêmement puissant. En fait, vu la puissance, on aurait pu croire qu'il s'agissait du vent, mais celui-ci n'était pas assez fort.
- Oui, mais je ne sais absolument pas ce que c'est, répondis-je doucement.
- On dirait le souffle d'un monstre.
Exactement ce que je pensais et redoutais. J'avais déjà eu affaire à un grand monstre dans ma jeunesse, une Rathian, un dragon vert ailé et bipède d'une dizaine de mètres de long et cracheur de feu. Mes parents et mon jeune frère avaient péri, j'étais le seul survivant. C'était cet événement qui m'avait convaincu de devenir chasseur. Je préférais ne pas recroiser de monstre de ce genre avant d'être capable de l'affronter seul.
- Je suis d'accord, soufflai-je. Si on l'entend aussi fort, il ne doit pas être loin, ajoutai-je.
C'est alors qu'on le croisa, au détour d'un grand rocher qui le cachait à notre vue auparavant. Le Rathalos.
Il mesurait autour des quinze mètres, un grand spécimen de son espèce. Son corps était entièrement rouge, recouvert d'écailles résistantes. Sa queue s'achevait par de nombreuses pointes extrêmement tranchantes. Ses deux grandes ailes semblaient encore efficaces, bien que l'une soit en partie en lambeaux. Des cicatrices sur tout son corps témoignaient de son âge et des combats qu'il avait menés, la plus impressionnante se trouvant certainement au-dessus de son œil droit, en forme de croissant. Cependant, certaines plaies étaient encore ouvertes, signe qu'il avait mené l'un de ces combats récemment.
- Le... Le Rathalos, souffla Ljana, comme hypnotisée.
Il dormait pour le moment, mais il ne tarderait pas à se réveiller si nous restions si proches de lui, rien qu'avec notre odeur. Le Rathalos possède un odorat suffisamment développé pour se rendre compte de la présence de proies possibles proches.
- On doit partir, murmurai-je rapidement. Et silencieusement, sinon il se réveillera.
Mais Ljana semblait comme absorbée par la vision de ce monstre, que les chasseurs étaient censés avoir éliminé.
- Ljana, vite ! m'exclamai-je.
Devant son absence de réaction, je lui pris la main et commençais à courir. Ce geste eu pour effet de la réveiller, mais elle se prit les pieds dans une branche. Le bruit fut suffisant pour alerter le Rathalos, qui ouvrit un œil de la taille de ma tête et étira ses ailes en se relevant. Le voir s'éveiller et se lever nous paralysa, et nous restâmes devant le dragon tandis que celui-ci s'étirait tranquillement, avant de s'apercevoir de notre présence. Il se rapprocha doucement de Ljana, l'air plus étonné que menaçant. Il renifla à quelques dizaines de centimètres de la tête de mon amie, de la fumée sortant de sa bouche, et je me maudissais de ne pas réussir à bouger pour la protéger. Il rapprocha ensuite son œil droit des miens, et émit un grognement qui ressemblait à un rire. Puis il s'éloigna.
Nous restâmes immobiles un long moment, une dizaine de minutes, peut-être plus, je n'en savais rien. J'étais choqué, autant par cette rencontre que par le regard qu'il m'avait lancé, par ce rire, et surtout par le fait qu'il nous ait laissés partir. Nous étions vivants.
Finalement, Ljana et moi nous retournâmes exactement au même moment, et nous éclatâmes de rire. La pression de cette rencontre effacée, nous nous retrouvâmes dans les bras l'un de l'autre, partagés entre le rire et les pleurs. Nous nous écartâmes finalement, soulagés et épuisés.
- J'ai bien cru que j'allais te perdre, murmurai-je.
- Et moi donc, sourit-elle. J'étais effrayée.
Je souris à mon tour. Elle avait eu peur de me perdre.
Pendant ce temps, au village
- Chef, chef ! s'exclama le chasseur principal.
Boron venait de revenir de la chasse au Rathalos, épuisé, mais ce n'était pas terminé.
- Que se passe-t-il, Boron ? interrogea l'intéressé.
Celui-ci était le chef du village depuis la mort de son père, il y a douze ans, de vieillesse. Il avait déjà fait face à plusieurs crises, y compris celle de la mort de la famille de ce jeune garçon, six ans plus tôt, d'une attaque de Rathian.
- Un problème lors de la chasse, chef, souffla Boron, épuisé.
- Que s'est-il passé ?
- Le Rathalos, chef. Il n'y en avait pas qu'un.
Le chef marqua un instant de surprise devant la nouvelle.
- Deux Rathalos dans la forêt, tu en es sûr ?
- Non, chef, répliqua Boron. Trois Rathalos dans la forêt.
Nous repartîmes tranquillement de la forêt, plus calmes depuis que le Rathalos nous avait laissés partir. Je me demandai pourquoi le grand dragon ne nous avait pas attaqués, mais la joie d'être en vie me suffisait pour garder mes questions pour moi. Nous étions tellement heureux de cet événement que nous ne ignorions toutes les sensations alentours, que ce soit l'absence soudaine de bruit ou l'odeur de brûlé qui se faisait de plus en plus forte. Au détour, d'un grand sapin, nous marquâmes un arrêt devant le corps calciné d'un Aptonoth. Ces grands herbivores, mesurant environ cinq mètres et semblables à d'anciens dinosaures sont extrêmement paisibles, et sont des proies pour de nombreux chasseurs, animaux ou humains. Le corps était entièrement brûlé, et je m'approchais de lui avant de tâter les restes de peau, encore chauds.
- C'est récent, murmurai-je.
- C'est probablement le Rathalos qu'on a croisé, répondit Ljana, confiante.
- Non, répliquai-je, attentif aux bruits alentours. Il est parti dans l'autre sens, et le corps est encore brûlant. Il y a un autre Rathalos proche.
Ljana se crispa instinctivement. Elle était encore choquée de sa rencontre récente avec le Rathalos, et je n'étais pas sûr qu'elle puisse tenir mentalement à un nouveau contact.
- Nous devons partir, soufflai-je rapidement, et vite.
Mais il était déjà trop tard, et le souffle du grand dragon sur mes épaules me le fit ressentir. Je fis lentement demi-tour, les mains éloignées de mon arme pour qu'il ne se méprenne pas sur mes intentions, et me retrouvais face à deux immenses yeux bleus bien plus menaçants que la première fois. Un cri étouffé de Ljana me fit me retourner instinctivement : mon amie faisait aussi face à un Rathalos. Trois Rathalos dans la forêt. Le village devait être en état d'alerte, et c'est pour ça que les chasseurs étaient rentrés si rapidement. La chasse n'était pas achevée, ils avaient juste rencontré un problème trop important pour pouvoir l'achever sans problèmes. Je me maudissais intérieurement : j'avais manqué de prudence, et maintenant Ljana était en danger par ma faute. Il était impossible de combattre les dragons, la seule solution était de leur montrer un respect suffisant pour qu'ils nous laissent partir.
- Chef, nous devons éliminer ces Rathalos,tempêta Boron.
Le chef du village resta calme devant le chasseur.
- Nous ne savons pas s'ils ont l'intention d'attaquer le village, Boron. Et nous ne pouvons pas les éliminer, nous n'en avons pas les compétences, fit-il remarquer.
- Mais il n'y a aucune autre solution ! s'exclama le chasseur. Si nous les laissons s'établir aux abords du village, qui sait ce qu'il peut se passer ?
Le chef grimaça. Il sentait d'instinct que rien ne se passerait s'ils laissaient les dragons en paix, mais que se passerait-il si quelque chose de grave arrivait ? Il se sentirait responsable, et il savait ce que cela était, il l'avait déjà vécu.
- Très bien, soupira-t-il finalement. Prenez autant de chasseurs que vous le souhaitez, mais prenez un minimum de risques. Je refuse de perdre qui que ce soit dans ce village parce que vous avez voulu jouer au héros.
Boron sourit. Il allait enfin pouvoir prendre sa revanche.
Je commençai à m'écarter du monstre sans le moindre signe d'animosité, mais celui-ci me suivait constamment à faible distance, comme si j'étais une proie avec laquelle il jouait. Je savais qu'il ne me laisserait pas partir si je me comportais comme n'importe quelle proie habituelle, alors je fis ce à quoi il s'attendait le moins : je m'approchai de lui et caressai son museau, ce à quoi il répliqua par un grognement que je ne parvins pas à interpréter. Voyant qu'il ne tentait pas de m'arracher le crâne, je continuai, priant pour qu'il continue à se laisser faire. Le Rathalos se laissa faire quelques minutes, puis s'allongea au sol en émettant une sorte de ronronnement de plaisir. Je stoppai mes caresses pour voir où était Ljana, mais un grognement énervé et un regard foudroyant du dragon rouge me convainquit de reprendre les caresses. Je repris donc sous la contrainte, et lançai un regard vers mon amie. Celle-ci semblait émerveillée par les reflets rougeoyants du coucher de soleil sur les écailles du Rathalos, et avait entrepris la même technique que moi pour éviter d'être dévorée. Nous restâmes ainsi une bonne heure, auprès des Rathalos, qui semblaient s'être habitués à notre présence et demander toujours plus de caresses. Finalement, nous réussîmes à nous écarter des dragons, et cela semblait les attrister un peu, afin de repartir. Nous étions étonnamment calmes, comme si les deux rencontres consécutives avec ces immenses dragons nous avaient vidés de toute énergie.
- Écartez-vous d'eux ! cria soudain une voix.
Nous nous retournâmes pour apercevoir trois, non, quatre chasseurs, qui venaient d'apparaître dans la clairière. Ils étaient les chasseurs qui étaient rentrés quelques heures plus tôt au village, lorsque nous étions partis pour la forêt. Ils étaient apparemment revenus pour achever la chasse qu'ils n'avaient pu que commencer, du moins cela semblait-il ainsi.
- Boron, ce n'est pas la peine ! criai-je.
Boron était le chasseur en chef, un homme nerveux d'une trentaine d'années qui avait un compte à régler avec des Rathalos. Sa femme avait été tuée lorsqu'un groupe de chasseurs avait tenté d'éliminer une colonie pacifique de ces dragons. Il faut savoir que toutes les créatures vivantes sur cette planète ne sont pas agressives, pas même au sein d'une même espèce. En tout cas, sa femme, vivant dans un village proche de la colonie de Rathalos, avait été tuée par l'un des dragons lors de l'attaque, et Boron avait passé les dernières années de sa vie à chercher l'une de ces créatures afin de se venger. De plus, il avait toujours haï mon père, un ami proche de sa femme, qui possédait le calme et le charisme que Boron n'avait pas. Après sa mort, Boron avait transposé sa haine sur moi, sans raison aucune.
- Tu ne sais pas de quoi tu parles, gamin ! répliqua-t-il. Ton amie va se faire dévorer si vous restez là, alors barres-toi vite !
Boron ne comprenait pas qu'un monstre puisse être pacifique, et c'est pour cela qu'il risquait de nous faire tuer, ici et maintenant. Je me plaçai devant le Rathalos que je connaissais depuis à peine quelques heures et que je m'apprêtai maintenant à protéger contre un chasseur de mon village, une situation à peine croyable.
- Ceux-là ne sont en aucun cas responsables de la mort de ta femme ! criai-je. Et les tuer ne te la rendra pas !
- Tu ne comprends rien, mon enfant, grimaça Boron. Bouge de là ou je donne l'ordre d'attaquer.
L'un de ses hommes plaça son fusarbalète en position de tir, attendant les instructions. Il me semblait impensable que le chasseur puisse tirer sur des enfants du village qu'il était censé protéger, aussi restai-je devant le dragon jusqu'à ce que l'ordre soit donné.
La flèche rasa mon oreille gauche et frappa le Rathalos dans la patte droite. Il me repoussa d'un coup de museau et hurla, avant de viser d'une boule de feu le tireur qui eut à peine le temps de rouler sur le côté pour esquiver. L'autre Rathalos cracha une seconde boule de feu, puis serra Ljana dans ses serres avant de s'envoler.
- Ljana, non ! hurlai-je, avant qu'un coup de pied de Boron ne m'envoie au sol.
Le second dragon s'envola à son tour, tandis que Boron se rapprochait de moi et m'envoyait un autre coup de pied dans les côtes.
- On va avoir une petite discussion, toi et moi, ricana-t-il, avant d'ordonner au tireur de m'envoyer une munition anesthésiante, tâche dont il s'acquitta sans le moindre froncement de sourcil.
Je me réveillai quelques heures plus tard dans une cellule, probablement celle qui avait été aménagée quelques semaines plus tôt dans la maison du chef du village.
- Enfin réveillé, à ce que je vois.
Je me relevai de ma position assise pour me tourner vers le chef, qui se trouvait assis sur une chaise dans un coin de la pièce. Je me demandai depuis combien de temps il se trouvait ici, puis essayai d'ouvrir la bouche, mais aucun son ne sortit. Il me tendit une gourde d'eau en souriant.
- Tiens, bois.
J'avalai l'équivalent d'un demi-litre d'eau avant de m'arrêter.
- Je suppose que tu sais pourquoi tu es ici, mon enfant, commença-t-il.
À vrai dire, je n'en avais aucune idée. Je veux dire, aider un monstre était probablement un crime, mais aller jusqu'à mettre un enfant en prison ?
- Boron m'a rapporté ce qui s'était passé dans la forêt, enchaîna-t-il.
- Et qu'a-t-il dit ? articulai-je rauquement.
Le chef m'observa longuement, comme s'il cherchait à lire dans mes pensées.
- Selon lui, par ta faute, la jeune fille nommée Ljana a été emmenée par des Rathalos et est probablement morte à l'heure qu'il est.
J'étais abasourdi. Boron était celui qui avait agressé les Rathalos, et il me rejetait la faute dessus ? Je m'apprêtai à répliquer, puis la fin de la tirade du chef me revint en mémoire.
« Ljana est probablement morte à l'heure qu'il est. »
Je réprimai un frisson de dégoût, puis vomit sur le sol de la cellule. Le chef m'observa sans sourciller.
- Je m'en doutais, soupira-t-il. Je suppose que c'est par la faute de Boron qu'elle a été emmenée, n'est-ce pas ?
Il prit mon absence comme un assentiment et continua.
- Cependant, je ne peux pas le prouver, et les lois sur la complicité et sur l'aide apportée aux monstres sont très sévères, je suppose que tu le sais.
Je le regardai à mon tour. Il semblait désolé, mais je savais que sa position de chef l'empêchait de remettre en doute la loyauté des habitants du village, du moins ouvertement. Il me croyait, mais il ne pouvait pas m'aider.
- Je m'en doute, soupirai-je. Vous me croyez, au moins ?
Il me regarda longuement, puis acquiesça.
- Je connais Boron depuis longtemps, et je sais ce dont il est capable. Il mentirait à propos de n'importe quoi s'il estimait que cela l'aiderait, grimaça-t-il.
Il m'observa une dernière fois.
- Au fait, sembla-t-il se rappeler, la cérémonie de ton bannissement aura lieu demain.
J'avais beau être au courant des lois, entendre de la bouche du chef de village que j'en serai exclu demain me laissa un goût amer dans la bouche.
- Au vu du crime que tu es supposé avoir commis, tu aurais du être condamné à mort, mais j'ai fais en sorte de commuer ta peine en exil, malgré la farouche opposition de Boron.
Puis il sortit.
Le lendemain, je me retrouvai sur la place principale du village, devant tous les habitants que je connaissais depuis si longtemps et qui m'observaient comme un étranger.
- Conformément aux lois du village, et au vu du crime qu'il a commis, à savoir apporter son aide à un monstre, ce qui s'est traduit par la disparition d'une jeune fille du village, l'accusé, …
Plutôt que de m'intéresser aux paroles de mon bourreau, l'un des acolytes de Boron, je cherchai du regard la famille de Ljana, qui m'avait permis de survivre pendant les dernières années après la perte de ma famille. Je les trouvai finalement au fond de l'assemblée, sa mère en pleurs et son père le regard perdu. Le regard accusateur de son frère finit de me détruire, et je restai tant bien que mal debout tandis que l'énoncé de mes crimes et de ma sanction se faisait devant moi.
- Par conséquent, l'accusé est aujourd'hui condamné à être excommunié sans possibilité aucune de retour au village. Accusé, avez-vous quelque chose à dire ?
Je réfléchis quelques secondes, puis je secouai la tête. J'aurais voulu dire que j'étais innocent, que ce n'était qu'un coup monté, une haine que me vouait Boron et qu'il avait vouée plus tôt à mon père, mais je savais que cela ne servirait à rien. Alors je me tus. Et, quelques minutes plus tard, je quittai le village qui m'avait vu naître et grandir, qui avait vu ma famille mourir, et dans lequel j'avais perdu ensuite la personne la plus chère à mes yeux.
