Disclaimer : l'univers dans lequel se situe cette fic est la propriété intellectuelle exclusive de J.K.Rowling, de même que l'Académie de Magie Beauxbâtons. Le reste est issu de mon imagination tordue, vous ne rencontrerez ici principalement que des personnages originaux.

LES CHRONIQUES DE BEAUXBÂTONS

--0-[-

-(Le Départ)-

C'était la plus belle journée que Paris avait connu depuis une centaine d'années : le ciel était d'un gris perle, le fond de l'air était presque tiède et les vapeurs de pots d'échappement stagnaient au sol sans remonter à hauteur de nez. Plusieurs citadins paniqués pointaient du doigt, du haut de leurs balcons, une petite portion du ciel à la teinte inexplicablement bleuâtre : des choses étranges se passaient, des choses qui jamais ne s'étaient produites auparavant. Redoutant dans cette tâche d'azur une quelconque pluie acide inconnue, les mères de familles ordonnaient à leurs enfants de rentrer à la maison pour se protéger de cette nouvelle et macabre pollution ; bientôt, cédant à la panique, elles téléphoneraient à la gendarmerie pour prendre connaissance des mesures d'urgence à prendre. Peu à peu, avec une lenteur oppressante, la terreur s'abattait sur la capitale.

C'était une coïncidence intéressante de voir ce jour-là précisément Théo arpenter l'avenue Charles Gide, car son programme de la journée prévoyait diverses activités propres à réveiller le même climat d'anxiété horrifiée que celui qui saisissait les Parisiens à l'heure même. Non pas que Théo partageait leur crainte face à ces changements climatiques jamais rencontrés auparavant à Paris ; il habitait Dijon, et cette particularité l'avait conduit à déjà rencontrer bien d'autres phénomènes paranormaux aux yeux d'un habitant de la Ville Lumière : des températures atteignant les trente degrés, des arbres fleurissant mystérieusement dès Mars, d'étranges animaux à queues touffues se baladant dans les fourrés des noisettes dans les pattes… Non, car si l'emploi du temps de Théo devait plonger ces autochtones dans un état de stupéfaction comparable, c'était bien pour une autre raison :

Théo était un sorcier.

Théo était un sorcier, et il ne le savait que depuis le milieu de ses dernières vacances d'été, et il devait se rendre à Dieu sait quel secret rendez-vous en plein Paris pour passer une année pleine en internat dans une Académie de magiciens, cloîtré pour apprendre à faire chanter la symphonie pastorale de Beethoven à des poivrières. C'était effectivement presque aussi inattendu et inconcevable qu'un mètre carré de ciel bleu en plein Paris…

Les parents de Théo marchaient derrière lui, promenant leurs yeux sur les alentours (au demeurant plusieurs bâtisses du Second Empire aussi impersonnelles que banales, ce qui était dire beaucoup), n'osant poser les yeux l'un sur l'autre, tandis que le cadet de la famille, d'une tête de moins que Théo sautillait un peu partout. Tous deux informaticiens, ils avaient rencontré une certaine difficulté à accepter l'idée que leur fils adoré soit envoyé dans une école de magie, et, pire encore, forcé à porter des chapeaux pointus pour les sept prochaines années ; le sens de la mode de la mère de Théo avait failli se désagréger lorsqu'un sorcier, venu annoncer la nouvelle à la famille afin de mieux gérer le traumatisme psychologique qui en résulterait, lui avait confirmé que ce genre de couvre-chef était effectivement apprécié dans une partie du Monde dont elle n'avait pas conscience. Le père, lui, avait plus de mal avec le concept de feu de Cheminette, mais il était beaucoup moins rationaliste que son épouse. Finalement il avait avancé : « Marine, nous restons ensemble mariés et sous le même toit depuis treize ans et nous n'avons toujours pas divorcé. N'est-ce pas encore plus inconcevable ? » Devant cette logique incontestable, la mère de Théo avait hoché la tête et accepté la dure réalité. Et ils en étaient là maintenant, traversant Paris pour trouver un bon Dieu d'endroit où rencontrer des bon Dieu de sorciers et laisser leur bon Dieu de fils aller dans une bon Dieu d'Académie de bon Dieu de Magie et, bon Dieu, ce bon Dieu de parking allait leur sucrer un bon Dieu d'argent. Bon Dieu.

« Je suis très excité, » commenta Théo qui marchait devant eux, un plan de Paris déroulé entre ses deux mains, masquant son champ de vision et menaçant ainsi à tout moment de lui faire contrer une crotte de chien.

« C'est normal, mon chéri, c'est la puberté, tu es comme une hormone parlante désormais, » répondit sa mère, encore un peu dépassée, craignant que le frère de Théo, Pierre, ne s'éborgne contre un réverbère à sautiller comme une puce.

« Non, je veux dire, excité à propos d'aller à l'Ecole. »

« Je n'aurais jamais pensé que tu oserais dire ça un jour, » commenta son père.

« Théo, c'est quand qu'on arrive ? » gémit Pierre, presque aussi impatient que lui.

« On ne devrait plus tarder désormais… »

Théo replia son plan, qu'il remit dans son sac à dos ; ses parents suivaient toujours, traînant deux lourdes valises à roulettes derrière lui ; l'une était pleine de vêtements, l'autre d'un assemblage d'objets hétéroclites et bizarres que Théo avait ramené d'une journée d'achats scolaires que lui et son père avait effectués l'après-midi suivant leur révélation de l'existence du monde des sorciers. Théo avait été trop enchanté à tout essayer pour en parler, et Marine s'était enquise des détails auprès de son mari, encore sous le choc. « Ils… Ils ont des… des… Moquettes autonettoyantes… » Une telle idée avait déjà failli produire l'évanouissement de Marine, et elle avait évité de chercher à en savoir plus, eu égard à son pauvre cœur. Pierre, lui, avait boudé deux jours au motif de ne pas les avoir accompagnés aux courses, accordant seulement son pardon lorsque Théo l'avait laissé jouer avec les langues de belles-mères parlantes (quarante boutades différentes !) qu'il avait achetées. L'essentiel était que Théo s'en sorte bien avec cette histoire de fous, lui.

« Comment ça s'appelle, déjà ? Rogatons ?

Beauxbâtons, corrigea Théo.

Qu'est-ce que c'est que ce nom, enfin, Beaux bâtons ? Ca signifie quoi ? Qu'ils ont toujours les châtiments corporels là-bas ? Qu'ils vous frappent avec des triques et des verges, mais qu'elles ont été dessinées par un grand couturier et que par conséquent c'est fabuleux ?

Heu… Je pense que c'est plus une référence aux baguettes magiques…

J'aime mieux ma théorie, » fit-il d'un air pincé.

Papaaaaaa, c'est quoi une verge ? demanda Pierre.

Eh bien, vois-tu, mon fils, lorsqu'un papa et une maman s'aiment beaucoup, ils /

Une verge, c'est un bâton, Pierre. Marine, comment peux-tu voir des allusions scabreuses partout ? »

Sa légitime ne répondit pas, car ils remarquèrent soudain, au milieu de leur conversation, qu'ils étaient enfin arrivés au croisement de l'Avenue Gide, de la Rue de Verdun et de la Rue Séverine. Il y avait assez peu de circulation, et d'ici là, ils pouvaient voir, coincée entre quelques arbres squelettiques, la bâtisse du Grand Hôpital de Paris, quelques pelouses et…

« Le petit temple romain ! »

Et, effectivement, se dressait au coin de la rue un édifice grand comme un kiosque, fait d'une élégante pierre ciselée et couronné d'un dôme. Théo poussa un soupir de soulagement ; Dieu merci, tout cela n'était pas une macabre blague !

« Où ça ? s'enquit Pierre.

Eh bien, sous ton nez, là !

Je ne vois rien.

Oh, laissa-t-il échapper, déçu et gêné. C'est vrai. Il m'avait dit qu'il y avait des sortilèges de… Repousse-moldus dessus. C'est pour ça que vous ne le voyez pas. »

Il y eut alors un silence pesant ; ses parents avaient cru qu'ils pourraient lui dire au revoir à la dernière minute avant le départ pour l'école, mais le moment des adieux était désormais supposé se passer bien plus tôt qu'ils ne l'auraient voulu. Ils allaient tous devoir faire preuve d'encore plus de sang-froid que prévu. Même Pierre, conscient du poids de l'atmosphère, cessa de sautiller et se mit à marcher plus gravement.

Sans un mot, ils traversèrent la rue, ne sachant s'il valait mieux ralentir pour repousser la séparation ou bien se presser pour écourter cette situation pénible au plus vite. Théo frissonnait un peu ; il débordait d'enthousiasme à l'idée d'entrer en contact avec un monde aux possibilités plus fabuleuses que tout ce qu'il aurait osé espérer, mais il n'avait jamais séjourné en internat auparavant, et ne pouvait se confronter à l'idée de ne pas revoir sa famille sans une appréhension certaine.

« Qu'est-ce qui se passera si je ne peux pas revenir ? Si je les laisse là de l'autre côté pour toujours ? Et qu'en plus il n'y a strictement rien du côté où je vais ? »

Il avala sa salive, sachant que c'était désormais un peu tard pour reculer : ils étaient à quelques mètres de cette espèce de temple rond en marbre blanc, et déjà sa mère lui mettait en main les poignées de ses valises, rajustant son col de chemise au passage.

« Pas trop nerveux ? » fit-elle avec un sourire, espérant calmer ses inquiétudes. Elle savait très bien que c'était un exercice vain, Théo sachant très bien qu'elle avait des malaises pour tout et n'importe quoi : avant son départ en classe verte, lorsqu'il était rentré à la maison une demi-heure plus tard que prévu, lorsqu'il se coupait le doigt avec un éplucheur à légumes… …lorsqu'un type à chapeau pointu, horreur, venait annoncer qu'il allait entrer dans une Académie de sorciers… C'avait été embarrassant, sur ce coup-là. Marine allait probablement s'effondrer dès qu'elle l'aurait perdu de vue. Il se sentait un peu coupable à l'idée de lui infliger un tel stress.

« Bon, au moins, ça veut dire qu'elle espère vraiment que je revienne, » se dit-il.

Il l'embrassa, puis ce fut au tour de Pierre et de son père. Il pointait le regard vers le sol, trop tourneboulé pour penser à dire quoi que ce soit. Son père eut le tact de briser le silence :

« Bon, j'espère que tu vas faire des merveilles là-bas. N'essaye pas de changer des citrouilles en carrosses dès le premier jour, d'accord ? Et écris-nous souvent.

Oui.

J'insiste, hein, ces calmants coûtent chers.

Daniel ! répondit sa mère indignée, mais avec un air définitivement coupable sur le visage.

Allez ! Ne perd pas de temps, voyons ! »

Théo hocha la tête, marmonna un mot d'Adieu sans parvenir à déterminer s'il avait été audible ou non, et tourna les talons, s'avançant vers la rotonde. Il ne regarda pas derrière lui ; il devait avoir pénétré dans la zone des sortilèges protecteurs, pouvaient-ils encore l'apercevoir ? Sans s'arrêter, il entra : l'intérieur n'était pas bien plus grand qu'une boulangerie, tapissée sur les côtés d'un banc de marbre, propre mais vide, à l'exception d'une dérangeante silhouette tapie dans l'ombre, aux formes bizarres. Il essaya de ne pas paniquer :

« Du calme, tu vas t'avancer vers lui lentement, flegmatiquement, et tu vas lui demander de la manière la plus naturelle possible, excusez-moi, monsieur, pouvez-vous me dire où se trouve le bureau des informations ? Oui, très bien, ça, excusez-moi, monsieur, pouvez-vous… »

Se persuadant du mieux qu'il pouvait que jamais au grand jamais il n'aurait peur de la personne à laquelle il se préparait à parler, répétant sa phrase d'accroche dans sa tête, il fit quelques pas en avant, résolu et ferme.

Mais tout changea dès qu'il ne fut plus qu'à deux mètres de la « chose. » Il n'eut que le temps de voir dans l'ombre luire deux grands yeux jaunes aux pupilles de chats, le scrutant avec avidité, incapable de fuir en arrière : il était trop tard. La chose bondit ; elle s'éleva bien à trois mètres avant de fondre en piqué sur lui à la vitesse d'un cobra, agrippant de ses deux doigts griffus sa chemise, touchant sa poitrine. Théo tomba sous son poids, s'étalant de tout son long, lâchant ses valises qui retombèrent en fracas. La chose se ployait sur son corps étendu : Théo sentait des articulations revêches, dures au toucher. Nerveusement, il cligna des yeux ; il n'aurait pas du. Face à lui s'étalait une face de monstre assoiffé de sang, parodie sordide de visage humain : des yeux rouges exorbités et injectés de sang, des narines à l'affût, reniflant l'odeur de sa chair, une bouche pleine de dents acérées rangées dans un ordre fantasque et anarchique, qui s'ouvrait lentement, comme une plaque d'égout grinçante… L'haleine de souffre lui montait au visage, lui qui n'était alors capable que de penser, tel une cassette passée en boucle : « Ne me touche pas ne me touche pas ne me touche pas ne… »

Puis un son vint du fond de la gorge, rauque et cruel, animé d'un rire dément qui en secouait le timbre, une voix d'outre tombe cruelle et rocailleuse… Qui hurlait.

« BIENVENUE AU CŒUR DE TES SOUFFRANCES !!!

Le Bureau des informations ? » lâcha-t-il de manière purement réflexive, pouvant à peine croire que ces mots quittaient ces lèvres.

« Oh, bien sûr, répondit en souriant le visage d'un ton ravi et joyeux, tout droit et à gauche. »