Camp de survivants, 18 juin 2013

«-Aiden ! T'aurais pas vu Lisa ? Gueule Alice depuis le haut du camion qui sert de poste de garde.

-Elle est avec Mark du côté du puits, répond son frère, pourquoi ?

-C'est à son tour de monter la garde, je commence à cuire là-haut.

-Tu veux pas arrêter de te plaindre ? braille Scott.

-Va te faire mettre, kiddo ! Rétorque la rousse. »

C'est ça qui est sympa avec ce camp de survivants. Y a toujours de l'ambiance. Géniale ou à chier, mais y a toujours de l'ambiance.

On croirait presque que tout est normal. Que les oiseaux chantent toujours au lever du soleil. Que les parents vont toujours chercher leurs mômes à la sortie de l'école.

Qu'aucun monstre sanguinaire ne rode dans la nature, attendant qu'un humain vienne se jeter dans sa grande gueule maculée de sang.

« -Je vais la chercher, propose Aiden, en attendant, garde les yeux bien ouverts, Alyosh m'a dit qu'il avait vu quelque chose bouger au niveau du moulin.

-Ok, mais magnes-toi ! »

La rouquine serre son fusil contre elle, et retourne à son observation minutieuse de l'horizon, attentive au moindre bruissement de feuille suspect.

Aucun d'entre eux ne sait comment ils ont pu tomber aussi bas. Se cacher dans une vieille ferme en espérant que rien ne viendrait leur bouffer les entrailles pendant la nuit.

Aucun d'entre eux ne sait comment le monde avait bien pu devenir l'enfer grouillant qu'il est aujourd'hui.

Mais ce qui est sûr, c'est que rien n'est plus comme avant, et que rien ne redeviendra jamais comme avant.

Aiden prend mollement une casquette qu'il pose sur sa tête brune et marche en direction du vieux puits.

Washington, le 12 avril 2013

Les coups de feu, les cris. Tous ces putains de sons qui se confondent. Aiden ne sait plus ce qui se passe, il en vient presque à se demander où il est. Comment tout cela a-t-il pu arriver ?

Aiden ne sait plus quel est ce monde. Ou du moins, il sait que ce n'est pas le sien. Ce n'est plus le monde où lui et Alice ont grandi. Ce n'est plus le monde où il a rencontré Mark. Ce n'est plus le monde où Emilie a vu le jour

« -Dépêche-toi, il faut qu'on parte tant que la voie est encore libre ! Ordonne Alice. »

Alice dans toute sa splendeur. Forte, pragmatique.

De l'autre côté de la pièce, Mark remplit frénétiquement deux valises de vêtement, de médicaments et d'autres affaires utiles.

Le médecin urgentiste est habitué à réfléchir sous la pression. Une qualité qu'Alice et lui ont toujours eu en commun. Ça doit être pour ça que le beau-frère et la belle-sœur s'était toujours apprécié. Ce sont deux guerriers, deux combattants.

Aiden s'est toujours senti un peu con à côté d'eux. Moins de courage, moins de force. Il est de ceux qui restent en retrait lorsque l'ennemi charge.

Mais aujourd'hui, pas question de rester en retrait. Aujourd'hui, tout le monde est en première ligne. La guerre a commencé, et ça promet d'être un sacré carnage.

Et puis il y a Emilie. La fille d'Alice. 8 ans. Elle est assise sur une chaise et regarde sa famille se préparer pour un grand voyage. Pauvre gosse. Elle a même pas fini de faire ses dents qu'elle doit déjà apprendre à survivre. Et dans le cas présent, survivre, c'est rester éloigné des dents des autres.

Mark ferme la valise. Ça y est, on est prêt.

La petit famille sort de la baraque, les coups des de feux se rapprochent de plus en plus. La horde sera bientôt là. Il faut partir, ou mourir. Telle est la nouvelle loi. La loi du plus fort. La force ou la mort.

Ils montent dans la voiture. Mark prend le volant. Le mari est sur le siège passager, la belle-sœur à l'arrière avec la nièce. Le moteur vrombit, la voiture démarre.

Camp de survivants, 18 juin 2013

« -Lisa, appelle Aiden, c'est ton tour de monter la garde ! »

La brune est assise dans l'herbe, à côté de Mark. Elle a le sourire aux lèvres. Ils se sont toujours bien entendu. Ils passaient souvent du temps à parler. De musique, le plus souvent.

« Merde, Alice va me tuer ! » Dit Lisa en se levant pour courir vers le poste de garde.

« Si les rôdeurs le font pas avant ! » lui lance Mark. Humour noir. Le doc est habitué à plaisanter sur les sujets pas marrants. Dans son métier, c'est quasiment vital. Soit on en rit, soit on en meurt.

Aiden s'assied à côté de son mari, et prend sa main dans la sienne.

« Les réserves de nourritures diminuent, on devrait envoyer une équipe faire un peu de shopping. »

Il fait semblant de le prendre à la légère. Il fait semblant de pas s'inquiéter. Mais au fond, Aiden crève de peur.

Il aurait aussi bien pu dire : Les réserves de nourriture diminuent, et j'ai peur de mourir de faim. J'ai peur de me faire égorger par un rôdeur. J'ai peur de te perdre. J'ai peur de perdre Alice. J'ai peur de perdre Emilie. J'ai peur 7 jours sur 7, H24. Sauve-moi, prends moi dans tes bras et emmène moi loin de tout ça.

Il crève de peur chaque fois qu'il regarde dans la réserve. Et Mark s'en rend bien compte.

« Ok, on organisera un raid ce soir. »

Ne t'inquiète pas. Je m'occupe de tout. Fais comme si tout était normal. Fais comme si tu n'étais pas en danger. Je m'inquiéterais pour nous deux. Il ne t'arrivera rien. Je t'aime.

Les deux hommes se regardent sans rien dire, et profite du calme ambiant pour s'échanger des mots d'amours silencieux, des promesses informulées, des caresses secrètes.

« Salut les tourtereaux ! » La grande sœur interrompt l'échange muet, et vient s'asseoir à côté de son baby brother. Elle fait celle qui n'a rien remarqué, mais elle sait, comme si elle avait entendue la conversation informulée qui venait d'avoir lieu. C'est elle la grande sœur, c'est son boulot de savoir des choses.

« J''ai rien vu de toute la matinée, on a vraiment choisi une bonne planque. »

Te laisse pas abattre, ptit frère. On va leur défoncer leur grande gueule à ces raclures de rôdeurs. On sera gagnant, parce que j'en ai décidé ainsi. Qu'ils aillent tous crever, je les laisserais pas nous emmener.

Les trois restent silencieux. Même plus de conversation muette. Ils écoutent le calme ambiant.

Et dans leurs esprits revient le souvenir de ce jour. Celui où tout s'est effondré. Celui où les rôdeurs ont attaqué. Où à la télévision, le Président avait une allocution pour déclencher l'état d'urgence.

Et puis tout avait été très vite. Ils avaient tous quitté Washington, conscient que c'est dans les grandes villes que se jouerait le plus gros de la bataille.

Ils frissonnent, se rappellent la peur, les cris, la panique.

Et ils écoutent le silence pour oublier.

Nous y sommes. Le combat pour la survie commence maintenant.