Chapitre 1 : Phoenix, 1ère partie (septembre 2013)

Mon crâne me fait mal. J'ai beau supplier que ça s'arrête, rien n'exauce mes prières. J'étais comme piégé dans un enfer vicieux de souffrances et de douleur. Les dernières images conscientes de ma vie repassaient en boucle : le poulpe, Chris, le virus-C dans mon bras, des éclairs, ma volonté qui s'effritait petit à petit, Chris, la capsule de sauvetage, Chris qui hurle mon nom en s'en sortant en vie, encore le poulpe, encore Chris, puis plus rien. Puis ça recommençait. Encore et encore. Je sentais qu'il y avait quelque chose qui m'échappait, quelque chose d'important, mais impossible de mettre le doigt dessus. Impossible de réfléchir tranquillement, avec tout ce merdier dans ma tête, de toutes façons.

J'ai lu quelque part que, lorsque nous sommes au bord de la mort, les visages de ceux qu'on aime envahissent notre esprit. Le fait que je pense à Chris et Sherry ne m'étonna guère. Je trouvai même une place pour Helena et pour Ada, elles m'avaient bien aidé à leur manière. Mais pourquoi Jake était-il dans ma tête ? Peut-être une association par rapport à Sherry ? Non, ce n'était pas ça. Ça paraissait tellement surréaliste, mais je décidais de ne pas plus m'en inquiéter que ça.

J'ouvris les yeux, après ce qui me semblait une éternité. Le plafond monochrome me faisait penser que j'étais dans un hôpital. Je tournai la tête, et étouffai un hurlement lorsque mon cou craqua bruyamment. J'avais un torticolis affreux, je me demandais combien de temps j'étais resté dans le coma. J'avais mal au crâne, en prime. Même le fait de remettre ma tête en place me faisait agoniser. Mais je me modérais, pour ne pas alarmer les infirmières présumées plus que nécessaire. Néanmoins, je devais avoir crié plus qu'une fois, car une jeune femme en blouse blanchâtre arriva pour me planter une aiguille dans le bras. Un calmant sans doute, et un puissant, car je m'endormis comme une sacoche un quart de seconde plus tard.

Après m'être de nouveau réveillé, je restai un bon moment sans bouger, fixant le plafond. Le moindre mouvement de ma nuque me provoquait une douleur lancinante, et je n'étais pas du genre masochiste, alors je me modérais. Je réussis néanmoins à regarder mon bras droit : il était dans un état pitoyable, mais il était encore là, au moins. Et pas tellement zombifié, seulement mutilé, tailladé comme pas possible. Même sous les bandages, je voyais qu'il n'avait pas la même couleur que l'autre, mais il paraissait humain. Ça me gênait de ne pas me souvenir comment j'était redevenu à peu près humain, alors que je m'étais resigné en me transformer en super J'avo, mais en fait, je jugeai que ce n'était pas si important.

Finalement, mon torticolis est passé. Je pus donc regarder par la fenêtre. Je crois que je n'ai jamais été aussi heureux de voir la lumière du jour. Alors que je voyai passer des enfants dans la cour, sans vraiment y faire attention, quelqu'un frappa à ma porte. Je tournai ma tête vers le bruit, et, avant que je n'ouvre la bouche, la porte s'ouvrit. Mon premier visiteur était celui que j'attendais le plus, mon cœur fit un bond dans ma poitrine. Chris fondit sur moi, et me serra contre lui à m'en rompre les os. Je suffoquai, mais je n'osai rien dire. En fait, je ne pouvais rien dire.

-Piers, pleura Chris. Si vous saviez comme je suis content de vous revoir.

Je voulais lui répondre que j'étais aussi content de le revoir, mais mes mots s'étouffèrent dans ma bouche. Je me contentai de le serrer aussi, comme j'en rêvais depuis si longtemps. Avant, j'hésitai, parce que je n'étais pas sûr de ce que Chris ressentait pour moi. Mais là, vu les éclats qu'il se permet, je me dis juste qu'il m'aimait beaucoup, peut-être pas dans le même sens que moi, mais ça me suffisait. Il me garda contre lui pendant de longues minutes, comme s'il essayait de rattraper le temps perdu, et il finit par me lâcher, prenant mes épaules dans ses mains. Il fit bien attention à mon épaule droite quand même, et me fit un sourire franc, ses yeux encore mouillés.

-Comment allez-vous, mon vieux ? me demanda-t-il d'un ton plus amical que jamais

-Etrangement bien, dis-je dans un souffle. Je ne me… souviens pas de tout.

-Il semblerait que quelqu'un vous ai injecté un antidote avant de vous jeter dans une capsule de sauvetage, dit Chris en s'asseyant sur une chaise et en s'essuyant les yeux. Vous avez rechuté quand on vous a retrouvé, mais une deuxième dose d'antidote était avec vous. Les analyses sont en cours.

-Bizarre.

-Le plus important, c'est que vous alliez bien, dit Chris d'un ton décidé. Je m'en fous de comment ça s'est passé, même si j'aimerais remercier la ou les personnes qui vous ont rendu à moi.

Je le regardai fixement, et, de loin et de profil, j'aurais juré qu'il était en train de rougir. Ça ne va pas mieux, moi…

-Enfin bref, je vais y aller, moi, dit-il d'un ton rapide en se relevant. Je voulais juste voir comment vous alliez, je vais revenir vous voir demain. Reposez-vous bien.

-Bien sûr cap…

Chris m'interrompit avec un geste, qui semblait presque désespéré. Il s'approcha, se pencha au-dessus de moi et écarta mes mèches rebelles pour m'embrasser sur le front. Si un électro-cardiogramme était branché sur moi, je pense qu'il aurait explosé, et que je serais entré dans le livre des records la semaine suivante.

-Ne me refaites jamais une peur pareille, murmura Chris

Et il sortit de la pièce avant que je ne bronche. En fin de compte, je ne serai pas dans le livre des records seulement pour le pouls, mais aussi pour la ventilation. Quelqu'un frappa à la porte, alors je dus me calmer aussi vite que possible. Ça ne marcha pas terrible, mais, heureusement, ce fut Sherry qui entra. Je me calmai tout de suite, alors qu'elle me serrait dans ses bras à son tour. Rien à voir avec l'étreinte virile de Chris, c'était juste Sherry. Cependant, j'éprouvais quasiment autant de plaisir à la voir. Je vis Jake dans le cadre de la porte, appuyé sur celle-ci les bras croisés, et il me salua de la tête. Je lui rendis un regard approbateur, et mon attention fut attirée par Sherry, qui venait de me relâcher.

-Je suis hyper contente de te revoir ! commença-t-elle. Quand Chris nous a dit que tu étais porté disparu, j'étais vraiment triste. Mais il nous a appelé il y a deux heures pour nous dire que tu étais en vie ! Je crois que je n'ai jamais été aussi contente de ma vie ! ajouta-t-elle en me refaisant un câlin

Voilà. C'était juste Sherry.

-Je suis content aussi, Sherry, dis-je d'un ton que j'entendais moi-même comme souriant

-Dès que tu sortiras, on fera une méga teuf ! s'agita-t-elle. Avec des ballons, et des gâteaux à n'en plus finir ! Tu sais, je n'ai pas oublié que tu aimais les éclairs au café, alors je t'en acheterai tellement que tu deviendras plus gros qu'un Whopper ! dit-elle avec un rire gras

Je ne pus m'empêcher de rire aussi, et je vis Jake faire de même. Cette manie qu'avait Sherry de me faire sourire n'avait pas disparu après tout ce temps, et j'en était plus que content.

-Et toi tu n'as rien à dire ? fit-elle au touriste près de la porte

-Si. Je suis trop content de te revoir, Nivans, ricana Jake en me regardant

-Tu m'as manqué aussi, Jake, dis-je sur le même ton que lui

Jake fit une expression surprise, et je compris pourquoi en analysant ma phrase. Depuis notre permière rencontre, un puissant courant électrique circulait entre nous, faisant que j'éprouvais pour lui une certaine antipathie, et inversement. Mais là, l'anthipathie avait disparu de mon côté, sans que je ne sache vraiment pourquoi, et je l'avais appelé par son prénom, pas par son nom de famille comme je le faisais avant. Il fronça les sourcils, et Sherry nous regarda tour à tour, un air curieux sur le visage.

-Vous avez fait la paix, finalement ? demanda-t-elle d'un ton innocent

-Je suis irrésistible, dit Jake d'un ton plus naturel que nécessaire

-Je plaide coupable, dis-je d'un ton ironique

Je suppose que, quelque part, j'avais envie de faire la paix avec Jake. Pour Sherry, surtout. Une partie de moi était un peu jalouse, bien sûr, mais mes sentiments pour Chris m'ont fait voir Sherry plus comme une grande sœur, bien qu'elle paraisse plus jeune que moi, alors je voulais son bien avant tout. Jake reprit son air sérieux, et regarda Sherry.

-Supergirl ? Tu peux me laisser avec le lieutenantNivans, s'il te plaît ? demanda-t-il d'un ton neutre

-Euh… Oui, bien sûr. A plus tard Piers, dit Sherry en m'embrassant sur la joue

-A plus, marmonnai-je, avec un petit sourire

Sherry passa ensuite à côté de Jake, et l'embrassa aussi, mais sur la bouche. Je ne sus pas vraiment ce que j'ai ressenti à ce moment-là, c'était moitié-moité. Une qui voulait sauter dans les bras de Sherry pour la féliciter, et l'autre qui voulait torturer Jake de la manière la plus cruelle qui soit.

-Sois sage hein ? dit Sherry d'un ton doux

-Ouais, ne t'en fais pas.

Sherry sortit de la pièce, et Jake vint s'asseoir en face de moi, sur la chaise sur laquelle Chris était assis quelques minutes plus tôt. Je fronçai les sourcils, il était encore étonnamment sérieux.

-Donc ? lançai-je, en voyant qu'il ne disait rien

-Je sais que c'est stupide, mais je me demande ce que tu ressens pour Sherry, lâcha-t-il

-Je l'aime beaucoup. Enormément, même. C'est ma première et ma meilleure amie. Pourquoi ?

-Et qu'est-ce que tu ressens pour moi ? reprit-il après une courte pause

-Je te demande pardon ? dis-je d'un ton incrédule, en levant un sourcil

-Tu as bien entendu.

Je méditai cette demande, avec toute la concentration qui me restait. Le yeux bleus de Jake étaient plantés dans les miens, comme s'il cherchait des réponses que je ne lui donnerais pas. Je ne saisis pas du tout où il voulait en venir, mais j'avais décidé de faire des efforts avec lui. Je fis donc taire ma paranoïa naturelle pour lui répondre.

-Je ne sais pas vraiment, admis-je. Au début, je te trouvais tout bonnement insupportable, mais avec le recul, je sais que c'est juste ton vécu qui te fait réagir comme ça. Sherry m'a fait comprendre que tu avais un bon fond, et je veux y croire. Donc j'aimerais qu'on soie amis, Jake, surtout pour elle.

-Amis hien ? marmonna-t-il, comme pour lui-même

-Ouais. Amis.

-Et si moi je n'en ai pas envie ? dit-il d'un ton encore plus sérieux

-Arrête avec tes phrases cryptées, deux secondes, déclarai-je. Je ne te suis pas du tout.

Jake poussa un soupir, et je fis de même. Le temps que je cligne des yeux pour le faire, son visage était apparu au-dessus du mien. Au début, je n'étais pas sûr de ce à quoi je m'attendais. Peut-être qu'il m'embrasserait sur le front, comme Chris l'a fait un peu plus tôt - d'ailleurs, cette pensée m'arracha un nouveau rougissement - mais il n'en fit rien. A la place, il posa ses lèvres sur les miennes.

Des centaines de questions résonnèrent dans mon esprit à ce moment précis. Mais trois d'entre elles résonnaient plus fort : "qu'est-ce que je suis supposé comprendre ?", "qu'est-ce que je vais dire à Sherry ?", et surtout "pourquoi ça me plaît autant ?".

Le baiser s'éternisa, et je me surpris même à lui rendre sans aucune retenue. Comme si, au fond de moi, je savais que le courant électrique qui circulait entre nous n'était pas de l'antagonisme, mais tout le contraire. J'ai juste mis plus de temps que Jake à le comprendre.

D'un autre côté, je me sentais extrêmement mal. Mal pour Sherry, parce qu'elle était amoureuse de ce type, pour qui je semblais avoir craqué malgré moi. Je me sentais divisé entre mon obsession pour Chris et mon espèce d'amour naissant pour Jake. D'ailleurs, je me demandais ce que ressentait Jake, qui était aussi avec Sherry.

Finalement, il se redressa, et lorsque j'ouvris les yeux, il m'offrit un regard intrigué.

-Quoi ? lançai-je

-Je suis assez étonné que tu le prennes aussi bien, dit Jake avec un sourire dans la voix

-Moi aussi, à vrai dire. Mais je me demande quelque chose.

-Sherry est au courant, dit-il avant même que je ne pose ma question. Elle dit que c'est bon, c'est même elle qui m'a encouragé à te dire ce que je ressentais. Mais je sais que ça lui fait de la peine, au fond. En plus, tu aimes Redfield, toi, non ?

-Comment tu…

Mon visage dut prendre un rouge grand cru, car Jake se marra bien comme il faut. Mais il redevint sérieux peu après. Décidément, ses changements d'attitude étaient troublants. Il pouvait passer du très mature au très puéril, et inversement, en à peine quelques secondes.

-Je sais que nous n'avons aucun avenir, tous les deux, dit-il. Mais je tenais quand même que tu saches que je ne te déteste pas. Au contraire.

Je relevai qu'il n'avait pas dit clairement qu'il m'aimait. Bon, moi non plus, mais c'était parce que je n'en étais pas sûr. Je savais que je ne lui étais pas indifférent, mais mes sentiments pour Chris réduisaient considérablement tous mes autres sentiments.

-Je vois, dis-je d'un ton sceptique

-Mais tout à fait entre nous, tu aimes vraiment plus Redfield que moi ? ricana-t-il

-Je n'ai pas envie de te répondre, bégayai-je

-Et toi ? Tu comptes lui dire ce que tu ressens pour lui ?

-Oui, dis-je d'un ton étonnamment assuré. Je ne sais pas quand, mais je le ferai. Et je ne me souviens pas t'avoir demandé tes conseils, ajoutai-je d'un ton presque amusé

-Tu ne l'as pas fait. Mais je te les donne quand même, parce que je suis un mec sympa.

-Ben voyons, grimaçai-je

Jake me prit de nouveau de court en prenant ma main, la gauche, celle qui pendait dans le vide et qui n'étais pas blessée. Mais ce fut la tendresse de ce geste qui me désarçonna. C'était bien la première fois - la deuxième, en fait - que Jake était aussi doux avec moi. Je ne pus m'empêcher de rougir, et il sembla satsifait. Je le regardai d'un air intrigué, et il toussota. Des petites rougeurs avaient envahi son visage, si froid habituellement. Cela le rendait encore plus craquant, en fait.

-Je suppose que je devrais le dire, marmonna-t-il

-Crache le morceau, Jake, dis-je en sourcillant

-Je t'aime Piers. Ne l'oublie pas.

Là, mon cerveau se mit en veille instatanément. Avant de redémarrer brutalement.

Mon esprit espérait sincèrement que la seule déclaration d'amour, ou du moins la première, viendrait de Chris. Tout en étant persuadé du contraire - j'ai toujours été réaliste.

Puis, j'analysai la phrase en elle-même. Quelque part, j'étais quasiment aussi choqué d'entendre Jake m'appeler par mon prénom que par le fait qu'il me dise qu'il m'aime. Cela me conforta dans l'idée qu'une partie de moi le savait. Et que ça lui plasait assez.

J'avais lu pas mal de romans d'amour, avant d'avoir mon coup de foudre pour Chris. Après le dit coup de foudre, je ne comprenais décemment pas les grognasses qui étaient tiraillées entre deux mecs, et maintenant, comble de l'ironie, j'étais dans la même situation. J'étais désomais une groupie, tiraillée entre mon amour de toujours et mon crush de collégienne. Si le choix paraissait évident au premier abord, il le paraissait moins maintenant, avec ma main dans celle de Jake, et la certitude plus ou moins fracassante que je l'aimais.

-Je ne l'oublierai pas, dis-je en serrant sa main. Et je t'aime aussi, Jake.

Le sourire qui fendit son visage au moment de ma réponse était plus qu'éloquent.

-Cool. Voilà, c'était tout ce que j'avais à dire, dit Jake en se levant. A demain sans doute, super-lieutenant-suicidaire, ajouta-t-il d'un ton amusé

-Ouais. A demain.

Jake me fit un signe de la main, en se dirigeant vers la porte, et sortit de la pièce. Je ne reçus aucune autre visite ce jour là, ce qui me permit de méditer sur différents sujets. Comme l'identité de la mystérieuse personne qui m'avait sauvé, alors que j'avais déjà renoncé à ma vie pour sauver Chris. Enfin, j'étais malgré tout assez positif pour me dire que toute cette histoire s'éclaircira un jour.