Auteur : Loli (presque toute seule, allez, un peu de Jimi pour la relecture mais pas plus)

Fandom :Bleach

Genre : romance / enterrement et gueule de bois / Slash

Rating : M

Disclaimer : blablabla toussa godlike Tite Kubo (pas foutu de faire un bon couple hétéro dans Bleach) possède ces perso et ce manga et il en fait du pognon avec ! (mais pas nous).

Bêtalecture : Immense merci à Scorpio no Caro qui a très gentiment relu et corrigé cette fic après sa première publication.

NA : C'était le cadeau pour ByaRenFangirl qui a deviné un truc juste dans "Va y'avoir du sport". Et donc sa demande était : " j'ai lu votre réponse à Bya-kun, et l'idée de la beuverie Renji/Byakuya veut pas quitter mon esprit, on dirait ! x). Bref, après, ByaRen ou RenBya, c'est comme vous voulez (quoique, vu le thème, je verrais bien Renji en profiter... :P). Et je me permets d'ajouter au thème "beuverie" le thème "lemon" (comment ça, c'est pas un thème...?), même si je me rappelle pas avoir lu une de vos fics sans, je précise, on sait jamais ! :D" Alors d'abord, on proteste, on a fait des fics sans lemon (mais pas beaucoup, et c'était y'a longtemps). Ensuite, on a déjà fait une fic avec Byakuya qui finit rond comme une queue de pelle, ça s'appelle "Qui a dit que Renji n'était pas sortable", même auteur, même éditions, très bon pas cher. Mais parce que ByaRenFangirl est jeune, belle et qu'on l'aime (et oui, on se drogue), Loli s'est tout de même collée à cette fic avec entrain.

NA2 : ouais, on a tué un perso sympa et sexy, mais de toute façon, il servait à rien dans l'histoire originale XD


Il pleut dans mon verre, comme il pleut dans mon cœur

Tout le Seireitei était assemblé en ce jour de deuil. Tous, sans exception, même ceux qui rataient toutes les cérémonies officielles, même ceux qui étaient bannis du Gotei 13, même ceux qui ne semblaient pas avoir de cœur ou de compassion, même ceux qui rient à la gueule de la mort. Même certains qui étaient plus des ennemis que des amis, même ceux qui auraient préféré rester chez eux à chialer en se tordant de douleur dans leur lit. Ils étaient tous là.

La Soul Society entière pleurait en ce jour, et d'ailleurs, il pleuvait des cordes. Pas une petite pluie fine et froide, une vrai averse, des gouttes grosses comme des larmes de Dieu, qui rendaient inutiles les manteaux et les parapluies. Comme le ciel dans son infinie sagesse, tous pleuraient, sans honte devant tout le monde, ou au plus profond d'eux-mêmes. Tous pleuraient.

L'hommage que prononça le capitaine commandant Yamamoto fut vibrant, et pas seulement parce qu'il venait du fond du cœur d'un vieux professeur pour son premier élève, mais parce que la voix du vieillard pour la première fois tremblait et errait entre les larmes et la colère.

Le regard doux de Retsu Unohana n'avait jamais été si doux, jamais si plein de cette bonté et de cette immense force de compassion, jamais si triste aussi.

Mais celui qui attirait inévitablement tous les regards, toute l'attention de la foule, toute la compassion de ses amis et collègues, celui qui ployait sous la douleur et puis encore sous le poids des regards des autres celui qui tentait de rester digne alors même que tout son être se noyait dans une souffrance sans fond celui qui se forçait à ne pas pleurer, seulement parce que la mémoire d'un sourire plein de vie et d'espoir l'en empêchait, c'était Shunsui Kyoraku, celui qui portait un mort dans son cœur.

Seul, devant la tombe de son plus vieil ami, son plus fidèle compagnon, l'homme qui avait partagé sa vie, ses jours, sa jeunesse, son rang de capitaine, ses peines et ses joies, ses doutes et ses passions, seul, il luttait pour garder l'esprit. Car tout le tirait vers la folie, tout l'attirait du côté des morts.

Lorsque la cérémonie officielle fut terminée, il resta seul encore, à quelques pas de la tombe. Nanao s'était approchée et puis reculée, interdite, elle attendait patiemment que son capitaine lui fasse un signe. Ivre, pervers ou versatile, elle savait comment le prendre, mais son capitaine plongé dans le chagrin, elle ne savait pas comment s'en occuper.

À côté, pas très loin, les hommes de la treizième division prolongeaient aussi leur prière et leur hommage à leur capitaine décédé. Elle remarqua Kotetsu, blottie contre Kotsubaki qui la tenait par les épaules dans un geste à la fois protecteur et inquiet.

Près d'une heure s'écoula et Nanao, trempée jusqu'aux os, alla se réfugier dans le petit temple à côté du cimetière, d'où elle vit repartir tous les membres de la treizième, et les quelques autres shinigamis qui étaient restés aussi. La pluie avait redoublé d'intensité et les derniers hommes partirent en pressant le pas. Il n'y avait plus que deux silhouettes qui se tenaient face la tombe. Le capitaine Kyoraku, qui semblait presque bossu tellement il était courbé par le poids du chagrin. Et Rukia Kuchiki, les bras serrés autour de son corps, elle était agitée de soubresauts qui ne laissaient pas de place au doute. Elle pleurait, toute tremblante, toute grelottante, toute vacillante, et Nanao eut presque l'impression de la voir s'écrouler sur elle-même. Mais alors même qu'elle s'imaginait cela, elle vit une troisième silhouette s'approcher, restée dans l'ombre d'un cénotaphe, et enlacer le petit corps tremblant de la jeune femme. Là non plus, il n'y avait pas de doute sur l'identité de cette personne, la chevelure rouge vif, Renji Abarai.

Ils restèrent encore ainsi de longues minutes, les plus longues de toute sa vie, réalisa Nanao. Le vice-capitaine se tenait derrière Rukia, la protégeant du mieux qu'il pouvait de la pluie diluvienne, et la soutenant pour qu'elle reste debout. Et puis, elle se retourna et Ise vit sa jeune collègue s'effondrer dans les bras de son ami.

Il la souleva du sol et la porta dans ses bras pour sortir du cimetière. En passant devant la vice-capitaine, il hocha la tête respectueusement.

« Ça ira ? Fit-il en désignant Kyoraku de la tête.

Nanao hocha la tête.

- Il est plus solide qu'il n'en a l'air à l'instant. Ça va aller.

- Préviens-nous si tu as besoin d'un coup de main.

Elle haussa les épaules.

- Le capitaine Komamura attend à la capitainerie. Il voulait attendre avec moi, mais je le préfère au sec, rapport à l'odeur de chien mouillé.

Renji, qui n'avait pas pensé à ce genre de choses, hocha la tête avec conviction.

- Prends-soin de toi aussi, hein.

- Ne t'en fais pas pour moi. Occupe-toi plutôt d'elle.

Renji baissa les yeux sur Rukia et soupira.

- Elle est dingue. Mais je la comprends. Je ne sais pas ce que je ferais si ça arrivait à mon capitaine. »

D'un geste de la main, ils se saluèrent et Renji prit le chemin du retour.

Le manoir Kuchiki était assailli de toute part par les flots ininterrompu de la pluie. Et lorsque Renji se présenta à l'entrée, il put à peine murmurer son nom au serviteur venu ouvrir, l'eau de pluie s'engouffrait dans sa bouche.

Heureusement, le vieux serviteur reconnu sans hésitation la jeune femme dans ses bras et les fit entrer.

Il entra et se fit montrer l'endroit où il pourrait déposer son amie. Le vieux serviteur le conduisit à une chambre, et Renji sentit son cœur se serrer en réalisant que c'était la première fois qu'il entrait dans la chambre de Rukia chez les Kuchiki. Cela faisait longtemps. À l'académie, il était toujours invité chez elle, et puis au Rukongai, ils vivaient ensemble, ils partageaient tout.

Ses mains se resserrèrent sur le petit corps mouillé dans ses bras, il avait bien cette sensation à l'instant, de tout partager. Il l'avait contemplée et soutenue dans son chagrin, il l'avait portée dans ses bras, il l'avait menée jusqu'à son lit et en la déposant sur le futon, il sentit le goût de son enfance resurgir en lui.

« Je vais faire chercher une servante, monsieur.

- Okay, j'attends là. »

Et pendant que le vieux était parti, Renji ôta délicatement les vêtements de son amie. Le nœud du obi était trop serré à force d'être mouillé, alors il fit glisser la ceinture le long des jambes et la sortie par les pieds de Rukia. Il enleva le kosode et le hakama et les étendit sur le sol, après les avoir rapidement essoré dehors, de l'autre côté de l'engawa. Il hésita une seconde devant le shitagi blanc, mais ce fut seulement par crainte qu'elle ne prenne froid s'il la déshabillait entièrement. D'un coup d'œil, il fit le tour de la chambre et repéra une série de placards encastrés dans le mur, et il les fouilla jusqu'à trouver quelque chose pour habiller Rukia.

Il retira ainsi le shitagi, sortit dehors pour le pressa et en arracher toute l'eau qu'il pouvait. À côté du futon, il avait posé le yukata bleu orné de fleurs blanches brodées qu'il avait trouvé. Après avoir posé le léger kimono mouillé avec les autres vêtements à sécher, il s'agenouilla à côté de la jeune femme inconsciente et avec les gestes les plus doux du monde, il commença à lui enlever la bande qu'elle portait autour de la poitrine. Il la soulevait sans peine, prenant garde à ne pas l'éveiller. Et puis il retira le susoyoke en remarquant avec amusement qu'elle n'en portait jamais autrefois, cela devait être un truc de riche.

Sa peau était glaciale, froide et humide. Mais il n'avait rien trouvé pour la sécher, comptant pour cela sur les serviteurs de la maison Kuchiki qui auraient dû s'activer pour prendre soin de la jeune sœur du maître de maison. Le fait que personne ne se soit présenté depuis le temps qu'il était dans la chambre à s'occuper d'elle inquiétait un peu Renji mais le plus important était de ne pas la laisser prendre froid, aussi se promit-il de s'occuper de l'absence de personnel plus tard.

Avec les mêmes gestes attentionnés et tendres, il fit enfiler son yukata à la jeune femme, ému, comme à chaque fois qu'il pouvait être aussi proche d'elle. Cela faisait bien longtemps qu'il n'avait pas agi ainsi, comme un frère pour sa sœur.

Il ferma le yukata sans trop serrer la ceinture de soie, et passa une main dans la tignasse sombre.

« Gamine... » souffla-t-il en souriant.

Et comme il cherchait à la mettre au chaud sous une couverture, il remarqua que le futon n'en comportait aucune. Il n'y avait que le matelas, sans oreiller, sans draps. Il fit le tour de la pièce du regard et ce fut à ce moment-là qu'il le vit.

Et il se figea.

Sans un mot, Byakuya Kuchiki se leva du coin de la chambre où il s'était assis et alla chercher du linge de maison dans un des placards. Il sortit tout ce qu'il y trouva il n'avait pas besoin de toucher sa sœur pour savoir qu'elle était gelée.

Il vint s'asseoir de l'autre côté du futon et lança un pan de la première couverture à Renji, et ensemble, ils l'étendirent sur Rukia. Ils renouvelèrent la manœuvre autant de fois qu'il y avait de couverture, et puis bordèrent la couche ainsi faite.

Ils restèrent ainsi quelques instants, Renji totalement intimidé par la présence imposante de son capitaine. Byakuya quant à lui, ne savait que faire après avoir assisté à une telle scène de tendresse et de délicatesse. Il se sentit terriblement maladroit et froid, incapable de montrer son amour à sa sœur qu'il aimait pourtant par dessus tout. Au bout de quelques minutes, il passa sa main dans les cheveux noirs et les lissa doucement, timidement, incertain de son propre geste.

Quand il retira sa main, il se releva et son regard tomba sur Renji, qui semblait étrangement ailleurs. D'un petit signe de la main, il lui fit signe de le suivre.

Lorsqu'ils furent sortis de la chambre, et comme son vice-capitaine faisait mine de vouloir parler, Byakuya leva la main pour lui intimer de garder le silence, et ce jusqu'à ce qu'ils parviennent à ses propres appartements, qui se situaient de l'autre côté de la cour intérieure.

Ils s'assirent l'un en face de l'autre, Renji attendant patiemment que son capitaine lui face signe de prendre place.

« Je vous présente mes excuses... pour avoir fait intrusion chez vous ainsi.

Byakuya réprima un sourire.

- Il n'y a pas de raison de t'excuser. Je te suis reconnaissant d'avoir pris soin de Rukia.

Renji se détendit un peu, rassuré par l'attitude moins formelle que ce à quoi il s'était attendu. Il avait craint de se voir mis dehors. Pas que la pluie l'embête réellement, il pouvait toujours rentrer chez lui avec un shunpo. Non, ce n'était pas le temps qui l'empêchait de rentrer chez lui, c'était le climat de dépression qui régnait au Seireitei. Perdre un des capitaines les plus aimés et les plus respectés du Gotei 13 avait porté un sérieux coup au moral des troupes. Au moral de toutes les troupes, même au sien. Et voir Rukia aussi touchée par cette disparition l'avait brutalement ramené des années auparavant, lorsqu'ils vivaient ensemble au Rukongai et que leur quotidien était fait de joies et de peines partagées.

- Elle... la mort du capitaine Ukitake l'a beaucoup touchée, fit-il, incapable de trouver autre chose à dire.

Kuchiki hocha la tête, avant de murmurer, plus pour lui-même que pour son invité.

- Elle n'est pas la seule.

Renji toussota, mal à l'aise. Est-ce qu'il venait bien de comprendre ce qu'on lui disait ? Est-ce que Byakuya Kuchiki lui faisait part de ses états d'âmes ?

Il avait envie de demander, maintenant que le sujet était sur la table, maintenant que Kuchiki en avait parlé en premier, il avait envie de savoir. Qu'est-ce que cela lui faisait, de voir un de ses plus anciens maîtres mourir.

- Parce que nous sommes de pures âmes, nous ne songeons pas à la mort. Elle se rappelle à nous toujours de la pire manière qui soit.

Et Renji eut l'illumination. La femme de Kuchiki était morte de la même chose, la même maladie, incurable, la seule chose à craindre lorsqu'on est pure âme. La seule chose contre laquelle toute la force du monde ne peut rien. La maladie. Cela devait lui rappeler des souvenirs douloureux.

- Capitaine...

Il aurait voulu trouver les mots pour montrer sa compassion, pour apaiser, autant que possible, la douleur de l'absence. Il aurait voulu donner un peu de chaleur, de douceur, comme il l'avait fait pour Rukia. Il aurait vraiment voulu que sa présence change quelque chose, mais se sentait inutile dans un deuil qu'il ne partageait pas.

- Capitaine... vous devriez boire quelque chose.

Il ravala ses mots, mais trop tard. Pourquoi j'ai dit quelque chose de si... débile ?

Le regard surpris qu'il croisa le rassura. Ce n'était pas si débile que ça, juste... surprenant, voire carrément au-delà de la compréhension de Kuchiki.

- Je veux dire, vous avez l'air bouleversé. Il vous faut...

Un remontant, songea-t-il, en cherchant un autre mot plus convenable.

- Je vois.

Il se releva et tapota sur un panneau coulissant qui s'avéra être une porte de service.

- Faites apporter du thé, ordonna-t-il à ce qui devait être un serviteur planqué derrière la porte, attendant les moindres souhaits de son maître.

Okay... du thé. Pas étonnant qu'il soit aussi déprimé tout le temps.

Sans que celui-ci ne le remarque, Byakuya avait saisi la moue ironique de son vice-capitaine et l'avait parfaitement interprétée, aussi ce fut avec un air mi-amusé, mi-condescendant qu'il revint s'asseoir en face de lui.

- Je sais à quoi tu penses, sache que soigner la peine avec l'alcool revient à soigner une plaie avec du sel.

Renji eut un nouveau sourire ironique.

- Vous avez déjà versé du sel sur une plaie ?

Pris au dépourvu, Byakuya se contenta de secouer la tête. Il n'aimait pas être mis ainsi face à ses propres contradictions. Il n'aimait pas que ses leçons de morale se retournent contre lui.

- Ça arrache au début, lui appris Renji. Et puis rapidement, toute la plaie devient chaude.

Byakuya laissa son officier continuer, certain que la démonstration devait fatalement se retourner contre lui.

- La chaleur ne se diffuse pas. La plaie devient toute rouge et se met à brûler. Et finalement, ce qui reste, ce n'est pas la douleur du sel au début, c'est la plaie brûlante, on peut presque voir le sang battre sous la peau, avec le même rythme lancinant que la brûlure.

Byakuya garda le silence, fixant toujours Renji sans ciller, curieux de voir où cela allait le mener.

- Quelque part vous avez raison, c'est la même chose. Il y a une douleur vive au début, le chagrin est physique, il fait mal. Et puis la douleur passe, seule reste la trace vivante de ceux qui nous ont laissé.

Le capitaine hocha doucement la tête. La trace vivante... il pouvait comprendre cela, lui qui voyait chaque jour que le Ciel faisait la vivante image de sa femme à travers Rukia.

- Répandre du sel sur une blessure, ça ne veut pas dire qu'on essaye de s'en débarrasser. C'est plutôt montrer qu'on veut la garder, qu'on ne veut pas oublier le combat qui l'a provoquée, et qu'on ne veut pas oublier ce pourquoi on a combattu. On verse du sel sur une blessure pour en conserver une cicatrice qu'on exhibe fièrement des années après.

Emporté dans sa démonstration, Renji avait haussé le ton, la voix embrasée par l'émotion, songeant à tous les amis qu'il avait perdus au combat, et toute les marques que son corps portait. Il ne remarqua pas que Kuchiki avait baissé les yeux, traversé par un immense ressentiment, les poings serrés sur ses genoux, les sourcils froncés, les lèvres pressées l'une contre l'autre pour ne pas répondre.

Et puis, il laissa quelques secondes de silence s'écouler entre eux avant de répondre sur un ton glacial.

- Cesse ces insanités.

Renji ouvrit des grands yeux et revint à la réalité, la dure réalité, réalisant qu'en face de lui, l'homme qui se maîtrisait du mieux qu'il pouvait pour ne pas lui crier dessus, était veuf. Qu'il avait perdu la femme qu'il aimait, et que nul combat n'avait eu lieu, que seule la maladie implacable et le destin sans pitié l'avait abattue. Il réalisa qu'il n'avait pas de cicatrices à exhiber au monde, car sa femme était le trésor de son cœur, rejetée par tous, blottie dans sa mémoire.

- Cesse !

Cette fois-ci, Byakuya avait bien crié, emplissant la grande pièce vide de toute son autorité. Et son poing droit s'était plaqué sur la table basse à côté de lui, faisant craquer le bois en profondeur.
- Comment peut-on...

Renji détourna la tête pour ne pas voir l'air blessé de son capitaine, comme s'il surprenait quelque chose de trop intime pour le regarder en face.

- Pardon capitaine, murmura-t-il. Je...

Il fut interrompu par un grattement à la porte, suivi d'un serviteur poussant devant lui un plateau chargé d'une théière et de deux bols.

Byakuya remercia l'homme d'un hochement de tête et, alors que celui-ci allait se retirer, il lui demanda autre chose encore.

- Apporte-nous de l'alcool, Matsuri.

Sans poser de question et sans montrer la moindre réaction d'étonnement, le vieillard salua son maître d'une profonde courbette.

Et une fois qu'il fut sorti, Byakuya reprit d'un ton chargé d'amertume.

- Puisque c'est ainsi que tu célèbres le deuil.

Il y avait quelque chose de méprisant, de rabaissant dans ce ton, dans ces mots, et Renji ne se sentait pas d'humeur à se faire traîner dans la boue par son capitaine, pas après avoir serré tendrement Rukia dans ses bras. Il rétorqua du même ton blessé.

- J'ai perdu des gens qui m'étaient chers, moi aussi. Au Rukongai, capitaine, on apprend vite à aimer sans se soucier du lendemain, parce que le lendemain signifie mort, perte, chagrin. Les amitiés qui durent, comme... comme Rukia et moi, sont rares, parce qu'on meurt tôt dans ces quartiers-là.

Byakuya secoua la tête.

- Je sais cela, Rukia m'a parlé de votre passé au Rukongai. Hisana me parlait de ce lieu également parfois.

Il disait cela parce qu'il ne voulait pas que Renji croie qu'il s'octroyait le monopole de la douleur morale. Byakuya n'avait jamais pensé que la vie de son vice-capitaine avait toujours été rose, par bien des aspects elle avait même été plus dure que la sienne. Seulement, ce n'était pas le genre de choses qu'il arrivait à montrer.

- À l'âge de quatre ans, j'ai vu ma mère violée puis tuée sous mes yeux. À six, la grand-mère qui m'avait recueilli s'est faite rouer de coups pour un bol de riz. Elle ne s'est jamais relevée, j'ai pris un coup qui m'a fait éclater la lèvre en voulant la défendre. Et puis il y a eu deux amis qui étaient chez la grand-mère aussi, et ensuite le marchant de patates qui prenait soin des gosses abandonnés, et puis la pute dont j'étais amoureux à dix ans, et puis mes trois meilleurs amis, ceux qui étaient ma famille de rue, ceux avec qui je partageais tout.

Byakuya leva la main, pour bien signifier qu'il avait compris ce que Renji voulait dire. Ils avaient passé l'âge de comparer leur vie pour savoir qui avait la pire.

Mais renji continua.

- Et puis il y a eu l'académie. Il y a eu Rukuro en dernière année, mort en mission, Tsubaki, dernière année aussi. Hanata, Mayuki, Okuto, Jumai, tous de la même promo que moi, tous morts en mission avant d'être diplômés.

Byakuya laissa sa main en suspens, interloqué de voir Renji se souvenir aussi bien de tous les noms de ses condisciples morts. Lui-même pouvait difficilement en citer un ou deux, par ailleurs, il ne s'était pas lié facilement lorsqu'il avait été étudiant à l'académie.

- Et puis vous êtes venu, vous m'avez pris Rukia.

Cette fois, la main de Byakuya retomba sur ses genoux avec un claquement sourd.

- Mon monde s'est à nouveau écroulé. Et une fois en poste, je ne vais pas vous faire la liste de tous ceux que j'ai aimés et qui sont morts en mission, ou de maladie, ou qui ont disparus.

Byakuya ouvrit la bouche, il devait le dire, il devait parler, il devait arrêter le flot bouillonnant de hargne qui lui offrait en pâture la vie entière de son vice-capitaine. Il ne voulait pas partager ce fardeau. Il préférait voir Renji comme un grand benêt un peu brutasse qui en a vue de belles dans la vie.

- Alors ne venez pas me dire que me saouler à leur santé est plus méprisable que de pleurer, me lamenter et m'enfermer dans le silence.

Le capitaine retint ses mots. Il avait à peine entendu la dernière phrase de Renji, la seule chose qu'il avait en tête était la soudaine réalisation qu'un Renji fort et solide le rassurait. Il ne voulait pas entendre parler de ses souffrances, parce qu'il voulait être celui des deux qui souffrait. Il aimait ce partage des rôles, il le trouvait confortable, et surtout il creusait un fossé entre eux, un fossé que les derniers mots de Renji avaient réussi à franchir d'un seul bond.

- Oui, je bois à leur santé, oui, je me rappelle comme ça et oui dans mon cœur et mon corps, il y a chaque jour le souvenir de ceux qui sont tombés.

Et puis il se tut.

Byakuya n'avait pas non plus la force de répondre, il ne pouvait plus traiter son vice-capitaine différemment de lui, parce qu'il était arrivé à son niveau, avec les mêmes blessures, les mêmes douleurs, le même poids sur ses épaules. Le regard que Renji posait sur lui était furieux, blessé certes, mais surtout sérieux, très sérieux.

Il ouvrit la bouche pour parler, mais à cet instant, Matsuri revint avec un nouveau plateau chargé de bouteilles.

- Vous n'aviez pas spécifié, Byakuya-sama, je vous ai apporté un peu de tout.

- Merci Matsuri.

À nouveau, ils attendirent en silence et immobiles que le serviteur se retire pour continuer.

Byakuya prit une grande inspiration. Il ne savait pas quoi dire, il ne savait pas par où commencer. Pris d'une inspiration subite, il désigna l'assortiment de bouteilles entre eux.

- Montre-moi.

- Hein ? Fit Renji, interloqué.

- Je lutte contre le chagrin depuis des années, montre-moi... comment tu fais.

Renji inspira profondément, cherchant le souffle qui lui manquait pour accepter cette étrange demande. C'était difficile pour lui, pour ne pas dire impossible, d'admettre l'idée que son capitaine soit aussi démuni face à la souffrance.

Cinquante ans de deuil, songea le vice-capitaine.

Cinquante ans, c'est une éternité, et c'est sûr qu'au bout d'un moment on ne veut plus du deuil, on ne veut plus souffrir de l'absence. On veut chasser la douleur mais on ne doit pas oser... il ne doit pas oser, il ne doit pas vouloir trahir la mémoire de sa femme.

Sa colère retomba quelque peu. Il chercha ses mots un moment, désireux de trouver la meilleure formulation possible. Sans accuser, sans ambiguïté, sans jugement de valeur. Il devait donner à sa voix le ton juste. Et puis il reprit, à voix basse, presque timide.

- Il y a une tradition. Quand j'étais dans la onzième division, chaque année, toute la division se réunissait pour rendre hommage aux morts.

Byakuya redressa la tête, sa tension nerveuse retombant quelque peu.

- J'ignorais cela.

- Ce n'est pas... c'est un secret. Enfin, je veux dire qu'on n'est pas censés en parler avec des étrangers à la division. Même lorsqu'on n'appartient plus à la onzième.

Le capitaine hocha la tête, reconnaissant la confiance que lui accordait Renji. Les traditions, les secrets, les tabous des divisions étaient fréquents, et les respecter était un devoir tacite auquel chacun se pliait quelque soit son rang.

- Nous nous réunissons et nous portons un toast pour chacun des morts de l'année passée, en appelant leur nom tous ensemble. Et puis les anciens appellent les noms des morts des années précédentes, et nous buvons également à leur santé. Et ainsi, jusqu'à remonter au plus ancien shinigami décédé dans la onzième dont on se souvient.

Byakuya fronça les sourcils.

- Cela fait un grand nombre de toasts.

- Bien sûr, c'est pour ça que, si quelqu'un d'extérieur venait y assister, il dirait que ce n'est qu'un vaste prétexte à une nouvelle beuverie. Et c'est vrai aussi qu'à la fin, plus personne n'a les idées bien claires. Mais ce qui compte c'est le souvenir, c'est de se rassembler et prononcer des noms de gens qu'on n'a bien connu, ou de parfaits étrangers morts avant qu'on soit né, en se souvenant qu'ils existaient.

- Est-ce que cela suffit ?

- Pour ne plus sentir le chagrin en nous, oui. Cela suffit parce que ça nous permet de porter fièrement nos morts dans nos mémoires.

- Et cela suffit de manière durable ?

Renji haussa les épaules, un air triste sur le visage.

- Ben... on recommence chaque année...

Byakuya esquissa un pauvre sourire. Et puis, d'un geste infiniment gracieux, il ouvrit une des bouteilles, et en versa un fond dans chaque bol. Il en tendit un à Renji qui le prit par réflexe.

- Au capitaine Ukitake.

Renij leva son verre au niveau de ses yeux et rencontra ceux, plus sombres que jamais, de son capitaine.

- Au capitaine Ukitake, fit-il en écho.

Et ils portèrent le verre à leur lèvre. Après avoir vidé le sien d'un trait, Renji couva son capitaine d'un œil lourd de critique.

- L'usage veut qu'on descende le verre cul sec.

- Ah oui ?

- C'est bien plus efficace ainsi.

Byakuya s'exécuta, réprimant une grimace. Il n'avait pas l'habitude de boire de l'alcool ainsi, à jeun, et d'un seul coup. Mais si le goût fort laissa une marque amère dans sa bouche, la sensation de chaleur qui se diffusa dans sa gorge et dans tout son corps se révéla particulièrement agréable. Ce n'était pas la même chaleur que celle du thé, qui ne venait que de la température de l'eau. C'était une sensation toute particulière, nouvelle, presque sensuelle.

Renji avait vu son capitaine boire la coupe d'un trait à sa grande stupéfaction. Pour être tout à fait franc, il n'avait jamais cru Kuchiki capable de suivre ainsi à la lettre ses recommandations. D'ailleurs... Renji sentit le regard insistant de son capitaine sur lui et il réalisa qu'il avait encore sa coupe en main, vide, le bras levé à mi hauteur.

Il chercha une seconde à interpréter rationnellement ce regard, et puis renonça, acceptant l'idée que Byakuya Kuchiki, son très coincé capitaine, le mettait au défi.

Il tendit la main vers la bouteille la plus proche et resservit les deux coupes, bien pleines.

Alors qu'ils s'apprêtaient à trinquer à nouveau, Byakuya fronça les sourcils.

- Qui est mort dans notre division cette année ?

- Heu... personne capitaine. Nous ne sommes pas une division combattante.

- Et l'année précédente ?

- Pas plus.

- L'année encore avant ?

- Je n'étais pas encore en poste à la sixième, capitaine.

- C'est vrai. Et bien tant pis, je suppose que nous pouvons aussi honorer les morts plus anciens et des autres divisions.

Renji esquissa un léger sourire, et tendit le bras.

- À tous les combattants alors.

- À tous les combattants.

Et ils vidèrent leur verre.

Lorsqu'ils le reposèrent, le regard de défi fut mutuel.

Renji n'avait plus perdu de concours alcoolique depuis une vingtaine d'années, et il était prêt à parier que Kuchiki n'en avait jamais gagné un seul. Il aurait pu lui concéder un handicap, mais il savait que son capitaine le verrait et qu'il lui en voudrait. Et s'il y avait bien une chose que Renji ne voulait pas, c'était de s'attirer les foudres de Byakuya.

Il remplit à nouveau les verres.

- Au vice-capitaine Sasakibe.

Byakuya hocha la tête. Oui, tant qu'on y est, on peut faire tous les morts du Gotei 13 de l'année.

- Au vice-capitaine Sasakibe.

La quatrième rasade fut un peu moins généreuse que les précédentes, Kuchiki le remarqua et une mimique suffisante se dessina sur ses traits. Renji n'aurait pas pu décrire cette expression comme un sourire, mais il se sentit aussi choqué que si ça avait vraiment été le cas. C'était quelque chose d'entièrement nouveau et de vaguement déstabilisant.

Mais il leva le bras pour trinquer. Renji Abarai, invaincu au concours de bibine n'allait pas s'en laisser conter par un capitaine qui carburait au thé vert toute la journée.

Quelques morts de l'année du Seireitei y passèrent, même ceux qui étaient morts bêtement en glissant dans leur baignoire. Et puis les morts de l'année précédente. Et puis la mémoire de Renji commença à prendre un sacré coup. Et lorsqu'il en arriva à dire « au capitaine Tosen », Byakuya haussa un sourcil mais ne dis rien et trinqua. Même chose pour le capitaine Ichimaru qui était tout sauf regretté, mais bon, ça n'empêche pas de fêter sa mort (au contraire). Et alors qu'il allait porter le toast suivant d'un bras relativement vacillant, Renji surpris le regard à la fois ironique et singulièrement agressif de son capitaine qui semblait dire « si tu prononces son nom, tu finis déchiqueté sur le plancher ».

Renji sourit, il s'y était attendu, on ne plaisante pas avec le sens de l'honneur des Kuchiki.

- A Kanisawa.

Byakuya eut un regard interrogateur et Renji expliqua, essayant de bafouiller le moins possible.

- C'est la première shinigami que j'ai vu mourir dans l'exercice de ses fonctions.

Byakuya inspira et répéta le nom qui ne lui disait rien.

Dans son esprit complètement embrouillé par l'alcool, erra la pensée que cette femme devait avoir profondément marqué Renji pour qu'il s'en souvienne encore, lui n'arrivait pas mettre un nom sur les premiers shinigamis qu'il avait vu mourir.

Il releva la tête qui s'était légèrement affaissée pour tomber sur un sourire empli de nostalgie.

- Pas particulièrement, c'était la première fois que je voyais un shinigami mourir, j'étais en première année à l'académie et c'était notre première sortie du Seireitei.

Byakuya écouta à peine la réponse. Il avait pensé à haute voix, non ? Si Renji répondait à ses pensées, c'est bien qu'il avait pensé à haute voix. Ou Renji lisait dans ses pensées.

Un toussotement un peu gêné lui parvint.

- C'est peut-être suffisant pour ce soir non ?

Et Byakuya réalisa qu'il avait encore pensé à haute voix. Il s'efforça de construire une phrase cohérente, tout en trouvant sa langue trop pâteuse pour parler intelligiblement.

- Non.

Alors Renji fit la seule chose intelligente à faire, il reposa son verre et rempli celui de son capitaine de thé, histoire de ne pas être celui qui aurait assisté à une cuite de Byakuya Kuchiki. Et il continua à parler, histoire de ne pas être celui qui entendrait des phrases insensées de la part de Byakuya Kuchiki.

- Je m'en souviens comme si c'était hier, un hollow bizarre nous avait attaqués. Les deux senpai s'étaient faire avoir, Kanisawa et Aoga. Et Hisagi avait failli y passer aussi, c'est depuis qu'il a ces cicatrices sur le visage.

Byakuya but docilement le thé qu'on lui tendait tout en écoutant Renji parler. Il essayait de se concentrer sur les paroles mais par moment, il lui semblait n'avoir que l'image sans le son. Et il se prit à apprécier l'image, particulièrement ses cheveux mouillés tombant en cascades sur les épaules de l'officier.

- Hinamori s'était précipitée pour se battre. Qui l'eût cru ? Et bêtement Kira et moi on l'a suivie. Kira c'est normal, il était bêtement amoureux d'elle, mais moi, franchement... je me demande encore ce qui a fait que je me suis précipité aussi sans me poser de question. Je devais être bêtement bête.

Tout en s'enfilant une seconde tasse de thé qui lui permit de recouvrer un peu sa lucidité, Byakuya ne put s'empêcher de commenter.

- Ce n'est pas un mystère, Renji, tu es courageux, exceptionnellement courageux.

Renji en lâcha sa coupe d'alcool, qui se renversa sur le tatami.

- Heu... ha... merci.

- C'est la vérité. Je ne donne pas dans la flatterie.

- Je sais capitaine. Merci quand même.

Byakuya sentit l'odeur du danger avant même de percevoir ce qui le mettait en danger. Il avait à nouveau l'impression d'avoir parfaitement conscience de ce qui l'entourait, mais il était aussi douloureusement averti de la perte de réflexe et de ses capacités sous l'effet de l'alcool. Et pourtant il sentit l'odeur du danger, parce qu'il avait, comme tous les soldats expérimentés, cet instinct qui le prévenait des situations dangereuses.

Le léger tournis qu'il ressentait et la chaleur diffuse sur son visage et ses mains et dans son ventre devaient en être des signes. Il reprit une tasse de thé, tout en observant que Renji se resservait un vin liquoreux plutôt traître. Byakuya se souvint qu'il appréciait ce vin, pour une raison bien précise, et que Renji venait de vider la bouteille dans sa coupe. Alors il tendit le bras, s'approcha de quelques dizaines de centimètres de sorte qu'il ne faisait plus face à son premier officier mais se trouvait de profil par rapport à lui, leur genoux se touchant presque. Il se saisit de la coupe qui touchait tout juste les lèvres de Renji et la porta aux siennes pour prendre une petite gorgée de vin. S'il remarqua la rougeur sur les joues du vice-capitaine, il ne fit aucune remarque, et surtout, il rangea au loin dans son esprit l'idée que cette rougeur-là n'était pas provoquée par leur célébration funèbre. Il savait parfaitement ce qui pouvait traverser les sens de Renji il ne voulait pas y penser, pas tant qu'il était esclave de l'alcool absorbé.

- C'était le vin préféré de Sojun Kuchiki.

Le rougissement de Renji s'accentua et il se mit à bafouiller.

- Sojun... vous... c'est votre... vous voulez dire...

- C'était mon père.

Renji s'enfonça dans un abîme de confusion.

- Je suis désolé, si j'avais su je...

Byakuya sourit, pour de bon cette fois.

- Les vin est fait pour être bu.

Renji s'interdit de commenter la phrase, mais il sourit en retour, histoire de montrer qu'il adhérait à l'idée.

- Je pense que la dernière gorgée peut lui être dédiée.

La voix du capitaine se fit brutalement rauque et hésitante. Et il tendit la coupe à Renji qui la récupéra et l'éleva légèrement.

- À Sojun Kuchiki.

Il trempa ses lèvres avec un peu d'appréhension et but un peu avant de rendre le petit bol au capitaine.

Lorsque leurs doigts se touchèrent, Renji rougit de plus belle et Byakuya comprit d'où venait le danger. L'alcool devait avoir accompli son œuvre en lui, parce que ce danger l'amusa follement.

Renji également sentit le danger, au moment même où il perçut le tremblement de satisfaction qui agita les lèvres fines de son capitaine. Il y avait une chance infinitésimale que la situation tourne mal, une chance dont il ne voulait pas profiter, une chance trouvée au fond de la bouteille n'a que peu de valeur.

Avec un air étrangement doux, Byakuya reposa la coupelle et chercha parmi les bouteilles celle qui serait l'objet de son choix. Il agissait comme si de rien n'était, et pourtant Renji était prêt à jurer qu'il avait vu le danger lui aussi. Et Kuchiki se riait du danger, il défiait de toute sa noblesse la terrible ombre qui s'abattait sur eux. Renji lui ne se sentait pas le courage de faire comme lui. Il ne défiait pas ce genre de danger, il l'esquivait, il lui tournait le dos et il l'ignorait en priant pour que la tentation ne dure que l'espace d'une soirée.

- Je devrais peut-être vous laisser, capitaine.

Byakuya lui asséna un regard dédaigneux.

- Ah oui ? Aurais-tu du travail en retard ?

- Vous moquez pas. Vous êtes presque ivre et ça ne...

La poigne solide, et étonnamment puissante pour un homme supposément ivre, saisit le poignet de Renji alors qu'il se relevait pour partir. Et la voix qui suivit était cassée, hantée, et flamboyante en même temps, elle respirait la souffrance.

- Je ressens toujours la douleur, Renji, c'est comme une brûlure qui ne cesse de brûler en moi.

L'officier perçut l'accusation muette. Je ne suis pas venu avec un miracle, moi.

- C'est que vous avez pas assez bu, fit-il en soupirant.

- Je ne veux pas m'enivrer.

- C'est pourtant qu'il y a la solution, dans l'ivresse. C'est... c'est le moment où...

- Oui ?

Il se baissa, poussé par la force de son capitaine et par l'intensité du regard posé sur lui.

- Où... tout souvenir disparaît. Vous allez voir, vous ne garderez que ce qui compte pour vous.

La poigne solide le tira encore un peu et Renji finit sur les genoux, le plateau de bouteilles sous le nez.

- Capitaine.

- Choisi.
Renji sentit sa gorge ses serrer, ses mains devenir moites, lorsqu'il ouvrit une nouvelle bouteille et remplit les deux coupelles. S'il se basait sur la chaleur qui avait envahi son visage, il devait être écarlate. Mais un coup d'œil en coin lui permit de remarquer que même Kuchiki avait légèrement rosi. Très légèrement. Comme après un premier verre, la réaction était légère et imperceptible. Comme pour un premier verre, cela resterait sans conséquence s'ils en restaient là.

Lorsque la bouteille fut à moitié vide, ou à moitié pleine, il sentit à nouveau le danger rôder. D'autant plus que Kuchiki n'avait toujours pas lâché son poignet, même s'il le serrait moins fort. Et Renji prit la ferme résolution de s'échapper dès que la pression sur son bras le lui permettrait. Quand on s'enivre, d'alcool ou d'autre chose, l'important est de savoir dire non au second verre, sinon c'est foutu.

Quelques longues poignées de minutes de silence plus tard, entrecoupé seulement des bruits qu'ils faisaient en versant leur boisson et en la buvant, et Byakuya avait replongé dans une saine ébriété, les sens altérés et le jugement mis à mal. Pourtant, quelque part, il se voyait encore en train de boire, et il se forçait à ne pas tout avaler cul sec, mais à savourer le plus possible ce qu'il buvait. Quelque part aussi, il savait qu'il attendait autre chose, qu'il voulait autre chose, que le danger était toujours là et qu'il devait faire front. Lui, il voulait l'autre ivresse, lui savait que c'était déjà trop tard dans sa tête, il avait déjà entamé le second verre en attrapant le poignet de Renji.

Et de coupe en coupe, toujours la main fermement passée autour du poignet de son vice-capitaine, Byakuya sentit le sort opérer.

- La chaleur... a remplacé...

- C'est normal, soupira Renji en priant de toutes les forces de son âme pour ne pas céder. L'appel du vide est séduisant, il flatte les plus grandes folies en nous, il laisse croire que tout est possible, qu'il n'y a plus de limites à rien.

- La chaleur...

Oh non, pas avec lui. Pas lui du tout.

Il voyait déjà, quelque instant plus tard, ses bonnes résolutions tombée en lambeaux, gisant sur le sol à côté de leurs vêtements. Il le voyait venir, aussi sûrement que les nuages voient venir la pluie, aussi sûrement qu'un verre rempli se vide.

- Il n'y a plus de douleur en moi, juste... je me sens brûler.

Mû par un instinct purement primitif, Renji rejeta sa coupe derrière lui et se pencha sur son capitaine.

- Vous avez chaud ?

- Oui.

Il le plaqua sur le sol, son poignet toujours emprisonné, mais il n'en avait cure. Il devait passer à autre chose, les premiers verres bus, on cherche toujours quelque chose de plus fort, un alcool plus corsé, plus de caractère pour se sentir vraiment vivant... ivre, savourant.

- Chaud... de partout ?

Et tout en disant, sa main libre se frayait un chemin sous les vêtements du capitaine.

- Prends garde, Renji.

Le ton menaçant du capitaine était bien trop embrumé par l'alcool pour être convaincant, et les sens de Renji trop embrouillés par l'alcool pour l'entendre. Comme on sait qu'il faut s'arrêter, qu'un verre de plus sera un verre de trop, mais qu'on en est incapable.

Il fourra son visage dans le creux entre le cou et l'épaule de Byakuya et inspira profondément la peau. La seconde main du capitaine se trouva dans ses cheveux, lui tirant la tête en arrière.

- Ne te crois pas autorisé à...

Le jeune homme lui échappa d'un mouvement brusque, les deux mains du capitaine cédèrent, retombant mollement sur le sol.

- Non. Ça ne marche pas comme ça, murmura Renji le visage trop proche de celui de Byakuya, vous ne pouvez pas me dire d'arrêter...

- Renji...

- ... pas maintenant. »

Libre enfin, les mains tremblantes de Renji s'acharnèrent sur les vêtements, qu'il défit rapidement. Riant au danger, sa bouche s'écrasa sur celle du capitaine, folle et sauvage. Le goût amer de l'alcool l'emplit, et la saveur étrangère, propre aux lèvres de Byakuya, s'imprima sur ses lèvres. Il n'oublierait pas qu'il avait volé un baiser à cet homme, il n'oublierait jamais le goût salé, le goût que, il en était sûr, personne avant lui n'avait goûté avec autant de brusquerie.

Quelques frémissements, des mouvements brusques, incertains, trop pressés pour être naturels, et leurs vêtements étaient ouverts, débraillés, traînaient par terre. Byakuya alangui sur le sol, perdu dans les brumes enchanteresses de l'ivresse, tentait vainement de ne pas se perdre. Car il avait vu le danger venir, il avait voulu le mettre au défi de l'affronter et il réalisait maintenant combien il avait été présomptueux. Face à ce genre de danger, il était sans arme et sans expérience, il était faible et vulnérable, il pouvait faire face au danger, mais il finirait inéluctablement par se faire emporter.

Renji, à moitié à genoux, recouvrait le corps de son capitaine du sien, mêlant leur chaleur, leur souffle haletant, la sueur qui les recouvrait. Et il dévorait son visage, la peau fine de son cou, la moindre parcelle de peau, tout ce qui lui était offert, il le prenait.

Byakuya se sentit frémir de la racine des cheveux jusqu'à la plante des pieds, à l'avalanche de sensations nouvelles qui l'ensevelissaient brutalement. La chaleur de Renji à tous les endroit où leur peau se touchait laissait des traces brûlantes sur lui, l'humidité de sa bouche qui cherchait à goûter la moindre parcelle de son épiderme ne disparaissait que pour céder la place à des papillonnements qui lui envahissaient l'esprit, l'empêchant de penser à quoi que ce soit d'autre, les longues mèches rouges qui frôlaient sa peau, provoquant des picotements délicieux... La débauche d'informations que son cerveau devait assimiler en même temps était bien trop importante, et le vertige alcoolique dans lequel il plongeait depuis qu'il s'était allongé n'aidait certainement pas à lui faire conserver toute sa tête.

Les mains sur son corps, qui cherchaient, tâtaient, exploraient, semblaient aussi avides que la bouche, assoiffées de le connaître, de découvrir tout de lui. Et il pria intensément pour que jamais cette bouche, jamais ces mains, jamais ce corps pressé sur le sien ne soient rassasiés, jamais.

Ses yeux se fermèrent, les paupières pressées, pour sentir, uniquement, pour ne plus voir, ni savoir, pour être simplement ce corps effleuré, pétri, exploré, pour s'abandonner.

Mais cela ne dura pas. Byakuya ouvrit les yeux en grand, et la bouche encore plus grand, cherchant la moindre particule d'oxygène disponible, lorsqu'il sentit son officier écarter ses jambes pour se mettre entre elles. Le capitaine releva la tête pour voir. Et son cœur s'arrêta. Son souffle mourut dans sa gorge. Le regard avide de Renji le dévorait, ses lèvres rougies, gonflées par le désir, sa peau luisant de sueur, et ses yeux, ses yeux implorants, incertains et fous en même temps. Byakuya se laissa hypnotiser par ces yeux-là, plongeant les siens dedans, se noyant dans l'eau trouble en face de lui. Bon sang, il pouvait se noyer, Renji serait là pour le récupérer.

Il sentit les mains lui prendre le visage, et quelque chose de poisseux et fibreux sous ses doigts. Ses cheveux... il tenait ses cheveux entre les doigts, sa main était partie toute seul attraper une mèche flamboyante et il se mit à tirer, doucement d'abord, et puis fermement. Il tira jusqu'à ce que leur visage se rencontrent, leurs lèvres butant les unes contre les autres, leur nez se heurtant, leur langue emmêlées, leur souffle mêlés.

En reprenant un peu d'air, Byakuya ne put s'empêcher de frémir. Il avait ces yeux larmoyants sur lui, et il y plongeait avec l'assurance irréelle d'un homme ivre qui se jette du haut d'un pont en pensant pouvoir voler.

« Bon sang, Renji...

- Chut... capitaine... fermez-la, par pitié.

Byakuya lâcha les cheveux qu'il triturait avec application pour prendre la tête de son amant et la tenir bien en face, alors que Renji allait pour détourner le regard. Le ton était tellement désespéré, tellement sombre qu'il ne pouvait pas laisser faire ainsi.

- Bon sang, Renji...

Ses mains quittèrent le visage du jeune homme pour l'enlacer et le serrer tout contre lui, il murmura, incapable de croire qu'il laissait ces mots franchir ses lèvres.

- ... fais-moi ce que tu veux, mais arrête de m'appeler capitaine.

- Cap...

Il serra un peu plus ses bras autour des épaules de Renji, et plia légèrement sa jambe, juste assez pour que son genou vienne frotter contre la cuisse de son amant.

Renji déglutit avec difficulté, et passa à son tour ses bras autour du corps frémissant de Kuchiki. Sa voix se fit hésitante, basse et timide.

- Byakuya ? »

Le capitaine sentit un frisson long et intense remonter le long de sa colonne vertébrale. La voix rauque et basse murmura son prénom dans le creux de son oreille, il n'avait, de toute la force de sa mémoire, jamais entendu, jamais vécu, jamais ressenti rien de plus sensuel.

Maintenant c'était un peu tard, il avait accepté la coupe qui lui était tendue, il avait pris de ses mains le verre, il s'était lui-même enivré, il avait regardé dans les yeux le danger et l'avait pris par la main, mené à lui.

Il sentait le sexe de Renji frotter contre sa peau, chaud, dur, chair palpitante qui n'attendait qu'un mot de sa part.

« Renji. »

Il entendait sa voix de très loin, cassée, rauque et haletante, incapable de se reconnaître.

« Renji. »

Et il continuait, il continuait il appelait son nom sans réaliser ce qu'il faisait, ce qu'il disait.

Il sentit la main entre ses jambes, il entendit le son mouillé d'une langue qui passait sur des lèvres sèches. Les lambeaux flamboyants s'échappèrent de sa main et le regard dévorant s'évanouit dans l'obscurité, la chaleur du corps sur lui disparut, laissant place à un vide glacial. Pour la première fois de sa vie, il sentit le vide, le froid, et son corps se rebellait contre cette sensation, son corps avait besoin d'un très grand nombre de degrés en plus pour se sentir bien, il avait besoin que ce soit chaud, et que ce soit tout de suite. Il haletait, il reprenait son souffle avec un grognement de protestation.

Qui s'étend lorsque la chaleur revint brutalement. Pas sur son corps, non pas sur tout son corps. Uniquement entre ses jambes, un souffle chaud, humide, moite, posé sur son propre sexe en érection.

Il réalisa une seconde ce que cela signifiait et il releva la tête brusquement, pour voir la tignasse rouge, trempée de sueur et emmêlée par leurs caresses, qui émergeait entre ses jambes. Et il vit les grandes mains calleuses entourant ses cuisses, écartant ses jambes, pétrissant la chair blanche avec application.

Il aspira une grande bouffée d'oxygène mais son corps refusait d'accepter l'air en lui, sa bouche était sèche, sa langue engourdie et sa gorge nouée. Son ventre était contracté comme jamais, attendant avec impatience et appréhension ce qui devait suivre. Ce qui devait inévitablement suivre.

La chaleur se répandit en lui, et il rejeta la tête en arrière, à la recherche désespérée d'un peu d'air, d'un tout petit peu d'air, juste assez pour voir ce jour se terminer, juste assez pour survivre à cette expérience inédite, nouvelle et plus excitante que tout ce qu'il avait vécu jusqu'à là. Il sentit tout son corps trembler d'un seul tenant lorsque la sensation moite engloutit son sexe. Les mots voulurent se former sur ses lèvres, mais tout s'embrouillait, incapable de concevoir une seule pensée cohérente, les gestes, les mots, les cris, les gémissements, le choc et l'excitation, rien ne pouvait sortir. Peur, non, Renji, si bon, fais-le, non, la chaleur, oui, si bon, aime-moi, Renji, si chaud, prends-le, dévore-moi, relâche-moi, pitié, arrête-toi, continue, que tout cela cesse, jamais, jamais, toute la nuit, encore, plus, toujours plus. Ses pensées erraient dans la pièce, allaient de la présence entre ses jambes qui l'emmenaient plus loin qu'il n'avait jamais été, qui le prenait, l'avalait, le dégustait, il se sentait proie traquée, découverte, mise à terre, dépecée, dévorée. Et son corps abandonnait, son corps blessé dans sa chair laissait faire, s'abandonnait à la curée qui lui était promise.

Il respira enfin, et en vain, le même poids pesait toujours sur son torse, oppression délectable qui irradiant de sa poitrine pour se répandre dans tous son corps. Une nouvelle avalanche de sensation déferla sur lui, un mouvement étrange sur son sexe, la sensation d'aspiration, la moiteur, le contact spongieux avec la bouche de Renji. Il le suçait, avec intensité, avec passion, avec une pointe de plaisir pervers, et cette idée, cette idée de provoquer chez son amant un tel plaisir fit gémir Byakuya.

Tout son corps répondait à l'indescriptible plaisir qui se répandait en lui, se concentrant dans son bas-ventre, point névralgique d'une sensualité qu'il ignorait posséder. A nouveau, il fut pris par surprise, quelque chose d'autre était dans la bouche de Renji, massant son sexe, titillant la peau tendue. Et puis le contact disparut, une courte seconde, pour réapparaître plus loin, au plus près de son intimité, massant toujours, titillant toujours, et palpant, mettant à l'épreuve les muscles tendus, pénétrant délicatement, du bout d'un doigt.

Byakuya sera les poings. Ainsi ce n'était pas assez qu'il s'abandonne tout entier ? Pas assez d'être faible face au plaisir, il fallait encore qu'il se donne, volontairement, entièrement, complètement, totalement, il fallait qu'il laisse son amant disposer de lui ? La pensée fit son chemin en lui, se fraya un sentier au milieu des nimbes de son esprit, s'imposa à lui, et l'effraya terriblement.

Il serra les poings, l'une de ses mains se referma sur un bout de son uniforme, pressant le tissus entre ses doigts, alors que ceux de Renji se permettaient de plus en plus de liberté avec son corps. L'autre main se referma dans le vide, et il la tendit devant lui jusqu'à ce qu'il rencontre un obstacle. Il pressa doucement. Le contact mouillé et filandreux. Sa main plongea avec délectation dans la chevelure, jusqu'à prendre la forme du crâne en dessous et le pousser doucement vers lui. Il ignorait jusqu'où il pouvait faire cela, il ignorait tout d'une quelconque convention lorsqu'on vous gratifie d'un tel traitement, mais il tentait sa chance, il voulait que l'intense chaleur explose, il voulait être libéré de cette tension, de la pression que faisait peser sur lui les caresse d'une langue experte.

Il ne fallut pas beaucoup de temps pour que son vœu se réalise, toute la tension se concentra dans son bas-ventre, ses yeux se fermèrent tous seuls, envahis par un éclat aveuglant, ses poings se serrèrent, il sentit ses ongles labourer le crâne de Renji, tout son corps fut traversé d'une tension incroyable, au point que ses pieds se tendirent brutalement, ses orteils recroquevillés, la plante des pieds crispée.

Il se répandit dans la bouche de Renji, le souffle court, la bouche grande ouverte et un gémissement muet s'en échappant.

A peine se sentit-il reposé de cette épuisante étreinte que la sensation recommença, au seuil de son intimité, la langue chaude, poisseuse, mouillée de salive et de sperme, s'acharnait à détendre cette seule et minuscule partie de lui.

Byakuya gémit.

« Renji.

Pour toute réponse, à nouveau l'intrusion d'un doigt, puis d'un second, et le mouvement, à l'intérieur, le mouvement qui le déchirait et l'excitait en même temps.

A nouveau, sa voix s'éleva.

- Renji...

- Sshh... laissez-moi faire.

- Je ne... ce n'est pas ce que je... je n'ai jamais...

- Oui, je sais. Laissez-vous faire... »

Le mouvement en lui s'accentua, ses jambes se crispèrent, car la douleur était bien là, enfouie en lui, sommeillant dans ses entrailles, réveillée par ce toucher intrusif, incongru, inconnu. Il frissonna, se tendit et serra à nouveau les poings. Mais cette fois, le corps chaud et lourd de Renji se reposa sur le sien, sans cesser pour autant de le préparer. Une jambe s'entortilla autour de la sienne, les lèves sèches et chaudes se posèrent sur lui, dans le creux de son cou, mordillant la peau fine et pâle, suçant délicatement de petits morceaux de chair.

Et il le sentit, contre lui, les doigts se retirèrent, et la chair dure du sexe pressé contre lui agressa ses sens. D'un geste de pur réflexe, il se tendit, serrant les jambes, inutilement car celles de Renji le retenaient, et levant un bras devant lui, dans une tentative maladroite de se débarrasser de la présence sur lui, qui forçait son corps à s'ouvrir à lui.

Son bras rencontra une main, chaude, toujours aussi chaude. Mais tremblante, tremblotante de peur et d'émotion. Et contre sa bouche, un souffle se posa, tremblant aussi, cédant le pas à une voix incertaine, une voix timide, irrésolue, presque suppliante.

« Ça va aller.

- Non.

- Cap... Byakuya.

Il sursauta à son prénom, chuchoté ainsi, par cette fois vibrante de désir, cette voix demandeuse, jamais, jamais il n'avait trouvé son prénom aussi érotique, jamais il n'avait même pensé qu'un seul mot puisse être érotique.

Renji se pencha sur lui, son visage presque pressé au sien, si bien qu'il sentait ses mots se former sur les lèvres avant même de les entendre ou de sentir le souffle chaud sur les siennes

- Tous les dieux... Je sais que je vais le regretter, vous aussi, à mort après. Mais par pitié, laissez ça se produire. Par pitié.

Et si jamais Byakuya avait cru qu'une prière ne pouvait pas être aussi érotique qu'un mot, cette simple phrase suffit à le détromper. Son autre bras passa autour des épaules musculeuses de son amant.

- Pourquoi regretter ?

- Vous verrez au réveil.

- Je ne veux pas voir alors.

Et il l'enlaça, entourant tout son corps entre ses bras, comme pour l'emprisonner en lui, l'enfouir au plus profond de son corps.

- Je vais vous faire du bien, faites-moi confiance. Juste un peu.

Les bras l'abandonnèrent, et Byakuya trouva tout juste la force de rouvrir les yeux, de regarder ce que faisait l'homme qui se trouvait entre ses jambes, et il eut à peine le courage de ne pas détourner les yeux en voyant Renji se presser contre lui. Il sentit l'intrusion, douloureuse d'abord, gênante, impossible, lente, tellement lente qu'il sentait sa chair s'écarter millimètre par millimètre. Il se sentait s'ouvrir pour un homme, et sa gorge se noua à cette idée, son estomac se remplit de picotement et son cœur fit un bond. La réalisation et l'action, ensemble, les deux faits l'emportaient dans un tourbillon de sensations.

Fermant les yeux, il passa machinalement sa main droite sur le bras qui le retenait en arrière, inspirant le plus profondément possible, il tenta d'apprécier l'intrusion. D'abord doucement, chassant le pic de douleur dans tout le bas de son dos vers les strates les plus profondément enfouies de son esprit. Et puis tentant de reconnaître la forme qui déformait ses chairs. Il se sentait palpiter autour du sexe en lui, les battements de son cœur résonnant sous son crâne, suivant le rythme effréné de ce qui se passait en lui.

Un cri de douleur et de plaisir mêlé lui échappa lorsque Renji commença à bouger. Lentement d'abord, arrachant de nouvelles plaintes à chaque fois que le frottement se faisait trop intense, à chaque fois, il humidifiait ses doigts et massait doucement l'anus de Byakuya.

Et puis il accéléra. Et il se fit plus précis, plus intense. La vitesse et l'acuité des va-et-vient de Renji se combinaient pour créer un nouveau rythme, auquel Byakuya s'aligna, élevant ses hanches avec force, suivant les mouvements de Renji, calquant les siens sur la musique du corps qui le pénétrait.

Le mouvement s'accentua. En avant, en arrière, tout au fond, presque au bord, pilonnant un point caché au plus profond de lui qui lui arrachait des cris rauques, se retirant presque. Il entendait les claquements secs de leur chair l'une contre l'autre, il sentait la brûlure inconfortable des jambes de Renji mouillées de sueur, contre l'arrière de ses cuisses, et celle, plus dure encore, du tatami contre son dos.

Les marques qui resteraient, il ne voulait pas y penser tout de suite. Il se contenta de lâcher la bride à ses gémissements, au plaisir qui déferlait en lui, qui le noyait, qui le submergeait. Il inspira profondément, expira de tous ses poumons. Et sentit les doigts de Renji s'enfoncer dans sa chair au creux de ses reins. Ses propres ongles étaient fermement ancrés dans les épaules de Renji, griffant jusqu'au sang la chair ferme et la peau rugueuse.

Il sentit les gouttes de sueur tomber sur ses yeux toujours clos, et puis sentit les lèvres brûlantes s'abattre sur les siennes. Il sentit ses hanches soulevées du sol, le battement de la peau de Renji sur la sienne changer de rythme, plus rapide, plus pressé, plus désespéré. Il cria à nouveau, Renji était entré plus loin en lui, encore, à un niveau où la douleur et le plaisir avaient perdu tout leur sens, seule restait la certitude, la parfaite intuition d'être pénétré, d'être saisi dans sa chair, de faire un avec un autre, de se fondre l'un dans l'autre. Les souffles mêlés, incapable de savoir s'il gémissait ainsi ou s'il criait, si des larmes coulaient le long de ses joues ou simplement la sueur perlant de ses cheveux, s'il serrait le corps de Renji lui ou si Renji le serrait contre lui, s'il entendait les battements de son cœur, ou ceux de Renji. Il l'embrassait, lui parlait, le suppliait et lui hurlait dessus en même, il était pris et il prenait en même temps, levant et abaissant ses hanches, serrant ses cuisses à chaque fois qu'il voulait que Renji le laisse faire.

Et il sentit son corps éclater en une nuée d'étincelles, son esprit partir en une multitude de particules. La chaleur trop forte, leur étreinte trop intense et entre les doigts appliqués de Renji, il s'était à nouveau lâché. Il retomba sur le tatami, dans un spasme épuisé, sans voir que Renji lui aussi, s'écroulait sur lui, le corps en miettes, les sens éparpillés, et la respiration haletante après avoir joui en lui.

Des heures ou des secondes passèrent, le sommeil aussi passa sur eux comme un voile léger, emportant les derniers spasmes de passion. Le bruissement de la pluie battante n'avait pas faibli une seule seconde, inondant le Seireitei, purifiant le monde en deuil de ses regrets, traçant de larges sillons dans le sol, le long des rues, dans les jardins, nettoyant les scories laissées par la célébration des funérailles imprégnée d'amertume et d'angoisse. À l'oreille attentive, le bruit se faisait rapidement infernal, le clapotis de l'eau se déversant dans les gouttières se perdait dans le grondement infiniment plus profond, comme venant du fond du ciel.

Byakuya ouvrit les yeux comme s'il n'avait pas dormi du tout. La clarté qui se déversait dans sa chambre ne trompait pas, elle ouvrait un jour nouveau sur les murs de papier fin, éclairait les poutres de bois, et révélait les milles petits détails : une toile d'araignée dans un angle du plafond, une tache de thé sur le sol, séchant lentement, une fente dans le bois, un courant d'air qui soulevait faiblement une feuille de papier. Les nuages chargées de pluie s'effilochaient, se dispersaient, laissaient filtrer le soleil timide de cette fin d'après-midi. La lueur jaunâtre annonciatrice de la fin du jour se frayait un passage entre les bras gris de l'orage. Un soupir étrangement soulagé échappa à l'homme allongé sur le sol. Cette lumière-là, comme elle lui paraissait grande et vive, comme jamais une lumière ne l'avait été avant. Cette lumière était chaleureuse. Et son regard tomba sur l'ombre rouge reposant sur son corps. Les cheveux étalés rayonnaient de la même quiétude, sous l'éclat de la même lumière. Tout le poids de Renji reposait sur lui, la tête sur son torse nu, les bras enroulés autour de sa taille, les jambes enlaçant les siennes. Toute sa chaleur passait en lui, l'enveloppait du torse jusqu'aux genoux.

Et Byakuya réalisa que son bras était toujours passé autour de la nuque du jeune homme, sa main reposant sur l'épaule nue de son amant. Il réalisa qu'il n'avait pas vraiment envie de voir cela cesser, pas plus qu'il ne voulait que le soleil se couche, alors que le crépuscule germait déjà dans la brise fraîche qui chassait les traces de la pluie. La pluie avait cessé. Il ne l'avait pas entendu, il n'avait pas compris d'où venait le silence percé de quelques rares chants d'oiseaux, mais la pluie était en train de cesser.

Et en même temps, il prit peu à peu conscience de son corps, son corps douloureux. Alors c'était ça une gueule de bois ? Cette sensation de nausée diffuse, au creux de l'estomac, qui affaiblit tous les membres ? Cette barre douloureuse qui lui traversait le front, cette sourde vibration sous son crâne qui l'assourdissait et l'aveuglait ? Il se félicita d'avoir connu la tempérance qui lui avait épargné une telle expérience jusqu'à là. Quant au reste... il se félicita doublement de n'avoir jamais eu l'idée révoltante de se donner à un homme. Sans parler de Renji qui ronflait sur lui, il ne sentait plus rien depuis la taille jusqu'aux cuisses, ou plutôt, il ressentait une douleur vive et localisée, mêlée d'une gêne diffuse, tous ses muscles lui faisaient mal, certains endroits le brûlaient terriblement, et pas seulement à cause du frottement contre le tatami. Et il se sentait poisseux. Très, poisseux, voire collant.

Et il se sentit rougir, les joues en feu, honteux. Et malgré lui, il se tortilla un peu, cherchant une position dans laquelle il ne sentirait pas certaines parties de son corps adhérer à celui de Renji.

Ce faisant, il provoqua un grognement mécontent chez ce dernier. Et puis un vague bruissement, comme s'il secouait chaque parcelle de sa peau pour se libérer des brumes de l'alcool. Il détacha son bras de l'épaule, juste de quelques centimètres. Les mèches rouges furent rejetées en arrière et un regard incertain se posa sur lui, Byakuya rencontra les minuscules pupilles sombres qui l'interrogeaient sans un mot. Il ne dit rien, sondant le visage face à lui, les lèvres serrées, écarlates, l'enchevêtrement de cheveux, et une petite mèche qui lui collait au front, se glissait le long du nez, contournait les lèves et se perdait dans le creux de son cou. Byakuya lutta farouchement pour ne pas remettre cette mèche à sa place. Au lieu de cela, il ferma les yeux, il ferma les yeux parce que la rougeur sur les joues et le front de son amant ressemblait beaucoup trop à celle qu'il sentait se répandre sur son propre visage.

Il sentit la respiration de Renji s'accélérer.

« Je devrais y aller... »

Les mots y étaient, mais sans aucune conviction, sans même une fausse bonne volonté, sans aucune masque. C'était plus un constat. Oui, il aurait dû partir, car c'était la seule chose à faire, le reste aurait été vain.

Pour toute réponse, Byakuya laissa sa main partir, retirer la mèche rebelle et la remettre dans le rang. À peine cela fut-il fait qu'elle se détacha à nouveau de la chevelure rouge et retomba devant les yeux du vice-capitaine.

Un soupir lui échappa. Sous le regard scrutateur de Renji, Byakuya reposa sa tête sur le tatami, ainsi que son bras, la main vers le panneau coulissant qui laissait un rai de lumière passer, pour dessiner une ligne dorée sur le sol et le mur.

« Certes. »

Il ferma les yeux et passa le dos de sa main sur son front. Réfléchir devenait réellement difficile avec l'impression d'avoir un zanpakuto enfoncé entre les deux oreilles.

« Mal au crâne ?

Byakuya haussa un sourcil. Il parvenait encore à rendre sa question à la fois inquiète, sournoise, moqueuse et timide.

- À qui la faute ?

- Je peux vous donner un bon remède à ça.

Byakuya redressa un tout petit peu la tête et fixa son vice-capitaine d'un air dubitatif. Renji avait déjà attrapé le goulot d'une des bouteilles qui avaient finis par terre à cause d'eux. Le regard du capitaine se fit sévère.

- Je sais ce dont tu parles.

- Le mal par le mal, confirma Renji avec un sourire plein de dents.

Byakuya se redressa, appuyé sur ses coudes, dominant Renji, un air de dédain peint sur le visage.

- Mêmes causes, mêmes effets, ça ne fera jamais passer le mal.

- C'est pas fait pour, rétorqua Renji, un peu moins sûr de lui. Ça vous fera juste un peu oublier le mal.

- J'ai eu ma dose d'oubli pour aujourd'hui. »

Il vit avec satisfaction que Renji tentait d'éviter son regard. Lui-même ne savait pas quoi faire, en dehors de cet échange bravache, mais il gardait le regard fixé sur son amant de la journée passée. Il n'avait pas la force d'argumenter, il n'avait plus le courage d'être dur, il se sentait malade et fatigué. Alors il soupira profondément, secouant la tête avec lassitude. Il reposa la tête sur le tatami et du bras entourant le cou de Renji, il le pressa contre lui. De l'autre, il attrapa la bouteille et l'arracha au vice-capitaine, et puis enroula ses doigts autour des siens.

- Tais-toi et dors. »

Quelque chose finirait bien par arriver qui réglerait cette situation, pour l'instant, il n'avait qu'un seul souhait : retourner dans la chaleur bienfaisante, la douce ivresse, et s'y noyer.

FIN

Ou pas... si on est inspiré, on fera une suite. Genre RenBya, la cuite le retour !

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