Certaines nuits dénuées de tout nuage, lorsque la lueur de la lune veillait et que calmement, les vagues caressaient la coque du Thousand Sunny, on pouvait entendre un clappement de sandales se diriger sur le pont. Peu après, un jeune homme se jetait sur la figure de proue si familière du bateau. Se positionnant en tailleur, il balayait de ses yeux sombres les brillantes étoiles. Luffy quittait ainsi le dortoir lorsqu'il était devenu insupportable de rester cloué dans son lit, incapable de fermer les yeux dans le silence entrecoupé de ronflements sonores et marmonnements divers.
Il balançait ses jambes au-dessus de l'océan obscur, humant sereinement l'air humide qui chatouillait ses cheveux d'ébène. N'importe qui ayant contemplé le jeune homme ne serait-ce que deux minutes aurait trouvé cette scène paisible contraire à sa nature… Mais Luffy n'était pas exempt de la nostalgie dans laquelle il se perdait à l'occasion, ralentissant sa cadence unique et turbulente.
Il se remémorait Shanks, qui l'initiait, avec ses histoires incroyables, au monde extérieur, ses océans et ses mystères. Garp, qui l'avait abandonné si souvent à même la nature, mais qui restait, il le savait, dans les parages, prêt à bondir si un réel danger survenait. Dadan qui, malgré son mauvais caractère, entreprenait de soigner ses blessures en aboyant ses sermons interminables auxquels il ne prêtait qu'une oreille distraite. Après tout, il avait toujours soit la bouche trop occupée à argumenter, ou trop pleine. Makino, la douceur incarnée, même le maire, ce bon vieux monsieur. Et puis il pensait à ses frères.
Sabo, qui s'entêtait à l'éduquer sur les arts littéraires, le plus doux des trois têtes de linotte qu'ils étaient. Poli et agréable, il avait toujours le bon mot sur les lèvres, avait l'encouragement facile. Luffy possédait un don naturel pour mettre la patience des autres à rude épreuve, mais celle de Sabo ne pliait jamais. Sur certains points néanmoins, il s'avérait définitivement aussi stupide que les deux autres. «Shishishi», laissait quelques fois échapper Luffy entre deux souvenirs.
Et Ace… malgré qu'au début il fût plus ardu de songer à lui sans ressentir un léger malaise, il n'hésitait plus à le faire, un sourire étirant ses lèvres. Luffy avait toujours ardemment désiré l'acceptation, la reconnaissance de ses aptitudes par son aîné. Mais ce dernier était loin d'être habile avec les mots, pas comme Sabo. Il préférait l'insulte à la tendresse, et non par méchanceté, mais parce que c'était plus facile. Sabo dû – plusieurs fois – s'étendre en explications, mais Luffy finit par saisir lui-même cet aspect de la personnalité de Ace. Car après tout, celui-ci était toujours le premier agenouillé à ses côtés lorsqu'il se blessait, un éclair paniqué traversant son regard. Finalement, après la disparition du blond, leur lien déjà fort se décupla, l'un comptant sur l'autre sans l'ombre d'une hésitation.
Alors c'est sans grande surprise que si l'un des membres de l'équipage venait à tendre l'oreille, certaines nuits dénuées de tout nuage, il pouvait entendre un rire franc éclater entre deux croassements excités de leur capitaine. Ce dernier se plaisait à étaler le récit de leurs étonnantes péripéties à ses frères qui devaient bien l'écouter de là-haut, l'œil pétillant. Aussi longtemps qu'il naviguerait les mers, il vivrait son voyage pour trois, fixant les mêmes étoiles que trois gamins, il y a bien longtemps, contemplaient en rêvant d'aventures et de liberté.
