Dans un monde étranger, une magie inconnue sur Arda est préservée de Melkor par les disciples d'Irmo. L'erreur d'un copiste chinois provoquera la rupture d'un équilibre fragile et permettra aux créatures de Melkor de déferler sur les monastères où sont confinés les différents manuscrits. Et lorsqu'un vieux sage refermera les brèches, il enfermera sur Arda ceux qui étaient passés…

Chapitre 1

Le bruit des chaines. Tout était brumeux dans son esprit. Mais il entendait les chaines fouetter le vent, dans une averse cristalline. Parfois, le son plus épais des tissus multicolores qui les ornaient. Les carillons de prières, et les lungta battaient eux aussi la mesure. Les souffles réguliers, expirations violentes, les cris portés dans l'air limpide. Le froid acheva de le sortir de l'étourdissement. Shifu, le visage impassible, était assis à ses côtés, une compresse rougie dans les mains.

« Relèves toi, maintenant. Reprends ta chaine et fais plus attention cette fois-ci.

Oui, shifu. »

Le jeune népalais se redressa en chancelant, s'inclina en saluant shifu, joignant la paume gauche et le poing droit. Il ramassa son arme répandue sur le sol de pierre et, le crâne parcourut d'élancements, repris son entrainement au milieu de ses camarades. Le vent fouettait sa tête aux cheveux sombres et ras, mais surtout, il déviait son arme. Qu'il soit face ou dos au vent, ce dernier le gênait tout autant, et le jeune apprenti manqua plus d'une fois une nouvelle blessure. La main experte de shifu, elle, ne le manqua pas pour le réprimander plus d'une fois de gestes maladroits qui auraient pu blesser ses compagnons.

Le gong sonna. Réprimant un soupir de soulagement, il étira ses muscles endoloris dans l'air fraichissant du soir. L'hiver allait être rude et le monastère totalement isolé pendant les chutes incessantes de neige. Son estomac grondait furieusement, mais sa tête le lançait de plus en plus. L'herboriste du monastère nettoya soigneusement la couture et y appliqua quelque pâte dont il avait le secret, puis le mis à la porte avec un sachet d'herbes pour la douleur.

L'apprenti gagna sa place au milieu de ses camarades et s'attabla, plaquant ses mains glacées contre le bol de soupe fumante. C'était la dernière journée de l'année où il avait fallut affronter le froid, à courir et à combattre dehors. Le gel serait très bientôt là, et il serait bien trop dangereux de s'exercer en extérieur, le sol rendu glissant et traitre.

Les feuilles dégagèrent leur sève et leur odeur dans la petite chambre. Le jeune garçon grimaça sous le regard amusé de son camarade de chambrée, mais but tout de même le breuvage. Le goût lui serra la gorge et lui remue les trippes, mais il réussit à le garder au fond de l'estomac. Ses efforts furent récompensés par l'atténuation de sa douleur au crâne, et par un sommeil de plomb qui lui vint rapidement.

Il y avait de la fumée. Beaucoup trop pour se dégager des longs bâtons d'encens. Le tintement des chaînes, le sifflement des épées et des bâtons. Le métal des hallebardes qui criait contre la pierre et le fer. Des cris. La gorge en feu, brûlée par les fumerolles. Les larmes aux yeux, la peau cloquée par la chaleur.

Le jeune guerrier se réveilla, haletant, la gorge sèche. Les dalles étaient glacées sous ses pieds nus lorsqu'il arpenta les couloirs agités par les cris du vent. Les cuisines silencieuses résonnèrent un instant du cuivre entrechoqué et de l'eau que l'on recueille. Bientôt, les herbes répandraient de nouveau leur teinte ambrée dans le liquide chaud. Doucement, les seules flammes présentes à ses yeux furent celles qui couvaient dans la grande cheminée, et il regagna à pas de loup sa cellule.

Le jour trouva les jeunes moines à rentrer les bêtes et le fourrage, la vapeur s'élevant de toutes les bouches quand un des novices tombait sur le sol gelé, et la chaleur dégagée par les animaux était appréciée par tous alors que le froid glaçait leur main sur les licols. Dans les couloirs du monastère, le vent soufflait aussi fort qu'à l'extérieur et faisait rapidement fuir les habitants des lieux jusqu'aux salles communes où les cheminées étaient entourées par de jeunes élèves et de vieux maitres autour de rouleau de bambous. Les salles d'entrainement qui ne servaient qu'en hiver étaient aérées, dépoussiérées et l'on jetait les tapis de sol qui avait moisi durant l'été.

Le dos tourné vers la cheminée qui lui chauffait agréablement le dos, le jeune garçon trempait soigneusement la pointe de son pinceau dans l'encre noire. Ils étaient plusieurs assis autour d'une table à recopier d'anciens textes dont l'encre pâlissait sur les plaques de bambou. Le manuscrit qu'il recopiait était un recueil de vieilles légendes, toutes plus invraisemblables les unes que les autres, du moins à son avis. Il enviait presque son voisin qui recopiait des biographies écrites en termes pompeux sur des dirigeants et des moines morts depuis longtemps, mais au moins, elles étaient bien réelles et non pas sottes comme les histoires qu'il avait sous les yeux. Outre les classiques de pêcheurs trouvant des perles magiques, les montres et les trésors, il trouva des contes dont il n'avait jamais entendu parler, mais lui semblaient encore plus enfantins que les autres. Des lampes pour éclairer le monde, des anneaux magiques… Quelle stupidité…

Tout en continuant la lecture de ce qui semblait être une introduction à d'autres rouleaux, absents de sa liste de copie, il trouva des idéogrammes dont le sens lui était inconnu. Certains semblaient former des sons familiers, qu'il déchiffra en murmurant, avec peine. Ce fut la seule difficulté que renfermaient les manuscrits, et il ne parvint pas à en trouver le sens.

Ce fut pour lui un soulagement quand l'heure de la méditation du soir sonna, mais ses pensées restèrent troublées par des dragons qui n'avaient rien en commun avec ceux qu'il connaissait, ou des Dieux qu'aucune religion ne citait.

Le lendemain, alors qu'il se battait avec l'un de ses camarades avec le sabre, qu'il maniait fort mal, des cris autoritaires se firent entendre. Shifu entra dans la salle d'entrainement les yeux brillant d'un éclat un peu fou, alors qu'il était si calme d'habitude. Il cria :

« Prenez vous meilleures armes et suivez moi. Nous sommes perdus, mais nous devons lutter. »

Il sortit. L'apprenti moine regarda son compagnon d'épée et lâcha son arme, qui résonna sinistrement sur le sol dallé. Le bruit empli bientôt la salle tandis que tous s'armaient, tout en parlant, la voix tremblante d'inquiétude ou d'excitation. Il prit un bâton, glissa une chaine à sa ceinture et sortit au milieu de la foule. Shifu les conduisit devant les grandes portes par lesquelles entrait une foule de paysans, des vieillards, de femmes et d'enfants. Personne ne parlait et seuls les vagissements de bébés troublaient le calme tendu. D'autres maitres d'armes les rejoignirent avec leurs élèves armés, ainsi que des combattants confirmés.

« Que se passe-t-il ?

Une armée. Des monstres. Ils ont rasé le village. La centaine de survivant est entre nos murs, les autres sont tous morts. Leurs armures sont de l'acier, leurs armes aussi, mais leur peau n'est pas celle que nous avons. Nous n'avons aucune chance, mais nous ne pouvons nous rendre devant de telles choses. »

Les portes furent fermées et le fracas lorsqu'elles furent scellées fit flancher le cœur de l'apprenti. Discrètement, il quitta ses camarades, les laissant fixer l'entrée du regard médusé. La peur lui rongeait les entrailles et il rejoignit l'une des tours de garde, où le veilleur le salua. La fumée montait des ruines plus bas dans la vallée, et d'ici, on entendait les grognements de milliers de gorges. Qui n'avaient en effet, rien d'humaines. L'odeur âcre de brûlé montait jusqu'à eux par le vent souillé des montagnes. Une colonne d'acier terni et d'étendards crasseux avançait vers l'enceinte du monastère. A la pensée de leur malveillance sur le sol de pierre qui avait vu tant de novices et d'anciens s'entrainer, la colère gronda dans le jeune garçon. Sans toutefois chasser la peur. La sentinelle et lui redescendirent dans les rangs serrés, prêts à se battre. Le jeune moine n'était pas prêt, lui. Il ne voulait pas mourir sur les lames rouillées de ses adversaires.

Les portes de l'enceinte brûlaient. Celles du monastère dégageaient une fumée de mauvais augure, rendant l'air difficilement respirable à l'intérieur. La peur imprégnait l'atmosphère aussi sûrement que la sueur et les plus jeunes pleuraient à chaudes larmes dans les bras des femmes du village. Les murs tremblèrent quand les portes calcinées tombèrent sous les coups du bélier. Les cris de peur et de fuite. Le jeune moine courut derrière les villageois, le visage tordu par la terreur, les pleurs dévalant sur ses joues. Il tomba et se cogna rudement. Il roula sur le côté avant de sombrer dans l'inconscience.