Prologue
La pluie, froide et agressive, tombait en un rideau continu cette nuit. Les nuages sombres qui recouvraient le ciel plongèrent les environs du Village du Feu dans une obscurité totale alors que les ténèbres envahissaient la forêt et que le vent semblait vouloir soulever la terre. Une jeune femme, trempée par la pluie qui s'abattait sauvagement sur elle continuait malgré tout d'avancer sur le chemin qui longeait l'orée du bois. Après avoir vérifié que personne ne la suivait, elle s'enfonça dans le noir absolu avec son fardeau dans les bras. Deux heures de marche intense dans les ronces, pieds nus après avoir perdu ses sandales, la menèrent dans un endroit assez isolé à son goût. Elle déposa son paquet au milieu des épines et, sans se retourner, s'enfuit en courant, l'abandonnant aux créatures de la nuit et au bon vouloir de la tempête qui faisait rage.
Le lendemain matin, le soleil mit à nu les ravages de la nuit, inondations, arbres déracinés, toits de maisons détruits, récoltes anéanties. Cependant la vie continuait et chaque habitant du village du Feu mettait du sien dans la réparation des dégâts. Au temple, les dégâts étaient moindres et pendant que certains moines allèrent proposer leur aide au village, d'autres partirent en forêt constater les dommages et réparer ce qui pouvait l'être. C'était aussi l'occasion de retirer les vieux arbres détruits qui empêchaient aux plus jeunes de s'épanouir. Ainsi, une équipe partit dans les bois. Ils repérèrent plusieurs arbres à ôter et passèrent la matinée à travailler ardemment. En continuant d'avancer, Fujitaka, un des moines très apprécié de Chiriku-sama, le maître du temple, aperçut une lumière vive. Il crut tout d'abord à un incendie à la vue de flammes ardentes et rougeoyantes, mais il y aurait eu plus de fumée et le bois était bien trop mouillé. S'approchant prudemment, il distingua ce qui semblait être un dragon de feu. Dans un rayon de dix mètres autour de lui, c'était comme si la tempête n'était jamais passée, aucune feuille d'arbre sur la mousse sèche et douce, les arbres étaient bien droits, ceux à la limite trempés sur leur côté extérieur au cercle. Quelques pas plus tard et le moine était à présent à moins de trois mètres de la créature enflammée, qui le transperçait de ses deux billes de tourmaline noire incandescente. Un rire arlequin brisa le silence tendu entre l'homme et la bête. Il vit alors un nourrisson, dans les ronces, qui riait en jouant avec le dragon. Ce dernier toisa une dernière fois le moine avant de se redresser et de disparaître à l'intérieur du bébé, laissant seul le moine, abasourdi par le spectacle auquel il venait d'assister. Il se reprit vite et saisit le jeune enfant que quelqu'un avait de toute évidence abandonné ici dans l'espoir que la tempête le fasse disparaître. « Qui a bien pu faire une telle chose ? » Songea-t-il. Mais l'heure n'était pas aux questionnements. Malgré ses langes déchirés, il ne portait aucune trace de sang, ni aucune cicatrice. Il n'était pas apeuré non plus, au contraire. Il riait avec un sourire qui illuminait son visage, un rire qui vous faisait oublier vos soucis et vous transportait ailleurs, dans un monde de lumière et de douceur, un monde aux mille saveurs…
