Chapitre 1

S'il existait un son que Théo connaissait mieux que le moteur de sa propre voiture, c'était bien celui-là. Les jointures d'une main s'abattant contre le verre dans un rythme incessant. Ses yeux refusaient de s'ouvrir. Peut-être que s'il prétendait n'avoir rien entendu, le bruit finirait pas cesser. Combien de fois avait-il essayé cette tactique déjà ? Bien assez pour savoir que ça ne fonctionnerait pas.

Les coups se firent plus rapides. Plus violents.

« C'est bon, grogna-t-il en se protégeant du spot braqué sur lui. Je suis réveillé. »

Les coups ne cessèrent pourtant pas. Il frappait la vitre, comme si sa seule mission de la soirée était d'obliger Théo à se rendre chez le garagiste. Il saisit ses clefs, les agitant presque sous le nez de son perturbateur nocturne, et démarra le moteur.

« Je m'en vais. Ok ? Je m'en vais, répéta-t-il après avoir balancé sa couverture sur la banquette arrière. »

Mais son poing ne voulait pas quitter sa vitre. Théo l'abaissa, par peur qu'elle ne cède. L'hiver approchait, dans quelques mois seulement il serait là. L'homme se pencha vers lui, sa lampe-torche passant en revue chaque recoin de la voiture. Les sacs plastiques entassés à l'arrière, les quelques couvertures et oreillers qu'il possédait, pas grand-chose en somme.

Sa veste beige à seulement quelques centimètres de son visage, il reconnut le logo de la police de Beacon Hills. Génial, il ne se souvenait même pas avoir conduit jusqu'ici. Trois mois. Trois mois qu'il évitait Beacon Hills chaque soir. Même après avoir atteint son record de parkings visités en une nuit, il n'était pas revenu ici. Quelle différence y avait-il cette nuit-là ?

« Je pars, dit Théo, vous me reverrez plus ici. Vous inquiétez pas. »

La mâchoire serrée, l'officier le fixait. Théo l'avait senti dès qu'il avait ouvert la vitre, il était face à un autre Alpha. A en juger par la tension dans ses épaules, son regard vide, et ses cheveux gras rabattu en arrière laissant apparaître une calvitie qui ne ferait que s'agrandir, l'homme arrivait au milieu de la quarantaine. Assez vieux pour avoir une maison dans un coin tranquille de la ville, un chien, une petite fille qui s'apprêtait à entrer au collège, et un garçon qui finissait sa crise d'adolescence. Pour Théo, ça signifiait qu'il serait le troisième policier de la soirée à lui déblatérer un sermon.

Et il ne connaissait définitivement pas une chose plus ennuyeuse qu'un officier de police avec un bon sens moral. Ils pensaient toujours que leur lecture d'une quinzaine de minutes permettrait à Théo de prendre conscience de tout le potentiel caché au fond de lui qu'il gâchait. Comme si grâce à eux, il trouverait la force de sortir de son pick-up et de commencer une nouvelle vie. Une belle vie dans un pavillon avec une jolie clôture blanche, qui ne serait d'aucune utilité pour se protéger d'éventuels voleurs.

Mais ce qui dérangeait le plus Théo, c'était son odeur. Elle anesthésiait son odorat. Une seule bouffée d'air parvenait à brûler le fond de sa gorge. Ses yeux s'humidifiaient d'eux-mêmes et il luttait pour ne pas clore ses paupières. Il refusait de lâcher une larme. Ou bien il avait trop peur quand fermant les yeux il découvre une autre personne que celle en face de lui. Quelqu'un de bien plus familier.

« Vos papiers ?

-Quoi ? bredouilla Théo en secouant la tête.

-Vos papiers, répéta l'officier de police. Je veux voir vos papiers. »

Théo sentit instantanément son portefeuille peser dans sa poche. Comme si une vingtaines de kilos s'étaient ajoutés à son poids en un seul instant.

« C'est vraiment nécessaire ? Je vous ai dit que je m'en allais. Je reviendrai plus. »

L'homme tendit sa main. Elle arriva tout près de son visage, et ne bougea plus d'un millimètre, prête à recevoir son dû. Théo grimaça, lui un bon père de famille sur le point de lui faire un sermon, comment avait-il pu être si naïf ? Il savait bien qu'une odeur révélait toujours la vraie nature d'une personne.

Son tableau de bord affichait plus de deux heures du matin, si l'officier l'embarquait il ne sortirait pas avant le petit matin. L'heure d'ouverture des commerces. L'heure où les mamies et papis sortaient leurs chiens et leurs déambulateurs. Le moment où les individus les plus méfiants se retrouvaient. Dès qu'ils verraient sa voiture garée sur le bas-côté, les sirènes se chargeraient de réveiller le reste de la ville.

D'un geste las, il sortit la carte rouge de son portemonnaie. Les doigts de l'agent se refermèrent sur elle, la serrant si fort que sa peau devint blanche. Aucun scénario ne prévoyait une bonne fin à cette histoire. Il aurait dû partir lorsqu'il en avait encore le temps. Lorsque ses yeux se poseraient sur le mot interdit, aucune lutte ne sera possible.

« Sortez du véhicule ! hurla l'agent de police, son arme déjà pointée sur lui. »

Théo ne résista pas. Il s'était déjà pris une balle et il ne voulait pas réitérer l'expérience. Le pied à peine posé au sol, l'officier l'attrapa par l'épaule et le plaqua contre sa voiture. Son visage percuta la carrosserie bleue.

« Putain ! cria-t-il dans un râle. Je suis sorti, non ? Pas besoin de…

-La ferme ! »

Il sentit sa tête partir en arrière, avant que l'officier ne l'écrase contre la voiture. Avant même que la douleur n'arrive, l'odeur de l'homme remplit ses narines. Tous ses poils s'hérissèrent. Et son corps se paralysa. Un sifflement résonna, envahissant son crâne. Un voile noir se déposa sur ses yeux. La voix qu'il avait fui revint le hanter. Elle ne le quittait jamais vraiment. Même à plus de 3000 kilomètres, après plus d'un an et demi d'absence, sa présence se faisait encore sentir. Ses jambes tremblaient rien qu'à son évocation

Du sang coula jusqu'à sa bouche. Le goût métallique suffit à le réveiller, ou bien était-ce le cliquetis des menottes qui se refermaient contre ses poignets ?

« Ici l'agent Schrader, on a un code 308-15. »

Les bras en l'air, ses mains étaient attachées aux barres de sa voiture. Il ne pouvait plus bouger, condamné à rester coller à son pick-up.

« Oui, j'attends, murmura l'officier au talkie-walkie accroché à son épaule. »

Sa voiture arrêta de vibrer, l'agent Schrader avait retiré les clefs du contact. Théo le regarda les ranger dans sa poche, comme si elles lui appartenaient. Il haïssait les policiers et les Alphas. Malheureusement pour lui, la police était majoritairement constituée d'Alphas.

« Qu'est-ce que j'ai fait ? protesta Théo. Je dormais simplement dans ma voiture, depuis quand c'est un crime ?

-Je sais quel genre d'Alpha tu es. »

Il ricana, sa main portée à sa matraque, prêt à la dégainer au moindre danger.

« Les Alphas comme toi causent toujours des problèmes. »

Un sourire étira les lèvres de Théo. Cette phrase finissait toujours par revenir. D'une façon ou d'une autre, quelqu'un devait la prononcer.

« Et vous ? dit-t-il. Vous êtes quel genre d'Alpha ?

-Je suis un bon Alpha, moi, s'empressa l'agent de police de répondre. Un Alpha normal, rajouta-t-il. »

Théo cracha le sang qui s'était accumulé dans sa bouche. Tâchant le bel uniforme beige que l'homme arborait fièrement. Une grimace étrange déforma son visage. Si Théo l'observait bien, ses lèvres s'étiraient presque en un sourire. Plutôt anormal comme sourire.

« Pour un bon Alpha, vous êtes pas très amical, Agent Schrader, rit-il en se retournant vers sa voiture, l'expression qu'il affichait le mettait presque mal à l'aise. »

Il entendit la matraque télescopique se déployer derrière lui. Il vérifia dans la carrosserie, il tenait fermement le bâton en acier. Et les veines de son bras se réveillaient une par une.

« Woh ! dit Théo en tirant sur ses menottes. Je pense pas que ce soit une bonne idée. »

L'officier se rapprocha d'un pas lent. Il commença à tourner autour de lui. Ses pas traçaient un demi-cercle parfait, qu'il réduisait à chaque fois qu'il rencontrait la voiture. Théo ne bougea pas. Il connaissait cette tactique d'intimidation.

« Sérieusement, frapper un gamin de 17 ans qui dormait dans sa voiture, ça va pas aider votre C.V. Peu importe quel genre d'Alpha je suis, c'est une mauvaise idée. »

Il vit le bras de l'homme se lever au-dessus de lui, prêt à le frapper aussi fort qu'il le pouvait. Mais le coup n'arriva pas. Les phares d'une troisième voiture s'étaient rajoutés à la scène. Théo se retourna, la matraque de l'homme avait disparu. Le bâton reposait tranquillement à sa ceinture.

La porte du troisième pick-up s'ouvrit. Et Théo ne réussit à s'empêcher de lever les yeux au ciel. Encore lui.

« Pourquoi vous l'avez attaché ? hurla le nouvel arrivant. »

Le petit officier se raidit. Ses deux mains derrière le dos, il redoutait la correction du patron de la ville.

« Il est recherché, M. Stilinski, balbutia-t-il. Je pensais…

-Il s'est juste enfui de son foyer, agent Schrader, gronda le shérif d'un ton trop autoritaire pour s'adresser à un adulte.

-Mais il a un casier... »

Sa phrase n'était qu'un souffle, mais ce fut assez pour que le père de la famille Stilinski l'entende.

« Et il a payé pour ce qu'il a fait. Dépêche-toi de le détacher. »

L'officier s'exécuta dans la seconde. Dès que Théo récupéra la liberté de ses mouvements, un sourire moqueur éclaira son visage. Le corps entier de l'agent Schrader se tendit. Il comprit que l'homme n'en était pas à sa première entrave au règlement des forces de l'ordre.

« Je suis désolé, M. Stilinski. Je pensais suivre les ordres, dit-il. Je voulais bien faire.

-C'était une longue nuit, Schrader, le rassura Stilinski en tapotant son épaule. Rentrez chez vous. »

L'homme sourit, même s'il semblait forcé, il n'était pas aussi inquiétant que celui qui avait poussé sur son visage quelques instants plus tôt. L'officier confia au shérif les clefs de sa voiture et marcha d'un pas rapide jusqu'à la sienne, la peur que Théo ne révèle quoique ce soit devait le hanter.

« Eh ! le héla Théo. »

Schrader s'arrêta net. Ses pieds pivotèrent dans le gravier. Le balayant sur plusieurs centimètres. Son regard ne délaissa pas le sol. Il ne voulait pas le regarder, sûrement de peur que son vrai visage ne s'empare une seconde fois de lui. Le shérif haussa un sourcil et Théo ne put s'empêcher d'afficher son plus beau sourire.

« Passez une bonne nuit, agent Schrader. »

Ses yeux se relevèrent vers lui. Il le fixa incrédule, Théo haussa les épaules. L'officier ne se sentant pas de jouer avec le feu, courut jusqu'à son pick-up. Et en moins d'une minute, sa voiture avait quitté la zone. Il ne restait plus que le shérif Stilinski et lui.

Le regard bleu translucide du père de Stiles se posa sur lui. Un air désolé prit possession de son visage. L'homme l'avait frappé à plusieurs reprises, menacer de le tuer plus souvent encore, et il était là à s'inquiéter pour lui. L'ancien Stilinski ne l'avait tellement pas loupé lors de ses nombreuses corrections qu'il avait failli perdre sa place, mais Théo le préférait mille fois au vieil homme qui se tenait devant lui.

« Ça va ? »

Théo fronça les sourcils.

« Ton nez, précisa le vieux shérif avec un sourire léger.

-C'est rien, cracha Théo, le sang avait cessé sa course et se solidifiait déjà.

-Il t'a pas loupé, hein ? »

Son ton semblait pâteux, comme s'il était passé d'un père dans la cinquantaine à un vieux de quatre-vingt ans. Où se trouvait l'homme qui avait fait la promesse de cribler son visage de balles jusqu'à ce que Dieu ne puisse plus le reconnaître ?

« Schrader est pas le meilleur agent que j'ai, rit le shérif Stilinski. Mais en ce moment, tu sais, on a pas trop le choix. »

Aux dernières nouvelles, le taux de crimes de Beacon Hills baissait de jour en jour. Théo évitait cette ville comme la peste, et le seul pic de criminalité que la bourgade avait connu, il l'avait créé. Alors il ne croyait pas que l'agent Schrader soit si nécessaire au bon fonctionnement du quartier.

« Je suis en état d'arrestation ou non ? l'interrompit Théo. »

Stilinski secoua la tête. Théo sourit, heureux de ne pas retrouver les cellules du commissariat. Il tendit la main, prêt à récupérer ses clefs et à repartir à la recherche d'un nouveau parking où passer le reste de la nuit.

Mais les doigts de Stilinski se refermèrent sur la clef noire et argentée de sa voiture.

« Pourquoi tu t'es échappé ? le questionna-t-il.

-Rendez-moi les clefs, et je m'en vais. Je reviendrai plus.

-Est-ce que je t'ai demandé de partir ? fit-il en comblant la distance entre eux. »

Théo percuta la carrosserie de son pick-up. L'odeur du vieil Alpha se fraya un chemin jusqu'à lui. Elle s'estompait avec la brise qui balayait les feuilles au sol. Mais la touche poivrée, même si elle semblait beaucoup moins prononcée que chez Schrader, était toujours présente. Tel un constant rappel sur sa vraie nature.

« Tu as le droit à une seconde chance, petit. C'est pas le moment de baisser les bras. Il y a des gens bien là-bas, dit-il, ils peuvent t'aider. »

Il ricana alors que ses mains s'enfoncèrent dans ses poches. Ils disaient tous ça. Mais aucun ne connaissait son monde. Personne ne l'avait expérimenté. Les seules sources qu'ils possédaient se trouvaient dans les flash info, les articles de presse. Rien de concret. De réel…

« Qu'est-ce qui vous arrive ? l'interrogea Théo. »

Les deux hommes se fixèrent. Ils étaient seuls sur ce parking. Pas une voiture en stationnement, ni même sur la petite route qui passait près d'eux. Les seuls sons perceptibles provenaient des arbres qui les entouraient. La forêt débutait dans quelques kilomètres, ils étaient à la jonction de l'humanité et du règne animal. Pourtant, aucune présence humaine ne les accompagnait. Il n'y avait qu'eux. Face à face, les chaussures enfoncées dans un tas de gravier.

« J'ai pas changé, vous le savez, rit-il. Vous le savez mieux que personne. Peut-être pas autant que Stiles.

-Théo.

-Vous auriez dû l'écouter dès le début, mais vous avez préféré attendre. Kira, Lydia, Malia, Scott, ils étaient tous des dommages collatéraux. Mais Stiles. »

Il ricana un peu, ses pas le guidèrent en face du vieil Alpha.

« Stiles, il est particulier, vous savez. »

Le coup partit si vite que la douleur ne se fit sentir que bien après. Ses vaisseaux éclatèrent les uns après les autres. Et le goût métallique du sang remplit sa bouche. Dès qu'il cracha l'excédent au sol, un sourire déforma son visage.

Un lointain sifflement résonnait dans sa tête, mais il souhaitait voir l'expression de Stilinski. Sa respiration haletante n'était pas assez. Lorsque l'air niais qu'il trimbalait partout quitterait son visage, à ce moment-là seulement, Théo s'admettra satisfait.

Mais aucune larme ne s'écoulait de ses yeux.

« Je sais d'où tu viens ! dit-il d'un ton ferme. Je sais ce qu'ils font aux enfants là-bas. Cette personne. »

Il le pointa du doigt.

« C'est pas toi ! Tu vaux mieux que ça, petit. Bien mieux.

-Vous savez rien ! aboya Théo. Vous savez rien, répéta-t-il pour lui-même. »

Il se retourna vers sa voiture, ses deux mains sur la carrosserie. La peinture bleue lui renvoya son reflet, et pendant quelques secondes il crut voir quelqu'un d'autre. Ses cheveux avaient tellement poussé depuis son départ, ses frères et sœurs ne se retourneraient même pas s'il passait devant eux.

« Tu es parti. Tu t'es échappé, dit-il. Ça veut dire quelque chose, d'accord ? Ça montre qui tu es vraiment.

-Vous avez tort. Je vais rentrer. Je rentre chez moi, lui assura-t-il.

-C'est pour ça que tu tournes dans le comté depuis trois mois. »

Théo voulut répliquer, mais le shérif ne lui en laissa pas le temps :

« Je sais que tu finiras par faire le bon choix. Ça prendra du temps. Ça prend toujours du temps. Mais au fond, tu sais que c'est la meilleure chose pour toi. Le foyer, c'est ton pass de sortie. »

Il sortit une carte avec le logo de la police dessus, Théo le regarda y griffonner un numéro avant de la lui tendre. Il hésita à la prendre, mais Stilinski attrapa son poignet et l'enfonça dans sa paume.

« Là, c'est le numéro du commissariat. Et ça. »

Son doigt se posa sur les numéros grossièrement dessinés.

« C'est mon numéro personnel. Tu m'appelles quand tu veux. Si t'as besoin d'un endroit où dormir, ou si tu veux juste parler.

-Parler ? répéta Théo. Je suis un Alpha, j'ai pas besoin de parler. »

Une grimace étira les traits du visage du shérif. Mais Théo voulait absolument éviter une énième leçon de moral de la part du vieil Alpha. Alors il arracha la carte des mains de Stilinski, et la fourra dans sa poche. Elle disparaîtra à son prochain arrêt à la laverie automatique. Pour l'instant, son seul but était de retrouver ses clefs et de rouler hors de la ville.

« Je serai hors de l'État pendant un moment, lui dit-il. Stiles a été accepté dans une université de Virginie. Il rit doucement. Il a même pas encore son diplôme, mais il est prêt à rejoindre quantico. »

Théo se tendit dès qu'il entendit le nom de l'État. La radio du shérif grésilla. Un jeune officier demandait des renforts dans une maison abandonnée. Théo reconnut l'adresse, il avait déjà passé une nuit là-bas. Une vielle villa terrifiante. Même si plus aucun parking ne pouvait l'accueillir, il ne s'y rendrait pas.

« Ça sera compliqué pour lui là-bas. Mais Scott est avec lui. Je sais que tu l'aimes pas beaucoup, mais c'est un bon garçon, tu sais… »

Il esquissa un sourire. Mais Théo ne le partagea pas. Les voix continuaient à sortir du boîtier fixé à son épaule. L'homme hurlait des suites de chiffres que seule une personne de la profession pouvait comprendre.

« Je peux avoir mes clefs, ou je suis obligé de vous écouter parler toute la nuit ? »

Une mine confuse apparut sur son visage avant qu'il ne le fixe.

« Tu peux aussi aller à l'université si tu le veux, Théo. »

Un ricanement lui échappa. Pourquoi essayait-il de le sauver ?

« Tu es pas obligé d'être un…

-Stop ! l'interrompit Théo. Je sais où vous voulez en venir. Mais ça va, ok ? Rendez-moi juste les clefs. »

Le shérif s'exécuta mollement. Les clefs si chères à Théo atterrirent enfin dans sa main. Le métal tiède fondit presque entre ses doigts. Sa voiture était la seule chose qu'il lui restait de sa vie d'avant.

Il se hâta vers elle, sans même dire un mot au shérif. Il grimpa à l'intérieur et se réjouit de retrouver le confort des sièges en cuir.

Théo savait qu'il se proclamait vainqueur bien trop vite, ses plans échouaient à cause de cette manie fréquemment. Stilinski était à sa fenêtre. Ou plutôt face à lui, la vitre n'ayant pas quitté le cocon de la portière depuis l'agent Schrader. L'homme le détailla, avant de finalement lui sourire.

« Sois prudent, d'accord ? »

Face au regard sérieux du shérif, Théo ne put qu'hocher la tête. Il alluma son moteur.

« Vous devriez répondre, shérif, dit-il en pointant sa radio qui continuait sa cacophonie »

Le vieil Alpha le rassura et disparut dans son pick-up. Sa voiture quitta en première le petit parking abandonné. Ses roues le guidèrent vers la forêt, aucun officier de police ne dépassait le parking sans avoir été appelé et encore. Voir une voiture de police là-bas relevait de l'exceptionnel. Personne ne viendrait le déranger.

Il jeta un coup d'œil à la voiture du shérif qui s'engageait dans l'autre sens, avant de déposer la carte qu'il lui avait donné dans la boîte à gants.

Le sentier qui traversait la forêt menait à un grand axe qui reliait Beacon Hills et l'autoroute, mais Théo s'arrêta au panneau qui annonçait l'ancien zoo. Un grand terrain délaissé, les seuls animaux s'y trouvant appartenaient à la forêt, et leurs seuls visiteurs étaient des fugueurs et des camés.

Théo avait passé sa première nuit dans cette ville ici. Allongé sur un morceau de matelas miteux. Il gara sa voiture dans un endroit sûr, et ne prit qu'une couverture et un couteau qu'il glissa dans sa veste.

Il passa le grillage rouillé qui protégeait le bâtiment principal de la propriété, et escalada la façade de pierre qui commençait dangereusement à s'effriter. Les premiers étages grouillaient toujours de monde. S'il cherchait à se faire planter pour quelques billets, c'était ici qu'il fallait se rendre.

D'un coup de pied, il brisa les morceaux de verre encore accrochés à ce qui devait dans le passé être une fenêtre. Il glissa à l'intérieur du grand bâtiment, atterrissant dans une pièce sombre. Il évita les bouts de verre et marcha prudemment dans le couloir. Les débris masquaient le sol, et les tags s'attaquaient aux murs. La lampe de son portable allumée, il vit les centaines d'inscriptions et dessins qui se battaient pour trouver un peu de place.

Le seul non recouvert par les autres, sûrement le plus récent, représentaient des soldats accompagnés de tanks et d'armes lourdes. Les soldats ressemblaient à des bêtes monstrueuses. En voyant les initiales LDELC, Théo comprit que c'était encore quelqu'un en défaveur de la guerre que menaient les USA à l'étranger. Le désarmement est la clef avait des partisans aux quatre coins du monde. Ils voulaient à tout prix éviter le conflit mondial qui ne tarderait pas à se déclencher.

Théo s'établit dans une grande pièce vide. Elle ne possédait que trois murs, bien assez pour la fin de l'été. Sa couverture étalée sur le sol poussiéreux, il s'allongea et tenta de trouver le sommeil pour la quatrième fois cette nuit.

Jusqu'à ce qu'un long râle ne le fasse sursauter. Il tâta la couverture, cherchant son couteau, avant de se souvenir que les drogués du rez-de-chaussée n'étaient pas connus pour leur silence. Un seul cri suffisait à déclencher une réaction en chaîne.

D'autres hurlements plus puissants se firent entendre. Ils criaient à s'en rompre les cordes vocales. Théo sentait le sol vibrer sous lui. Comme si une centaine de personne s'égosillaient à l'étage du dessous. Il n'entendait aucun pleurnichement, que des gémissements de douleurs. Les poils de ses bras s'hérissèrent.

Ce n'était pas normal. Leurs cris s'entrecoupaient toujours de pleurs, de longues tirades décousus. Là, ils n'exprimaient que la souffrance, pire encore la terreur. Et Théo connaissait le son que les humains poussaient lorsqu'ils se savaient sur le point de mourir, et c'était exactement le même.

Théo se leva d'un bond. Il attrapa son couteau et quitta la pièce. Laissant derrière lui sa couverture. Il n'osa pas sortir son portable pour s'éclairer. Il devait éviter d'attirer l'attention sur lui. Il avança lentement dans le couloir sans lumière. A chacun de ses pas, le vacarme qui régnait sous lui diminuait. Puis il n'eut que le silence.

Aucun coup de feu, aucune dernière parole. Ses doigts se refermèrent fermement sur le manche de son couteau. Les attaques arrivaient souvent, mais elle ne touchait rarement plus de deux personnes. Il longea les murs jusqu'à la salle par laquelle il était arrivé.

Il s'arrêta net. Du sang tâchait le sol. Un sillon traversait la pièce entière et menait jusqu'à la porte près de la fenêtre. Positionnée près d'un coin, elle laissait un parfait espace pour que quelqu'un puisse se cacher derrière elle. Théo avait grandi avec une dizaine de frères et sœurs, il savait de quoi il parlait.

Les traces s'arrêtaient ici, elles ne partaient pas dans l'autre salle. Quelqu'un se dissimulait derrière la porte en bois effritée. Et il ne pouvait pas sortir par la fenêtre sans se retrouver face à la personne qui soit se vidait de son sang, soit transportait une arme recouverte de celui des autres.

Ses pas se firent discrets jusqu'à elle. Le bois près de la poignée avait pris une couleur rouge. La tâcha correspondait parfaitement à une main. Il n'avait pas le choix. Le couteau en avant, il ouvrit violemment la porte.

« Me tuez pas, s'il vous plaît, souffla une petite voix. »

Théo s'arrêta net. Une fille d'une quinzaine d'années se recroquevillait sur elle-même, cherchant à fusionner avec le mur. Elle se cachait le visage en répétant les mêmes mots : Ne me tuez pas.

Son couteau retourna à l'intérieur de sa veste. Il se pencha vers elle – l'odeur particulière des Omégas l'entourait – et la secoua pour qu'elle se concentre sur lui.

« Qu'est-ce qu'il se passe ? lui demanda-t-il dans un chuchotement. »

Son visage se releva vers lui. Du sang colorait ses cheveux blonds. Sa joue droite était recouverte de gravier et ses plaies commençaient à relâcher assez de sang pour couler jusqu'à son menton. Son regard virevoltait de la porte au visage de Théo. Elle redoutait que quelqu'un n'arrive.

« Aide-moi, le supplia-t-elle. »

Ses genoux s'enfoncèrent dans les bouts de verre alors qu'elle rampait jusqu'à lui. Ses mains s'agrippèrent à sa veste. Théo résista à l'envie de la dégager. Ses mains se posèrent instinctivement sur ses poignets, et il réitéra sa question. L'adolescente secoua la tête.

« Ils sont tous morts… Tous. Ils les ont tous tués.

-Qui ça ? Qui les a tué ? Ils sont toujours ici ?

-J'en sais rien, pleura-t-elle. J'en sais rien. Jeoffrey… »

Elle pleurnicha sur lui en répétant ce prénom. Excepté « Jeoffrey », tous les autres sons qui sortaient de sa bouche étaient incompréhensibles.

« Faut partir ! s'écria-t-elle entre deux reniflements. Faut partir !

Elle s'aida de Théo pour se relever, en gémissement. Il recula lorsqu'il vit le sang qui la recouvrait. Tout le côté droit de son ventre saignait. Le liquide rouge coulait jusqu'au sol. Son t-shirt déchiré exposait une blessure qui ne ressemblait ni à un impact de balle, ni à un trou créé par une arme blanche. Un bout de chair manquait à l'appel. Comme s'il lui avait été arraché.

« Il y a un coyote dans le zoo ? »

Elle secoua frénétiquement la tête.

« Un puma ? continua-t-il, mais il obtint la même réponse. Un loup ? »

C'étaient les seuls prédateurs que comprenait la réserve. Il n'y avait aucun ours. Et même si à la fermeture du zoo, des rumeurs faisaient état d'un ours géant dans les bois, il était mort depuis longtemps.

« Non, murmura-t-elle. C'est lui… Il m'a fait ça ? »

Théo fronça les sourcils, elle lut l'incompréhension dans son regard.

« Jeoffrey. C'est Jeoffrey, pleura-t-elle en se cachant dans ses bras. Il a aussi mangé Tracy… »

Elle manquait des respirations, et son corps tremblait.

« Quand je me suis réveillée. Il était déjà en train de manger Tracy, marmonna-t-elle en toussant. Et y a cette femme. Elle est sortie de nulle part. Elle a… Elle a…

-On doit y aller, la coupa Théo, il sentait son cœur frapper contre ses côtes. Tu peux marcher ? »

Elle dodelina de la tête, peu sûre d'elle. Théo s'empressa d'enjamber le muret qui le séparait des escaliers extérieurs. Ils étaient recouverts de lierres et la rampe avait la couleur de la rouille. Il tendit sa main à l'adolescente pour l'aider à passer. Avec une blessure pareille, elle ne parviendrait probablement pas à s'accrocher au lierre pour descendre. Mais c'était le seul chemin, qui ne les obligeait pas à passer par les étages inférieurs.

Ses doigts effleurèrent les siens, mais Théo recula. Deux personnes se tenaient en face deux. Une vieille femme aux longs cheveux blancs les fixait. La bouche entrouverte, elle mastiquait des morceaux de chair. Du sang recouvrait tout le bas de son visage, et imbibait le col de son pull.

A ses côtés, se tenait un garçon. Il faisait à peu près sa taille et ressemblait à un adolescent banal. Mais il avait un teint pâle, presque grisâtre. Comme si des mains invisibles enserraient son cou. Un filet de bave mélangé à du sang coulait au coin de sa bouche.

Théo heurta le petit muret derrière lui. La fille vit la panique dans son regard. Elle se retourna et hurla si fort que les oiseaux quittèrent leurs perchoirs. La femme plongea sur elle. Théo attrapa son poignet et la tira de l'autre côté. Elle tomba à genoux. Il la remit sur ses pieds à la force de son bras.

Le garçon partit à leur poursuite. Ils dévalèrent les escaliers. La fille pleurait derrière lui. Mais sa voix couvrait à peine les grognements que poussaient leurs deux assaillants. Leurs mâchoires claquaient en rythme. Théo n'osait même pas regarder en arrière. Que se passait-il ? Que leur voulaient-ils ?

Théo sentit son corps partir dans le vide. Les escaliers avaient pris fin, mais il parvint à se retenir à la rampe de l'escalier. Les muscles de son bras se tendirent abruptement. Il poussa un râle de douleur. Ses veines parsemaient sa peau alors qu'il tentait d'hisser son autre main.

Ses doigts frôlèrent le métal rouillé. Plus que quelques centimètres. Il balança son corps et agrippa la rampe branlante. Il se releva juste assez pour voir la vieille femme attraper une mèche de cheveux de l'adolescente. La fille ne se laissa pas faire et reprit sa course. Ses cheveux s'arrachèrent et emportèrent une partie de son cuir chevelu. Elle hurla.

Théo vit son pied rater une marche. Elle lutta quelques secondes, avant de perdre totalement l'équilibre. Son corps dégringola le reste des marches, puis s'écrasa au sol. Le craquement de ses os arriva en premier à ses oreilles. Ses cris de douleur suivirent. Elle gisait au sol, incapable de bouger le moindre membre.

La vieille femme subit le même sort. Il entendit ses os se briser un à un. Le garçon ne fit pas la même erreur qu'elle, il marchait beaucoup plus lentement. Plus prudemment. Il se dirigeait vers Théo, la bouche grande ouverte. Ses dents grinçant les unes contre les autres.

Théo se hâta de descendre la paroi de pierre. Ses mains empoignant les racines qui lui semblaient les plus solides. A l'instant où ses pieds touchèrent le sol, le garçon chuta à son tour. Théo eut juste le temps de s'écarter, avant qu'il ne lui tombe dessus.

Il s'étala au sol, et se retrouva nez à nez avec la vieille femme. Elle était étendue sur le sol. Son cou complètement tordu. Les vertèbres hors de sa chair. Il la contourna, avant de se hâter vers l'adolescente. Ses yeux étaient révulsés. Et son corps prit de spasmes incontrôlables. Sa peau avait pali, se rapprochant de plus en plus celle du garçon. Des gouttes de sueurs perlaient sur son front.

« J'ai mal, j'ai mal, chuchota-t-elle entre deux respirations. »

Elle répétait les mêmes mots encore et encore. Théo observa les dégâts de sa chute. Les os sortaient de ses jambes. Le cartilage blanc réduit en miettes, il faisait face à deux fractures ouvertes. Il ne pouvait pas la bouger. Sa main s'enfonça dans sa poche. Il en sortit son portable, mais aucun réseau n'était disponible. La forêt agissait comme un brouilleur.

« Putain ! Fait chier ! jura-t-il, ses poings s'abattirent sur le tronc le plus près de lui. »

La déplacer était risqué. Il pourrait lui faire plus de mal que de bien. Ses deux jambes cassées sautaient aux yeux, mais d'autres blessures pouvaient parsemer son corps. Elle avait fait une chute de plus d'une dizaine de mètres. Mais la laisser ici, semblait être la chose à ne pas faire. Il ne se voyait pourtant pas la trimbaler jusqu'à sa voiture. Encore moins la jeter dans le coffre ouvert de son pick-up. Conduire jusqu'à l'hôpital où il serait dévisager, et interroger par la police.

Ses doutes disparurent lorsque la femme qu'il croyait morte – qui ne pouvait être que morte – se releva. Son cou avait retrouvé sa place normale. Ses vertèbres étaient cachées par sa chair et supportaient sa tête sans mal. Elle se tenait bien droite devant lui.

Un cri horrible s'échappa de sa gorge, propulsant des bouts de chair hors de sa bouche. La tête la première, elle sauta sur l'adolescente. Ses dents s'enfoncèrent dans une de ses jambes. Le sang éclaboussa son visage. La fille cria. Ses bras s'agitèrent vers Théo.

« Aide- moi ! hurla-t-elle. Aide-moi ! »

Le garçon qui était presque tombé sur lui, se releva à son tour. Avant de chuter près de l'adolescente, il mordit dans sa seconde jambe. Arrachant autant de chair de ses os en bouillis qu'il le pouvait. Elle commença à le supplier. Le sang giclait autour d'eux. Ils mastiquaient sa chair sans se préoccuper de ses hurlements. Appréciant même le fait qu'elle soit toujours consciente.

Elle le fixait avec tant d'espoir. Ses doigts cherchaient à atteindre les siens. Ils se rétractaient dans l'air, incapables de l'atteindre. Les lèvres légèrement ouvertes, elle souriait presque, mais seuls des cris sortaient de sa bouche. Théo fit deux pas en arrière.

« Me laisse pas ! hurla-t-elle. Pitié… Me laisse pas. »

Il secoua la tête, et murmura qu'il était désolé. Il slaloma entre les arbres sous les beuglements de l'adolescente derrière lui. Elle s'égosillait, lui implorant de la sauver. Il devait prévenir la police, les secours. Elle le répétait, elle ne voulait pas mourir.

Théo grimpa dans son pick-up, claqua sa portière, et verrouilla les portes.

« C'est pas réel, murmura-t-il en frappant contre son volant. C'est pas réel… Non. »

Et si ça l'était que devait-il faire ? Il tira si fort sur sa ceinture qu'elle se bloqua. Ses clefs ne cessèrent de glisser entre ses doigts. Il réalisa seulement à cet instant qu'il tremblait. Son bras entier semblait pris de spasmes.

Lorsqu'il parvint enfin à mettre le contact, sa voiture refusa de démarrer. Théo relança le moteur, écrasa l'embrayage, passa la première et enfonça l'accélérateur. Il sentit les pneus se décoller du sol, avant qu'il ne s'élance sur le petit chemin escarpé.

Les feuilles volèrent autour de la carrosserie. Il ne faisait plus attention aux limites de vitesses, il se contentait d'appuyer sur la pédale. Ses yeux n'osaient pas se poser dans ses rétroviseurs. Il devait juste quitter la réserve, sans un regard en arrière. Sans douter une seconde de ses choix.

Ça ne pouvait pas être réel. Théo secoua frénétiquement la tête. Non. C'était surréel, impossible même.

Son corps entier était tendu. Rendant sa conduite hachée et rude. Sa voiture refusait de l'écouter. Ses doigts s'enfonçaient dans son volant. Peut-être était-il encore sur le parking, endormi dans sa voiture ? Tout ceci n'était alors qu'un rêve. Pourtant Théo savait qu'il était éveillé. Il sentait la tension qui avait investi ses muscles. La transpiration qui s'accumulait sur son front.

« Putain ! cria-t-il en frappant sur son tableau de bord. »

D'une main, il attrapa son portable. Qui devait-il appeler ? La police. Comment réagirait-elle face aux propos de Théo ? Personne dans le service ne le croirait. Ils devaient recevoir des dizaines d'appels en provenance du zoo. La plupart était des canulars.

Il se pencha vers la boîte à gants, délaissant un instant la route des yeux. Elle s'ouvrit, ses doigts frôlèrent la carte que le shérif lui avait donnée. Mais il ne parvint pas à l'attraper. Stilinski saurait quoi faire, peut-être même qu'il le croirait. Théo détacha sa ceinture. Une main toujours sur le volant, sa main réussit à se poser sur elle. Il tenta de se relever, mais il partit en avant.

Il percuta le tableau de bord. Des milliers de fourmillements se répandirent dans son corps. Il retomba lourdement. Sa tête rebondit sur les sièges. Mais ses côtes s'enfoncèrent dans le levier de vitesse. Il hurla, mais aucun son ne parvint à ses oreilles. La douleur lui transperça la poitrine. Sa respiration se bloqua. Il ne parvenait plus à respirer.

Les lumières flashèrent autour de lui. Puis vinrent les voix. Il sentit une main repousser ses cheveux de son visage. La personne au-dessus de lui murmura que tout se passerait bien, une ambulance était en chemin. Et Théo ferma alors les yeux pour la dernière fois cette nuit.

Ses yeux fixaient la télévision. La présentatrice ne cessait de replacer ses lunettes sur son nez et son co-présentateur remettait ses cheveux en place à chaque phrase qu'il prononçait. Ils parlaient en boucle des sabotages organisés par Le désarmement est la clef. Les partisans s'étaient réunis dans la plupart des pays pour détruire les usines d'armement et les hangars des bases militaire.

« Théo ? le rappela à l'ordre un des agents qui entourait son lit d'hôpital. »

Il se reconcentra sur les deux hommes qui avaient pénétré dans sa chambre à l'instant où ses yeux s'étaient ouverts. Ils avaient attendus à sa porte comme deux chiens face à leur pâté. Théo n'avait vu aucun médecin ou infermière, juste les deux policiers qui l'interrogeaient depuis une dizaine de minutes.

« Je faisais un tour, je vous l'ai déjà dit.

-Tu roulais bien vite pour ça, non ? commença le plus grand des deux. »

L'odeur d'anesthésiant qui régnait dans les hôpitaux était si forte, qu'il n'aurait pu dire s'il était face à un Alpha ou un Oméga. Mais la police ne comprenait que des Alphas, et quelques Bêtas chanceux.

« Pas vraiment le temps d'admirer le paysage à cette allure. Et la nuit, on doit pas y voir grand-chose, poursuivit le second. »

Théo sourit et lui promit de prendre cette remarque en compte pour la prochaine fois. Il les vit lever les yeux au ciel. Tandis que son regard déviait vers la télévision. Il s'attendait à ce que d'un moment à l'autre un flash info apparaisse à l'écran. Il patientait pour un signe. Quelque chose qui pourrait lui expliquer les évènements de la veille.

« Sérieusement, reprit le premier, sans doute un Alpha. Qu'est-ce que tu faisais à trois du matin dans la forêt ?

-Je faisais un tour, grogna Théo pour la énième fois. C'est pas illégal.

-Tu as parlé d'une fille, tu t'en souviens ? »

Théo le fixa. L'homme en uniforme beige avait le visage tiré, les pommettes creusées et des cernes noirs. S'il ne l'avait pas vu dans ce contexte, il aurait pu jurer que l'homme se droguait. Mais sa barbe rasée de près et ses cheveux tirés en arrière criaient qu'il était le genre d'Alpha avec un enfant en route. Il secoua lentement la tête.

« Si j'avais été avec quelqu'un d'autre dans cette voiture, je m'en souviendrais. »

Ses doigts sous la couverture se contractèrent. Qu'aurait-il pu faire pour elle ? Elle s'était condamnée à une mort certaine en tombant de toute façon. Elle aurait dû rester chez ses parents.

« Elle était blessée, je crois. Tu as dit qu'il y avait du sang partout, dit-il en arrachant le calepin des mains de son équipier.

-Et des cannibales, ricana le plus petit des deux. »

Il reçut un coup de coude dans les côtes de la part du plus grand et se tut immédiatement. L'Alpha se reconcentra sur Théo, après un regard réprobateur dirigé à son collègue.

Les images de la veille défilèrent devant ses yeux. Et Théo douta. Etait-ce réel ? Tout lui semblait flou, lointain, presque comme un rêve. Il n'avait pas eu de vrai repas depuis quelques jours. Et les nuits passées à tourner dans le comté ne l'aidaient sûrement pas à se sentir mieux.

« Écoute, reprit l'Alpha, s'il y a eu un accident, il faut que tu nous le dises.

-Le seul accident qu'il y a eu c'est le mien, cracha Théo. Allez plutôt poser des questions à l'abruti qui m'a coupé la route. »

Les deux officiers partagèrent un long regard, avant que l'Alpha ne fasse signe à son collège de consigner ses paroles dans son carnet.

« Il n'y avait pas d'autre voiture, lui apprit le plus court sur pattes. T'as foncé dans une barrière. »

Un silence régna dans la chambre pendant plusieurs secondes. Seules les voix des présentateurs s'amusaient à le briser. Théo se souvenait de ses mains tremblantes, alors qu'il essayait d'atteindre la carte du shérif, puis plus rien. Un écran noir.

« Et alors ? s'offusqua Théo. Allez changer la barrière de place. Elle est sûrement mal placée. »

Ils soupirèrent en cadence. Celui qui devait être un Bêta se frotta les yeux, et retranscrit les mots de Théo. L'Alpha, lui, se pencha sur son lit. Sa bouche atterrit à quelques centimètres de son oreille. Il essaya de reculer, mais les entraves à ses mains et ses pieds l'en empêchèrent. Il les avait presque oubliés celles-là. Il n'y avait rien de mieux que de se réveiller dans un hôpital totalement désorienté et attaché aux barres de son lit.

« On sait pour Stiles. N'essaie pas de jouer avec nous. Qu'est-ce que tu as fait de cette fille ? lui siffla-t-il à l'oreille. »

Théo se tourna vers lui, leurs visages se frôlaient presque.

« J'ai rien fait, dit en pesant chacun de ses mots. J'étais seul. »

Leurs regards s'affrontèrent. L'odeur âcre de l'Alpha vint à ses narines par vagues. Il relâchait ses phéromones, espérant effrayer Théo. Mais il avait connu des odeurs bien plus fortes, bien plus intimidantes que la sienne. Il pouvait aussi déceler l'odeur lointaine d'un Oméga sur lui et il vit la bague à son annulaire. Son image de mauvais flic se brisa complètement.

Le sourire narquois qui ornait ses lèvres ne le quitta pas.

« J'en ai marre, déclara-t-il en se relevant. »

Théo ricana, l'Alpha le fusilla du regard en retour. Il le pointa du doigt et tous les traits de son visage se durcirent.

« Qu'est-ce que tu comprends pas ? Si on retrouve cette fille et qu'elle mentionne ton nom, tu vas prendre du ferme. Et crois-moi les autres détenus n'ont aucune pitié pour les gens dans ton genre. Tu t'en sortiras pas cette fois. Tu vas payer pour ce que tu as fait à Stiles. »

Le visage de Théo se ferma. Des menaces de ce type, il en avait entendu des tonnes. Sa tante ne cessait de répéter depuis qu'il était petit que s'il devait choisir entre être attrapé ou mourir, il n'y avait aucune hésitation possible. Elle disait qu'il fallait au moins laisser un cadavre à la famille pour qu'ils puissent pleurer dessus.

L'homme décela la tension qui l'habitait. Un rictus moqueur apparut au coin de ses lèvres.

« Tout le poste connait ta vraie nature, ricana-t-il. On sait aussi que t'es loin de ta famille.

-Si c'est comme ça que tu les appelles ? ajouta le Bêta qui avait relevé la tête de sa prise de notes.

-C'est vrai ça ? Comment tu les appelles ? Ils sont pas vraiment tes frères et sœurs ? Et sûrement pas tes parents ? »

Les deux officiers partagèrent un rire gras. Théo serra les poings, il remercia presque les liens qui le forçaient à rester attacher au lit. Sans eux, il aurait déjà lancé le premier coup. Mais il existait d'autres moyens de blesser. Et Théo les connaissait bien, il les avait longuement étudiés.

« Agent Smith, lut-il sur son badge. Votre Oméga sera le premier de ma liste.

-Qu'est-ce que t'as dit ? murmura l'Alpha en se tournant vers lui. »

Un sourire en coin apparut sur ses lèvres et le visage de l'officier devint rouge. Il attrapa les pants de sa chemise d'hôpital. Théo sentit son corps se soulever du lit. Ses poignets et chevilles se tordirent. Il retint un gémissement de douleur. Son sourire ne pouvait disparaître.

Le poing de l'agent s'éleva dans les airs. Et Théo se demanda un instant pourquoi il se retrouvait toujours dans ce type de situation.

« Est-ce qu'il est en état d'arrestation ? »

L'homme le lâcha, son dos percuta le matelas. Une douleur transperça son torse. Puis se propagea dans tout son corps. Ses mains se mirent à trembler. Sa vision se voila pendant plusieurs secondes. Théo ne comprenait pas, il ne sentait pourtant aucun bandage contre sa peau. Rien qui indiquait qu'il souffrait d'une quelconque.

Il papillonna des yeux, avant d'apercevoir Melissa McCall. Elle se tenait à la porte, les bras croisés. Bien-sûr, Théo ne pouvait qu'avoir été envoyé au Memorial Hospital. Sa tête retrouva le confort de son oreiller, après un long soupir à peine dissimulé.

Il devina tout de même le regard de la femme sur lui. Les poils de ses bras s'hérissèrent et sa chair se mit à bouillir. Elle dévisagea ensuite les deux officiers toujours présents dans la pièce.

« Alors ? s'impatienta-t-elle. Il est en état d'arrestation ou non ? »

Le Bêta secoua vivement la tête, apeuré par l'Oméga devant lui.

« Merci et au revoir, conclut-elle en leur tenant la porte ouverte. »

Le Bêta se faufila dehors. L'Alpha par contre, Théo l'avait deviné, ne se laissa pas faire. Il soutint le regard appuyé de Melissa. Un ricanement lui échappa, il connaissait déjà l'issu de leur face à face.

« Vous savez qui est ce garçon ? l'interrogea-t-il. Il est dangereux ! »

Il prononça ses derniers mots tel un crachat. Ses yeux ne le quittaient pas, comme s'il pouvait fuir à chaque instant. Les liens qui l'entravaient ne lui suffisaient pas. Théo sourit. Il avait l'habitude de ces réactions disproportionnées. Dès que sa situation familiale faisait surface, le regard posé sur lui changeait. Telle une malédiction dont Théo ne pourrait jamais se défaire. Il était né avec et le passerait à la prochaine génération. A part, s'il décidait de rompre le cycle.

« Je sais qui il est, dit-elle sans même jeter un coup d'œil dans sa direction. Et croyez-moi, j'aimerais tellement que vous l'emportiez avec vous. Mais le shérif a laissé des ordres. »

L'Alpha grimaça, et Melissa le rejoignit dans un soupir bien trop sonore pour ne pas être forcé.

« Il a une côte fêlée, de toute façon, poursuivit-elle, vous ne pouvez pas l'emmener. Il a besoin de repos. »

L'officier lui lança une dernière œillade avant de lui aussi quitter la pièce. Melissa l'accompagna. Théo la vit échanger quelques mots avec les deux agents, elle ne cessait de se retourner pour vérifier qu'il n'avait pas bougé. Elle fronçait les sourcils à chaque fois que leurs regards se rencontraient.

Elle le haïssait, c'était sûr. Un rictus moqueur prit possession de son visage. Tant mieux, Théo ne l'aimait pas non plus.

Leur conversation prit fin. L'Alpha montra presque les dents avant de se décider à partir. Théo lui aurait bien fait un signe de la main, mais les liens de l'hôpital étaient solides.

Melissa revint dans sa chambre avec un plateau de repas. Et les yeux de Théo ne quittèrent plus les trois plats qu'elle lui apportait. Il avait entendu ses frères se plaindre de la nourriture des hôpitaux, elle était pire qu'à la cantine de leur école. Mais en cet instant, il n'y avait une chose au monde que Théo désirait plus que cette gelée à la couleur douteuse, ces nuances de beige étranges qui dansaient dans l'assiette, et les légumes probablement reconstitués qui traînaient sur le côté. Même s'ils avaient tous été réunis dans une grosse assiette, Théo aurait tout mangé.

Malheureusement pour lui, Melissa s'arrêta à mi-chemin, gardant son repas prisonnier avec elle.

« Je l'ai pas fait pour toi, crut-elle bon de préciser.

-Je sais, s'empressa Théo de répondre, il ne voulait qu'une chose qu'elle pose son plateau près de lui.

-Je suivais la procédure de Stilinski. »

Théo se hâta d'acquiescer. Elle finit par déposer le plateau sur la tablette près de lui. Il voulut attraper ses couverts, mais son bras ne décolla pas du matelas. Il était toujours attaché. Son regard se leva lentement vers Melissa.

Elle se tenait au-dessus de lui, les bras fermés. Le même sourire que Théo s'amusait à afficher, sa calqua sur son visage.

« Vous me détachez pas ? s'inquiéta Théo, les sourcils froncés. »

Elle haussa les épaules, tira une chaise jusqu'à son lit, et s'y assit. Ses yeux ne le quittant pas une seule seconde. Théo comprit que c'était une de ses façons de se venger.

« Tu as une côte fêlée, déclara simplement Melissa. L'os met pas plus de trois semaines à se ressouder. Mais la douleur peut durer jusqu'à deux mois.

-Quand est-ce que je peux partir ? »

Ses doigts tapotèrent l'accoudoir de sa chaise, avant qu'elle ne se décide à attraper la gelée sur le plateau repas. Théo leva les yeux au ciel, en grimaçant. Bien-entendu, son envie de nourriture ne devait pas passer inaperçu.

« Quand ils arriveront, dit-elle en ouvrant l'opercule du petit pot.

-Quand qui arriveront ? grinça Théo. »

Un sourire égailla le visage de la mère de Scott. Il semblait sincère, les battements de son cœur s'emballèrent. Ça ne signifiait que des mauvaises nouvelles pour lui.

« Qui va arriver ? aboya Théo.

-Deux de tes oncles sont en route. Je sais pas exactement qui, mais ils arrivent. »

Plus aucun son ne lui parvint. Un long silence pesant régna autour de lui. Les images à la télévision défilaient pourtant toujours. Il voyait le personnel de l'hôpital courir dans le couloir. Mais rien. Seul le silence.

Il sentait son corps s'enfoncer dans le matelas. C'était comme s'il tombait. Son corps se détachait de toute surface solide. Il disparaissait. La légère douleur à son torse n'existait plus.

Puis ses mains se mirent à trembler. Elles vibraient contre les couvertures. Ses jambes suivirent le mouvement, elles tressautèrent. Non. Elle lui mentait. Personne ne serait capable de faire ça. Même Stilinski-père ne l'avait pas fait.

Des milliers d'informations lui parvinrent. Comme s'il découvrait de nouveaux sens et qu'ils décidaient de fonctionner tous en même temps. Les odeurs aseptiques de l'hôpital envahirent ses narines. Celle acide de Melissa vint en second. Un haut-le-cœur le prit lorsqu'il reconnut le parfum si particulier que lui et sa famille partageait. Scott avait toujours une pointe de Raphael dans sa propre odeur et elle se répercutait sur Melissa.

L'odeur de sa famille suffit à lui refaire prendre pied. Il ne pouvait pas y retourner. Le shérif avait raison, même s'il haïssait l'avouer.

« Vous l'avez appelé, murmura Théo en posant son regard sur elle. »

Melissa apporta la cuillère pleine de gelée à sa bouche. Elle la serrait si fortement que ses doigts devinrent blancs. La colère suintait de ses pores. C'était sa vengeance. Son dernier coup de théâtre.

« Vous savez qui il est et vous l'avez appelé, répéta-t-il. »

Elle hocha lentement la tête. L'air sérieux, elle se pencha vers lui et chuchota :

« Il est temps que tu rentres chez toi, cracha-t-elle. T'es pas à ta place ici.

-Oh, rit Théo en frappant le matelas de sa main, si je le suis pas, vous non plus.

-On est différent, Théo. Très différent. »

Elle déposa le pot sur la table de chevet près de lui. La cuillère toujours à l'intérieur, elle n'en avait pris qu'une bouchée. Melissa releva son regard vers lui. Il y voyait de la colère, mais aussi du regret. Sûrement pas à son encontre.

« Ce que tu as fait à… »

Sa voix craqua et ses yeux s'humidifièrent. Elle prit une grande respiration pour chasser le début de ses larmes.

« J'oublierai pas ce que tu as fait à mon fils, répéta-t-elle. Je suis pas comme le shérif, j'ai pas pitié de toi. »

Elle cracha ses derniers mots en l'observant de haut. Un sourire plein de dédain s'affichait sur ses lèvres, alors que ses yeux rougissaient. La mâchoire de Théo se serra. Il sentait chacun de ses muscles se contracter. Il voulut frapper son visage, faire disparaître sa joie.

Mais il ne put faire aucun mouvement. Ses liens étaient bien trop serrés.

« Tu es dangereux, Théo. Tu mérites pas de vivre ici. »

Son corps entier se tendit. Ses ongles s'enfoncèrent dans ses paumes.

« Je reviendrai, cracha Théo en fixant Melissa. Vous serez jamais à l'abri. Ni vous, ni Scott.

-Ne prononce pas son nom, siffla-t-elle. Plus jamais !

-Pourquoi ? ricana-t-il. C'est mon frère après tout. »

Melissa secoua la tête en reculant. Son dos percuta le mur, alors qu'elle répétait qu'ils n'étaient pas frères, qu'ils n'avaient rien à voir l'un avec l'autre.

« Vous êtes vraiment sûr de ça ? lui demanda Théo, en tirant sur ses liens. »

Même si Scott et lui ne partageaient pas un trait commun, leurs odeurs restaient similaires. S'il y avait une chose que le soleil de la Californie ne pouvait pas guérir, c'était ce goût acre que lui et sa famille provoquait chez les autres. Scott sera toujours des leurs, même à plus de 3000 kilomètres. Son nom pouvait changer, son adresse aussi, il restait l'un des leurs. Et Melissa semblait haïr ça.

La porte de sa chambre grinça. Melissa se détacha du mur et un grand homme noir habillé d'une blouse blanche impeccable pénétra dans la pièce. Les yeux rivés sur les dossiers entre ses mains, il prit quelques secondes avant de relever la tête. Melissa lui sourit innocemment. Mais Théo voyait bien les larmes qui perlaient aux coins de ses yeux. Elle le méritait.

« Alors qu'est-ce qu'on a là, jeune homme ? commenta-t-il en se rapprochant de son lit. »

Il feuilleta ses fiches, les sourcils arqués. La mère de Scott l'observait par-dessus son épaule. Ses yeux ne quittaient pas Théo, comme s'il s'apprêtait à lui sauter à la gorge d'une seconde à l'autre.

« Une côté fêlée. L'os prend…

-On m'a déjà tout expliqué, le coupa Théo. Vous êtes le docteur ?

-Je vois que Melissa a tout de même oublié une chose, plaisanta-t-il. Docteur Geyer. »

Le docteur présenta sa main à Théo. Un ricanement lui échappa.

« Je vais avoir du mal, dit-il avec un signe vers ses poignets. »

Geyer fronça les sourcils, avant de soulever la couverture. Il découvrit les attaches qui entouraient ses membres et se tourna vers Melissa.

« Il a un casier, se justifia-t-elle. »

L'homme hocha la tête et n'en demanda pas plus. Théo leva les yeux au ciel. Lui non plus, ne le détacherait pas donc.

« Vous devez me laisser partir, continua Théo en agitant ses bras attachés.

-Dès que tes parents seront là, lui expliqua le Dr. Geyer.

-Non, l'interrompit-il. Vous comprenez pas. Je peux pas retourner là-bas. »

Un air confus s'installa sur son visage. Melissa se hâta de glisser un mot à son oreille. Et le visage du docteur se ferma. Théo soupira, bien-entendu elle ne pouvait pas prendre le risque de le laisser étaler lui-même sa situation.

« Vous pouvez pas me retenir ici ! aboya Théo.

-Désolé, jeune homme. Mais la loi est la loi. »

Melissa hocha vivement la tête derrière lui. Elle était aussi pourrie que son fils. Théo commença alors à se débattre. Il s'agita dans tous les sens. Si personne ne voulait le détacher, il le ferait lui-même. Ses chaînes frappaient frénétiquement contre les barreaux en fer de son lit. Un tintement incessant régnait dans la pièce. Si ses oncles le retrouvaient, il serait mort avant même d'avoir passé le porche de sa maison.

« Théo, tenta de le calmer le docteur.

-Détachez-moi, lui répondit-t-il en arrêtant de se débattre. Sinon vous allez le regretter. »

La porte s'ouvrit pour la troisième fois. Le cœur de Théo fit une embardée. Il était foutu…

« Qu'est-ce qu'il fait là ? »

Le nouvel arrivant entra dans son champ de vision. La tension dans ses épaules s'évapora. Le garçon s'était élargi et ses cheveux avaient poussé, mais il reconnut le Bêta qui accompagnait Scott dans ses moindres déplacements. Liam Dunbar, ou quelque chose comme ça.

Il affichait toujours un air perdu, et un sourire stupide. Théo ne pouvait s'empêcher de le trouver bête et niais. Pour apprécier Scott MacCall, il fallait au moins être l'un des deux. Et vu l'adoration que le petit Bêta lui portait, il n'avait pas d'autre choix que d'être le deux. Comme son mentor, il était toujours suivi d'un garçon plus intelligent que lui. Théo ne supportait aucun des deux. D'un point de vue général, il n'aimait pas les amis de Scott.

« J'arrête pas de me poser la même question, lui avoua Théo.

-Et tu vas continuer de te poser cette question, jusqu'à ce qu'on vienne te chercher.

-Si on vient me chercher, vous êtes la prochaine, cracha-t-il. »

Les poings de Melissa se fermèrent en même temps que son visage. Mais Geyer la stoppa en posant une main bienveillante sur son épaule.

« Vous avez un avion à prendre, Melissa. Et toutes les routes sont bondées en ce moment, vous feriez mieux de partir maintenant. »

Elle prit une grande respiration avant de quitter la pièce. Théo eut tout le même le droit à un énième regard accusateur. Un sourire narquois délia ses lèvres.

« Qu'est-ce qu'il fait là ? répéta Liam en se rapprochant du docteur.

-C'est un patient, rit l'homme en haussant les sourcils. »

Liam dévisagea Théo, et secoua la tête. Théo soupira une énième fois. Il aurait dû quitter l'État. Partir ailleurs. Il se souvenait d'un garçon de son école qui parlait souvent du Kentucky. Ses grands-parents habitaient là-bas, il y allait chaque été, laissant Théo seul sur les marches de sa maison.

Il aurait aimé s'installer là-bas. Mais c'était bien trop près de la Virginie. S'il voulait débuter une nouvelle vie, il devait s'éloigner de tout ce qu'il connaissait.

« Non, le coupa Liam. Il est dangereux ! Il… Tout ce qui est arrivé à Stiles et Scott, c'est de sa faute ! »

Geyer se retourna vers Liam et l'entraîna vers la sortie. Théo les observait un sourcil arqué.

« Tu devrais pas être en cours ? l'interrogea le docteur sans même essayer de chuchoter.

-Je suis venu t'apporter à manger, dit Liam en tendant un sac plastique. Y a plus personne au lycée de toute façon. »

Les deux Bêtas semblaient bien se connaître. Théo comprit qu'il devait être son beau-père ou quelque chose dans le genre. Il n'était pas vraiment au courant, des petits surnoms que se donnaient les familles recomposées. Elles ne couraient pas les rues chez lui.

« Et les profs sont là ? le questionna-t-il. »

Liam haussa les épaules, et répondit que quelques-uns faisaient encore cours. Mais il se hâta de rajouter, qu'aucun élève ne venait. Théo savait qu'un virus ressemblant à la grippe circulait depuis un moment. C'était une des principales raisons pour lesquelles Théo essayait de rester dans sa voiture le plus possible. Avant, il traînait dans les endroits délabrés où les personnes comme lui ne gênaient personne. Mais lorsqu'il avait vu les gens qu'il connaissait tomber malade les uns après les autres, il était vite parti. Il n'avait pas de quoi s'acheter des médicaments ou quoique ce soit dans le genre. Il ne pouvait pas se permettre d'être malade.

Un flash rouge encombra sa vision. Ses oreilles sifflèrent. Les cris de la fille lui revinrent par vagues. Mais il secoua la tête. Il n'était même plus sûr d'être réellement allé au zoo. La route de la réserve était un raccourci bien connu pour atteindre l'autoroute, Théo l'avait déjà empruntée à plusieurs reprises.

« Si les profs sont là, tu dois y aller, Liam.

-Je devais pas plutôt rester à la maison. Y a moins de risque que je tombe malade, non ?

-Et sécher les cours ? rit Dr. Geyer. Aucune chance, ta mère me tuerait. Tu sais ce qu'elle dit… »

Liam lâcha l'affaire, non sans un soupir. Le docteur Geyer lui dit de déposer son repas dans son bureau, et qu'il ne tarderait pas à le rejoindre. Il lui ébouriffa les cheveux avant de le laisser partir. Liam se laissa faire avec un sourire. Théo regarda la scène de loin, il ne réussit à s'empêcher de lever les yeux au ciel. La parfaite photo de famille.

Geyer se retourna vers lui, avec un sourire encore plus grand que celui avec lequel il était arrivé. Et contrairement à ce que pensait Théo, oui, c'était possible.

« Tes parents devraient pas tarder. D'ici une ou deux heures sûrement.

-Super, se moqua Théo. »

Une grimace apparut sur le visage parfait du Bêta.

« Ils ont l'air de vraiment tenir à toi, tu sais. Ils ont pris le premier avion pour venir ici.

-Ils tiennent pas à moi. Ils ont besoin de moi, le contredit Théo. C'est différent. »

La gêne s'empara du Bêta, qui mit tout de suite fin à la conversation. Il se concentra sur sa blessure et son accident. Mais Théo ne l'écoutait plus.

L'inquiétude qui grandissait en lui requérait toute son attention. Il calculait ses possibilités de fuite. Théo avait concrètement deux moments pour s'échapper. Avant de monter dans la voiture qui l'emmènerait à l'aéroport et avant de prendre l'avion qui le ramènerait chez lui.

Mais il connaissait bien sa famille, même s'il ignorait quels oncles viendraient le chercher, il savait pertinemment qu'il se retrouverait face à deux armoires à glace. Avant, il entretenait une bonne relation avec tous ses oncles, mais c'était qu'il ne prenne la fuite. Un an et demi, c'était long. Et la fuite n'avait jamais été une option chez lui. Si l'un d'entre eux n'aimait pas la vie qu'il menait, il n'avait pas d'autres choix que de prendre son mal en patience.

Les expéditions punitives, il connaissait, le mot pitié n'existait pas. Rafael McCall en était un bon exemple. Personne ne savait où il était, le FBI avait classé sa disparition sans suite. Mais Théo était certain que son corps se décomposait sous la pelouse jaunie de leur jardin.

Le lien qui enserrait sa main droite devint plus lâche. Il dévisagea le beau-père de Liam qui était penché sur lui.

« Pour que tu puisses manger, lui répondit-il avec un sourire désolé. »

Théo fronça les sourcils, alors que l'homme s'en alla.