Ma montre indique sept heures... Courage, encore une seule petite, toute petite heure et je quitte cet endroit… Je déteste ce boulot de caissière. J'aimerais juste que mes romans deviennent rentables et enfin je pourrais me consacrer entièrement à l'écriture, ma vraie passion. Inutile de préciser que passer mes journées à faire défiler des hamburgers pré-emballés achetés par des obèses sur un tapis roulant en leur demandant s'ils désirent un sac en plastique n'est pas vraiment ce que j'avais en tête comme plan de carrière. Sans parler des clients malpolis.

Ma dernière heure de torture se termine et le week-end commence enfin ! Je regagne le parking souterrain presque vide à cette heure. Une forte odeur d'essence plane dans l'air… Je regarde sous ma voiture à la recherche d'une fuite mais rien. En cherchant mes clés, qui ont encore disparu dans un recoin obscur de mon sac à main, j'aperçois du coin de l'oeil un reflet dans la vitre de la portière. Une haute silhouette aux épaules carrées qui s'approche dangereusement vite derrière moi.

Et merde, ça va foutre ma soirée en l'air ça.

Je n'ai pas le temps de me retourner pour infliger mes quelques bases de self défense à cet homme - oui, faut bien ça quand on a vécu toute sa vie à Gotham - qu'il me plaque contre ma voiture, ses mains sont comme des étaux autour de mes poignets. J'ai l'impression qu'il va me les casser et crie. Il s'arrange pour immobiliser mes bras d'une main et me barricade la bouche l'autre.

-Shhh Shh Sh… Vous ne voudriez pas… Réveiller les… enfants du quartier ? Hum ?
Des enfants ? Dans ce quartier ?je n'espère pas pour eux en tout cas... J'émets une protestation étouffée et tente de me débattre mais c'est peine perdue : sa poigne est d'acier et doit faire une tête en plus que moi...

-Arrêtez...ça. Ordonne-il en resserrant sa prise, mettant finalement fin à mes protestations. Je vais... enlever ma main de votre...bouche et vous allez répondre à une...petite question. D'accord ? Sachez que...si vous vous mettez à...crier, vous passerez certainement votre fin de semaine... à la morgue. Continue-t-il au creux de mon oreille, la proximité devenant gênante m'empêche de réfléchir de façon cohérente et me confirme que l'odeur qui m'avait alertée ne vient pas d'une quelconque fuite, mais de mon agresseur. Et cette voix, elle me dit quelque chose... Mais impossible de me rappeler où j'ai déjà pu l'entendre. La main gantée desserre doucement ma mâchoire puis vient placer une lame froide sous ma gorge, m'arrachant un hoquet de stupeur, ce qui provoque chez l'homme un petit rire moqueur à glacer les entrailles.

-Si c'est de l'argent que vous...
-Je. M'en. Contre-fiche. De ton. Fric. Coupe-t-il en faisant glisser son couteau jusqu'au haut de mon cou pour appuyer ses paroles.
Au moins cela a le mérite d'être clair...Il veut quoi le grand type qui pue l'essence alors ?
-Vous êtes bien... Yrefa Colt ?
-Euh... - la lame se resserre - Oui, OUI c'est moi ! Dis-je en commençant à paniquer.
-Par-fait. Articula-t-il avant de m'agripper par les cheveux pour me trainer jusqu'à une autre voiture dont il force la serrure avec expertise – si je me fie au temps que ça lui prend- sans me donner l'occasion de voir son visage. Je distingue vaguement une paire de gants violets avant d'être mise brutalement dans le coffre, la voiture démarre quelques instants plus tard.

Pendant le voyage, je me demande où j'ai déjà entendu ce phrasé si particulier, mais ma mémoire ne semble pas vouloir coopérer... Impossible également de sortir du coffre... Je crie, mais la radio va fort, crachant ce que j'identifie comme du hard rock ou un de ses dérivés. Dans tous les cas, ça hurle plus fort que moi, m'évoquant quelqu'un qui aurait posé un micro sur une piste d'atterrissage , se serait mis à vomir à côté et puis aurait vaguement remixé le tout.

Je ne sais pas depuis combien de temps il roulait quand je cesse d'être ballottée d'un bout à l'autre du coffre, je saisi ma peut-être dernière chance en donnant un coup de pied au hasard quand l'homme ouvre le compartiment à bagages. Et touché dans l'estomac ! Sauf qu'au lieu de s'affaler par terre comme j'aurais pu l'espérer, il recule vaguement d'un pas et me lance un regard interrogatif accompagné d'une espèce de sourire étirant deux énormes cicatrices peintes en rouge aux coins de ses lèvres, je le reconnais immédiatement. Je suis vraiment, mais alors là, vraiment dans la merde. À en juger par son attitude, mon expression de terreur doit être très amusante.

Il m'agrippe brutalement par les cheveux – il faut croire que c'est son truc... - , approche son visage du mien, front contre front.
-Ne...jouez pas...à ce petit jeu...avec moi. Dit-il presque en chuchotant. Je reste pétrifiée, essayant vaguement d'échapper à sa poigne, ce qui a pour seul effet de déclencher un rire chez le clown. Toujours par les cheveux, il me traîne jusque dans un bâtiment, enfin je pense puisque je ne vois plus grand chose étant donné de la manière dont il m'emmène... Nous arrivons devant une porte qu'il fracasse à coup de pied avant de me projeter sur un canapé. Euh... Attendez une seconde...C'est MON canapé ! Et c'est Mon appartement ! Et c'est aussi sur ma table basse qu'il s'installe, se retrouvant face à moi, un couteau à lame trop brillante à mon goût pointé sur moi.

-Alors, Alice...
Et merde, comment il connaît mon vrai nom celui-là ?
-J' ai beaucoup... apprécié vos hum...romans. Continue-t-il en pointant sa lame vers ma bibliothèque tout en me fixant.
Et merde.
-Ce n'est pas...de la fiction... n'est-ce pas ?
Chiotte, Chiotte, Chiotte.
-Que se passe-t-il...à la fin de l'histoire ? Pourquoi...décide-t-elle de tout plaquer pour hum... un boulot minable ? Elle avait pourtant l'air... d'apprécier... son statut de tueuse à gages...non ?
-Euh...Elle...
-Oui ? Dit-il avec un grand sourire qui fait tout sauf m'aider à parler.
-Jack...Il allait tout découvrir... Elle a dû le tuer. La police semblait se rapprocher également, après ça... Faire profil bas semblait une bonne solution. Je peine à articuler ces quelques mots, mon coeur se prennant pour un cheval au galop.
-Ho...Je vois...Dit-il en affichant un air un peu déçu. Elle a pris... peur. Ajoute-t-il pour lui-même en secouant légèrement sa tête de gauche à droite.
Il semble réfléchir pendant quelques instants, je le regarde.
-Vous êtes...une...idiote. Fut la conclusion de ces quelques secondes de réflexion.
-P...Pardon ?
-Vous m'avez... très bien...compris. Rétorque-t-il en me lançant un regard qui me fait détourner les yeux. Et peu...m'importe ce qui est arrivé à...Jack -Il crache presque sur le mot- Vous vous remettez... au travail... et sous...mes...ordres. Il termine sa phrase par une sorte de sourire effrayant tandis que je garde la bouche ouverte pendant ce qui me semble une éternité.
-Non. Parvins-je finalement à articuler.
-Je pense - Il pose la pointe de son couteau à la base de mon cou - Que vous n'avez... - La lame commence une descente lente vers mon ventre - Pas vraiment... - L'objet se trouve juste au-dessous de mon nombril - Le choix - L'arme termine finalement sa course dans ma cuisse. J'aurais crié à m'en faire éclater les poumons si une main gantée de m'en avait pas empêchée.
-Il ne faudrait pas...alerter les voisins...Se justifie-t-il. Je vous laisse...le week-end pour réfléchir à ma... proposition. Enchaine-t-il avant de disparaître par ce qui reste de la porte d'entrée, me laissant là, un couteau dans la cuisse comme preuve que ce qu'il vient de se passer n'était pas un mauvais rêve.