Le syndrome de Stockholm.
Y-a-t'il toujours une limite à tout? Pourquoi faudrait-il toujours qu'il y ait une limite ? Une limite entre la haine et l'amour, entre l'immaturité adolescente et la responsabilité adulte, entre la frayeur d'avancer et le courage de s'élancer? Tout n'est pas que blanc ou noir. On ne bascule pas précipitamment d'un côté ou d'un autre. C'est cette opposition constante, ce mélange savant qui fait que la vie mérite d'être vécue.
Et c'est ce paradoxe omniprésent qui fait que je t'aime. Même si rien ne m'y prédestinait.
_Chapitre 1_
C'était mon premier jour dans cette école de stylisme mondialement connu, installée aux USA depuis des années, elle avait formé les plus grands. La rivalité était constante, le travail pharamineux, les enseignants exécrables. Mais j'étais prêt, confiant. Parce que rien ne gâcherait cette nouvelle vie que je commençais à me construire. C'était également mon premier jour dans mon nouvel appartement. J'avais travaillé dur durant l'été pour l'acheter et y payer chaque mois le loyer, même si papa et Carole m'avaient proposé de l'aide. Je tenais à m'affirmer. C'était aussi mon premier jour dans une ville qui m'était totalement inconnue. New York. J'avais peur, j'étais effrayé par tant de nouveauté, mais tellement excité également. Je voulais croire en l'avenir. C'était mon premier pas dans ma vie d'adulte.
C'est donc avec un entrain démesuré que j'entamais ma journée de cours. Ma professeure était compétente, stricte, mais pas méchante, elle enseignait l'histoire du stylisme et son conditionnement cyclique. Elle nous expliqua vivement que le programme était long et rude, et que seul les meilleurs parviendraient à la fin. Ce qui tombait bien, je faisais parti des meilleurs. Depuis toujours. J'avais le goût d'apprendre, et le stéréotype d'intellectuel ne me faisait pas peur. En quoi était-ce une tare d'être intelligent? Et puis, j'en connaissais un rayon sur les stéréotypes. J'étais assis au premier rang, et je notais toujours consciencieusement mes cours, d'une écriture penchée et régulière. J'étais un perfectionniste. Aujourd'hui ne dérogeait pas à la règle, nous nous plongions avec délice dans le monde de la mode. Absorbé, j'entendis à peine la porte s'ouvrir devant moi.
- Excusez-moi, commença une voix grave, les vacances m'ont fait perdre la notion du temps. J'ai oublié que nous devions nous revoir aujourd'hui.
- Monsieur Anderson, vous voilà encore en première année? Pourquoi cela ne m'étonne-t-il pas?
- Peut être parce que vous avez été l'investigatrice de cette décision? Répondit l'impertinent.
- M. Anderson! Je ne tolèrerais aucune insolence cette année et aucun retard également. Veuillez exceptionnellement prendre place dans cette salle, et j'ai délibérément demandé à ce que le bureau du fond à côté du chauffage sur lequel vous vous avachissiez soit retiré.
Le nouveau haussa les épaules. Je ne le regardais même pas, un tel manque de respect le premier jour ne méritait pas mon attention. Du moins jusqu'à ce que j'entende la chaise à côté de moi se tirer et que quelqu'un ne s'affale sur celle-ci. Pourquoi de toutes les places disponibles avait-il fallut qu'il choisisse la mienne? Je l'ignorais superbement reprenant la dictée là où elle avait été laissée. Mais je fus une nouvelle fois dérangé par un souffle chaud qui caressa furtivement mon cou, hérissant mes poils.
- Excuse moi, tu n'aurais pas un stylo s'il te plaît?
Non mais de qui se fichait-il celui-ci? Je soupirais, puis après avoir trouvé un minable stylo noir, me tournais vivement pour le lui donner.
C'est à ce moment que je sus que rien ne se passerait comme je l'avais prévu.
Je le connaissais.
Ce petit con prétentieux ne m'était pas inconnu. Il avait été mon bourreau. Il avait fait de mes années collèges un cauchemar. Et pourtant, tout ça avait commencé de façon bien innocente...
Je suis entré en 6ème dans l'établissement de « St Amant les deux colombes », une magnifique école privée dans laquelle mon père m'a pratiquement forcé à aller. Je n'avais pas tout de suite compris pourquoi, surtout que nous n'avions pas d'argent à dépenser inutilement. Ce n'est que plus tard que j'ai réalisé : Il ne faisait pas bon être gay dans des écoles publiques. Et même si ma sexualité n'était pas parfaitement établie à cet âge-là, mon père avait deviné. J'étais plus féminin, d'avantage intéressé par des activités dîtes « de fille ».
Quoiqu'il en soit, je l'ai tout de suite remarqué. Blaine Anderson. C'était un garçon de 5eme turbulent qui, de surcroît, avait déjà redoublé. C'était ces deux éléments qui m'avaient d'abord intrigué, parce que ce collège n'acceptait pas les insolents, ni les idiots. St Amant recrutait la crème du savoir et ne permettait pas à un casse-cou de se tenir parmi leurs rangs. Pourtant ils avaient fait exception pour lui. Je m'étais dit que sa famille devait être très riche et puissante pour les forcer à garder un tel cataclysme.
Puis une deuxième chose m'avait frappé de plein fouet. Son charme. Il n'avait que 12 ans et on pouvait lire en lui toutes les futures prouesses d'un homme. Il était musclé de manière prometteuse, avait des cheveux aussi noirs que ceux d'un geai et des yeux aux couleurs de l'or et de l'ambre. Il était sournois, ironique, indomptable. Il émanait de lui une attraction sombre et terrifiante. C'était euphorisant. J'en suis tombé amoureux. Presque immédiatement.
Juste le temps de réaliser que j'aimais les garçons. Juste le temps de réaliser que j'étais une anomalie.
J'ai passé mon année de 6eme silencieux. Cherchant à droite, à gauche des informations. Je n'étais pas malade. J'étais normal, simplement gay. Et je ne comptais pas m'en cacher. En 5eme, pris d'un courage inattendu, je me suis dévoilé. Timidement, à l'écart des autres, je lui ai dit que je l'aimais, que je n'attendais rien mais qu'il m'intriguait et que j'aurais aimé le connaître. Une ombre surprise est passée sur son visage. Puis il m'a sourit. C'était plus beau que tout. J'étais naïf. J'ai espéré comme un fou que l'on devienne ami.
Et soudainement des éclats de rire. Ses amis étaient cachés, ils avaient tout entendu. Je ne sus jamais si tout avait été prémédité. J'aime à penser que ça ne l'était pas.
- Blaine, tu ne vas quand même pas tolérer ça ? C'est une tafiole, il va te contaminer si tu l'approches !
Soudain, il a changé d'attitude, face aux dires de ses camarades. Il m'a regardé et a prononcé froidement ces mots :
- Ne m'adresse plus jamais la parole, ne me regarde plus, ne pense même plus à moi.
Il m'a bousculé, puis est parti. Depuis ce jour sa bande ne m'a plus lâché. Rires moqueurs, jets de boules de papiers ou autres, bousculades, croche-pieds. Il n'a jamais été question d'une extrême violence, nous n'étions que des gamins. Mais cette pression constante, cette peur d'aller au collège chaque jour m'a marqué. Même lorsqu'ils entrèrent en seconde, ils ont continué.
Jusqu'à ce que je rentre moi-même dans un autre lycée. Loin d'eux.
Ce ne fut pas mieux.
Blaine n'était pas celui qui m'avait fait le plus de mal durant ces trois ans, mais il n'avait rien fait pour me protéger non plus. Il était resté presque passif, me regardant simplement m'éteindre au fil des jours. Alors qu'il était responsable. Un mot de lui et ils auraient arrêté. S'il s'était mouillé, s'il ne s'était pas comporté en lâche.
Et voilà que trois ans après je me retrouvais dans cette classe en face de lui et ses yeux merveilleux.
Quelles étaient les probabilités pour que l'on se retrouve dans la même ville? Dans la même prépa ? Dans la même classe malgré ses deux ans supplémentaires ? Côte à côte ? Cela devait frôler les 0,03% et pourtant.
Mon souffle se bloqua dans ma poitrine et ses sourcils se froncèrent un instant. Il reprit cependant très rapidement cet air suffisant qu'il affichait déjà au collège.
- Mais c'est le petit Kurt Hummel…
Il semblait étrangement ravi de me revoir. Un sourire étira ses lèvres et il se saisit de mon stylo en frôlant -volontairement- mes doigts.
- Merci, souffla-t-il.
Puis il se détourna de moi, qui n'avais pas bougé.
- Mr. Hummel ? Un problème?
Oui. Je ne comprends pas. J'ai peur.
- Non, aucun.
Impossible de me concentrer, impossible d'empêcher mes doigts de trembler. Je ne savais si c'était la frayeur de le savoir là, ou l'odeur de son gel douche qui remontait agréablement à mes narines.
Lorsque la fin du cours fut annoncée, je sautais de ma chaise et parti au pas de course. Je devais mettre le plus de distance possible entre lui et moi. Il était mon prédateur, et j'étais sa proie. Cours, cours petit lapin, jamais tu n'échapperas au grand méchant loup.
Je n'avais plus cours pendant deux heures. Je songeais rapidement à trouver un endroit où je pourrais être seul, pour réfléchir. La terrasse. C'était l'endroit idéal. Elle était interdite aux élèves, il fallait emprunter un escalier de secours rouillé, peu recommandable. Mais cela m'importait peu.
Je sortis du bâtiment et me dirigeais vers l'arrière cours. Je vérifiais que l'on ne me voyait pas et grimpais à l'escalier usé par le temps.
Sur la terrasse une bourrasque ébouriffa mes cheveux laqués. J'étais en sécurité, en hauteur. Je m'allongeais à même le béton, en observant les nuages tout en me concentrant sur ma respiration. D'abord me calmer. Ensuite réfléchir. Qu'allais-je faire? Fallait-il que je me montre fort, et que je lui fasse payer? Je n'étais pas une victime. J'avais changé. J'étais fier de ce que j'étais. Mais devant lui je redevenais le petit garçon persécuté que j'étais. Incapable de m'élever.
Lui en voulais-je même encore? Serait-il préférable de faire profil bas? De simplement l'ignorer?
Il était difficile de faire le point, en trois ans j'avais eu le temps de m'affirmer, de mûrir, mais mes blessures étaient toujours présentes. Je n'étais pas une victime. J'avais changé. J'étais fier de ce que j'étais. Mais devant lui je redevenais le petit garçon persécuté que j'étais. Incapable de m'élever.
Nous n'étions que des enfants, oui. Mais une prétendue jeunesse suffit-elle à justifier cette persécution? Je tournais en rond.
La partie rationnelle de mon être me disait de laisser tomber. De ne pas faire attention et de répliquer seulement en cas de problème. De laisser le passé où il était.
Une autre part, certainement la masochiste me poussait à l'aborder. À le connaître, à lui montrer qu'il ne m'avait pas atteint, que malgré ses brimades j'étais devenu quelqu'un de fort et peut être même à me venger. Je fermais les yeux, laissant vaguer mes problèmes profitant des derniers rayons de soleil d'un été qui s'achevait. Mais une ombre vint lentement se dessiner devant mes paupières closes. J'ouvris les yeux et me redressait immédiatement, m'éloignant. Blaine.
Celui-ci leva les mains au ciel innocemment.
- Tout doux, je viens en paix. J'ai eu un mal de chien à te trouver.
- Qu'est ce que tu me veux? Demandais-je la voix moins assurée que je ne l'aurais voulu.
Il dû me trouver pathétique. Il afficha une mine légèrement moqueuse.
- Tu es parti tellement rapidement tout à l'heure que je n'ai pas eu le temps de te rendre ton stylo.
Il me le tendit et je repris mon du.
- Merci, chuchotais-je.
Il pencha la tête d'un air entendu et s'éloigna nonchalamment.
- Heureux de t'avoir revu. À plus tard Honey !
Je bloquais. Honey ?
Pour la deuxième fois de la journée j'eu un flash back.
Depuis quelques mois qu'ils avaient commencé à me harceler, j'étais de plus en plus mal. Un lundi en début de semaine alors que je m'installais comme à mon habitude, une petite chose enveloppée dans du papier rose tomba de mon sac. Un bonbon. Un s'agissait d'un bonbon à la fraise. Mes préférés. Avec un petit mot anonyme.
" Pour que la punition soit plus douce Honey."
Je crus à une farce. Mais personne ne faisait attention à moi dans la classe. J'en déduis que je n'étais pas la cible de moquerie. Je me méfiais du bonbon mais il était lui aussi totalement inoffensif. Je me délectais alors de ce plaisir sucré. Le lendemain, l'étrange manège se répéta. Un bonbon au citron. Puis le surlendemain. Et encore et encore. Avec toujours ce petit mot à l'écriture soignée. Je ne suis jamais de qui il s'agissait. Et ce manège dura le temps de mes sévices. Alors se pourrait-il que ce soit Blaine l'auteur de cette mise en scène?
Impossible. Je chassais cette idée de ma tête.
Tout n'était que coïncidence, après tout Honey était un surnom courant. Non ?
Le lendemain Blaine n'arriva pas en retard en cours, ce qui semblait être exceptionnel. Mais plus étrange encore, il se réinstalla à mes côtés. Il me salua et me demanda un stylo. Puis il écrivit son cours, pour à la fin me le rendre et s'en aller. Le jour d'après il revient. Et tous les jours suivants. Il prenait silencieusement place, sans un mot, excepté les formules de politesses et la demande du stylo. Son immobilité me permettait de l'observer à loisir sans qu'il ne dise rien.
Il était d'une beauté fascinante. J'avais raison au collège lorsque je me disais qu'il serait magnifique. Son corps était massif, mais pas dans le mauvais sens. On pouvait aisément deviner ses muscles vigoureux sous sa chemise. Ses épaules étaient carrées, tout comme sa mâchoire. Seul apportait un peu de douceur ses yeux mordorés et ses cheveux bouclés décoiffés. Sa barbe naissante lui donnait des allures de mauvais garçon. Il était sexy, terriblement. Fantasmer sur son corps ne faisait pas parti de mon plan initial, mais j'étais subjugué par tant de virilité. Et chaque jours je remarquais de petits détails insignifiants. Le fin lien de cuir qu'il portait autour du cou. Ses dents parfaitement blanches. Ces longs cils noirs. Ses pommettes qui saillaient lorsqu'il souriait. Je n'en finissais plus de l'admirer. Un jour il se retourna vers moi, me faisant sursauter et me demanda d'un ton malicieux.
- Tu apprécies ce que tu vois?
Malheureusement oui. Petit con prétentieux, aurait été la réponse la plus franche à sa question, à la place mes joues se colorèrent de rouge et je détournais le regard. Fichue peau de porcelaine.
Ainsi les jours défilèrent. La routine s'installa. J'oscillais entre les cours, mes amis, mes loisirs et les associations auxquelles j'appartenais. Un trimestre entier s'écoula. Au fil des jours et de ma contemplation je ne pus faire semblant de ne pas remarquer le changement qui s'opérait chez Blaine. Il semblait chaque jour un peu plus fatigué, ses joues s'étaient creusées, son regard malicieux était lassé, ses vêtements défraîchis. Il faisait négligé. J'essayais de me convaincre qu'il avait juste du mal à gérer la pression, mais mon instinct me criait qu'il y avait autre chose. Je ne savais même pas pourquoi je m'en préoccupais mais les faits étaient là : Blaine allait mal.
Un jour alors qu'il s'endormait pratiquement j'osais lui demander.
- Blaine, tu vas bien?
Il tourna sa tête vers moi et je pu voir l'ampleur de sa détresse. Mais à mesure qu'il juchait ma mine inquiète ses traits se durcirent.
- Mêle-toi de ce qui te regarde.
Il me lança un regard froid. Je restais muet, c'était la première fois qu'il me parlait si sèchement depuis que nous nous étions retrouvés. J'eu envie de pleurer puis de crier et de le frapper. Mais je ne le fis pas.
Le lendemain, il ne me demanda pas mon stylo. C'était peut être mieux ainsi.
J'essayais de me le sortir de la tête. Vraiment. Mais Blaine se rappelait irrémédiablement à ma mémoire. Blaine qui s'affaiblit. Blaine tellement séduisant dans son perfecto. Blaine qui s'endort en cour. Blaine qui n'oublie jamais de me demander si je vais bien. Blaine qui s'éteint. Blaine, toujours Blaine. Je développais une psychose sur lui. Immanquablement, je devenais un psychopathe. Et ma page de compte-rendu sur « L'esthétisme du design de matière » restait vierge.
Exaspéré je fermais mon classeur d'un coup sec. Saleté de Blaine Anderson. Je priais pour qu'une chose ait lieu, n'importe quoi. Tsunami, incendie, tremblement de terre, soldes. Mais quelque chose qui m'empêcherait de penser à lui. Mon téléphone se mit à sonner. Signe du destin? Peut être.
Il s'agissait d'Alex. Un collège des Restau du Cœur dont j'étais bénévole. Il me priait de le remplacer ce soir, car il avait la grippe, l'hiver rigoureux de décembre n'épargnait personne. J'acceptais avec entrain.
C'est ainsi que je me retrouvais une heure plus tard à servir de grands bols de soupes chaudes ainsi que du pain et du fromage à des sans-abris ou tout simplement à des gens qui en avaient besoin. Ils étaient gentils et chaque sourire me fendait le cœur. Ils ne méritaient pas ça, aucun d'entre eux. Je savais ce qu'était le rejet d'une société aux normes intransigeantes. J'échangeais généralement un mot avec eux, une blague un sourire. Mais en cette période de froid il y avait beaucoup de monde et il fallait faire vite pour ne pas qu'ils attendent trop. Alors nous travaillions à la chaîne. On essayait de garder la chaleur humaine tout en étant efficace. Ce soir là, les gens se bousculaient, femmes, hommes, enfants, vieillards, le besoin touchait tout le monde. Il ne fallait jamais s'en croire à l'abri.
Les bonjours, les sourires, les merci furent répétés un nombre incalculable de fois. Puis la cadence diminua. Nous allions fermer mais un client de dernière minute arriva. Je le servis sans rechigner même si décidément la ponctualité de certains était à revoir.
- Merci.
Je m'immobilisais à l'entente de cette voix. Et relevais la tête. Non. Pas lui.
Et pour la première fois Blaine Anderson baissa les yeux devant moi.
Cette histoire sera composée de quatre petits chapitres, en espérant que cela vous plaise.
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