Note de l'auteur :
Ca peut paraître étrange, mais c'est bel et bien la fin terriblement noire du 3ème film qui m'a inspiré cette fic. J'avais besoin, je pense, de me replonger dans une époque où tout semblait encore possible. Si la première de ces histoire (une par chapitre) est triste, les autres sont nettement plus tendres (c'est même leur vocation). Et mon inspiration galope jour et nuit, comme quoi j'ai vraiment beaucoup de stress à évacuer !
Il s'agit donc de diverses histoires de l'enfance et de l'adolescence de Fili et Kili. Je me permets d'emprunter ici cette phrase de Kedralyn : "si Thorin se fait des cheveux gris, ce n'est pas question d'âge... c'est à cause de ses chenapans de neveux" (comparativement, ceux de Dis doivent être blancs, dans ce cas !).
Aussi peut-on comprendre que, parfois, la soupape de sécurité saute pour de bon ! Attention au retour de bâton ! Qu'importe : l'amour ne s'arrête pas à si peu.
(pour information : selon les histoires, vous aurez droit aux aventures de Fili, de Kili ou des deux réunis. Normalement, elles se déroulent dans l'ordre chronologique : les enfants grandissement peu à peu, de la petite enfance à l'adolescence, même si plusieurs histoires peuvent se dérouler dans la même tranche d'âge ). Je dis cependant "normalement" car si d'autres idées s'imposent à moi en cours de publication, il y aura peut-être des ratés.
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ORPHELINS
Ils étaient tombés par centaines, dont les corps mutilés, sanglants, enchevêtrés couvraient le sol sur toute l'étendue du champ de bataille.
Dans la nuit tombante qui, bientôt, attirerait les charognards attirés par l'odeur du sang et de la mort, où que portait le regard, on ne voyait que des monceaux de cadavres. Parfois, ici ou là, un râle, un gémissement témoignait qu'un dernier souffle de vie animait encore l'un ou l'autre. Désemparés, anéantis, les survivants, guère plus que quelques dizaines de nains sur les milliers qui avaient livré bataille en ce jour funeste, ne savaient par où commencer la triste besogne qui les attendait désormais.
Ils avaient arpenté fiévreusement le champ de bataille depuis que les combats avaient pris fin, s'enfonçant parfois jusqu'aux cheville dans une boue sanglante, espérant trouver d'autres survivants, cherchant à reconnaître, le cœur lourd, parmi la multitude ceux de leurs proches qui étaient tombés.
Quelques blessés avaient été tirés à l'écart. On leur avait prodigué des soins sommaires, avec le peu de moyens que l'on avait. Pour certains, on savait qu'ils ne passeraient pas la nuit. Les autres étaient entre les mains d'Aulé. Lorsqu'ils tombaient sur un orc blessé ou mourant, les nains l'achevaient sans un mot, rapidement, pressés de continuer leurs recherches. Ils n'étaient même plus capables de haine. Cela viendrait plus tard mais, pour l'heure, ils n'en avaient ni le temps ni l'énergie.
Le corps de Thror avait été porté à l'écart et recouvert d'une cape sale et déchirée, c'était tout ce qu'ils avaient trouvé.
La nuit qui venait, lugubre, portée par un vent froid qui sifflait de manière sinistre au-dessus de leurs têtes, allait les empêcher de poursuivre leur macabre besogne. Déjà ils se regroupaient, se demandant où passer les heures à venir. Le jeune prince Thorin surgit soudain des ombres grandissantes. Les yeux cernés, couvert de sang, il aurait fait peur à n'importe qui d'autre qu'à ceux qui avaient vécu, comme lui, cette terrible journée et cet affrontement funeste. Cependant, tout au contraire, les survivants l'accueillirent avec un respect nouveau. Presque instinctivement, ils esquissèrent tous un salut maladroit, inclinant la tête, prêts à se courber comme devant le roi Thror malgré leur fatigue et leur accablement : Thorin avait gagné cette bataille alors qu'elle n'était plus qu'une boucherie, ils le savaient tous. S'ils étaient là ce soir et si l'ennemi avait battu en retraite, c'était grâce à lui. Et déjà, sur leurs lèvres avait commencé à courir ce surnom qui serait bientôt connu de toute la Terre du Milieu : Ecu-de-Chêne… Mais Thorin ne s'aperçut pas de l'état d'esprit de ses compagnons, il était trop préoccupé, il avait la poitrine trop serrée. Il en oubliait sa propre fatigue, de même que ses blessures, peu importantes il est vrai.
- Avez-vous retrouvé Thrain ? demanda-t-il d'une voix altérée. Et Frérin ?
Navrés, ils firent signe que non. Pour eux, la mort de Thrain ne faisait aucun doute : certains l'avaient vu tomber devant la porte de Dimril, après qu'il eut mené une ultime charge dans l'espoir de forcer le passage. Mais son corps demeurait introuvable.
Le prince hocha la tête.
- Faites du feu, dit-il. Cela éloignera les charognards. Et il nous faut des torches.
Sans un mot de plus, il repartit à travers le champ de bataille, visiblement déterminé à poursuivre ses recherches aussi longtemps qu'il n'aurait pas retrouvé les siens, sans s'accorder un seul moment de repos.
Les autres nains s'entreregardèrent puis, sans même se concerter, après avoir obéi ils se munirent de torches et suivirent son exemple. Ils n'allaient pas laisser leur prince continuer seul. Même si la fatigue et l'abattement menaçaient de les submerger.
Certes, ils n'avaient plus ni roi, ni royaume. Selon l'ordre ancestral des choses, Thror n'étant plus, Thrain aurait dû dès ce moment prendre leur tête et devenir leur chef. C'était cependant à Thorin et à lui seul qu'allaient désormais leur allégeance et leur respect. Ils n'éprouvaient nul besoin d'en parler entre eux, tant cela leur paraissait évident. Du même coup, la mort de Thrain arrangeait bien les choses… mais cela, aucun n'osait seulement le formuler en pensée ! Thorin, lui, regrettait amèrement d'avoir suivi les ordres de son géniteur et d'être resté en arrière ! Et raisonnait tout autrement que ses compagnons : tant qu'il ne verrait pas de ses yeux le corps de son père, il continuerait à le croire vivant. Bien sûr, il n'était pas encore impossible de le trouver au milieu des centaines de cadavres qui jonchaient le champ de bataille… Et Frérin ? Thorin luttait de son mieux contre l'angoisse, mais plus le temps passait plus celle-ci augmentait.
Les nains continuèrent donc à chercher. Longtemps. Et ce fut Dwalin qui fit la macabre découverte. Il avait cru voir briller quelque chose qui ressemblait à de l'argent dans la lueur dansante de sa torche. La déposant sur le sol, il écarta plusieurs cadavres de nains entassés pêle-mêle, les uns sur les autres, au pied de la falaise : si certains étaient tombés après avoir reçu un mauvais coup, des dizaines d'entre eux avaient été précipitées dans le vide par les orcs.
Et c'est ainsi qu'il apparut. Exsangue dans son armure d'argent. La tête renversée en arrière, ses longs cheveux bruns formant comme un halo autour de lui. Dans la mort, il paraissait plus jeune encore. Presque un enfant.
- Oh, non ! murmura Dwalin d'une voix rauque.
Il réalisa que, jusqu'à cet instant, il avait conservé une parcelle d'espoir. Il s'agenouilla près du corps du jeune prince et demeura là un long moment, immobile, à le regarder. Frérin ne s'était pas tué en tombant de la falaise ; il portait une blessure hideuse à la gorge. Son cou était presque entièrement sectionné, seule la colonne vertébrale, intacte, rattachait encore sa tête à son corps.
Et Dwalin, dont le coeur était pourtant endurci depuis longtemps, songeait au terrible chagrin de Thorin. Perdre tous les siens en une seule journée, c'était bien cruel ! Lorsque le froid commença à engourdir ses membres, le guerrier passa doucement un bras sous la nuque de Frérin, l'autre sous ses genoux, et se redressa avec peine.
Il titubait de fatigue mais il n'y prit pas garde et se dirigea vers l'endroit où reposait Thror. Son petit-fils avait sa place à ses côtés.
Tout en marchant, Dwalin essayait de rassembler ses esprits, de chercher comment annoncer la nouvelle à Thorin… Il s'avéra cependant qu'il n'eut pas à le faire. Comme si un secret instinct l'avait averti, son ami de toujours se dressa soudain devant lui, presque aussi pâle que le défunt. Il demeura figé, statufié tandis que Dwalin passait devant lui sans trouver le courage de le regarder ou de lui adresser un seul mot. Pour dire quoi, d'ailleurs ? « Il est mort » ? C'était malheureusement évident ! Dwalin poursuivit donc sa marche et Thorin ne le suivit qu'avec un long moment de retard.
Lorsque Frérin eut été étendu sur le sol près de son grand-père, que Dwalin eut respectueusement arrangé ses membres pour lui donner l'air de reposer paisiblement, Thorin s'approcha et posa sa main poisseuse de sang sur le front de son jeune frère, puis sur sa poitrine froide et immobile, conscient de ce que la moitié de son enfance était morte avec lui.
Il demeura ainsi jusqu'au lever du jour, les yeux fixés sur le visage du mort.
Il ne prononça pas un mot, ne versa pas une larme, n'esquissa plus un geste. Il lui semblait qu'il ne pourrait plus jamais éprouver quoi que ce soit. Comme si son cœur avait gelé dans sa poitrine et s'était changé en pierre. Comme si rien, jamais, ne pourrait plus l'atteindre.
En cela d'ailleurs, il se trompait.
Peu après l'aube, Balin s'approcha de lui et posa sa main sur son épaule.
- Mon prince... commença-t-il d'une voix rauque de chagrin.
Thorin ne fit pas mine de réagir.
- Mon prince, poursuivit Balin, nous avons retrouvé...
Cette fois, Thorin parut entendre et tourna la tête vers lui. Mais Balin secoua la tête, sans un mot. Ses yeux brillaient de larmes contenues. Thorin... et sa soeur Dis... ne méritaient vraiment pas cela, songeait-il. Malheureusement, il n'était pas en son pouvoir de les épargner. Il ne pouvait rien faire pour eux, rien, et n'en était que plus malheureux. D'un signe de tête, il désigna quelques nains qui s'approchaient, portant un autre corps inerte. Ce n'était pas Thrain, dont l'armure était aisément reconnaissable.
Thorin sut cependant aussitôt de qui il s'agissait et, lentement, il força ses membres engourdis par sa longue immobilité à bouger, il se força à se détourner de Frérin et à s'approcher de celui qui, par le biais du mariage, était devenu son second frère. Skalli.
Il songea aussi à Dis et à ses deux petits. Fili avait tout juste six ans et Kili commençait à peine à marcher. Un âge bien tendre pour se retrouver orphelins ! La pitié que Thorin éprouva à cet instant pour sa soeur et pour ses deux si jeunes enfants ramena un semblant de vie en lui.
- Voulez-vous que... que je me charge d'avertir Dis ? souffla Balin.
Non pas que cela l'enchante : avertir une femme qu'elle a perdu tous ses proches, à l'exception d'un seul, et jusqu'à son époux, tout cela en une seule journée, n'a rien de plaisant. Mais Balin était prêt à faire ce petit sacrifice pour épargner cette ultime épreuve à Thorin. Ce dernier parut se secouer.
- Non, dit-il d'une voix basse, creuse. C'est à moi de le faire.
Il se tourna vers ses compagnons et ajouta :
- Prenez bien soin d'eux et ramenez leurs corps avec tous les égards. Je pars devant.
Ils s'inclinèrent tous devant lui, sans un mot, avec toute la déférence et la compassion qu'il leur inspirait désormais.
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Dis était si pâle que son visage en paraissait transparent. Presque diaphane.
- Tous morts... tous...
- Père est peut-être encore vivant, dit Thorin. Les recherches se poursuivent.
Les épaules de la princesse s'affaissèrent, elle porta sa main à son visage et secoua la tête, comme quelqu'un qui refuse la réalité qui s'impose à lui. Mais elle ne pleura pas. Elle ne pouvait pas. Le coup était trop rude. Les larmes viendraient, avec une douleur si grande qu'elle lui déchirerait les entrailles et la ferait hurler comme une louve blessée à mort, mais pour le moment elle ne pouvait pas. Elle était seulement accablée. Son esprit paraissait tourner en rond et répéter sans fin :
- Ils sont morts... ils sont morts... Grand-père, Père, Frérin et Skalli. Oui, Skalli ! Ils sont tous morts !
- Que vais-je devenir ? gémit-elle enfin.
Elle releva la tête. Ses yeux, qui paraissaient lui dévorer le visage, se posèrent sur le visage de son frère aîné. Un visage de granit. Thorin paraissait insensible, détaché de tout. Dis le reconnaissait à peine. Mais elle n'était pas actuellement en mesure de se soucier de lui.
- Et mes petits... mes fils ?! poursuivit-elle d'une voix étranglée. Que vont-ils devenir, Thorin ? Nous avons perdu Erebor, nous ne sommes plus que des vagabonds... nous n'avons plus rien... plus rien ! Même pas un foyer ! Plus personne pour nous diriger... que vont devenir mes enfants ?!
Elle ne pleurait toujours pas, mais la terreur vibrait dans sa voix et se peignait sur son visage à mesure qu'elle réalisait toute l'horreur de la situation. Au même moment, Fili approcha du feu. Ses chaussures et le bas de son pantalon étaient couverts de boue et ses cheveux blonds bouclaient sur sa nuque. Aucun nain, adulte ou enfant, n'était très propre ni très bien soigné, en ces longs jours d'errance ! Allant à l'aventure, le plus souvent le ventre creux, ils employaient toutes leurs ressources et toute leur énergie à ne pas mourir de faim et à soutenir les plus faibles d'entre eux. Leur campement, qui s'étendait interminablement en lisière de la forêt, était sommaire. Ils avaient élevé à la hâte quelques abris de branches pour abriter leurs enfants, redoutant l'hiver qui viendrait, fatalement, de même que les interminables pluies d'automne. Que deviendraient-ils alors ? Ils n'avaient aucun endroit où se mettre à l'abri. Ce soir-là, autour des feux de camp qui trouaient la nuit, ils étaient nombreux à être dans le même état d'esprit que Dis : les nouvelles arrivaient, ils savaient tous à présent combien terrible avait été la bataille voulue par Thror dans l'espoir de reprendre la Moria. Ils étaient très peu nombreux à ne pas avoir un ou plusieurs des leurs à pleurer.
Le petit Fili s'approcha de sa mère et son visage prit une expression à la voix curieuse et inquiète. Il ne savait pas ce qui se passait mais il sentait que quelque chose de grave était arrivé. Partout dans le camp il avait vu des visages graves et des yeux rougis. Il entendait sa mère gémir et la voyait ployée sous le poids de quelque chose qu'il ignorait mais qu'il devinait terrible. Il voyait aussi le visage inexpressif de son oncle, sur lequel les flammes jetaient des ombres peu rassurantes. Fili voulut s'asseoir sur les genoux de sa mère et, comme il en avait l'habitude, enroula l'une de ses longues nattes autour de lui.
Dis le serra contre elle, presque brutalement, enfouit son visage dans les cheveux blonds de l'enfant et Thorin vit qu'elle tremblait. Presque aussitôt, des vagissements se firent entendre sous l'abri de branches qui s'élevait derrière elle : Kili venait de s'éveiller et, inconscient du drame, réclamait l'attention et les soins des adultes. Dis se leva, l'air égarée, repoussa Fili et se courba pour se glisser sous l'abri, tout cela avec des mouvements saccadés d'automate.
L'enfant se tourna alors vers son oncle :
- Mère est triste ? Elle est toute bizarre et ses mains sont toutes froides.
Le désarroi commençait à percer dans sa voix. Tout était vraiment étrange, aujourd'hui, et il sentait, instinctivement, qu'il se passait quelque chose de très grave qui rendait les adultes si bizarres et si différents de ce qu'ils étaient d'ordinaire.
- Pauvre gosse ! pensa Thorin.
Il battit plusieurs fois des paupières, quelque chose le picotait, la fumée sans doute. Il tendit les bras vers son neveu :
- Viens près de moi, Fili, dit-il.
Le gamin s'approcha volontiers et Thorin le prit contre lui.
- Ta maman est triste, oui…
Et sa voix grave parut redevenir ce qu'elle avait toujours été, elle perdit les intonations impersonnelles qu'elle avait prises depuis plusieurs jours.
- Il va falloir être courageux, mon petit bonhomme. Ta mère va avoir besoin de toi, tu sais. Tu es l'homme de la famille, maintenant.
- Moi ?
- Oui, toi.
- Père revient bientôt ?
Thorin se mordit les lèvres.
- Ton père... ne reviendra pas, murmura-t-il avec toute la douceur dont il était capable. Il a rejoint Aulé dans les cavernes de l'attente. C'était un grand guerrier, mon petit Fili. Un grand guerrier qui vivra éternellement auprès de Mahal.
L'enfant le regardait, interdit. Thorin continua à parler, doucement, longuement.
- J'aurais soin de vous, dit encore Thorin. Ta mère, ton frère et toi. Je m'occuperai de vous, tu verras. Je ne suis pas votre père mais je le remplacerai de mon mieux. Je m'occuperai de tous ceux qui sont encore en vie. Je trouverai un endroit où nous pourrons vivre. Notre peuple ne restera pas à errer sur les routes. Je ne le permettrai pas. Je ne permettrai pas que ma propre sœur, ainsi que ses enfants, n'aient pas de foyer, ni une vie décente. Nous recommencerons. Nous avons été abattus, oui, mais nous nous relèverons.
Soudain, il eut le sentiment d'une présence et leva les yeux : Dis se tenait debout devant l'abri, Kili dans les bras. Elle le regardait et les larmes dévalaient ses joues. Thorin se leva et alla la prendre par les épaules.
- Ne crains rien, Dis. Vous ne manquerez de rien, ni toi ni tes fils. J'y veillerai.
- Thorin... chuchota-t-elle.
Elle se laissa aller contre son épaule et y demeura longtemps appuyée, essayant de se maîtriser, tandis que l'espoir renaissait et se mêlait à la douleur.
Thorin devait tenir parole. Il ne songea jamais qu'en ce jour funeste, lors de la bataille de la Moria, tout ce qui lui restait d'enfance et jusqu'à sa jeunesse lui avaient été arrachés à jamais. Du jour au lendemain, il lui fallut devenir un père pour ses neveux, un soutien pour sa sœur et un guide pour tous ceux des siens qui avaient survécu. Et si son caractère, qui n'avait jamais été très facile, s'en ressentit, nul ne s'avisa de lui en faire le reproche.
Seuls Dis, Balin et Dwalin, ses proches, réalisèrent tout ce que Thorin avait perdu et sacrifié. Dis songeait souvent que s'il n'avait pas décidé de la prendre en charge avec ses enfants, Thorin aurait sans doute trouvé une épouse et eu des enfants bien à lui. Certes, l'amour qu'il éprouvait pour Fili et Kili lui était rendu sans mesure, mais tout de même, songeait la princesse, le cœur serré. Cet amour ne lui aurait pas fait défaut s'il avait pu fonder son propre foyer !
Ce soir-là, après que Thorin ait promis de veiller sur tous ceux qui lui restaient, pour la première fois (mais non la dernière), Fili et Kili s'endormirent dans ses bras. Dis s'était retirée sous l'abri pour, enfin, se laisser aller à son chagrin.
Fili avait un petit peu pleuré, pas beaucoup parce qu'il était encore trop jeune pour vraiment appréhender ce qui arrivait. Il était plus effrayé que réellement chagriné. Quant à Kili, il s'était endormi avec ses deux petites mains refermées sur les tresses de son oncle. Une habitude qu'il garderait longtemps !
Thorin n'osait bouger. Il lui fallut très longtemps pour se décider à remuer et se rendre compte que les jeunes enfants ont un sommeil très lourd ! Mais durant tout le temps qu'il demeura immobile à les regarder dormir dans ses bras, à écouter leurs respirations régulières et à ressentir la chaleur de leurs deux jeunes corps contre le sien, il réalisa qu'il s'était trompé, que son cœur n'était pas mort sur le champ de bataille comme il l'avait cru devant la dépouille de ceux qui lui étaient chers. Il comprit qu'une nouvelle chance lui était donnée et qu'il était encore capable de sentiments.
Lorsqu'il se décida à remuer, qu'il eut, avec quelque mal, réussi à desserrer les doigts de Kili, il étendit sa couverture près du feu (il l'avait achetée, avec celles qu'utilisaient Dis et ses enfants, dans un village des hommes, après avoir forgé du métal pendant près d'une semaine. Hélas, ils n'avaient pu emporter, en quittant Erebor, que leurs armes et les vêtements qu'ils avaient sur le dos !). Il installa ses neveux de son mieux, sans qu'aucun d'eux n'entrouvre un oeil. Thorin ne voulait pas troubler la solitude de sa sœur, il savait que cet isolement momentané lui était nécessaire. Regardant dormir les deux petits pelotonnés l'un contre l'autre, leurs visages roses et détendus, il réalisa combien ils auraient besoin de lui, désormais.
- Je remplacerai votre père auprès de vous, autant qu'il me sera possible, murmura-t-il. Tu m'entends, Skalli ? Je te jure que je les élèverai de mon mieux et que je veillerai sur eux. Repose en paix, mon presque frère. Tant qu'il me restera un souffle d'existence, je ferai en sorte que ni Dis ni tes deux fils ne manquent de rien. Je ferai en sorte que Fili et Kili aient une enfance heureuse et qu'ils deviennent des nains dont tu seras fier le jour où ils te rejoindront. Je les élèverai et les aimerai comme s'ils étaient mes propres enfants. Je t'en fais le serment !
Après cela, Thorin se sentit un peu mieux, et puisa dans ses nouvelles responsabilité la force de continuer, vaille que vaille, sur le sentier difficile qui était désormais le sien.
