SUR LA LIGNE
PARTIE 1
Temperance Brennan était seule chez elle, devant son ordinateur en veille. A vrai dire cela faisait quelques minutes qu'elle était immobile sur sa chaise, les coudes plantés sur le bureau, le regard dans le vide. Quelques minutes qu'elle se posait la même question, et qu'elle ne trouvait aucune réponse rationnelle. Et elle se trouvait stupide de se poser cette question, ridicule de trop penser à ça.
Quelques heures plus tôt elle avait apprit que son partenaire avait rendez-vous avec une femme. Sur le coup, elle avait été contente pour lui, la nouvelle ne lui avait pas fait l'effet d'une bombe. Mais plus elle y repensait, moins l'idée lui plaisait. Et il n'y avait pas d'explication rationnelle à ça ! Absolument aucune… Et c'était ce "Pourquoi ?", ce "Pourquoi l'idée que Booth puisse voir une femme me dérange ?" qui la maintenait en état de veille depuis quelques minutes.
Puis une idée lui traversa l'esprit. Une idée complètement irrationnelle, mais qui peu à peu faisait son chemin dans son cerveau de génie. Si cette idée ne lui plaisait pas c'était parce qu'il s'agissait d'une autre femme. Une autre femme qu'elle. Non, cette idée était absurde ; elle était juste sa partenaire, son amie. C'était grotesque de penser de façon aussi égoïste…
Elle passa sa main sur son visage puis soupira. Il était tard, très tard. Son ordinateur indiquait 2h08, il lui restait environ 4h30 de sommeil avant de se préparer pour aller au Jeffersonian. Elle se leva enfin, s'étira et, après avoir fermé son ordinateur, alla enfin se coucher. Elle resta quelques instants immobile dans son lit, les genoux repliés sur son menton. Non, elle n'arrivait pas à dormir, elle avait trop de choses à penser. Alors elle releva sa couette et se dirigea dans le salon, convaincue qu'une musique du monde dans sa chaîne hifi et qu'un livre sur l'étude du comportement calmeraient certainement son esprit… Une heure et quelques minutes plus tard elle s'était endormie, le nez sur son livre.
Son réveil sonna à 6h30 précisément. Elle eu peine à le trouver et à l'éteindre. Et encore plus à se réveiller. Elle déplia ses jambes douloureuses d'être restées dans la même position pendant quelques heures, puis tourna la tête. Son cou lui faisait affreusement mal. Elle allait commencer la journée avec un torticolis et la fatigue qui lui tiraillait le ventre et les yeux. Elle se força à manger quelque chose et à avaler un bol de thé, puis se rendit en métro au Jeffersonian. Plus prudent, avait-elle pensé.
Une fois arrivée à l'Institut, elle se rendit compte qu'elle ne s'était pas changée depuis la veille. Elle se dirigea donc vers les toilettes pour se redonner une contenance. La fatigue se voyait jusque sous ses yeux, qui avaient légèrement rougis par manque de sommeil. Elle s'aspergea le visage avec de l'eau puis soupira. Elle devait oublier cette histoire et se concentrer sur son travail. Les autres membres de l'équipe devaient arriver dans une heure, elle avait assez de temps pour prendre une douche et se préparer un autre café.
Une heure plus tard, Temperance Brennan était dans son bureau, la tête sur le clavier. Endormie.
"Ah tu es là, je te cher…"
Angela Montenegro venait de pénétrer dans le bureau de sa meilleure amie. Elle se pencha sur elle et la réveilla doucement.
"Brennan, tu as dormi ici ?"
Elle constata que son amie avait l'air complètement épuisée.
"Hmmm, non. Quelle heure il est ?
- 9h03.
- Oh non !
- Quoi. Qu'est-ce qu'il y a ?
- J'ai dormi tout ce temps ?!
- Tu es là depuis quelle heure ?
- 7h30, à peu près.
- D'accord. Tu as dormi cette nuit ?"
Temperance regarda sa meilleure amie avec un air enfantin.
"Deux heures tout au plus.
- Ok. Qu'est-ce qui se passe ? Tu es tracassée ?
- Non, non. Non je ne suis pas tracassée. J'ai juste du mal à dormir.
- Des cauchemars ?
- Non.
- Insomnie ?
- Je ne sais pas.
- Problèmes gastriques ?
- Qu… Non !
- Masturbation ?
- Ange ! Qu'est-ce qu'il te prend ?
- Quoi ? Tu ne vas pas devenir aussi gênée que Booth quand on aborde le sujet "sexe"."
Temperance ne broncha pas.
"Oh… Alors c'est de Booth dont il s'agit finalement.
- Qu'est-ce qui te fait dire ça ?
- L'idée que Booth voit une autre femme que toi te dérange.
- Booth a le droit de voir qui il veut.
- Bien sûr qu'il en a le droit. Seulement ça ne te plait pas.
- Je ne vois pas pourquoi…"
Angela quitta la pièce, un sourire narquois sur le visage. Elle avait tout comprit. En quelques minutes elle avait comprit ce qu'en une nuit Temperance avait essayé de d'analyser puis de mettre de côté.
Elle se leva de sa chaise puis secoua la tête. Il fallait vraiment qu'elle oublie toute cette histoire complètement absurde. "Je ne vois pas pourquoi…"
*** *** ***
Au même moment, dans son bureau, Seeley Booth passait en revue les évènements de la veille. Sur une pulsion il avait accordé un rendez-vous à une jeune femme, qu'il n'était même pas sûr d'apprécier. Une jeune femme qu'il ne connaissait pas. Ils s'étaient rencontrés de manière assez chaotique puisqu'elle l'avait bousculé dans la rue alors qu'il tenait un café brûlant dans chaque main. Elle s'était, bien sûr, répandue en excuses, et pour se faire pardonner elle l'avait invité à dîner dès le lendemain.
Aujourd'hui.
Seeley Booth restait perplexe quand à cette invitation. Loin de lui l'idée d'analyser ce qui lui arrivait, mais il trouvait presque miraculeux qu'il ait accepté de sortir avec une femme. Une inconnue. Même pour un dîner. Surtout pour un dîner.
Il avait été obligé de l'avouer à sa partenaire, Temperance Brennan, qui en voyant sa chemise tachée, lui avait demandé comment elle s'était retrouvée dans cet état dès le matin. Oui, c'était un aveu qu'il lui avait fait, lui qui ne parlait jamais de sa vie privée, lui qui se préservait, lui qui n'aimait pas montrer ses sentiments personnels.
Elle ne l'avait pas taquiné avec ça, à vrai dire elle ne lui avait fait aucunes remarques. Il l'avait vu sourire, puis repartir au labo. Et lui s'était dirigé vers son bureau où il avait passé le reste de la journée.
Et il y était encore ce matin, assis sur sa chaise en cuir, les pieds bien plantés sur le sol. Le soir même il dînerait avec cette jeune femme qu'il ne connaissait pas. Et il ne ressentait pas grand chose pour le moment. Pas même l'ombre d'une petite excitation, ni d'une quelconque peur qui lui soulèverait le ventre. Pourtant cela faisait plusieurs mois qu'il avait mis sa vie sentimentale de côté. Pourquoi ? Il ne le savait pas lui-même. Cela faisait plusieurs mois… il aurait dû être ravie d'enfin rencontrer une femme. Mais même si leur rencontre avait été pour le moins originale, sur ce dîner flottait une espèce d'insatisfaction qu'il n'arrivait pas à comprendre. Et ce sentiment, cette insatisfaction l'empêchait de ressentir quoi que ce soit, d'appréhender un minimum ce dîner.
Mais en y repensant la jeune femme était très jolie. Elle avait des cheveux châtains, longs et bouclés, des yeux verts très clairs et un visage fin. Il n'avait pas regardé ses lèvres, trop obnubilé par sa chemise et son ventre brûlants. Puis il se souvint de leur conversation lorsqu'elle l'avait bousculé, un sourire aux lèvres.
"Oh, je suis vraiment, terriblement désolée…
- C'est pas grave, ça arrive à tout le monde.
- Vous croyez vraiment qu'autant de gens sont maladroits ?
- Oh moi et les statistiques…
- Encore une fois, je suis désolée ! Que puis-je faire pour me pardonner ?
- C'est pas grave, j'habite pas loin, je vais monter me changer.
- Un dîner.
- Pardon ?
- Je vous invite à dîner pour m'excuser. Oh je sais que d'habitude ce sont les hommes qui font ce genre de propositions, mais ce n'est pas vous qui m'avez bousculé, et ce n'est pas moi qui me retrouve avec ma chemise tachée…
- Je… oui, pourquoi pas.
- Demain soir, ça vous va ?"
En fin de compte, peut-être allait-il l'apprécier. Et c'est sur cette pensée qu'il passa la journée.
*** *** ***
Temperance était restée seule dans son bureau pour déjeuner, elle fut bientôt rejointe par Angela.
"Chérie, tu n'es pas avec Booth ?
- Non, il mange avec un de ses collègues.
- Hmm, vous êtes fâchés ?
- Non, pourquoi ?
- Est-ce que par hasard ça aurait quelque chose à voir avec son rencard de ce soir ?
- Pas du tout. Il est allé manger avec un collègue, point barre !
- Ok, ok. Mais tu sais, quand tu as un rendez-vous, il réagit presque de la même manière."
Tout d'un coup, Temperance se montra intéressée par la conversation.
"C'est à dire ?
- Et des rendez-vous, tu en as plus que lui !
- C'est à dire ?!
- Oh tu sais… il n'aime pas te savoir avec d'autres hommes, il a toujours l'impression que tu ne choisis pas les bons.
- Ce n'est pas à lui de me dire avec qui je dois sortir.
- Certes. Mais il tient à toi, alors c'est comme ça qu'il te le montre. Et puis ce n'est pas de toi dont il s'agit là, mais de Booth. Booth qui a un rendez-vous…
- Oui.
- Avec une femme.
- Oui Angela, je sais.
- Une autre femme que toi.
- Et qu'est-ce que je suis sensée te dire là ?
- Rien. Admets simplement que ça ne te plait pas.
- Quoi ?
- Que l'idée que Booth sorte avec une autre femme que toi ne te plait pas.
- Je ne vois pas pourquoi…
- A d'autres ! Et tu me l'as déjà dit.
- Angela, je suis fatiguée.
- Ta ta ta, cette fois-ci tu ne me fileras pas entre les doigts ! Je te connais ma chérie…"
Temperance essayait tant bien que mal d'éviter la conversation, mais avec Angela en face, elle était sûre de ne pas pouvoir.
"Tu crois que je suis égoïste de penser ça ?
- Pas du tout.
- Alors que je ne connais même pas cette femme ?
- Mais l'égoïsme n'a rien à faire là dedans !
- Booth est sortie avec de nombreuses femmes.
- Nombreuses, tu es sûre ?
- Il est normal qu'il sorte avec des femmes, c'est un homme, il a des besoins sexuels comme tout le monde.
- Brennan, pourquoi tu rationnalises toujours tout ?
- Je ne rationnalise pas. C'est un fait ! Même moi j'ai besoin de satisfaire mes besoins sexuels.
- Dans ce cas là qu'est-ce qui t'effraie le plus ? Pourquoi ça ne te plait pas ?
- Je ne sais pas.
- Peut-être que tu te rends compte qu'il peut avoir envie de sortir avec une femme, et pas seulement par appétit sexuel. Ou peut-être que tu as peur de devenir moins importante à ses yeux… C'est juste une idée…"
Et encore une fois, Angela sortit du bureau de Temperance sans que celle-ci n'ait eu le temps de répondre. Mais que pouvait-elle répondre à ça ? Elle grimaça, et porta sa main à son cou, toujours douloureux.
Elle ne croyait pas en l'amour, alors comment pouvait-elle juger de ce qui se passait dans la tête de son partenaire ? Qui était-elle pour juger ses relations ?
Angela avait raison, elle était trop rationnelle, elle ne se laissait pas aller. Elle analysait tout d'un point de vue neutre, mais elle ne l'était pas.
En fin de compte ce n'était pas si grotesque que ça. Elle ne jugeait pas,…simplement, ça ne lui plaisait pas. Et elle l'admettait. Ca ne lui plaisait pas…
"Ca ne me plait pas !
- Qu'est-ce qui ne vous plait pas ?"
Temperance sursauta, elle n'avait pas entendu Booth rentrer dans son bureau.
"Vous m'avez fait peur.
- Désolé. Alors qu'est-ce qui ne vous plait pas ?
- Rien. Vous avez trouvé un cadavre ?
- Quel enthousiasme ! Pourtant vous avez l'air épuisé. Qu'est-ce qui se passe ?
- Vous êtes trop curieux.
- Hé…"
Il montre son badge à sa partenaire.
"… agent du FBI, Bones. C'est mon métier.
- Sauf que je ne suis pas un suspect à interroger.
- Ouh, suceptible aujourd'hui.
- Non, fatiguée seulement. Et que venez-vous faire dans mon bureau si personne n'est mort ?
- Merci, Bones, pour la… sensibilité dont vous faites preuve dès le matin.
- Merci.
- Bref… Je venais juste voir comment vous alliez.
- Je vais bien.
- Oui, vous avez l'air…
- Comment ?
- Rien. Je vais y aller maintenant, Bones. Passez une bonne journée.
- Merci, vous aussi."
Et il quitta le bureau de Bones, aussi discrètement qu'il en était entré. Elle trouvait bizarre le fait qu'il soit simplement passé pour voir comment elle allait. Bizarre qu'il vienne la voir alors qu'un coup de fil aurait suffit...
