Chapitre 1.
Qu'est-ce qu'elle pouvait bien faire maintenant ?
Elle avait tué Blackwell. Elle avait mis un point final à …, à quoi exactement ? Elle avait vengé Root. Il ne pouvait pas s'en tirer comme ça. Il ne pouvait pas avoir …
Reprendre le cours. Le cours de quoi .Récupérer Bear. Et maintenant ?
Shaw venait de rentrer en contact avec Fusco, pour récupérer ce chien qu'elle appelait maintenant son chien. Elle avait toujours apprécié Fusco. Il ne restait plus que lui. Pourtant impossible de s'arrêter trop longtemps. Impossible de s'attabler et de partager un repas…Il aurait été facile de s'asseoir et de commander un hamburger. Il aurait été facile de s'arrêter un peu. Rien ne l'attendait… Il aurait été facile pour quelqu'un d'autre mais pas pour Shaw. Elle ne lui a pas demandé. Elle a récupéré Bear. Et elle est repartie sans but mais accompagnée.
Pourquoi ce besoin. Elle qui avait toujours été seule, qui n'avait jamais voulu d'ancrage quelconque. Pourquoi venir le chercher. Il aurait pu rester avec Fusco. Pourquoi s'enticher d'un chien. Pourquoi avoir dit à Fusco qu'il s'agissait de son chien. Elle ne l'expliquait pas mais elle avait besoin de lui. Ces pensées étaient confuses.
Pourtant, au fond d'elle, elle aurait pu rapidement trouver les origines de ce besoin. Si elle avait été honnête avec elle-même, elle aurait vu que ce chien était le lien vivant qui les unissaient tous. Elle aurait perçu qu'en se rapprochant de Bear, elle cherchait à maintenir un lien ténu avec la bibliothèque, avec le métro, avec Harold, avec Reese, et avec Root. Si elle avait voulu expliquer ce besoin de propriété vis-à-vis de Bear, elle aurait peut-être vu que Bear était comme le symbole de leur point de ralliement, le lieu où chacun finissait toujours par revenir. Il représentait à la fois les lieux et les personnes.
Mais elle ne voulait pas tenter d'expliquer quoi que ce soit.
Comme elle n'avait pas envie d'analyser les raisons qui l'avaient poussé à retourner au métro quelques heures plus tôt. Que pouvait-elle attendre ? Que cherchait-elle ? Des traces tangibles de ce qui s'était passé ? La preuve que tout cela avait bien eu lieu ? ou espérait elle seulement retrouver Harold assis devant son ordinateur en train d'informer John sur un nouveau numéro ?
Tout était flou dans son esprit.
Elle avait ressenti ce besoin viscéral de retourner à leur base, leur point de chute, leur grotte. Mais rapidement elle avait été frappé par un certain malaise, un mal être, une sensation inconnue un manque. Elle y était sans y être. Cet endroit lui était devenu inconnu. Il était devenu à son image : froid, distant et vide.
Elle, qui n'avait jamais eu besoin de personne, ressentait leur absence.
Shaw ne s'était jamais attachée à quiconque. Ce n'était pas naturel. Pourtant à cet instant précis, seule au milieu des débris provoqués par l'explosion du mur du tunnel, elle se sentit totalement seule et perdue et les flashs revinrent l'assaillir.
Ils arrivaient de plus en plus souvent. Elle avait l'impression de ne plus rien contrôler, de ne plus se contrôler, d'être possédée. Depuis son retour, ils n'avaient jamais vraiment disparu. Mais leur nature avait totalement évoluée. Si au début, elle mélangeait simulation et réalité …la réalité avait pris le dessus. Désormais, les flashs qu'elle ressentait ne la faisaient plus douter mais lui rappelaient constamment ce qu'elle avait perdu.
Ces yeux. Des yeux si expressifs. Des yeux qui la cherchaient constamment. Elle avait vu tous les sentiments passer dans ce regard : la joie, la jubilation, la connivence, l'envie et même le désir. Elle revoyait son regard aguicheur par moment comme l'inquiétude qui pouvait y apparaître.
Ces flashs étaient de plus en plus constants. Elle se sentait ensevelie, noyer, attirer par le fond.
Elle n'en donnait pas l'impression mais elle savait qu'elle perdait pieds. Son esprit était embrouillé.
Dans ces moments, d'autres flashs prenaient le relais. L'image s'agrandissait et laissait apparaître davantage. Un visage. Une expression. Un mouvement. A ces moments, elle avait l'impression de suffoquer, de manquer d'air. Elle cherchait alors à y mettre fin à reprendre le contrôle de son être. Certaines fois, elle l'emportait.
Et d'autres fois, comme à ce moment, au milieu de la station, elle revoyait son sourire. Elle avait l'impression de revoir chacun de ses sourires. Tous ceux qui lui étaient adressés. Une multitude de sourires qui l'assaillaient en même temps, jusqu'au dernier. Elle se sentait flotter. Tout lui paraissait en suspens. Si intense et si fugace.
Elle se revoyait accroupie derrière une voiture, face à Root. Elle ressentait cet instant, où malgré les balles qui fusaient autour d'elles, le temps s'était arrêté. Seule Root pouvait provoquer cela. Seule Root avait su lui montrer que rien ne pouvait, à certains moments, avoir d'importance, à part elle. Elle la revoyait. Son sourire, ses yeux, sa moue. Elle la revoyait entièrement tournée vers elle, seulement captée par elle. A ce moment, pour Root, rien n'existait à part elles deux. Ce sourire encore, et cette phrase. Elle avait réussi à la faire sourire en retour. Seule Root la déstabilisait comme ça. Seule Root arrivait à la faire sourire de la sorte.
Ces flashs l'emportaient trop loin. Il fallait que cela s'arrête. Ils l'entraînaient vers des lieux où elle ne voulait plus aller. Il fallait reprendre le dessus.
Avant, elle n'aurait pas eu besoin de lutter. Avant, elle n'aurait pas eu ce problème. Avant, rien ne se serait passé comme ça.
Avant.
Avant.
Avant Root.
Et de nouveau une vague la submergeait. Elle sentait un souffle dans son cou. Comme quelque chose de murmuré mais sans le son. Puis elle avait l'impression de sentir sa peau. Elle revoyait des doigts s'emmêler, si naturellement, aux siens. Elle ressentait encore sa main dans la sienne, comme si elle y était encore. Cette main délicate. Cette peau si douce. Ses longs doigts prenant délicatement possession des siens.
Elle l'avait laissé faire. A ce moment-là aussi elle s'était laissé submerger. Elle s'était laissé surprendre. Root l'avait déstabilisé une fois de plus et elle l'avait laissé faire. Habituellement, Root lui faisait des déclarations sans équivoques. Elle ne faisait pas de manière pour faire passer son message.
Cette fois, il en avait été autrement. Quand elle se laissait porter jusqu'à cet instant. Quand elle ne cherchait pas à combattre, elle retrouvait Root à fleur de peau assise à ses côté. La situation et son propre comportement devait suffirent à l'expliquer. A sa manière, dans ce canapé, sagement assise à ses côtés, Root lui avait déclaré. ..
STOP
Il fallait arrêter.
Qu'est-ce que cela pouvait bien faire cette déclaration ? Ça ne rimait à rien d'y penser. Cela n'avait aucun sens. Il fallait revenir à avant. Il fallait oublier.
Oublier que Root lui avait fait comprendre, par un moyen détourné, ce qu'elle ressentait pour elle. Si elles avaient eu plus de temps, Qu'est-ce qu'elle aurait pu en faire ? Comment aurait elle réagit ? Toutes ces questions n'avaient aucun sens. Son esprit incontrôlable y revenait pourtant régulièrement. Root ne semblait rien attendre en retour. Se seule présence semblait lui suffire. Mais au fond d'elle-même, Shaw savait que quelque chose avait changé.
Il fallait qu'elle arrête. Tout cela n'avait plus d'importance. Elle n'avait pas eu le temps de savoir quoi faire de cette déclaration à ce moment. Il n'était pas nécessaire d'y revenir maintenant que tout était finit. Maintenant que Root était..
Une décharge glaciale lui parcouru alors le dos. Elle reprit rapidement ses esprits. De retour dans le présent, elle se rendit compte qu'elle n'avait pas bougé. Elle était seule au milieu de la station, plongée dans une semi obscurité. Une partie de l'installation électrique avait survécue à l'explosion. Shaw se ressaisit en s'assurant qu'elle avait toujours son arme de coincé dans son pantalon, dissimulé par son gilet. Cette simple présence avait habituellement le don de la rassurer.
A cet instant précis, elle aurait aimé repartir avec une mission en tête, quelque chose pour l'ancrer dans le présent. S'oublier et ne plus penser. Mais, elle n'avait plus qu'une seule tâche, facile et rapide, à accomplir et le froid qui venait de gagner son corps commençait à la faire trembler. Cette sensation aussi était nouvelle. Elle avait l'impression de ne plus rien contrôler. Ses pensées, son corps semblaient vouloir vivre leur propre vie. Elle commença alors à ouvrir les placards à la recherche d'une éventuelle veste qu'elle aurait pu avoir laissé. Les quelques casiers étaient encore remplis d'armes abandonnées. C'est en ouvrant la dernière porte qu'elle la découvrit. Elle était accrochée sur cintre, au milieu de quelques autres supportant des chemisiers ou t-shirts. Une veste en cuir. Root en avait plusieurs. Toutes assez similaires. Cela ne faisait aucun doute. Ces habits et cette veste lui appartenaient. Elle resta figée un moment avant d'oser caresser le cuir abandonné. Puis, sans réfléchir, comme allant de soi, elle attrapa la veste pour s'en vêtir .Aussitôt, elle se sentit apaisée. La veste n'avait pas eu le temps de la réchauffer. C'était autre chose. Ce froid qui lui avait parcouru la colonne vertébrale n'avait rien à voir avec un quelconque rafraîchissement de l'atmosphère. Shaw, avec cette veste, se sentait simplement mieux. Elle dû lutter de nouveau.
Son esprit recommençait à l'emmener ailleurs. Elle revit ce moment, suite à l'apparition de Martine au milieu du rayon cosmétique, où elle s'était retrouvée coincée dans un camion avec Root. Elle revit dans un flash, Root l'entourant de ces bras vêtus de cuir. Elle se revit la repousser. Cet instant était lointain et pourtant elle avait encore l'impression de sentir la pression de Root dans son dos, son souffle dans son cou.
Puis, le noir.
Root en joie l'entourant de ces bras. Elle avait beau lutter, d'autres images arrivaient sans cesse. Elle déconnectait du réel. Elle se retrouvait dans ses bras. Comme à sa place. Même si souvent elle montrait vouloir être ailleurs. Le noir. Les bras de Root autour de son cou. Root si heureuse de l'avoir retrouvé. Comment ne pas succomber ? Elle avait lutté. Cette sensation d'être à sa place et cette nécessité d'être ailleurs qui s'entrechoquaient à cet instant. Elle ressentait encore la main sur sa tête, l'odeur du cuir sur son nez. Cette odeur qui l'entourait à nouveau. Cette présence. Cette absence.
Il fallait que cela s'arrête, qu'elle reprenne le contrôle. Elle claqua brutalement la porte du casier d'un violent coup de pied et partie presque en courant vers la sortie. Une fois dehors, elle se reconcentra sur la tâche qu'elle avait besoin d'accomplir.
Un court instant, elle se sentit mieux. Descendre sous terre l'avait mené trop loin.
Retrouver Blackwell et le tuer. Cet objectif lui faisait du bien et devait l'empêcher de penser. Mais une fois cette ultime mission atteinte, les démons revinrent l'attaquer.
De nouveau, elle repensait à sa voix, ses intonations, ses non-dits et ses déclarations. Cette voix qui lui échappait. Les flashs de son visage, de ses yeux, son sourire, ses déplacements, mouvements …Tout était si réel, si palpable qu'elle ne comprenait pas pourquoi la voix de Root lui échappait. Elle ne l'entendait plus. Tout ce qu'elle revivait, ressentait, éprouvait évoluait dans un film muet.
Root commençait déjà à lui échapper.
Root commençait à s'envoler.
C'était d'autant plus incompréhensible que sa voix avait été la dernière chose palpable , la dernière chose vivante l'attachant à Root. La voix de Root l'avait réellement quitté depuis peu. Pourtant, elle lui échappait la première. Elle ne savait pas ce qui était le plus dure : se souvenir ou oublier. Elle ne supportait plus ces flashs qui ne cessaient de venir la hanter. Mais elle acceptait encore moins que Root puisse s'échapper, lui échapper.
Elle marcha longtemps sans but, sans conscience réelle du monde environnant.
Pourtant à un moment, elle fut réveillée par quelque chose. Son attention fut captée par le bruit d'une moto passant juste à côté d'elle. Le bruit émis par la moto et la silhouette longiligne assise dessus l'avaient attiré. Une ombre. Un fantôme. Un souvenir. La moto était hors de sa vue depuis longtemps quand elle s'aperçut qu'elle était immobile et qu'elle se trouvait à quelques pas du commissariat où Fusco travaillait. Elle ne se rappelait pas avoir pris ce chemin. Elle ne se souvenait que du départ de la station.
Shaw s'installa de l'autre côté de la rue, en face du commissariat, le dos collé au mur d'un immeuble. Elle ne savait pas pourquoi elle attendait. Elle n'avait pas besoin de le voir. Au contraire, elle avait envie d'être seule. Elle n'avait pas envie de dire comment elle allait. Elle n'avait pas envie de s'étendre, de discuter, de commenter. Pourtant, elle était là face au commissariat à attendre, sans but précis. Son attente dura un moment. Elle n'aurait su dire si cela avait été long ou court. Elle était bien. Apaisée. Réchauffée. Les flashs l'avaient quitté.
Fusco finit par sortir accompagné de Bear. Elle fut surprise de se rendre compte que cela lui faisait plaisir de les voir. Sans réfléchir, elle les suivit de loin. Ils avaient l'air en forme; Elle ne fut pas surprise de voir Fusco s'engouffrer dans un restaurant. Elle attendit un moment avant de se décider à entrer. A cet instant, elle savait ce qu'elle voulait. Ce n'était pas le cas pour le reste mais pour cela c'était clair. Elle voulait quelque chose. Elle voulait repartir avec Bear. Elle pensait avoir fait bonne figure. Elle en était certaine. Elle avait contrôlé la situation. Elle ne pouvait pas promettre quoi que ce soit, mais Fusco le savait. Il la connaissait assez pour savoir qu'il ne fallait pas trop demander. Elle n'était pas restée longtemps et était repartie avec son chien.
Sa marche dans Manhattan, avait repris sans but. Elle avait l'impression d'avoir progressé un peu. Cette présence canine lui faisait du bien. Il fallait qu'elle s'organise. Alors qu'elle réfléchissait à une deuxième étape à accomplir pour reprendre pied petit à petit, elle fut tirée de ses pensées par la sonnerie d'un téléphone publique, à côté duquel elle était en train de passer.
