A la recherche de l'incroyable talent de la nouvelle star de Saint Seiya
Emission 1 : Relecture du script
Le sanctuaire, par une douce nuit d'été…
Shion, revenu à la vie on ne sait trop comment, était posté en vigie à Star Hill. L'air profondément affligé, il marmonna :
- Cette fois, c'est officiel, nous avons vraiment touché le fond…
A peine a-t-il eu le temps de prononcer la dernière syllabe qu'une explosion apocalyptique déchira l'horizon. Atomisant plusieurs dizaines d'hectares de forêts et de montagne, le Pandémonium, séjour terrestre de Lucifer, finit par dresser sa lugubre beauté sous les yeux d'un Shion définitivement atterré. Tournant les talons, il conclut :
- Oh puis, après tout, si c'est vraiment la seule façon de faire grimper l'audimat…
Pendant que le maître de Mû s'en retournait à ses pénates, une surprenante armée prenait soudain d'assaut le temple maudit. Cette armée immonde, composée de techniciens, d'attachés de presse, d'habilleurs, de maquilleurs et de tout ce que la télévision pouvait enfanter de pire, eut tôt fait de sillonner le Pandémonium de long en large.
Jetant leur dévolu sur une large plate-forme circulaire, cette armada de fourmis bariolées transforma, en un temps record, l'endroit en parfait plateau d'enregistrement. Surveillant de près les opérations, un vieillard, habillé d'un ensemble Armani, finit par déclarer :
- Parfait ! Faites entrer le public !
Aussitôt dit, aussitôt fait, des milliers de quidams, guidés pas les chauffeurs de salle, modernes bergers, s'installèrent sur les tribunes aux peintures tout justes sèches. Le vieillard, jetant un regard dégoûté à cette marée humaine, lança alors à son zélé serviteur :
- Foutres diables ! Comme la plupart sont laids ! Tu me feras un plaisir de mettre quelques mannequins au premier rang, histoire d'accrocher le regard du téléspectateur frustré. C'est une émission de divertissement, ne l'oublions pas. Chacun doit y trouver son compte.
- Il sera fait selon votre bon plaisir, répliqua un personnage chauve et odieusement servile.
- Tatsumi, renchérit le vieil homme. Ce public paraît plus mou qu'une limace sous tranquillisants. Où l'as-tu trouvé ?
- Nous avons repris les badauds anémiques qui avaient assisté au challenge galactique. Le studio pourrait être envahi par des terroristes, vous ne les verriez ni paniquer, ni encore moins tenter de les arrêter.
- Parfait, conclut l'élégant personnage. Je monte dans ma loge. Va dire au réalisateur que, s'il tient un temps soit peu à ne pas finir dans la baie d'Athènes avec une tonne de béton aux chevilles, il a intérêt à commencer l'enregistrement séance tenante.
- Avec la plus grande dévotion, s'exécuta aussitôt le serviteur. Maître Kido, vous servir est pour moi un délice sans cesse renouvelé.
- Corne de bouc, vociféra le président de la fondation Graad, en gravissant les marches le conduisant à sa loge particulière. Quel est l'inconscient qui m'a collé un pareil frétille-croupion comme homme à tout faire ? Cela équivaut à donner un briquet à un pyromane…
Subitement, un grand silence s'installa sur le plateau. Après un générique kitch au possible, tous les projecteurs se braquèrent sur Kanon. Costume impeccable, brushing parfait et sourire carnassier, aucun doute, c'était lui le maître de cérémonie et le présentateur de cette daube annoncée. Attendant que les applaudissements enregistrés cessent, il fixa son prompteur et déclama d'un ton fiévreux :
- Soyez les bienvenus sur le plateau de notre nouvelle émission : A la recherche de l'incroyable talent de la nouvelle star de Saint Seiya !
Mitsumasa Kido, arrivant enfin dans la loge « présidentielle », s'assit aux côtés d'un curieux nabot, à la peau violacée. Ce dernier, fixant sur Kanon des yeux blasés, fit remarquer au vieillard :
- Je sens beaucoup d'ambition et de frustration contenue en lui. C'est un pari risqué de l'avoir choisi comme présentateur. A tout moment, cet opportuniste pourrait retourner sa veste et partir pour la concurrence.
- Je le sais parfaitement, répliqua Kido. Mais les différentes études de marché ont démontré qu'il était le plus à même de plaire autant à la ménagère de moins de cinquante ans qu'à sa Lolita de fille couverte d'acnés. Et nous devons brasser au plus large, je te le rappelle.
Le nabot, observant dans le public un noyau de jeunes femmes hystériques portant une banderole marqué d'un « Kanon, on t'aime », confirma :
- C'est vrai que son charisme fait se déplacer les foules. Regarde-les, on dirait qu'elles vont faire une crise d'apoplexie.
- Damned, s'écria Kido, des fans françaises ! J'avais pourtant dit à cette serpillière de Tatsumi de ne pas les laisser entrer. Depuis qu'elles se sont mises au Yaoi, ces demoiselles se font de plus en plus insistantes. Il faut les évacuer avant qu'elles ne créent une émeute.
Inflexible, le directeur s'avança vers un panneau de contrôle et aboya ses ordres. Immédiatement, plusieurs gros bras ceinturèrent les fans en délire. Sous l'indifférence total d'un public lénifié, une rude bataille éclata. Mais, malgré la résistance acharnée des jeunes femmes, elles furent chassées sans ménagements.
Rassuré, Mitsumasa Kido se fit alors servir deux verres de cognac et trinqua avec son ami.
- A la santé de notre nouvelle poule aux œufs d'or, dit-il. Dohko, crois-moi, nous allons encore palper un joli pactole.
- Je suis moins confiant que toi. Recycler Saint Seiya en émission de télé-réalité, c'est quand même assez… disons… désarçonnant pour le téléspectateur lambda.
- Allons, mon cher Dohko, il faut vivre avec son temps. A l'heure actuelle, les combats Shonen n'intéressent plus personne. Le public d'aujourd'hui en a assez de ces héros increvables qui défendent la terre contre le premier crétin venu. Ce qu'il demande maintenant, c'est du strass, des paillettes, des gamins qui chantent tous plus faux les uns que les autres, des rebondissements invraisemblables et calculés, bref de la télé-réalité.
- Sans doute, acquiesça le mentor de Shiryu. Mais le concept du jury acide qui va passer l'émission à casser du pauvre ado sans défense, c'est presque devenu, à contrario, cliché. On risque fort de nous accuser de vouloir surfer sur la vague.
- J'ai déjà résolu le problème des éventuels critiques, trancha le vieillard, en prenant la voix d'un parrain mafieux. Regarde, le bambini fait la présentation du jury.
Kanon, effectivement, s'éclaircit la voix et reprit :
- Vous les attendez tous avec impatience, voici les membres du jury. Un jury trié sur le volet, cela va de soi. Le premier membre n'est ni plus ni moins que le souverain des mers, l'indécrottable ennemi d'Athéna, d'Ulysse et de toute une foule d'autres héros anonymes. Ladies et gentlemen, faites une ovation à Poséidon !
Sous les hourras du public, un Julian Solo éteint, le trident en berne, apparut sur la scène. Saluant mollement, il se dirigea vers quatre trônes décorés de motifs criards. A hauteur de Kanon, il fit toutefois une halte et lui murmura :
- Sale traître. A la première coupure publicitaire, sois certain que mon trident ira se carrer dans une certaine partie de ton anatomie que l'éducation bourgeoise et très dix-huitième siècle de mon hôte m'interdit de nommer à voix plus haute.
- J'en suis déjà transporté d'envie, répliqua l'ancien général Dragon des mers, un brin provocateur.
L'une des fans françaises, contrainte de suivre, avec ses consoeurs, l'émission sur un écran géant situé à l'extérieur, triompha alors :
- Ah ! Quand on vous le disait !
Sur ces entrefaites, le frère de Saga se tourna vers la caméra principale et reprit son monologue :
- Notre deuxième membre du jury est un outsider. Fils d'un père indigne, dont on prétendait la sexualité aussi débridée que celle de notre vénéré sponsor, Mitsumasa Kido, il fut jeté très tôt dans le caniveau. Sans ressources, sans amis, presque sans famille, il s'est vaillamment battu contre l'adversité. A la force du poignet, il s'est ainsi bâti un empire et est devenu le Dieu respectable que l'on sait. Le voici donc, le seul et l'unique, Abel !
Fier comme un paon, Abel sortit des coulisses. A pas mesurés, il fit le tour de la scène et alla s'asseoir auprès de Poséidon. Kanon, pour sa part, profita de cette diversion pour décocher un clin d'œil clandestin aux deux vieilles charognes perchées dans leur loge. Complices, ceux-ci sourirent de tout ce qui leur restaient de dents. Chacun d'eux savait que ce cocktail mélodramatique et irrévérencieux allait leur attirer une clientèle plus âgée et, surtout, avec un pouvoir d'achat plus conséquent.
- Passons maintenant à l'atout charme de cette émission, enchaîna Kanon. Belle et vénéneuse, voici celle par qui le scandale et la guerre de Troie arrivèrent : Eris !
La déesse de la discorde, l'air mauvais, traversa le plateau en toute hâte. Sans un regard pour la foule, elle se calfeutra dans le trône qui lui était dévolu.
Kanon, que l'humeur massacrante de cette harpie n'avait pas perturbé, poursuivit :
- Le dernier membre, je ne devrais pas même vous le présenter, car vous le connaissez tous. Il est cette petite voix tentatrice, qu'à tous propos, vous entendez siffler à vos oreilles. C'est le serpent fielleux qui fit renvoyer nos ancêtres crédules du jardin d'Eden. Mesdames et messieurs, je vous demande d'applaudir l'ange déchu, l'adversaire, le malin, en un mot : Lucifer !
A ces mots, la régie envoya en musique de fond une symphonie lugubre. Au firmament, une étoile arrogante projeta un rayon pourpre sur le devant de la scène. Lucifer, plus cabotin qu'un catcheur, se matérialisa sur le rayon et, bras en croix, se laissa glisser jusqu'au plancher des vaches.
- Quel frimeur, maugréa Eris. Même sur un simple escalator, il ne peut s'empêcher d'en faire des tonnes !
Dohko, de son côté, fit remarquer à son associé :
- Tu féliciteras pour moi les directeurs de casting. Ils nous ont vraiment mitonné un juré aux petits oignons. Ils sont tous plus ringards les uns que les autres. Je parierais même qu'aucun fan ne se souvient d'eux.
- S'ils n'étaient pas de véritables has been, aucun d'eux n'aurait accepté de participer à une émission de ce genre, riposta Kido. Honnêtement, as-tu déjà connu une seule vedette qui est devenu juré d'un divertissement aussi foireux ?
A court d'arguments, le vieux maître fit semblant de s'intéresser au discours soporifique de Kanon. Ce dernier s'évertuait à expliquer le pseudo règlement de l'émission, à savoir un bête télé crochet où des candidats minables et sans talent allaient batailler ferme pour séduire un jury je-m'en-foutiste et acerbe au possible.
Le jury, d'ailleurs, discutait déjà ferme à propos d'un point essentiel : pourquoi s'étaient-ils embarquer dans cette galère ?
- Non mais, commença Poséidon, je vous le demande de but en blanc, qu'est-ce qu'on fout là ?
- Avions-nous le choix ? répondit Lucifer, en feuilletant tranquillement un hebdomadaire. C'était ça, ou on restait à croupir dans les prisons du Tartare, avec tout ce que cela comporte d'humiliations et de savonnettes échappées dans les douches communes.
- Je te trouve bien serein, persifla Eris, qui n'était pas la déesse de la discorde pour rien. Cela viendrait-il du fait que tu as réussi à imposer ton temple comme lieu de tournage ? Ce qui te permet de taxer un substantiel loyer aux deux vieilles loques qui nous emploient.
L'ange déchu préféra se dispenser de répondre. A sa place, Abel intervint en ces termes :
- Moi, ce nouveau concept me plaît énormément. J'ai toujours rêvé d'avoir l'objectif des caméras braqué sur mon humble mais ravissante personne.
- Alors toi, je te conseille de ne pas trop la ramener, le rabroua Eris. Quand on est un Dieu même pas foutu de laisser son nom dans les manuels d'histoires, on essaye de se faire discret. Tiens, si ça se trouve, tu n'appartiens même pas au panthéon grec. Avec ton faciès, tu serais un Dieu égyptien que ça ne m'étonnerait guère. On m'a toujours dit qu'ils avaient des gueules de veaux ou de chacals.
- C'est toujours mieux que d'être une espèce de schtroumpf constipé, répliqua le frère d'Athéna.
- Comme c'est élégant, s'immisça Lucifer. Mais, jusqu'à preuve du contraire, c'est Moi le président de ce jury. Si vous ne la fermez pas immédiatement, je vous renvoie au placard et, croyez-moi, vous ne serez pas près d'en ressortir.
- Sortir du placard, paniqua Abel. Attendez, je n'ai lu aucune close dans mon contrat m'imposant de faire mon coming-out en direct !
Poséidon, affûtant son beau trident, reprit la conversation en cours et lança à Eris :
- Si ça ce n'est pas la preuve irréfutable de son affiliation à notre panthéon fortement pédéraste, je ne sais pas ce qu'il te faut.
- Mouais, souffla la délicieuse jeune fille. Je ne suis pas convaincue…
Lucifer, agacé, finit par taper du poing sur le battant de son trône et beugla :
- Je vous ai dit de vous taire ! Maintenant, on se tient bien droit et on sourit à la caméra ! Les premiers gogos vont nous être livrés en pâture !
