Bonjour à tous ! J'espère que vous aurez autant de plaisir à lire ces histoires que j'en ai eu à les écrire.
Attention : elles contiennent des spoilers sur les livres et les jeux, et se passent principalement après les évènements et une des fins possibles de The Witcher 3. Il peut y avoir également de légères contradictions avec les livres et les jeux.
Dernière chose, je recommande grandement les excellents livres Sorceleur d'Andrzej Sapkowski, dont l'univers est la base de ces histoires (pas obligatoire néanmoins pour comprendre ce qui suit).
N'hésitez pas si vous avez des commentaires ! Bonne lecture !
Les traces étaient rares et difficiles à déchiffrer, et Geralt savait qu'il n'avait que trois, quatre heures au plus, avant l'aube. Agenouillé, le sorceleur scrutait les environs. Les sous-bois étaient plongés dans la pénombre et résonnaient de bruits nocturnes. Pour n'importe quel être humain, les ténèbres environnantes et les rares étoiles perçant la voute forestière n'auraient pas permis de voir à plus de cinq toises. Mais ses yeux de sorceleur, dilatés au maximum, lui permettaient de voir comme en plein jour.
Deux jours plus tôt, lorsqu'il était arrivé à la ferme d'Hirundum, trouver du travail facile l'avait réjoui. Godric, le propriétaire du domaine, voyait ses bêtes disparaître la nuit depuis une demi-lune, et l'avait engagé pour y mettre un terme. Le fermier massif était nerveux et n'avait malheureusement pas pu lui fournir beaucoup d'informations. S'il agissait d'un scolandre à plaques ou d'un monstre de la famille des rachitineux, comme Geralt l'escomptait, le fermier avait des raisons de s'inquiéter. Ils étaient nombreux dans cette région, et Geralt avaient déjà eu affaire à des cas similaires.
Geralt se gratta la nuque. Il réfléchissait. Les scolandres laissent de légers sillons facilement reconnaissables dans la terre lorsqu'ils se déplacent, tandis qu'un entinimide ou autre rachitineux marque les arbres pour délimiter la limite de son territoire. Or il n'avait observé aucune de ces marques caractéristiques. Cela le contrariait. Si un prédateur plus massif avait perturbé l'écosystème, le travail allait se révéler plus difficile que prévu.
Le sorceleur se releva, ajusta ses manchettes à pointes et vérifia que le glaive d'argent dans son dos coulissait bien dans son fourreau. La lame, gravée de runes, était légèrement plus courte qu'un glaive classique mais bien équilibrée, et le contact de l'argent était mortel pour certaines espèces de monstres, telles les striges.
Geralt poursuivit son chemin dans la forêt d'un pas alerte. Son genou droit guérissait bien et cela le rassurait. La confrontation avec le sorcier Vilgefortz le mois dernier s'était soldée par une défaite, lui laissant de profondes séquelles à l'épaule et au genou. Heureusement son métabolisme particulier de sorceleur et les soins magiques de Triss avaient bien aidé à la récupération. Il lui devait beaucoup.
Après avoir scruté et fouillé les derniers arpents restants de forêt, Geralt reprit la direction de la ferme. Il allait emprunter une bête à Godric. Si sa proie ne voulait pas se montrer, il devrait bien la faire sortir.
Godric terminait son petit-déjeuner. Comme tous les matins, il se levait tôt, plus d'une heure avant l'aube, en raison des tâches innombrables que représentaient son élevage et ses terres agricoles. Sa femme et ses fils dormaient encore et viendraient l'aider après l'aube.
Le fermier finit sa dernière cuillère de gruau, et repoussa son bol, les yeux perdus dans le vague. La disparition de ses moutons le stressait, le marché agricole annuel à la ville voisine d'Azureta allait rapporter moins que prévu. L'hiver s'annonçait rude et il ne pourrait sûrement pas engager d'apprenti à la ferme l'année prochaine. Seul point positif, il n'aurait pas de fourrage supplémentaire à acheter cette année. Maigre consolation.
Il avait bien fait d'engager le sorceleur, qui de fait était arrivé au moment opportun, comme si les Sept Dieux lui envoyaient. Néanmoins il n'aimait pas particulièrement l'homme : sa voix était désagréable, et ses yeux de félins lui donnaient la chair de , ses cheveux étaient blancs, alors qu'il n'était pas vieux, 40 ans tout au plus. Le fermier jura dans sa barbe. Cent couronnes de Novigrad, par les Dieux, ce n'était pas rien. Mais le sorceleur inspirait tout de même confiance, et Godric savait reconnaître un professionnel, ne serait-ce qu'à sa façon de se déplacer. Et, surtout, il pouvait perdre beaucoup plus si la situation perdurait.
On frappa à la porte.
Le fermier se leva. "Quand on parle du loup" pensa-t-il.
"Geralt, c'est vous ?"
"Oui."
Le fermier reconnut sa voix rauque et défit les loquets qui barraient sa porte. Par les temps qui courrent, mieux valait être prudent.
- "Alors, vous l'avez trouvé?"
- "Pas encore. Godric, j'aurai besoin d'un appât. Il me faudrait une de vos bêtes".
Le fermier n'en croyait pas ses oreilles.
- "Ecoutez, je vous paye pour que vous mettiez un terme à leurs disparitions, pas pour en perdre davantage. C'est non."
- "Godric, je n'ai rien trouvé."
Le sorceleur fit une pause en regardant la lisière de la forêt qui se dessinait dans l'obscurité.
- "Si le monstre m'évite, je ne l'aurai pas en fouillant la forêt au hasard. Même une bête malade ferait l'affaire. De toute façon si rien n'est fait vous perdrez tout votre cheptel."
Godric serra les dents. Le sorceleur avait mis dans le mille, et avait raison par dessus le marché.
- "D'accord, je vais vous donner Balt. Il se fait vieux et je n'en tirerai pas grand-chose. Mais vous n'aurez que 80 couronnes."
L'homme aux cheveux blancs se gratta la cicatrice qui courrait sur sa joue droite.
- "Je ramènerai la bête vivante. 95, au titre du risque encouru."
- "Comment pouvez vous en être sûr ? Si vous ne la ramenez pas, ce sera un perte pour moi. 85."
Sur le visage blafard du sorceleur se dessina un sourire qui rappelait plus un rictus qu'autre chose.
- "Je risque ma vie dans cette affaire, Godric. De plus votre bête est vieille et vous venez de dire que vous n'en tireriez rien. 95. "
Le fermier jura dans sa tête et fit un demi-sourire. Si le sorceleur était aussi coriace au combat qu'en affaire, il en aurait pour son argent.
- "Entendu. Vous aurez vos 95 couronnes. Mais essayez de ramener Balt. En un seul morceau. Venez, je vais vous l'attacher."
. . .
Geralt pestait intérieurement. Le satané bovidé s'était montré récalcitrant au possible et il avait dû le traîner sur près d'un mile avant qu'il ne se décide à coopérer. L'animal, en terrain inconnu, était inquiet et bêlait comme si sa dernière heure était venue. Ce qui, songea Geralt, était fort possible.
La bête était maintenant attachée à un gros arbre au tronc scindé en deux, au centre d'une petite clairière. Le sorceleur, dissimulé dans les taillis, s'était placé sous le vent pour que son odeur ne trahisse pas sa présence. Il attendait patiemment tandis que Balt bêlait par intermittence.
Le premier intéressé fût un grand loup maigre au pelage sombre, intrigué par la présence du mouton. Ce dernier, sentant le danger proche, s'agitait et bêlait de plus en plus fort, en tentant de rester le plus éloigné possible du prédateur. Le loup avait détecté le sorceleur et évaluait le danger tout en restant en périphérie de la clairière. Après quelques minutes à se fixer mutuellement sous un concert de bêlements, Geralt sortit son glaive d'argent dans un tintement métallique. Cela sembla décider le loup qui décréta - à raison - que le vieux Balt ne valait pas qu'il risque sa peau.
Rengainant sa lame, le sorceleur changea de position, car il avait les jambes engourdies par l'attente. Les premières lueurs de l'aube commençaient à poindre, et il décida d'attendre encore une heure puis de plier bagage. L'heure passa lentement, ponctuée de quelques bêlements de Balt qui à présent s'était calmé et broutait l'herbe autour de lui.
Le sorceleur se releva, résigné. Alors qu'il s'approchait pour détacher l'animal, il entendît les taillis bruisser à l'extrémité de la clairière, avant de percevoir une série de cliquetis sourds qu'il reconnût rapidement. Il jura en voyant apparaître un endriague sentinelle d'une bonne toise de long, dont les yeux jaunes le fixaient d'un air mauvais. Ses mandibules crochues happaient le vide devant lui tandis qu'il battait les fourrés de sa queue hérissée de pics.
Balt tirait sur la corde comme s'il voulait déraciner l'arbre et même la forêt entière. Geralt sortit son glaive en inspirant profondément. Les endriagues étaient rapides et leur carapace chitineuse les protégeaient efficacement des coups. Le monstre chargea, d'une puissante accélération grâce à ses six pattes griffues. Le sorceleur attendit le dernier moment avant d'effectuer un demi-tour sur le coté et tenta un revers pour atteindre un point sensible. Son glaive ripa sur la carapace alors que le monstre s'écrasait les fourrés, emporté par son élan.
Il était véloce et fit demi tour immédiatement tandis que Geralt chargeait, sa lame pointée vers l'arrière. Il devait atteindre les flancs pour espérer porter un coup mortel. Le sorceleur zigzaguait pour tenter de déconcerter son adversaire. Ce dernier n'était pas dupe et tenta de balayer le sorceleur d'un coup de queue latéral. Geralt en sautant se retrouva sur le dos de l'endriague et voulu lui porter une frappe d'estoc entre ses plaques chitineuses.
Le monstre le prit de vitesse et le désarçonna en ruant violemment. Geralt fût projeté en arrière et envoyé bouler dans la clairière. Alors qu'il se relevait à peine, il vît que l'endriague était près de lui.
Beaucoup trop près.
Il n'eût pas le temps de mettre sa garde en place et les mandibules attrapèrent son bras non armé, appuyé au sol, broyant cuir, chair et os.
Geralt hurla si fort que pour un bref instant, les bêlements se firent oublier. Il lâcha son glaive sous le coup de la douleur mais resta lucide, il savait que s'il tentait de se dégager, le monstre lui arrachererait le bras. Il forma en un éclair le signe d'Igni de sa main valide, dirigée vers les yeux jaunes. Les faibles flammes qui surgirent de sa paume surprirent l'endriague, qui lacha prise en sifflant furieusement. Geralt forma ensuite sur le signe d'Aard, pour mettre de la distance entre son adversaire et lui.
Dans l'urgence et avec la douleur, il libéra trop d'énergie.
Les deux adversaires furent projeté à l'opposé l'un de l'autre dans un souffle puissant. Geralt heurta violemment l'arbre scindé en deux et tomba au sol, tandis que l'autre s'écrasait la tête la première sur un gros chêne à l'orée de la clairière.
Le vieux mouton avait réussi à se détacher et s'éloignait du combat à toute vitesse. Alors qu'il entrait à peine sous la voûte des arbres, le grand loup maigre surgit et lui bondit dessus.
Geralt regardait à peine la scène. Il voyait rouge et entendait son sang battre dans ses tempes. Les signes ne nécessitaient que très peu de compétences en magie, et il n'y avait aucune formule à prononcer. L'archimaîtresse Tissaia de Vries les décrivait à ses élèves comme étant un art de débutants, une simple focalisation de l'énergie élémentaire environnante en un seul point. Ils étaient devenus naturellement l'apanage des sorceleurs, qui avaient besoin d'effets directs et rapides en combat. Mais cette fois-ci il avait malencontreusement dépassé ses limites.
Le monstre cuirassé, sonné, titubait et essayait de retrouver son équilibre. Geralt s'empara de sa main valide d'un petit flacon placé dans son porte-élixirs en bandoulière, l'ouvrit du pouce et le bût d'une traite. Il n'aimait pas utiliser l'élixir de Koshckey, du fait de sa toxicité. Il lui fallait généralement plusieurs jours pour purger ses toxines. Mais à présent il n'avait plus le choix. Le sorceleur jeta le flacon et ramassa son épée de sa main droite, son bras gauche le lançant douloureusement.
"Toi, tu vas déguster" murmura-t-il en se relevant, tandis que son adversaire approchait.
Le monstre et lui tournaient en cercle en se fixant l'un l'autre. Geralt savait que chaque seconde qui passait l'avantageait, aussi il ne chercha pas à prendre l'initiative. D'autant que manier le glaive d'un seul bras n'était pas chose aisée. L'élixir commençait à faire effet et sa fréquence cardiaque augmentait, tandis que la douleur de son bras se faisait plus diffuse.
L'endriague chargea de nouveau et tenta d'attraper la jambe du sorceleur, mais celui gardait sa garde basse et se contenta de parer les mandibules, tout en reculant vers l'extérieur de la clairière. Il faisait attention à rester hors de portée de la queue hérissée de piquants. Le temps était comme ralenti au fur et à mesure que l'élixir agissait sur son système nerveux, si bien que les mouvements du monstre semblaient maintenant très lents au sorceleur. Il anticipait facilement les tentatives de son adversaire qui émettait des sifflements frustrés à chaque parade.
Esquivant un balayage, le sorceleur envoya un puissant coup de pied dans la mâchoire du monstre dont la tête partit de coté, et il profita de son élan pour faire un tour complet en avant jusqu'au niveau du flanc. Il planta son glaive profondément dans la chair non protégée, l'endriague sifflant et cliquetant rageusement. Celui-ci se débattait mais n'arrivait pas à se dégager du glaive. Geralt tînt bon, et suivait les mouvements du monstre pour rester sur son flanc tout en évitant les coups de griffes et de queue portés à l'aveuglette. Au bout d'un moment, les tentatives du monstre se firent plus faibles et il commença à s'immobiliser, en sifflant par saccades. Geralt dégagea sa lame et acheva son adversaire en l'enfonçant entre deux plaques de carapace, au niveau du cou.
Il regarda autour lui en reprenant son souffle. Les premiers rayons de soleil perçaient la brume matinale et éclairaient maintenant la clairière d'une lueur dorée. En baissant les yeux sur son bras douloureux, le sorceleur vît qu'il perdait trop de sang pour ne rien faire. Il posa son glaive et s'attela à faire un garrot.
