This is War

Prologue: A warning to the people

-Sandro ? Je n'ai plus de munitions !

-Je vous apporte ça tout de suite, Adjudant-chef !

Le jeune officier qui, sous des airs de bonne humeur, tentait de cacher sa mélancolie et sa peur de mourir, s'empressa de retourner près de la réserve. Il y dénicha quelques paquets de balles et les ramena à son supérieur et néanmoins meilleur ami.

Celui-ci lui adressa un vague regard signifiant « merci » puis se concentra de nouveau sur ce qu'il avait en face de lui.

Un no man's land entre le camp des Italiens et un bourg français qu'ils avaient pris pour cible.

1939. Le début de la seconde guerre mondiale. Si Mussolini n'avait pas encore officiellement déclaré la guerre à la France, officieusement c'était pareil. L'Adjudant-chef Falco Bellini avait suivi son Colonel dans cette expédition « d'intimidation » comme disait le Général qui leur avait transmis les instructions. Et il l'y avait perdu. Le colonel Santuliano mourut, comme bien d'autres, officiers ou gradés. Le jeune homme, pour sa part, était le dernier gradé encore en vie, à la tête d'une vingtaine d'hommes seulement. Ils avaient pour adversaire un régiment appelé en renfort pour répondre aux attaques italiennes.

1940. Ca faisait un an que Falco squattait en France. Il ignorait exactement où, il ignorait pour combien de temps encore. Plus personne n'était venu d'Italie pour leur donner des directives depuis la mort du colonel. Il n'y avait que le ravitailleur qui pouvait encore donner des nouvelles. Mais même lui commençait à se raréfier.

La situation était sérieuse. Si les calculs de l'Adjudant-chef étaient exacts, ce jour-là était le 20 juin 1940. Environ dix jours que les assauts contre le camp italien s'intensifiaient. Un régiment avait rejoint le précédent au même moment. Dès lors, plus de répit.

Falco prenait l'entière responsabilité de la vie de ses hommes. Il ne dormait presque plus, il ne mangeait que pour faire un peu plaisir à ses subordonnés mais ne quittait pas son poste pour autant, il effectuait deux fois plus de rondes, il prenait la place de ceux qu'il estimait trop faibles pour tenir efficacement une arme, il allait même jusqu'à effectuer les premiers soins lui-même, à la place de Massimo, le médecin de camp.

Devant sa détermination, Sandro était respectueux et il obéissait à tous ses ordres. Mais il était aussi très inquiet, car Falco n'était pas un surhomme, et le jeune officier ignorait combien de temps encore il pourrait survivre avec un tel comportement. Falco lui-même avait conscience de cela. Pourtant, il continuait.

Parfois, comme à ce moment-là, il y avait des cessez-le-feu. Falco ne s'en reposait toutefois pas. Il était constamment sur le qui-vive.

-Ca dure trop longtemps…

-Vous dites toujours ça… lui fit remarquer un autre officier.

-Tu m'as enlevé les mots de la bouche, Antonio ! commenta Sandro. Adjudant-chef, ce climat vous rend pessimiste, et c'est normal, vous…

-Cette fois c'est vrai. le coupa Falco. Ce n'est pas que je préfère quand on nous tire dessus, mais il se trame quelque chose de l'autre côté de cette plaine.

Les deux officiers eurent des réactions différentes : Antonio en question se renfrogna encore un peu, les propos du gradé ne le rassurant pas. Sandro, quant à lui, ne voulait pas le croire et mit cette paranoïa sur le compte de la fatigue, du surmenage et de la situation.

Mais Falco avait raison. Moins d'une heure après, des rugissements mécaniques se firent entendre, même jusqu'à leur camp. Sandro pensa que ce ne devait pas être de petites machines…

Il y eut du vent, tout d'un coup.

Les bruits s'intensifièrent.

Ce n'était pas naturel, forcément, et Falco, entrapercevant une forme qui décollait du village, eut juste le temps de crier son ordre :

-A couvert !

Mais la distance entre les deux camps était bien trop courte. Les avions arrivèrent tellement vite sur eux que peu purent se mettre à l'abri.

Pour sa part, Falco trouva une faille entre deux sacs de sable et s'y dissimula. Devant lui rampait un officier. Il vit qu'il s'agissait de Sandro et lui fit signe de le rejoindre, tandis qu'il écartait d'autres sacs adjacents.

Les avions avaient commencé à mitrailler. Les mouvements presque imperceptibles de Sandro pouvaient le faire passer pour un cadavre.

Mais ils furent sans pitié, ils criblèrent tout de balles sans exception, et avant que l'officier n'ait rejoint son supérieur dans sa planque, un avion passa juste au dessus de lui.

Falco bondit de la faille pour y placer Sandro en sécurité, puis y retourna lui-même.

-V-Vous êtes blessé, Adj-Aadjudant-ch…Chef ?

-C'est sans importance ! Toi, tu… !

-M-M-Moi ? tremblota-t-il. Moi… Je ne vais p-pas m'en tirer, Falco.

-Si, si, SI ! Tu vas t'en sortir ! Ils vont partir et j'irai chercher une trousse de secours ! Il est trop tôt pour renoncer ! Bats-toi !

-Qu-Qui au-aurait cru que vous… que tu étais si sensible ? Et si… Naïf ? J'ai reçu tr-trois impacts… Alors c'est fini pour m-moi ! T-Toi t-tu ne d-d-dois pas mourir. Tu disais t-toujours qu'après l-la guerre tu irais retrouver ta famille à F-Florence. Alors f-fais-le !

-Sandro, arrête de délirer, bordel ! Je serai pas le seul survivant de ce trou !

-Ha ou-oui ? Et comb-bien il te reste d'hommes ?

Falco regarda autour de lui. Le sol était couvert de flaques de sang éparses et des cadavres qui allaient avec.

-T-t-t-ous morts ?

-Nan ! Au moins toi et moi, on va s'en tirer ! Il faut qu'on se tire de ce merdier !

Falco s'appliqua à faire un garrot aux blessures de l'officier comme il le put. Il perdit la notion du temps.

Mais enfin les avions se retirèrent. Et Sandro vivait encore. Il était peut-être encore temps.

Falco courut vers ce qu'il restait de la tente «infirmerie» et y chercha une trousse de secours. L'une d'entre elles avait plus ou moins échappé aux balles et était toujours en état de servir.

L'Adjudant-chef retourna à sa planque et plaça un morceau de bois, trouvé dans les débris, entre les dents de l'officier. Il fermait tout doucement les yeux, mais pourtant il tentait de résister.

-Sandro ! Je t'interdis de mourir avant moi ! C'est un ordre ! Vous allez pas tous crever, merde !

-Je… Je crois bien que… C'est le s-seul de tes ordres… Que je ne pourrai pas respecter…

Falco débouchonna une bouteille d'alcool à désinfecter et en imbiba fébrilement une compresse. Il l'appliqua sur la première blessure, fermant les yeux pour mieux supporter le hurlement.

Qui ne vint jamais.

C'était trop tard.

Douleur, rage, tristesse… Il passa par de nombreuses émotions avant de se fixer, avec la soif de vengeance.

Il vérifia que les avions étaient bien arrêtés dans le camp adverse et, cela fait, s'examina. Il ne disposait plus de beaucoup de temps avant que les Français ne viennent voir ce qu'il restait du camp. Il ne remarqua que la trace laissée par une balle lorsqu'elle avait traversé sa chair pour se loger dans son mollet droit. Probablement quand il avait secouru Sandro.

Il renversa violemment une demi-bouteille d'alcool sur la plaie et se retint de hurler avec peine. Une fois la blessure endormie sous la douleur, il enroula une épaisse bande de tissu autour et enfin, il se dirigea vers une planque souterraine pour attendre que les Français arrivent et repartent. Après, il pourrait fuir.

La planque avait été creusée par le colonel à leur arrivée. C'était un homme malin, il voulait pouvoir y cacher des papiers importants et l'artillerie lourde. C'était aussi un fin stratège et, hormis Falco et quelques lieutenants, peu savaient où elle était située.

Aujourd'hui, l'artillerie était depuis longtemps épuisée, il n'y restait plus qu'une pochette de cuir contenant des plans d'attaque et les mémoires du colonel. Falco la plaça dans sa ceinture.

L'espace était amplement suffisant pour qu'il puisse s'y cacher et, à moins d'être les spectres de ses anciens supérieurs, les adversaires ne penseraient pas à aller chercher un survivant sous les cabinets d'aisance.

Il refermait le double fond de ceux-ci sur lui lorsque Falco entendit de faibles bruits secs. On marchait sur les sacs de sables, les fortifications du camp.

Oui, ils arrivaient inspecter les lieux.