Titre de chapitre : You've lost that loving feeling des Righteous Brothers.

Vieille ville historique de Konoha, seize heures. Il faisait une chaleur suffocante, si torride qu'elle faisait expirer par les pavés rebondis des exhalaisons de souffle brûlé. Le soleil éclatant perçait même les paupières closes, et parsemait des tâches de lumière dans l'obscurité. Les températures étaient exceptionnelles pour l'époque de l'année et surpassaient largement les normales de saison. L'été, dans cette partie du pays, apportait une atmosphère moite et poisseuse, qui engluait et se mélangeait aux sueurs pour mieux coller à la peau. Les feuilles des arbres elles-mêmes semblaient s'appesantir, si alourdies par un poids invisible qu'elles ne vrombissaient quasiment plus, absence de mouvement due avant tout par l'inexistence de vent.

La jeune fille de vingt-et-un ans passa la porte vétuste et écaillée d'un grand immeuble aux murs délavés. Vêtue d'un débardeur gris souris sur une combinaison en jean trouvée dans une friperie d'occasion, elle quittait son appartement, des murs entre lesquels la chaleur devenait insupportable. Ses baskets de tissu troué la traînaient d'un pas épuisé vers son lieu de travail.

Il aurait été peu excusable de sa part d'imputer la totale responsabilité de sa lassitude aux nuits tortueuses et moites de l'été. Bien qu'il était très difficile de trouver le sommeil entre les murs étouffants de son appartement, elle ne cherchait pas non plus absolument à se réfugier dans les bras de Morphée. Elle aimait profiter de l'ambiance nocturne estivale, la vue dégagée sur les étoiles, les rires et cris fusants dans le noir, les promenades tardives et parfois les soupirs… Elle s'accoudait sur son petit balcon et regardait, sentait, palpait…

Elle prit la rue de droite d'un pas alangui qui débouchait sur une petite place et remarqua la présence, en tout et pour tout, de six garçons debout, assis sur le bac, à tailleur sur le dallage… Tous tournaient autour de la tranche d'âge de Tenten. Quelques éclats de voix lui parvenaient, peu en comparaison du nombre de participants. En jetant un coup d'œil, elle en vit un plongé dans sa lecture, un autre sur son portable, ou encore captivé par les relents qu'exhalait sa cigarette. Les autres riaient aux éclats.

« Encore des gamins complètement stupides. Stupidement insouciants »

Elle soupira. Décidément, ils étaient tous les mêmes... Perdus dans leurs rêves et leur fatuité, les yeux regardant vers le haut et non vers le bas, chéris par la chance et la vie, qui se pavanait droit devant eux. Quand elle avait dû se résoudre à abandonner les études et à travailler pour survivre, seule et sans ressources, à mettre en hiatus ses projets et à ne les envisager que dans un certain nombre d'années.

Elle passa devant eux, sans leur accorder un seul regard. Ces « enfants du soleil » ne l'intéressaient pas, et de toute façon, ils n'avaient rien en commun. Excepté ce court moment. Qui se terminerait sitôt empruntée la ruelle sinueuse vers laquelle elle se déplaçait. Tout aurait pu bien se terminer. Jusqu'à ce qu'elle entendît un sifflement. Pas une mélopée guillerette, non. Le bruissement démodé et humiliant du coq apercevant les jolies gambettes d'une poule hasardeuse. Elle avait horreur de se faire siffler.

Elle se retourna vivement, son ample t-shirt accompagnant ses cheveux noués dans le geste. L'œil aux aguets, elle cibla celui qui venait de commettre cette erreur fatale. Le sourire goguenard, il faisait partie de la bande des trois assis sur le banc. Accoudé, décontracté, il l'observait, la jaugeait d'un œil satisfaisant et probablement prétentieux à travers des mèches brunes, presque noires, d'une tignasse qui s'égarait en tous sens. La pupille sombre, mais pas antipathique, était mise en valeur par les profondes zébrures qui marbraient les joues, cicatrices des vieux jours. La chemise laissait entrevoir par beaucoup d'endroit une peau miel qui dorait paresseusement au soleil et prenait des nuances de bronze. Il était plutôt pas mal, très bien même. Mais trop sûr de lui. Son apparente confiance en soi l'irritait passablement, mais son sourire ironique suffisait à la mettre plus en colère.

Elle se retourna complètement pour lui faire face, le visage vidé de toute expression, excepté ses yeux flamboyants. Elle soutint son regard, une, deux secondes, puis le fit descendre et glisser sur son corps. Elle l'abaissait sur le torse qu'elle devinait anguleux, puis plus encore, vers les hanches, et s'arrêta à ce niveau. Elle fixa l'endroit suffisamment longtemps pour que son assurance s'ébranlât et que le sourire diminuât. Quand il commença à bouger, elle remonta au visage malaisé puis dit :

« Comme je le pensais, pas grand-chose. »

Le sourire passa d'un visage à l'autre.

« C'est parce que tu n'as pas connu assez de mecs que tu oses dire ça, sainte-nitouche ! Répliqua-t-il d'un ton acerbe.

- Assez pour savoir que la gente masculine ne jacasse pas systématiquement comme tu le fais, blanc-bec.

- Débouche-toi donc les oreilles alors !

- La sainte-nitouche se permet de te rappeler que tu n'avais pas été fabuleux la nuit sous le saule pleureur, Kiba ! » Fit-elle en retournant dans un dernier geste de la main.

Elle eut le temps de savourer le regard déconcerté du dit-Kiba, son visage qui se mirait de rouge et s'autorisa un sourire de satisfaction. Si tête brûlée mais si accessible. Toute l'imprudence et l'impétuosité de la jeunesse dans un carcan de soie, facile à percer.

« Ten… Tenten, c'est toi ? »

Elle leur fit face à nouveau, après avoir esquissé quelques pas.

Oui c'était elle, même si, c'était vrai, à l'époque elle avait les cheveux plus courts et devait être moins maigre. Il n'avait fait que gagner en assurance depuis qu'ils s'étaient connus. Il avait grandi également, et même pris du buste, surtout aux épaules. Son visage s'était débarrassé des dernières rondeurs de l'enfance pour laisser place aux muscles saillants de la masculinité. Avide de conquêtes il y a quelques années, sa soif d'ambition n'avait dû que grandir.

Lors des dix-huit ans d'Ino, elle avait invité beaucoup de monde, Y étaient présents beaucoup d'inconnus également, dont Kiba, arrivé là-bas par un ami d'un ami. Sur la terrasse où l'air était plus respirable qu'à l'intérieur, les verres défilaient, et les cigarettes, et les étoiles, et le vent, et les gens… Non pas tous. Lui et son regard d'un brun rieur, ses mains au contact facile, ses épaules qui bloquaient la vue sur le ciel, tous avaient attiré son attention. Il l'avait servi, allumait ses cigarettes, se montrait avenant. Dix-huit ans, et déjà irrésistible. Dix-huit ans et le sourire charmeur.

Qu'était-ce donc qui l'avait faite sombrer ? Que ce fut l'air enfumé, les gens agglutinés autour d'elle, les vapeurs de l'ivresse, la chaleur de la foule, l'impossibilité d'entendre un traitre mot de ce que disait l'autre, ils s'étaient éloignés plus avant dans le jardin de la demeure familiale, main dans la main, la marche accentuée par son pas à lui.

Elle gardait encore en mémoire les caresses simultanées de ses doigts, de ses cheveux, et des branches doucereuses de l'arbre. Il faisait frais et sombre en-dessous, noirceur entrecoupée par les lumières lointaines de la fête. L'odeur de sa peau lui remémorait, à travers les senteurs couvrantes de la cigarette, des ersatz d'été, des émanations de citron et d'ortie. Il rafraichissait son corps de son épiderme nu.

Le saule leur avait offert un abri confortable pour uniquement quelques heures ; peu après que le ciel eût commencé à se parer de nuances roses et or, ils s'étaient relevés, un sourire nostalgique à un souvenir que ne se partageaient qu'entre eux deux, main dans la main, et retournèrent sur leur pas. La magie d'un instant qu'ils ne renouvelèrent pas.

Les relations, ce n'était pas son truc. Elle pensait ne pas posséder la fibre « relations amoureuses » dans son répertoire. Les relations se lassent, les gens avec. Elle voulait profiter des gens au meilleur d'eux-mêmes. L'équation de la relation amoureuse possédait également trop d'inconnues : trop de temps, trop d'investissement, trop de risque de souffrir, trop de cruauté, trop de pensées. Trop de trop.

Tenten lui sourit pour lui affirmer qu'il s'agissait bien d'elle. Il paraissait d'abord perplexe, puis son visage se fendit peu à peu d'un sourire chaleureux et mélancolique. La main dans la poche, il fit mouvoir son grand corps vers elle. Elle esquissa également quelques pas dans sa direction, ne le lâchant pas des yeux, comme il le faisait lui-même. Il fut pris d'hésitation, arrivé à sa hauteur, ne sachant pas comment se comporter. Ami ? Connaissance ? Vague rencontre ? Elle l'aida :

« J'ai toujours besoin de me tordre le cou pour pouvoir voir ton visage, ça au moins ça n'a changé, dit-elle doucement du même type de rictus qu'il arborait quelques secondes auparavant.

- Et tu as toujours aussi mauvais caractère, bougresse ! »

Il se pencha, torse et face, et déposa un baiser assez léger sur sa joue. Il ne la balaya pas, ses lèvres s'y attardèrent, mais empreintes d'une telle tendresse, la même qui accompagnait la risette, qu'elle ne sut pourquoi, mais elle eut sur-le-champ envie de pleurer. « Ressaisis-toi, c'était un moment agréable, et il est content de te voir. Toi aussi. Tu n'étais pas amoureuse, et tu ne le seras jamais ». Elle sanglotait plutôt sur ces jours anciens, quand elle-même possédait encore un peu l'innocence qu'il continuait d'arborer. Quand elle croyait à la continuité du printemps pendant l'été, et non le début de l'automne.

Il la prit par les épaules et la fit s'avancer vers la bande de ses amis. Elle fut un peu déconcertée par le contact sur son bras, mais elle se reconcentra lorsqu'elle fit face à une petite troupe d'inconnus.

Ils la regardaient avec curiosité. Le jeune garçon assis par terre et celui qui se tenait debout avaient les visages les plus juvéniles, de ce qu'elle put observer d'un premier jet. Le premier était blond, d'une couleur non pas cendrée mais lumineuse, pleine de vie et qui attrapaient les rayons solaires à pleines poignées. Ses pupilles d'un bleu pénétrant la fixaient intensément. Le second avait également les cheveux luisants, mais noirs comme le charbon. Sombres ses yeux également, dans un visage où tout était rond. Il laissait pendre ses bas le long de son corps maigre. Les deux autres, assis, ne lui décrochaient pas un regard. Celui du milieu pianotait sur son portable, d'une main dont la peau pâle contrastait doucement avec sa chevelure hirsute de couleur ébène. Il était maigre lui aussi, mais ses bras et la naissance de ses clavicules avaient quelque chose d'osseux, impression accentuée par la réverbération du soleil. Son voisin avait la même carnation pâle, mais semblait plus grand et plus développé. Tenten ne voyait pas du tout son visage, caché par les longues mèches de cheveux qui tombaient en cascade sur ses genoux. Il était en train de lire, et son ouvrage l'intéressait beaucoup plus que le remue-ménage qui l'entourait. « Grande capacité de concentration » jaugea-t-elle.

Kiba s'éclaircit la voix :

« Les gars, voici Tenten. J'te présente mes amis, certains depuis le collège. On est tous en ville pour les vacances.

- Salut. »

Quelques-uns lui répondirent verbalement, avec un grand sourire et un geste de la main. Celui au portable porta son regard fumé sur sa personne – des yeux sombres et perçants, comme un aigle -. Sa bouche modifia sa tenue, et cette espèce de rictus lui tint lieu de salutation.

« Tu connais Kiba comment ? Oh, je suis Lee, déclara le garçon avec un grand sourire.

- Eh bien…, commença Kiba d'un air embarrassé, en se grattant la tête, à la recherche d'un bon mensonge.

- On s'est rencontrés à la soirée d'une amie commune il y a quelques années. On s'était perdus de vue…

- Jusqu'à aujourd'hui ! termina le blond dans un éclat de rire.

- Alors, tu deviens quoi ? »

Kiba farfouilla dans sa poche, en tira une cigarette et de quoi l'allumer. La portant à sa bouche, il actionna le briquet et expira une bouffée de fumée.

« Oh pas grand-chose tu sais. »

Elle n'avait pas envie d'aborder ce chapitre-là, surtout avec des inconnus et un ancien compagnon de nuit… Elle n'aimait pas dire qu'elle était derrière, qu'elle n'avait pas fait d'études. Elle se sentait moins que rien à le dire.

« Tu es en études de… ?

- Oh j'ai arrêté. Je travaille.

- Dans ?

- Oh, je fais plein de trucs. Et toi, tu deviens quoi ?

- Oh moi je suis en réorientation, je change de cursus. Vétérinaire c'est trop compliqué. Je cherche toujours dans le soin aux animaux, mais moins de prises de tête, ça m'arrangerait. Et Ino, elle devient quoi ? On a parlé vite fait à la soirée, je me rappelle qu'elle était dans les arts ?

- Elle y est toujours, dans la photographie maintenant. Tu veux son numéro pour reprendre en contact ?

- Ah ouais, ça pourrait être…

- Non, absolument non ! Il ne faut pas vendre l'innocence d'une jeune fille comme ça ! »

Lee et le jeune éphèbe blond, relevé, les avait séparés, poussant Kiba d'un côté et se dressant devant Tenten, dans des simili-postures de défense.

« Tu ne sais pas combien de jeunes fleurs sont tombées dans son piège. Nous devons lutter contre ce fléau des femmes.

- Naruto a raison, nous te protégerons ainsi que cette Ino des griffes de l'Inuzuka ! »

- Vous êtes complètement malades les mecs ! Ne me faites pas passer pour un Dom Juan sans cœur, c'est n'importe quoi ! Mes griffes vont vous faire des caresses, attendez voir ! cria-t-il en faisant le geste de s'avancer vers eux, vivement.

- La marmaille c'est dans la cour de récréation. Vos cris sont insupportables, arrêtez. »

Tenten, qui s'amusait alors de leurs éclats et de leurs pitreries, fut brusquement refroidie par le ton froid et cassant de la réplique. Elle ne fut pas la seule à s'interrompre et à regarder dans la direction de la voix. Il n'avait même pas levé les yeux de son livre.

« Oh, on faisait rien de…

- Tu pourrais au moindre prendre la peine de regarder les gens auxquels tu parles, ce serait la moindre des politesses. »

Elle n'apprécia pas la fraîcheur de la voix et le manque de respect évident induit dans les paroles, qui justement osaient en réclamer. Elle darda un regard qui valait ses mots en terme de froideur sur la personne isolée au bout du banc.

« C'est agaçant d'entendre piailler et dérangeant, surtout pour les gens qui habitent ici.

- Si ça ne te plaît pas, tu peux aller lire dans une bibliothèque, c'est fait exprès. »

Ce fut là qu'il osa enfin condescendre à l'honorer d'un regard. Et quel regard. Elle sentait qu'elle aurait gardé son assurance à lui répondre s'il ne l'avait pas observé. Son visage était… déconcertant. Beau, masculin, régulier, un nez droit, un visage anguleux, des lèvres froides que ne réchauffaient aucune chaleur de sourire, des sourcils froncés et durs, qui rendaient coléreux un regard de glace. Ce fut l'effet qu'elle ressentit lorsque le sien le croisa. Un abîme de neige, de vent et de brouillard, les nuages des sommets éternels des montagnes, un givre blanc qui recouvrait tout. Il était vraiment froid. Elle n'aurait su dire si cette absence de « feu » l'embellissait ou gâchait sa beauté. On ne pouvait pas le qualifier de charmant, et cette négation trouvait sa source dans l'inexistence de vie de ses pupilles.

Certes, elles ne ressentaient pas, mais elles voyaient. Elles la regardaient frappée de doute et déstabilisée. Lentement il lui répondit :

« Oui, certes. Mais je n'ai pas envie d'étouffer en m'enfermant dans une bibliothèque. Donc oui, vous vous comportez comme des enfants, avec les cris qui font avec, et c'est pénible. Adoptez des attitudes plus adultes, il est temps de grandir.»

Kiba fronça les sourcils en intervenant :

« Pas la peine d'en faire un plat, ce n'est pas grave Neji. C'est vrai qu'on était un peu bruyants, mais ce n'était pas la cour de récréation non plus.

- Si tu le dis ».

C'en fut trop pour Tenten, qui se sentait comme un volcan sur le point d'imploser. Elle ne sut pourquoi, mais défilaient dans sa tête tous ces moments de honte cuisante quand on lui faisait comprendre que tous ses efforts ne serviraient à rien pour atteindre ces gens qui étaient « bien nés » ou dans de bonnes dispositions. Elle ne pourrait jamais les rattraper ni les égaler, car elle n'était qu'une personne du bas, de ces gens qui n'ont rien d'exceptionnel et qui ne possèdent qu'une vie encore plus ordinaire. Elle avait haï ces gens qui lui imposaient sa condition et lui interdisaient de s'élever. A de trop nombreuses reprises on lui avait écrasé ses ailes et ses espoirs.

Elle revoyait encore, dans cette salle de classe, les silhouettes minuscules, et déjà dispersées dans leurs catégories. Elle se souvenait des visages de ces petits princes et princesses, des semi-adultes qui lui crachaient à la figure et la forçaient à avancer en rampant. Différence encore plus écrasante dans les niveaux supérieurs de la scolarité, d'autant plus que tout un chacun devenait conscient de ce qu'il possédait et surtout ne possédait pas. Elle se remémorait encore les mots de ce professeur, qui la jugeaient trop stupide pour être acceptée dans les voies de l'orientation qu'elle visait et lui martelaient dans le crâne qu'elle ne devait avoir aucune espoir. C'avait été la goutte d'eau.

Elle éleva la voix :

« Tu n'es pas tout seul, ce banc ne t'appartient pas, cette place ne t'appartient pas, cette ville ne t'appartient pas ! Qui penses-tu être pour être si égoïste et l'imposer à tous ? Tu n'es personne ! »

Le silence se fit de plomb, et pour cette fois personne n'osa placer sa voix. Retourné à sa lecture, il lui jeta un nouveau coup d'œil. Il ferma le livre et se leva. Sa chemise blanche émit un bruit soyeux lorsqu'il se redressa. Il devait être une tête et demie plus haut qu'elle, ses cheveux virevoltèrent derrière ses épaules. Du même ton égal il prononça :

« Est égoïste la personne qui impose cette discussion à tous, par ses cris. Je ne me sens nullement concerné. Enfin, Kiba, tu ne devrais pas nous faire subir les déceptions que tu ressens en entendant tes conquêtes parler hors du lit que vous partagiez, ou du saule en l'occurrence. »

Sur cette dernière déconvenue, il fit volte-face et s'éloigna.

« Neji, tu…

- Plus tard. »

Sans un mot, ils le regardèrent s'éloigner, dans un silence dont la chape de plomb pesait véritablement sur leurs épaules. De dépit, Kiba voulut se lancer à sa poursuite, mais se rappelant qu'il n'était pas l'objet de l'affront, se tourna vivement vers la jeune femme. Inquiet, il ne savait que dire, ni comment soulager l'opprobre. Il étudia son visage qui s'était empourpré sous le joug de la colère et nota les couleurs qui quittaient ses joues pour laisser place à des nuances blêmes. Il la vit passer de l'inaction du choc à l'animation de la frustration ; ses lèvres ne se réduisaient plus qu'à une mince ligne charnue et ses yeux bruns s'assombrissaient.

« Je suis désolé pour lui, Tenten, il est déroutant, oui… Je ne cherche pas à l'excuser, mais de sa part ce n'est pas surprenant. Oui il a été odieux, mais…

- Ne parle pas des gens dans leur dos, Kiba, même si ce n'est pas en mal, ce n'est pas poli. »

Elle soupira, puis accrocha un franc sourire à sa bouche. Ses bras exécutèrent des mouvements d'avant à l'arrière puis finalement, ses mains se retrouvèrent dans le bas de son dos et s'enlacèrent. L'ambiance malaisée la gênait, elle et eux également, elle le voyait. Elle ne souhaitait pas que Kiba se sentît honteux pourquelque chose qu'il n'avait pas commis.

« Ne t'inquiète pas, ce n'est rien. Une petite escarmouche de rien du tout. Il a raison, il fait vraiment beau, autant en profiter…

- Non ce n'est pas rien ! ragea Naruto en jetant un regard colère dans la direction où s'éloignait la silhouette ténue de son ami. Parler comme ça à quelqu'un qu'il ne connaît pas, merde ! Il perd rien pour attendre.

- Qu'est-ce que vous comptez faire aujourd'hui alors ? demanda-t-elle dans une tentative désespérée pour rétablir une atmosphère amicale.

- Môssieur Hyûga fait ce qu'il veut quand il veut, il parle comme bon lui semble, il écrabouille tout ce qui se met en travers de son chemin, répliqua Lee du même ton employé par Naruto.

- Il rigolera moins quand je lui mettrai une torgnole, c'est moi qui te le dis. »

Kiba s'immisça dans le dialogue, et Tenten sentit que tous ses efforts pour détourner la conversation vers un autre sujet étaient voués à l'échec.

« Je crois que l'on prévoyait de toute façon de profiter du bon temps. Sûrement un café ou un bar. J'avais idée d'une soirée au parc, avec un étang en guise de mer. »

C'était le dernier à s'exprimer. Le ton était encore assez froid, mais pas cassant. La tonalité tenait autant du chuchotement que d'une déclamation de vive voix, suffisamment forte pour être cependant entendue. Curieuse, elle lui jeta un coup d'œil, et elle songeait que sa voix lui allait bien. Discrète autant que posée, calme tout comme compréhensible. Sombre mais pas sèche, distante sans être inaccessible. Ses cheveux possédaient les mêmes nuances, noires et agrémentées d'un nombre infinitésimal de bleus, que ses yeux : très légères et subtiles. Son visage n'adoptait strictement aucune expression, sans être revêche. Il n'inspirait que la neutralité.

Elle comprit qu'il avait saisi son manège et cherchait à l'aider et la tirer de l'embarras. Elle mit quelques secondes à réfléchir pour lui donner suite :

« Visez même le pique-nique. Au bord de l'eau et la chaleur qui se rafraîchit, rien de mieux que des boissons glacées.

- Oooh, bonne idée Sasuke ! Je pourrais ramener un ballon ! s'exclama Naruto.

- Je vais demander à ma mère si elle peut nous faire des cakes de légumes, fit Kiba en sortant son téléphone portable.

- Je crois qu'il me reste ou deux bouteilles de jus de tomate ! réfléchit Lee »

Avec un regard en coin, elle adressa un sourire discret au jeune brun resté assis tout ce temps. Il lui répondit par un bref signe de tête, tout aussi secret. Elle parut se rappeler de quelqu'un chose assez spontanément, pressa sa main dans la poche de son pantalon et regarda l'heure sur son mobile. Il était plus que temps de quitter cette joyeuse troupe. Elle avait juste le temps de repasser chez elle prendre une douche et partir travailler.

« Bon je dois y aller.

- Oh, tu ne peux pas rester un peu ? demanda Kiba, un peu déçu.

- Non j'ai autre chose à faire. Ça m'a fait plaisir de te revoir.

- J'espère que l'occasion se renouvellera. Tu as toujours le même numéro ?

- Toujours, sourit-elle doucement.

- Bon, je te recontacterai bientôt alors, fit-il, charmeur.

- J'attends de tes nouvelles. Bonne après-midi les gars. »

Elle leur adresse un dernier signe d'adieu puis retourna sur ses pas, suivie par les regards masculins jusqu'à ce que sa silhouette disparût au tournant d'une rue.

« Dis donc Kiba, je savais pas que tu pouvais sortir avec une fille et être capable de rester ami avec elle après votre séparation. Je pensais qu'elles te détestaient toutes.

- Je ne suis pas sorti avec elle.

- Pourquoi ? Elle a vu ton vrai visage ?

- Ferme-la. C'est que…Non. Ce n'est pas une fille que tu peux attraper et garder facilement.

- Pauvre biquet, trop difficile pour toi.

- Non Lee, il n'avouera jamais qu'elle lui a mis un râteau.

- Non, ce n'est pas ça. Elle est comme elle est, indomptable. « Une espèce d'animal sauvage, résolu, qui aurait la force de te mettre à terre mais t'aidera à chasser et te réchauffera la nuit par sa chaleur. Mais elle ne se laissera pas brider, et ne te permettra pas de passer tes doigts sur son pelage trop longtemps. Elle est douce mais pas affectueuse. ». Elle ne pliera pour personne.

- Mais pour le coup c'est toi qu'elle a fait plier, et plutôt salement !

- Oh tais-toi Naruto. »