Bon sang sa mère ne l'aurait plus à ce petit jeu ! Elle avait cédé à une énième demande, se sentant coupable de lui faire payer les actions et les choix de son père et se disant qu'elle serait ainsi tranquille durant plusieurs mois. Elle avait revêtu la plus sage des robes que sa sœur s'évertuait à lui envoyer, puis s'était présentée au gala de charité de sa tante De Saintonge.

Allez, c'était pour la bonne cause … Elle regarda sa montre avec envie et réprima un bâillement … encore une petite heure et il serait socialement acceptable qu'elle s'éclipse. A moins que … uhm, … non, appuyer sur le système d'alarme incendie n'était décidemment pas une bonne idée, elle n'avait plus 15 ans !

Elle se tenait donc maintenant à l'écart de tous, ayant subi les tours de table derrière sa mère qui, ravie, la présentait à tous. Elle avait subi les exclamations, les faux rires, les gens qui faisaient semblant de la reconnaitre, ceux qui réprouvaient ouvertement ses choix, les autres qui les moquaient … Bon sang que ça ne lui avait pas manqué !

« Toujours aussi mal à l'aise dans ces petites fêtes chère cousine ? »

Elle se retourna vivement et tomba nez à nez avec Clément, son cousin. De quelques années de plus, il la mettait mal à l'aise depuis l'adolescence, semblant faire une fixette malsaine sur elle.

« Que voulez-vous cher cousin, chassez le naturel … » commença-t-elle.

« Le naturel eut été que vous vous y sentiez à l'aise justement, » la taquina-t-il sans pitié. Elle eut la bonne grâce de légèrement rougir. Puis elle se reprit.

« Il semble que je ne sois pas née dans la bonne caste. »

« Oh, caste, tout de suite les grands mots, jolie cousine. Disons … que vous avez un singulier besoin d'indépendance. Indépendance que mon cher oncle ne semble guère apprécier d'ailleurs. Il faudrait songer à vous ranger très chère cousine. »

Et voilà, il recommençait son manège. Elle ne savait jamais s'il la taquinait à dessein, devinant son malaise, ou s'il était sérieux.

Au moment où elle atteignait le comble de l'inconfort, elle eut le bonheur de sentir vibrer son téléphone dans la pochette qu'elle tenait à la main. Un rapide coup d'œil l'informa qu'il s'agissait de son second.

« Ah, désolée cher cousin, mais le devoir m'appelle, vous m'excuserez auprès de ma chère tante n'est-ce pas ? Je compte sur vous ! »

Elle fila aussi vite que possible vers le vestiaire où elle demanda à récupérer le sac de sport qu'elle avait apporté avec elle. La personne en charge du vestiaire la regarda de façon aussi hautaine qu'à son arrivée. Elle retourna ensuite vers l'intérieur du bâtiment, évitant sciemment la salle de bal où elle risquait de croiser une connaissance, puis fonça vers les toilettes afin de se changer et de revêtir une tenue plus correcte.

Elle en ressortit au pas de course, bien plus à l'aise dans un jean et des baskets que dans la robe de soirée et les Louboutins que sa sœur s'était entêtée à lui offrir. Elle repassa une dernière fois devant le vestiaire, agitant joyeusement la main en signe d'au-revoir.

Elle s'engouffra dans la voiture de son second, qui venait d'arriver comme il le lui avait signalé par sms, et ils foncèrent vers le lieu de leur mission. Il la briefa en route : le suspect de l'une des affaires les plus médiatiques de France venait d'être repéré dans le quartier de La Défense. Ils avaient été appelés en renfort. Il eut vite fait de garer la voiture sur le premier trottoir disponible, privilège policier et urgence oblige et ils s'engouffrèrent dans les méandres de la station RER.

Ils marchaient côte à côte dans les couloirs à la lumière artificielle qui embaumaient de l'odeur caractéristique du métro parisien. Cette espèce de mélange entre l'odeur d'humidité, de poussière, de crasse et d'air qui n'a pas vu le jour depuis des siècles. C'était une heure de pointe et les usagers, fatigués et résignés s'entassaient sur le bord du quai, la tête dans un livre ou plus généralement, dans leur smartphone.

L'homme qu'ils recherchaient était là à quelques mètres d'eux et tentait de se fondre dans la foule, casquette sur la tête, dans ce qui semblait être un effort de discrétion. Ça sentait bon la mission « vite faite bien faite » pour eux, se réjouit-elle à l'avance.

Ils connaissaient bien les lieux, son second étant parisien, tandis qu'elle avait fréquenté les bancs de la faculté de droit de Nanterre toute proche. Les couloirs de métro en général, mais ceux de La Défense en particulier, n'avait plus de secret pour eux. Ouep, une vraie formalité.

Au signal convenu, son second s'écarta d'elle, se dirigeant vers la foule qui montait désormais dans le tramway qui venait de stopper à quai. De son côté, elle fit le tour de la cage des escaliers qui descendaient dans un autre souterrain nauséabond, attendant patiemment que le suspect se dirige vers elle. Oui, décidemment c'était une formalité, comme prévu, le suspect avait renoncé à monter dans le tramway bondé et semblait avoir remarqué son second vers qui il jetait de fréquents coups d'œil, trouvant sans doute étrange qu'une personne reste à quai tout comme lui tandis que tout le monde forçait le passage quitte à se retrouver contre la vitre des portes de la rame. Rien que s'imaginer collée à ça, elle frissonna de dégoût. Il sembla relâcher sa méfiance lorsqu'il vit d'autres personnes restées à quai.

Sûr de lui et rompu à l'exercice, le commandant de police qui lui servait de second depuis quelques années désormais, manœuvra de façon à le diriger vers elle sans même qu'il ne s'en rende compte, il ne voyait vraiment rien venir.

« Quel amateur », se dit-elle, presque amusée. Mais elle se ressaisit aussitôt. Un amateur certes, mais un amateur accusé de meurtre, ce n'était pas rien ! Il était recherché par toutes les polices de France et au lieu de tenter de se cacher ou de fuir à l'étranger, il se retrouvait sur un quai de train à La Défense. Elle devait absolument rester sur ses gardes, acculé à l'arrestation, tout pouvait arriver. Ne jamais sous-estimer un suspect, aussi amateur qu'il puisse sembler, c'est l'une des bases qu'on lui avait inculquées à l'école des commissaires.

Ah. Son second accélérait le mouvement, il avait passé la seconde et en conséquence, le suspect avait accéléré ses pas vers elle. Ils devaient rapidement procéder à l'arrestation maintenant, un nouveau tramway était annoncé et la foule commençait à nouveau à se masser sur le bord du quai.

Tout occupé qu'il était à surveiller son second, il ne semblait pas se douter une seule seconde qu'il se retrouvait désormais coincé. C'est pourtant une manœuvre désespérée qu'il tenta en sautant par-dessus la rambarde menant au souterrain, passant devant la foule qui descendait du tramway et provoquant des remarques acérées des usagers qu'il venait de doubler.

Oh mais il ne l'emporterait pas au paradis ! Elle savait où ce couloir débouchait et exactement où passer pour y arriver avant lui. D'un signe elle indiqua à son second de suivre le suspect tant bien que mal histoire de s'assurer qu'il ne ferait pas demi-tour, et elle fonça pour prendre les autres escaliers au bout du quai, qu'elle dévala quatre à quatre. Ça se jouerait à quelques secondes près. Elle courut à perdre haleine espérant encore attendre les portiques menant dans le large hall de La Défense où il pourrait très facilement disparaitre. Le voyant au loin, elle se projeta sur lui, le faisant tomber. Il tenta de se débattre mais elle réussit à le maintenir au sol, lui bloquant les bras derrière le dos et cherchant frénétiquement ses menottes.

« Une formalité boss » se félicita son second qui arrivait enfin pour lui prêter main forte.

« André Grandier, vous êtes en état d'arrestation. Vous êtes accusé du meurtre de la juge d'instruction Stéphanie Delcourt ».