Il y a bien longtemps que l'envie d'écrire à nouveau une fic Gundam Wing me trotte dans la tête. Voilà, c'est chose faite. Cette fic ne sera probablement pas très longue, sûrement pas très originale non plus mais c'est un plaisir pour moi. Comme un retour aux sources.

J'espère que ça plaira à quelques un(e)s.

Au crépuscule de nos jours

I. Déchéance

Je me demande si quelqu'un pourrait comprendre ce sentiment d'abandon qui me tient éveillé.

Quand vient la nuit, j'aime à me dire que demain sera beau, puisque je sais très bien qu'il ne le sera pas. Je me donne au sommeil avec un sourire en me persuadant que la paix n'est pas si loin, que nous sommes dans le vrai, quoi qu'on apprenne aux gamins. Je ferme les yeux et je m'imagine une colonie qui n'explose pas, des terres qui ne sont ni à feu ni à sang, je pense à ce en quoi je tiens et je souris. Je vois Heero, Quatre, Trowa et Wufei, plus que tous les autres, je les vois, eux, m'attendre sur un champ en friche et m'exhorter à les suivre, à vivre. Oui, quand vient la nuit, j'aime à me laisser croire en tous ces espoirs, sûrement si vains. Le sang coule sur mes mains, les morts me hantent, les cris de mes victimes ne quittent pas ma chair et sous mon matelas, il y a toujours au moins trois poignards et deux revolvers. Et pourtant, quand vient la nuit, je m'imagine que je n'aurai plus jamais besoin de m'en servir.

Mais ce soir, tout est différent.

D'ordinaire, j'ai toujours une mission dans la tête qui me tourmente, des plans à revoir, à vérifier, des problèmes de mécanique à résoudre pour mon gundam. J'ai trop de choses à penser pour me laisser dériver plus de quelques brefs instants. Les lois de la physique et de la morale se font la guerre dans mon esprit, je ne devrais pas tuer mais si j'augmentais la puissance de ce réacteur-là peut-être que ma faux serait plus rapide. J'ai l'habitude de me contenter d'une vie entre deux attaques, à dormir dans le cockpit froid de Deathscythe. Cette absence de liberté et d'insouciance, je pense m'y être fait, depuis longtemps. J'ai seize ans et je suis un soldat. Je n'ai jamais connu que ça. Les combats. Le bruit des explosions. L'odeur des corps qui pourrissent. La mort. Je la connais si bien, c'est vrai. Quand vient la nuit, j'ai toujours ces relents de conflit qui me tournent autour. C'est ma normalité.

Mais pas ce soir.

Ce soir, rien ne va plus puisque tout va bien trop bien. Les feux d'artifices résonnent dans mes oreilles et j'enfonce ma tête dans mon oreiller. Ce soir, la ville reste illuminée pour la fête et j'angoisse dans mes draps. Ce soir, il est deux heures du matin mais le temps n'a pas d'importance, je ne trouve pas le sommeil et je n'ai ni espoir d'une paix prochaine ni mission pour m'emporter loin de mes doutes. Ce soir, j'ai peur du bonheur, j'ai peur de cette absence inquiétante de malheur, oui, j'ai peur. Je suis un soldat, un guerrier brillant, et j'ai peur. Parce que ce soir, comment le dire, je n'ose pas le dire, ce soir...

Ce soir, la guerre s'est finie.

La guerre s'est finie. Je n'ai même pas le courage de dire que nous l'avons terminée, comme si elle en avait simplement eu assez et qu'elle s'était retirée de son propre chef. J'ai l'impression de n'avoir été qu'un pantin minable, une ombre fluette et sans consistance, un spectateur anonyme de tous les événements qui nous ont amenés à cette armistice. On aurait presque dit la fin d'une querelle d'amoureux et peut-être était-ce en effet ce que nous étions, des amoureux éperdus se disputant pour un oui pour un non. Il nous aura fallu briser beaucoup de vies comme de la vaisselle sur le sol pour comprendre que nous nous aimions trop pour continuer ces massacres, et la Terre s'est effacée en acceptant sa défaite. Ce pour quoi j'avais fait voeu de vouer mon existence vient d'arriver. La guerre s'est terminée.

Je n'arrive pas à saisir les sentiments qui m'habitent. Je crois que je suis heureux, qui ne le serait pas ? J'ai vengé tous les morts que j'ai croisés sur mon chemin, la guerre n'est plus, je l'ai achevée. Je pourrai le dire à l'avenir, j'étais là. J'étais de ce qui ont tout fait changer. J'étais là, dans cette armure énorme, ce monstre sacré, j'étais dans ce gundam et la guerre s'est terminée. Je crois que je suis heureux, mais alors pourquoi ne puis-je pas sourire, du fond du coeur ?

Ce soir, mon monde s'écroule.

Les étoiles brillent dans l'espace, dans ce noir qui me semblait infini quand j'étais gamin et que j'allais me perdre dans la contemplation énamourée du paysage spatial des bords de la colonie. C'est étrange, aujourd'hui, ce ciel ne m'attire plus, j'ai tant voyagé entre la Terre et les diverses colonies que j'ai la sensation de n'avoir rien à découvrir plus loin. Je laisse le reste au divin, moi qui ai tant voulu devenir un dieu de l'ombre. Les étoiles brillent et pour la première fois depuis longtemps leur éclat agresse mes yeux fatigués. Dehors, Deathscythe prend un bain de lumière et sa carcasse imposante luit avec force, comme pour la dernière fois. Nos efforts ont porté leurs fruits, c'est ce que nous avions souhaité si fort. Et pourtant, je me sens mélancolique à la seule pensée que je ne monterai plus dans ce camarade pour partir combattre.

Le simple fait de me considérer vivant au sortir du conflit me paraît tellement impensable, moi qui étais convaincu que je mourrais avant de voir l'aube se lever sur des hommes pacifistes. Enfant du feu. Mais je suis vivant. Je me souviens de l'instant où le cesser le feu a retenti, les quelques secondes inoubliables qui sont survenues et qui ont semblé durer des années toutes entières. J'ai respiré quelques goulées d'air artificiel que me produisait mon gundam, j'ai entendu Quatre pleurer de joie, Wufei lâcher un juron chinois et Trowa demander avec inquiétude comment allait l'empathique. Heero a soupiré. J'ai lentement étendu mes mains et j'ai bougé mes doigts. Je pensais tomber en poussière. J'étais vivant, mon dieu, je suis vivant et la guerre s'est finie.

La guerre est finie et moi, enfant soldat, qui n'ai jamais su que me battre, pour mon repas, pour mon droit de vivre, pour les colonies, pour mon orgueil, je vais devoir abandonner les armes. Devenir le citoyen paisible que je n'ai jamais été. Me fondre dans la masse. Je vais devoir m'accrocher à la vie de toutes mes forces, je sais que son cours de m'attendra pas et il va me falloir me démener si je ne veux pas couler. La guerre est finie et, seul dans mon lit, je regarde la Terre tourner, ma tête se brise contre les murs que j'ai tant appris à construire de mes mains, pierre après pierre. Crime après crime.

Ce soir, mes idéaux me laissent désoeuvré.

Et je n'ai nulle part où aller.

- Quatre ?
- Oui, Duo ?
- Qu'allons-nous faire maintenant ?
- Qu'y a-t-il, Duo ?
- Qu'allons-nous faire, sans la guerre ?
Il ne me répond rien.
- J'ai peur, tu sais.

Il ne répond rien et je me sens seul. Je sais qu'il a toute une entreprise à reprendre, des hommes à rejoindre. Oui, Quatre a une vie qui l'attend. Mais moi, moi, mon dieu, que vais-je faire ? Que vais-je faire ? J'en suis rendu à trembler de tous mes membres, tout ça pour une espèce d'avenir instable qui reste brumeux. Plus j'y pense, plus je voudrais être encore hier, quand faucher la vie de vingt pilotes d'armures mobiles me semblait encore évident, inévitable et, surtout, normal. Où est la normalité, à présent ? Où est la normalité, puisque j'ai tant d'existences accrochées à mes pores, puisque je suis le plus criminel des terroristes et que, sans nul doute, je suis encore vivant ? Que vais-je faire ?

- Dors, Duo. Dors.

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Aujourd'hui encore, j'ai tué, mon Père.
J'ai ôté cette vie si chère que vous insufflez à ces hommes, mes semblables. J'ai tué.

Il me semble que les jours ont défilé, depuis la dernière fois que je vous ai demandé asile. Il est probable que cela fasse déjà des années. Le temps n'a plus la même importance, Seigneur, puisque je ne suis qu'en sursis d'une mort que je mérite, peut-être plus qu'aucun autre.

Car, aujourd'hui encore, j'ai tué, mon Père. Et je tuerai demain.

J'aime à penser que vous, si abstrait, si seulement vous l'aviez pu, vous auriez enlevé la guerre aux hommes. On m'a si souvent dit que le bien ne pouvait exister que si le mal était bien présent à la genèse de ce monde. Et pourtant, je voudrais croire que les hommes ne sont pas tous destinés à faire le mal pour que le bien puisse apparaître. Je veux penser que je ne suis qu'une poussière de malveillance dans cet océan d'humanité. Et je pense que ma culpabilité est bien trop lourde à présent pour que je n'ose ne serait-ce que vous exposer mes péchés, Seigneur.

Aujourd'hui encore, j'ai tué, Mon Père.
Et je le ferai encore, jusqu'à ma mort.

Êtes-vous là, Seigneur ? tes-vous là quand j'immole, êtes-vous là quand je torture, êtes-vous là pour tous ces cris, toutes ces souffrances ? Prenez-vous ces âmes comme sacrifices, les guidez-vous seulement vers le paradis tant espéré ? tes-vous là quand les fils si fragiles de toutes ces existences se brisent ? Seigneur. Si seulement j'avais pu, j'aurais voulu croire en vous sans aucun doute. Mais je sais que personne ne pourra jamais me pardonner. Même pas vous.

Aujourd'hui encore, j'ai tué, Mon Père.

Et pourtant, il y a encore des choses que je souhaite.
Je veux être heureux, Seigneur. Heureux à en mourir, heureux à en vivre. Est-ce là mon crime ? Je veux être heureux.

- Mon fils, puis-je t'apporter mon aide ?

Les songes sont fourbes, si fourbes. Menteurs et hypocrites. Est-ce donc votre réponse, Seigneur ? Pourquoi m'envoyez-vous ce subalterne, mort depuis tant d'années ? Est-ce une façon pour vous de me faire réaliser mon péché ? J'ai porté cette disparition depuis l'âge de mes sept ans. J'ai porté toutes les larmes, toutes les désillusions. Alors, pourquoi ?

- Avons-nous tous le droit d'aimer, Père Maxwell ?
- C'est le fondement de notre religion, Duo.
- Plus personne ne croit.
- Mais l'amour est la seule force qui doit guider nos pas. L'as-tu donc oublié ?
- Pourquoi l'Homme doit-il passer par tant de souffrances avant de se trouver ?
- Apprécierais-tu de te coucher chaque soir si tu n'avais pas travaillé le jour ?
- ... Vous répondrez décidément toujours à mes questions par d'autres.
- Mon fils, par quelles épreuves es-tu passé pour durcir à un tel point ton regard ?
- ZERO DEUX !

Heero, même dans mes rêves, tu n'es pas capable de ressentir la force tranquille d'une église ? Ton cri résonne dans la maison de Dieu et mon père semble choqué. Heero, tais-toi, écoute le silence respectueux des dalles de marbre sous tes pieds.

- DUO !
- Père Maxwell, pardonnez-le.
- Tu n'as pas besoin de le demander, Duo. Pardon et amour sont les bases de tout édifice.
- Oui, vous me l'aviez appris.
- Le temps viendra où il demandera sa rédemption, tout comme toi.
- MAXWELL !
- Maxwell ?
- Mon Père, j'ai décidé que vous le seriez dans tous les sens du terme.
- Alors va, Duo. Va le rejoindre. Retourne-t'en dans le monde des vivants. Mon fils.

Son visage s'efface. Mon rêve se détache.

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Mes épaules sont secouées sans répit et un visage me fait face, de trop près. Les traits me sont familiers mais j'ai encore l'esprit embrumé par le sommeil. C'est plutôt drôle, j'ai l'impression d'avoir avalé cinq briques au repas de fête d'hier soir, alors que de dégoût je n'ai pu que m'étendre sur mon lit.

- Heero ?
- Enfin, tu te réveilles !

Je jette un coup d'oeil au radio réveil sur la table de nuit, il indique dix heures. Dix heures. C'est la première fois depuis deux ans que je me lève aussi tard. Ce matin, tout est différent. Tout. Tout. La guerre n'est plus. Ma vie non plus.

- Tu cherchais à me réveiller depuis longtemps ?
- Hum.
- Hum... C'est-à-dire ?
- Quinze minutes.
- Hey, Hee-chan, tu t'acharnais ?
Il ne répond rien.
- Je suis content.

Il rougit doucement et même si je sais que cela ne veut rien dire, je ne peux pas m'empêcher de sourire. Cela m'amusait beaucoup, à l'origine, de le dégeler. C'était simplement comme une distraction qui me faisait oublier le reste. Mais depuis que j'ai réussi à lui extraire quelques émotions, le passe temps s'est transformé en véritable plaisir. Je ne suis pas assez naïf pour prendre cela pour de l'amitié. Je sais que je ne dois pas tomber amoureux de lui, cela n'a tout bonnement pas de sens. Pas pour nous. Et pourtant, je ne peux pas m'empêcher de venir toujours le chercher.

Je pousse les couvertures et me lève. J'attrape Heero par le bras et je quitte la pièce pour la cuisine, où doivent nous attendre les trois autres. Aujourd'hui tout est différent, personne n'est parti à droite ou à gauche tuer je ne sais quel général ou faire je ne sais quelle diversion. Aujourd'hui, c'est quelque chose de nouveau qui commence. Quelque chose qu'aucun d'entre nous ne connaît.

La paix.

Hier, j'ai tué, Mon Père. C'est vrai.
Mais d'une façon ou d'une autre, hier devait être le dernier jour.