Accrochée au milieu d'un mur unicolore, cette foutu horloge attirait tous les regards. Le tic-tac régulier des aiguilles semblaient faites pour rendre les gens fous. 11h44. Assis sur un banc, le long du mur face à l'horloge, les pauvres super-vilains attendaient leurs tours en tentant de faire redescendre le stress. Ils allaient affronter un ennemi encore plus féroce que pôle emploi, résister aux attaques, défendre leurs rêves, espérer survivre. 11h45.
Comme pour tous les rendez-vous de sa vie, j'étais arrivée beaucoup trop tôt. J'avais toujours eu peur d'arriver en retard et, couplé avec mon incapacité à déterminer son temps de trajet, je finissais souvent par attendre une bonne demi-heure sans rien faire. Au moins, je n'avais jamais raté de rendez-vous importants dans ma vie. Pour la troisième fois en vingt minutes, je vérifiai ma montre. 11h50. Plus que dix minutes.
Avec les quarante minutes déjà passées assises, ça ferait cinquante minutes d'avances. Même pour moi, ça faisait beaucoup. Faut dire que ce n'était pas une journée banale. Je lancerais bientôt la pièce de son avenir. Pile, des études et un métier bien rangé, des parents heureux. Face, le métier de mes rêves, les études que mes anciens professeurs regardaient de haut, la déception de ses parents. Pile, la joie de mon entourage. Face, la mienne.
« Merde. »
Tiens, j'avais pensé tout haut. Je regardai les autres super-vilains dans la pièce par peur de les avoir dérangés mais, tous étaient perdus dans leurs pensées. Alors que j'allais une nouvelle fois vérifier l'heure sur sa montre, un homme ouvrit la porte et traversa la pièce en hurlant, du café brûlant coulant sur son visage.
Les personnes dans la salle d'attente se regardèrent et ravalèrent leurs salives. Ils allaient mourir.
Une secrétaire zombie passa aussi la porte et grogna au numéro 138 de la suivre. Un homme en costume de cacahuète se leva. Il fit quelques pas vers la secrétaire avant de soudainement s'enfuir en courant, prétextant devoir passer aux toilettes. La secrétaire ne réagit même pas, occupée à suivre le vol d'une mouche de son seul oeil restant. Quand la mouche passa derrière la lampe et disparu de son champ de vision, le reparti par la porte puis revient seulement quelques secondes après. Numéro 139 elle grogna.
« C'est moi ! »
Je m'étais levée d'un bond, à la fois nerveuse et impatiente. L'horloge affichait 11h45. Avec ce rendez-vous en moins, le mien avait cinq minutes d'avances. Heureusement que j'étais arrivée plus tôt me félicitais-je intérieurement. J'attrapai mon CV et suivis la secrétaire. Mon cœur semblait sur le point d'exploser mais j'essayais tant bien que mal de ne pas l'écouter. Surtout, il fallait avoir l'air confiante et sérieuse.
La secrétaire me laissa soudain en m'indiquant le chemin à suivre. Il fallait continuer tout droit, traverser quelques allées de comics collector avant de discerner un bureau. Finissant de nettoyer les traces de café sur son bureau avec une lingette, le fameux DRH de la Flander's Company Hippolyte Kurtzmann ne leva même pas la tête à l'arrivée de son entretien d'embauche. J'hésitais, devais-je m'assoir ou d'abord lui serrer la main ?
« Bonjour.
-Oui, c'est ça bonjour. Assis, nom et pouvoir. »
Le DRH continuait de s'acharner sur la propreté de son bureau comme s'il était seul. J'obéis et pris place.
« Céline Turin, alias Teknicia. Je contrôle les appareils électriques.
-Qu'est-ce que vous entendez par contrôler ? »
Kurtzmann avait enfin levé la tête, l'air intéresser. Je compris que je venais de piquer son intérêt et qu'il fallait en profiter.
« Je peux prendre le contrôle de tout appareil avec de l'électrique par le toucher ou la pensée dans un certain rayon. A ce moment l'objet est sous mon contrôle, je peux le détruire ou même pousser la puissance plus que l'objet est prévu.
-Dans les fait ?
-Je peux contrôler Iron Man, détruire le système informatique d'une entreprise, congeler quelqu'un dans un frigo en quelques secondes.
-Et votre pouvoir ne marche que les nuits de pleines lunes quand les étoiles s'alignent et éclairent un cimetière maya je présume ?
-Bah non, il marche tout le temps à ce que je sache. »
Comme si cette réponse était tout ce qu'il attendait, Hippolyte Kurtmann jeta enfin sa lingette et saisit mon CV. Tout en parcourant le document des yeux, il commença son interrogatoire.
« 18ans c'est jeune. Si vous pensez que je vais me montrer clément du tout votre âge vous fourrez le doigt profondément dans le cul.
-Je n'espérais rien de tout ça. J'ai tenté ma chance car la proposition d'embauche n'avait pas de limites d'âge.
-Je vois que vous étiez dans un lycée pour personnes dotées de pouvoirs.
-Lycée Fulguros monsieur. J'ai suivi une filière S avec option sauvetage des populations.
-Ce n'est pas vraiment une option de vilains ça.
-Tout le monde n'a pas la liberté de choisir son option, surtout à cet âge. Mais c'est une très bonne option pour le combat. Très prestigieuse.
-Malheureusement ça ne va pas le faire. Les justiciers qui tentent de rentrer dans le milieux des vilains je les connais et hors de question que je me rajoute un de ces casses-couilles.
-Je vous assure que c'est pas ça ! C'est.. Comment dire ? J'ai une mère super alors je ne pouvais pas faire autrement ! Mais je vous jure que je veux servir le mal et que je veux le servir bien !
-Votre mère est super ?
-Mademoiselle Eclair ! Vous connaissez ?
-Bien sûr ! Un sacré palmarès dans le milieu. L'une des plus grandes femmes héroïnes de son époque ! La fille d'une grande héroïne de notre côté. Ca pourrait être un sacré atout commerce.
-Vous voulez dire que ?
-Un mois d'essai. Vous serez renvoyée à la première faute.
-Bien sûr, compris, et merci beaucoup ! Je suis vraiment honorée.
-Suivant ! »
J'attrapai mon CV à toute vitesse, comme si l'homme pouvait à tout moment changer d'avie, et quittais la pièce en trottinant. L'information était encore dure à avaler, c'était presque irréel. Je venais de survire au pire DRH du monde. Un large sourire aux lèvres, je finis par quitter le bâtiment. Sur le trottoir, une personne avait laissé tomber une pièce de deux euros. Face.
