Omake Pfadlib
Chapitre 1 - Liberté (Levi)
Bats-toi. Si tu perds tu meurs, si tu gagne tu vis.
La nuit tombe.
Seules quelques étoiles percent dans le ciel obscurci de cette fin de journée morose. Assis à l'écart, je suis le seul à lever les yeux vers le ciel, le seul encore capable de rêver d'un monde meilleur. Si j'avais des ailes, je pourrais m'envoler et atteindre cette foutue liberté pour laquelle je me bat tant.
Au lieu de ça, le froid commence à congeler mon corps pendant que j'attends « patiemment » ces enfoirés de la relève qui ne se sont toujours pas pointés. Tsk. Je jette un rapide coup d'oeil aux autres et mes mains se crispent. Je ne suis pas le seul à en avoir marre, leurs visages expriment tous les premiers effets néfastes de cette attente interminable : le regret. Pas besoin d'être une lumière pour comprendre que chacun se remémore les douloureux souvenirs des derniers affrontements de la veille, et par la même occasion, les visages des combattants qu'ils ont tués. Je souffle lentement, créant un léger voile de buée autour de moi. Moi aussi j'ai tué et ce n'était pas la première fois. Je comprends ce qu'ils ressentent en quelque sorte, une sensation inexplicable mélangeant la peur et le dégoût. Moi, elle me procure de la puissance. Plutôt paradoxal, non ?
Elle me prouve que je suis encore en vie.
Je lève de nouveau mon regard vers le ciel étoilé. Quelle splendeur. Devant ces étincelles qui brûlent chaque parcelles de mon âme, je peux parfois oublier le destin qui m'attend. La mort. Mais j'aurais beau l'admirer, la nuit ne répondra pas à mes questions car demain ses étoiles luiront sur mon tombeaux.
La vie est une pute.
À ses pensées, une boule s'empare de ma gorge. Le ciel est parfois si beau qu'il m'arrive de l'envier. En parlant de ça, je déteste la saleté et pourtant... Mes yeux dérivent sur mon corps et je réprime un haut le cœur : je suis fatigué, mal rasé et débraillé. Je m'observe quelques instants sous toutes les coutures : de la crasse colle ma peau et la faim me tiraillent l'estomac. Un rictus amer apparaît sur mes lèvres pâles. La couleur de mon uniforme a disparu sous une épaisse couche de boue séchée et mes bottes autrefois étincelantes ne sont plus que des morceaux de caoutchouc pourri. Tsk, je suis immonde. Pourtant, une simple douche devient un luxe lorsque l'on côtoie l'enfer tous les jours.
Soudain, me sortant de ma torpeur, je repère un gars du régiment qui s'approche de moi lentement. Ce n'est pas souvent que l'on vient me voir, les autres me craignent et me fuient comme la peste. Ils me surnomment « l'associable » ou encore « l'assassin ». Cela ne m'ébranle pas, je suis habitué. Je préfère la solitude. Le gars semble hésiter, mais finit par se résigner en poussant un long soupire d'agacement. Il s'approche à grande enjambée et se poste devant moi au garde-à-vous.
- Le major Erwin vous demande, Caporal Levi.
Je soupire à mon tour. Qu'est ce qu'Erwin me veut ? Je suis sûr que c'est encore l'un de ses plans foireux. À moins que la relève ne soit enfin arrivée (et ce ne serait pas trop tôt). Je fais un vague signe de tête au soldat qui ce hâte de prendre ses jambes à son cou. Les formalités ne sont pas vraiment ma tasse de thé, je n'ai jamais demandé à être si haut gradé. Pour moi, le respect, ça ce mérite. Je m'appuie sur mon arme pour me lever et rejoindre l'autre imbécile avant qu'il ne fasse un infarctus. Mes jambes entament quelques pas et je quitte avec regret le silence de la nuit. Au bout de quelques mètres, je grimace. Putain. Mes muscles sont endoloris à cause du froid et j'ai maintenant une superbe démarche de vieux croulant. Il ne manquait plus que ça, sérieusement. Je me déplace difficilement vers la tente d'Erwin et fusille du regard tous les morveux osant rire de ma posture. Arriver devant la porte, je ne prends pas la peine de frapper et envoie plutôt mon pied ce fracasser violemment contre celle-ci. Les hommes se trouvant aux alentours me regardent la mine effarée, choquée que je m'introduise ainsi chez un supérieur. Au moins, maintenant ils savent qu'il ne faut pas me faire chier. Je leur décoche un doigt d'honneur magistral avant de m'engouffrer dans la tente.
La pièce est assez grande et vaguement illuminée par quelques lanternes disséminées un peu partout. À l'entrée, deux fauteuils servent à recevoir du monde afin de discuter d'affaire sérieuse. Je m'y installe confortablement et dépose mes bottes crasseuses sur la pauvre table basse. La tente est séparée en deux par un simple rideau blanc, qui vous rappelle étrangement ceux des hôpitaux, derrière lequel se trouve la zone privée du major. Mais la salle est tout de même imposante à cause du bureau et des bibliothèques remplie de dossier - non trié - et de feuilles - éparpillé - Je me masse doucement les tempes, si je reste trop longtemps dans un endroit avec autant de désordre, je vais faire un massacre.
Soudain, Erwin se pointe comme une fleur de l'autre côté du rideau, un grand sourire scotché à la face.
- Eh bien, quelle entrée fracassante Levi. J'aimerais te dire de te mettre à l'aise, mais on dirait que c'est déjà fait, ricane-t-il.
- La ferme Erwin, je suis d'une humeur de chien alors fait moi la version courte, compris ?
- Je suis ton supérieur Levi, tu devrais me montrer plus de respect.
- Rien à foutre, bouge ton cul ou je me casse.
Il soupire. Erwin, cet homme blond à la carrure droite et imposante, je le connais depuis des années et je sais qu'il ne lèvera pas le petit doigt sur moi. C'est quelqu'un de bien mais il ne faut pas trop en abuser ou il peut devenir pire qu'un serpent. Il affiche constamment un sourire « maison de retraite » , comme je l'appelle, et dégage une aura de bonté qui manipule la plupart des gens qu'il croise. Sauf moi. Bien qu'il soit mon ami, je connais la part sombre de son âme aussi bien que la mienne, et franchement, ça pourrait foutre les boules à n'importe qui.
Il s'installe tranquillement sur le siège d'en face en déposant deux tasses de thé chaud devant nous. Je le regarde suspicieusement, surpris de cette attention soudaine, à laquelle il répond par un petit sourire affectueux. Un long frisson me parcourt la colonne, je sens la mauvaise nouvelle pointer le bout de son nez.
- Je me suis dit que cela te détendrait, tu m'as l'air bien agité ces temps-ci.
- Pf. N'importe quoi, marmonnais-je en empoignant ma tasse. Si tu me disais plutôt ce que je fous ici à cette heure ?
Son visage ce ferme et son ton devient sérieux.
- La relève va arriver, je veux que tu prépares les troupes au départ.
Je lâche un léger soupir de soulagement. Je vais enfin pouvoir quitter cet enfer après six longs mois sur le front, c'est pas trop tôt. Je porte ma tasse à mes lèvres.
- Mais...
Ma main s'arrête et redescend lentement jusqu'à ce que je repose le verre sur la table. Je désteste les "mais". Mes sourcils sont froncés et je m'attends au pire, en fixant Erwin avec insistance.
- Tu ne feras pas partit du voyage.
Mes yeux s'écarquillent.
- Pardon ?
- Tu m'as très bien compris. Je ne peux pas te laisser partir, tu es un atout bien trop précieux pour la sauvegarde de l'humanité.
Je baisse les yeux et fixe le sol rageusement. Ma main est toujours posée sur la pauvre tasse qui commence à vibrer sous la puissance avec laquelle je la maintien. Une aura meurtrière s'échappe de mon corps et la colère monte en moi. Sous la pression, le verre se brise.
- Tu m'avais promis...
Ma voix tremble. Inspire. Garde ton calme, s'énerver contre lui ne mènera à rien. Expire. Le sang chaud coule le long de mes doigts, la tasse en charpie. Inspire. Le liquide brûlant réchauffe ma peau glacée. Expire. Je dois me contrôler.
- Tu m'avais promis que je partirais dès que six mois seraient écoulés.
J'ai relevé les yeux pour rencontrer son regard, le mien rempli de haine, le sien de calme. Il ne peut pas, non, il ne doit pas me laisser ici ou je deviendrais fou. J'ai passé six putains de mois à attendre ce jour alors cet abruti ne va pas tout gâcher sous prétexte que c'est pour « la sauvegarde de l'humanité ». Mon cul. Pour tout ce qu'elle m'a fait subir, l'humanité peut bien aller se faire foutre, j'en ai rien à battre.
- Je te l'avais dit, en effet, mais la situation à changée. La bataille s'est enlisée dans une guerre de position où chaque mètre est capital. Ta force au combat pourrait bien sauver des centaines de vies innocentes. Je suis prêt à faire des sacrifices pour la survie du plus grand nombre, même le tien Levi. Tu dois me comprendre.
Je vais exploser. Il faut que je sorte. Vite. Je me lève furieusement de ma chaise et me dirige d'un pas rageur vers la sortie. Erwin ne bouge pas, il avait l'air de s'attendre à ma réaction. De l'air. Il me faut de l'air. Cette fois, il a vraiment dépassé les bornes. Mais alors que je m'apprête à franchir la porte, il m'intercepte de sa voix forte.
- Levi.
Je me retourne et le dévisage avec mépris. Il est parfaitement serein, comme si chacun de mes actes était calculé depuis le début. Il affiche un petit air supérieur qui à le don de me mettre hors de moi.
- Je te donne un mois.
Je hausse un sourcil d'incompréhension. Erwin me fixe avec ses yeux calculateurs et poursuit sa phrase en décochant chaque mot comme s'ils étaient d'une importance capitale.
- Si d'ici un mois, tu ne trouves pas quelque chose pour qui te battre et risquer ta vie sur le champ de bataille, je te laisserais partir.
Sa voix résonne comme un défi à mes oreilles. Il me provoque carrément. Mais son ton et son regard sûr de lui ne me disent rien qui vaille. Il sait quelque chose. Quelque chose qui lui permet d'affirmer que je resterais. Très bien, Erwin, tu veux jouer ? D'accord je suis de la partie. Mais ton argument a intérêt d'être solide, car je ne suis pas près de laisser quelque chose entrer aussi profondément dans ma vie. Jamais je ne prendrais le risque de mourir pour quelqu'un d'autre. Je suis un solitaire. Je n'ai besoin de personne. On verra bien lequel de nous deux connaît mieux l'autre. Le compte à rebours est enclenché, plus qu'un mois à tenir et je me casse de cet enfer.
Lorsque la porte se referma violemment sur le petit homme, un étrange sourire vint prendre place sur les lèvres du plus vieux. Il avait gagné. Levi n'avait jamais su jouer aux échecs.
