Le temps semble arrêté, bien que les aiguilles de ma montre continuent de tourner. Je suis là, debout au milieu de la place, à deux doigts de vaciller. Mon portable, que je tiens près de mon oreille gauche, crachote et laisse entendre une voix grave, qui se veut ferme :
- Au revoir, John.
Les émotions me bouleversent et me soulèvent le cœur. Non, ce n'est pas possible, je dois rêver … Mais non. Les larmes coulant le long de mes joues et le vent frais me rappellent que tout ceci est réel.
Je cligne des yeux, tentant de retrouver une vue plus claire. Je ne le quitte pas des yeux. Il est là, debout lui aussi, dans son long manteau noir, comme à son habitude. Son écharpe bleu marine flotte au vent. Mais c'est ses iris que je ne peux lâcher du regard. Ses yeux bleus ne sont plus déterminés, comme je les ai toujours vus. Non, en ce moment même, ils sont comme les miens. Remplis de larmes.
C'est la première fois que je le vois pleurer. Et sûrement la dernière. A cette pensée, mon esprit s'éveille. Mais je ne peux pas bouger. Et puis, je le sais bien au fond de moi-même, c'est trop tard. Je ne peux plus rien faire.
Déjà, son corps semble trembler et prêt à tomber dans le vide. J'ai envie de lui crier de redescendre de cet immeuble, d'arrêter cette idiotie, mais je sais qu'il ne m'écoutera pas.
Ma main gauche se met à trembler et c'est à ce moment que je me rends compte qu'il a coupé la communication. Je le vois jeter son portable de sa main droite et, tremblant de terreur, je retrouve l'usage de mes cordes vocales.
- Sherloooock !
J'ai crié, non, hurlé même. Les passants se retournent, mais je n'en tiens pas compte. Dans ce mot, ce simple mot, j'y ai mis tout mon amour, ma peine, ma souffrance. Il me regarde, d'un regard d'adieu. Et je me rends soudainement compte qu'il va le faire. Il va sauter.
Il déploie ses bras, tel un oiseau prêt à s'envoler. Et il plonge. Tête en avant. La terreur, l'horreur me clouent sur place. Je regarde la scène se dérouler, impuissant. J'ai l'impression qu'elle dure des heures, alors qu'en deux secondes, il a déjà atteint le sol.
Le choc me fait fermer les yeux. Je ne peux pas y croire, ce n'est pas possible … Une douleur fulgurante me plie en deux. Ce doit être un rêve, ou plutôt un cauchemar. Un horrible cauchemar. Les sirènes des pompiers me ramènent rapidement à la réalité. A la sinistre réalité.
Mon meilleur ami vient de mourir.
