Chapitre 1 : Réalité
J'ouvris lentement les yeux. Le sommeil omniprésent brouillait ma vision, la lumière chaude d'un soleil déjà haut dans le ciel caressait ma peau. Tout était blanc, pur. Tout semblait lisse et aisé. Les draps soyeux, délicieusement parfumés m'enveloppaient dans cocon alanguissant. Je soupirais, ma voix rauque me ramena à la réalité. Ma gorge semblait irritée. La veille, j'avais beaucoup fumé. Trop…ah … Fumer. La sensation brûlante dans ma trachée, la fumée qui caresse mes lèvres, le goût acre sur la langue. Je m'étirais, quelques courbatures apparurent. Je me redressais en poussant les draps, ma tête tournait. Résidu d'héroïne. Des traces de piqûres marbraient mes bras. Ah, douce héroïne, grâce à toi je rêvais éveillée, j'oubliais le passé le temps d'une soirée. J'aimais ces soirées en solitaire au milieu de la foule, où je n'étais qu'une unité parmi des milliers d'autres. La musique forte au point rompre les tympans, l'alcool fruité qui coulait à flot. Mer d'ivresse, la cigarette, ma grande traîtresse, si délicate le soir, si douloureuse le matin. Ma gorge incendiée, mes bras percés, mon estomac malmené. Je me levais, je vidais ma tête. Je devais me préparer à affronter une journée des plus conventionnelles. Un examen d'entrée m'attendait, soit un ennui profond. L'envie de travailler, d'arriver à l'heure bien apprêtée, toutes ces choses banales avaient disparues. Je traînais mon corps douloureux sous la douche. L'eau tiède ruissela, le shampoing moussa dans mes longs cheveux pâles. Je me rinçais, j'enfilais une paire de collants sombres, un short mi-cuisse et t-shirt large. Je tirais mes cheveux en un chignon décontracté. J'évitais de croiser mon reflet dans la glace, je savais que je n'aimerais pas l'image qu'il me renverrait. Je prenais mon sac à la volée et sortais. L'air était frais, je me rendais à pied à l'université, laissant mes souvenirs troubles revenir. J'étais en retard. Cela m'était égal. Un bloc de béton immense me fit face. Voilà ma future prison, monotone et épaisse. Je rentrais tranquillement. Les autres participants allaient sans doutes rire en me voyant. Se moquer, voici un concept bien pitoyable. Je toquai à la porte close de la salle d'examen. Le professeur vint m'ouvrir. Ses petits yeux bovins étaient masqués par de grandes lunettes, son nez aquilin semblait renifler l'air ambiant, sa bouche se tordit et il lança assez fort pour que les élèves l'entendent :
- Arrivée en retard, mais en empestant la cigarette en prime, vous débutez très fort Mademoiselle Hoshino.
- Je pris d'accepter mes plus plates excuses. m'excusais-je en rentrant dans la salle. Elle était vaste, une centaine de candidats dardaient sur moi des regards amusés, je baissais les yeux et serrais plus fermement la hanse de mon sac. Je m'avançais vers une place libre. Le jeune homme d'à côté était installé d'une étrange manière. Il avait replié ses genoux contre lui. Je m'attardais sur son apparence. Il était très mince, ses cheveux noirs d'ébène ne paraissaient guère coiffés, de grands cernes bordaient son regard vide. Je m'asseyais et posais mes affaires sans le quitter du regard. J'avais visiblement trouvé pire que moi.
Il tourna sa tête vers moi avec une lenteur exaspérante et me fixa droit dans les yeux. La couleur de ses iris frôlait celle de l'abîme, et ces-mêmes puits obscurs manquaient cruellement de vie. Je rompis le contact en faisant mine d'être intéressée par un garçon devant moi. Lui, en revanche ne cessa pas de me dévisager. Je n'aimais pas qu'on me remarque. Je voulais être celle que personne ne voie, celle qui passe partout. Je suivais son manège du coin de l'œil, il passa son index sur sa lèvre inférieure, affichant une mine curieuse. J'avais bien envie de lui expliquer ma façon de penser sur son attitude, mais encore une fois, je n'osais pas. Il allait bien finir par arrêter. On distribua les sujets, il reporta son attention sur sa feuille pour mon plus grand soulagement. L'épreuve ne me paraissait pas insurmontable, mais je ne voulais pas réfléchir, je voulais m'évader. Un contact sur mon épaule me sortit de mes pensées. Mon voisin de table la tapotait du bout du doigt. Je l'interrogeais du regard en demandant :
- Quoi ? »
- L'examen vient de commencer. répondit-il d'une voix suave, traînante
- Ah…merci. dis-je en replongeant dans mes songes
Il me tapota à nouveau l'épaule.
- Oui ? fis-je
- Ne devrais-tu pas écrire ? chuchota-t-il
- Si, probablement. acquiesçais-je en soufflant
- Donc tu te fiches d'être acceptée à Todai ? conclut-il
- Non, c'est juste que…Oh et puis j'ai pas à me justifier devant un inconnu. grommelais-je
- Je me nomme Ryuga Hideki. se présenta-t-il
- Tu crois que parce que je connais ton identité je te dois des explications ? Ça ne veut rien dire. Tu devrais t'y mettre. tranchais-je
- Tu devrais t'y mettre aussi. Ton comportement indique que tu n'as aucune envie de le faire, mais au vu de ton caractère, tu le regretteras plus tard. termina-t-il en attrapant son stylo avant de fondre sur la feuille. Je savais qu'il avait gagné cette joute verbale. Et cela m'énervait au plus haut point. Une importante quantité de répliques salées me vinrent à l'esprit. Je prenais le stylo et jouais un peu avec. Mon regard tomba sur la feuille, je commençais le premier exercice. Le reste suivit tranquillement. Les soirées alcoolisées s'étaient totalement évaporées de mon esprit. Le test durait quatre heures, j'avais terminé au bout de trois, mon voisin avait fini bien avant moi. Soit c'était un géni et il aurait une note excellente, soit c'était un incapable qui aurait une note extrêmement basse. J'optais pour mon raisonnement numéro un. Je griffonnais quelques esquisses sur mon brouillon vierge, je jetais un coup d'œil au jeune homme. Il avait posé son menton au sommet de ses genoux, ses yeux perdus dans le vide. Son profil était harmonieux, un nez droit, de jolie lèvres délicatement ourlées, les cheveux emmêlés dont les épis virevoltaient ci et là autour de sa tête et de grands yeux sombres.
Mon stylo noir glissa rapidement sur le papier, ma main dansait en survolant la feuille. Les contours simples apparurent, je soulignais les détails et signais en bas de la page avec un petit sourire satisfait. Comme si ce dessin était une revanche, le fait de le prendre sur le vif, au dépourvu. Je le rangeais précautionneusement dans ma pochette, je ne souhaitais pas qu'il le voit. L'examinateur annonça la fin de l'épreuve. Je me levai, remballais mes affaires, je comptais partir, je fis demi-tour pour saluer Ryuga. Mais celui-ci avait disparu. Je quittais la salle, l'esprit apaisé.
