Chapitre revu et corrigé.
Novembre, dans la banlieue de Chicago, à Jefferson Park :
Klinng, klaaang, klooong, boum !
Ace fronça les sourcils et plissa les yeux, jamais il n'aurait cru entendre de tels sons provenir d'une pauvre guitare :
- Alors, t'as reconnu ?
- Euh … pas vraiment. C'est quelque chose de connu ?
- T'es vraiment trop nul, Ace ! C'était Back in black d'AC/DC !
Ace se gratta l'arrière de la tête avec un sourire forcé. Son petit-frère Luffy était tellement fier de lui montrer ses progrès qu'il n'osa pas lui dire que c'était … juste horrible.
- Allez, c'est ta dernière chance ! Proclama Luffy en se concentrant sur son instrument.
- J'dois y aller, Luffy, la prochaine fois, dit-il en se relevant.
- Hé, où tu vas ?
Ace s'engouffra dans le couloir qui menait à l'entrée de leur petit appartement, Luffy sur ses talons.
- Je vais au centre commercial, répondit-il en enfilant une veste.
- Quoi ! J'peux venir, j'peux venir !
- Non, tu restes ici.
- Pourquoi ? se lamenta-t-il, en faisant la moue. Tu vas toujours au centre commercial sans moi ! J'en conclus que … tu me détestes !
Ace pouffa de rire en laçant ses chaussures, il n'y avait rien de secret dans ses virés au centre commercial. Il lui avait déjà expliqué des dizaines de fois mais Luffy pouvait se montrer extrêmement distrait quand une phrase dépassait la vingtaine de mots. Il se releva et enfonça son chapeau de feutre sur sa tête – la neige tombait sans discontinuer depuis le début du mois.
- C'est juste que j'te connais et j'ai pas envie de te chercher au poste de sécurité.
- La dernière fois, c'était un mal entendu ! Je serais sage cette fois, promis !
- N'insiste pas, tu restes ici, au chaud. Profites-en pour améliorer ton jeu ou sinon tu vas finir par faire pleurer les pierres avec ta musique.
- Ace !
Il claqua la porte, coupant les protestations de son frère. Malgré le froid saisissant, Ace avait les mollets dans le vent avec son pantacourt. Il ne put s'empêcher de mettre un coup de pied dans un tas de neige sur le bord de la route, ce qu'il regretta aussitôt. Bientôt cette neige blanche et légère se transformera en une bouillie noirâtre et informe – comme quoi, même la plus pure des choses finit par être souillée par le temps qui passe. Le centre commercial, plus précisément son Starbucks, constituait un refuge pour Ace qui subissait l'énergie débordante de son frère tous les jours. Là-bas, personne ne lui prêtait attention alors il pouvait se retrouver seul avec lui-même et s'exprimer sur une page vierge. Pas grand-chose dans la vie ne trouvait grâce à ses yeux, le dessin était la seule chose qui réveillait ses entrailles. Plus qu'une passion, c'était un exutoire.
Quand Luffy le rendait fou, il dessinait des formes abstraites qui auraient valu des millions dans une galerie chic de New York.
Quand il voyait les lumières du soleil sur le lac Michigan, il dessinait des paysages à l'aquarelle.
Quand il tombait amoureux, il dessinait des portraits au fusain.
Ace s'installa au fond du café, près des baies vitrées, son café bien chaud dans la main. Il posa son chapeau près de lui et sortit son carnet de feuille à gros grains. Une page parfaitement blanche se tenait devant lui. L'excitation fit trembler ses reins. Sur ces quelques centimètres de liberté, il pouvait écrire, dessiner, peindre, croquer tout ce qu'il voulait sans aucune limite. Il leva son porte-mine d'un geste théâtrale et réfléchit un quart de seconde à son dessin - mais rien ne vint.
Tant pis, il traça quand même son trait. La suite viendra d'elle-même.
Il ne remarqua pas le jour baisser dehors, absorbé par les lignes qu'il traçait pour les gommer l'instant d'après. Il ne remarqua pas non plus tous les regards sur lui alors qu'il balançait une énième frustration artistique derrière son épaule. Rien n'allait, il n'était pas satisfait. Il n'arrivait pas à matérialiser ce que son esprit lui dictait. Il maudit sa main d'être aussi gauche, ses couleurs d'être aussi fades et son esprit d'être aussi rêveur.
Sans prévenir, une main chaude se posa sur l'épaule d'Ace, le faisant sursauter tellement fort qu'il en perdit son crayon. Il tourna brusquement la tête derrière lui, en clignant des yeux pour se réhabituer à la réalité. Devant ses yeux un peu boursouflés se tenait un homme au visage partiellement caché par une paire de lunette de soleil et une casquette rembourrée. Dans sa main, il y avait une des boules de papier qu'Ace avait balancées quelque instant plus tôt :
- C'est toi qui a dessiné ça ? demanda-t-il d'une voix impressionnante.
- Oui, dit-il d'une petite voix.
- C'est plutôt bon, continua-t-il.
- C'est juste un gribouillage sans âme, marmonna Ace.
L'homme haussa un sourcil, visiblement surpris.
- Il m'a touché. C'est quoi ton nom ?
- … Ace.
- Très bien, Ace. Rappelle-moi si tu veux te faire un peu d'argent avec tes dessins.
Ace ne répondit rien, l'homme posa sa carte sur la table et mit un de ses dessins dans la poche intérieur de sa veste avant de partir sans un mot de plus. Ace ne le quitta pas du regard jusqu'à que sa silhouette disparut du Strarbucks. Finalement il posa ses yeux hébétés sur la petite carte de visite :
The Supernovas
111-222-333
Il s'étouffa avec son café noisette et en reversa sur ses premières esquisses.
- Putain !
Ace rassembla maladroitement ses crayons et les fourra dans son sac pour sortir en trombe du café. Luffy n'allait pas en revenir. Il courra sur tout le chemin du retour et entra essoufflé dans son appartement. La chaleur qui y régnait lui brûla le bout de ses doigts gelés. Il balança ses chaussures dans l'entrée et posa son sac sur le premier fauteuil qu'il croisa.
- Luffy ?
Pas de réponse. Il passa par la cuisine pour voir s'il n'avait pas le bouche trop pleine pour lui répondre, mais pas de trace du brun. Il avança vers le fond de l'appartement tout en inspectant la salle de bain et le sellier puis ouvra la porte de leur chambre. Son petit frère était là, en train de sauter partout et de hurler des paroles en yaourt. Ace soupira :
- Luffy !
Le brun avait les yeux fermés, une façon de mieux sentir le rythme selon lui. Son corps se désarticulait dans tous les sens. Ace monta sur le lit pour lui retirer le casque des oreilles:
- JE SUIS RENTRE !
- Ace …, pleurnicha-t-il, j'suis pas sourd !
- Ça fait cinq minutes que je t'appelle, crétin !
- T'as fini ton escapade secrète au centre commercial, railla-t-il toujours un peu vexé.
- Je t'ai dit milles fois que j'y vais pour dessiner, t'es lourd à la fin.
- Et pourquoi tu ne dessines pas ici, hein ?
- Parce que t'es infernal !
Luffy lui tira la langue et s'assit à côté de son frère. Il sortit la petite carte de son veston :
- Dis, c'est quoi le nom de ce groupe que tu aimes tant ?
- The Supernovas ! cria-t-il en se mettant à chanter sa chanson préféré.
Il avait vu juste. Luffy l'avait bassiné pendant des jours pour aller voir ce groupe qui se produisait en ville, le mois dernier. Peu refroidi par son refus, son infernal de frère l'avait ensuite tanné pour avoir une guitare. Selon lui les guitaristes sont cool car ils mangent toujours gratuitement au restaurant. Devant cet argument de taille et trois jours de négociation, Ace avait cédé.
- Regarde ça, dit-il en lui tendant la carte.
Un silence inhabituel s'installa dans la chambre. A côté de lui, Luffy s'était figé d'un bloc, même sa respiration semblait suspendue.
- Oï Luffy, ça va ?
Il voyait ses mains trembler et des petites gouttes de sueurs perler sur son front. Sa lèvre inférieure frémissait comme s'il voulait dire quelque chose mais que l'émotion bloquait ses paroles.
- Luffy ?
- T'AS LE NUMÉRO DE THE SUPERNOVAS ! J'TE DÉTESTE, TU LES CONNAIS MÊME PAS !
- Hé, calme-toi ! Un type m'a donné ça au café !
- Toutes tes sorties secrètes, c'était pour aller voir MON groupe préféré. Tu es méchant !
- Je te dis qu'on vient de me la donner ! s'indigna Ace devant la réaction disproportionnée de son petit frère.
- Comment il était ? Il ressemblait à quoi ? Qu'est-ce qu'il t'a dit ? Est-ce qu'il était cool ? T'as demandé un autographe ? Est-ce les autres membres du groupe était là ?
- Il a dit que mes dessins l'intéressait et que je devais l'appeler pour travailler avec lui. Il portait un genre de chapka blanche et avait des lunettes de soleil. Il était plutôt grand avec la peau matte.
- Aaaaaace ! C'est pas juste ! C'est toujours à toi que ça arrive, ce genre de truc ! Il faut que tu appelles !
- Sûrement pas.
- Pourquoi ?
- Parce que. Si ça se trouve, ce sont des imposteurs, il avait vraiment une sale tête.
- Mais non, c'est le leader du groupe que tu viens de décrire. Allez s'il te plait, appelles ! J'veux des places VIP pour leur concert. Avant, tu étais bien plus cool.
Depuis quelques années, Ace endossait complètement l'éducation de son petit frère. Ce dernier lui faisait souvent la remarque qu'il était plus drôle avant qu'ils n'habitent que tous les deux. Pendant qu'il divaguait, Luffy avait quitté la pièce avec la carte de visite en main. Son seul but, téléphoner à son groupe préféré. Il partit en trombe de la chambre et arriva dans le salon où Luffy était déjà pendu au téléphone :
- Allô, The Supernovas ? J'suis votre plus grand fa –
Ace lui arracha le combiné des mains et raccrocha sans se soucier s'il y avait quelqu'un au bout du fil.
- Mais Ace !
- J'ai dit que je n'appellerai pas !
- T'es vraiment un rabat-joie ! Bouda Luffy.
Il ébouriffa ses cheveux en souriant, sachant que le jeune homme n'apprécierait pas ce geste qui l'infantilisait. Mais Ace ne pouvait pas résister à l'envie de le taquiner son frère alors qu'il gonflait les joues.
- Allez viens on va manger, déclara-t-il. Ce soir, c'est toi qui choisi !
- Vrai ?
- Affirmatif.
- DE LA VIANDE ! Du poulet avec du porc farci au bœuf ! s'écria-t-il en courant vers la cuisine.
Comme à l'accoutumer, le dîner se déroula dans une ambiance animée. Ace devait se battre contre les attaques incessantes de son petit frère qui lorgnait constamment sur le contenu de son assiette. Après le repas, Luffy tomba de fatigue sur le divan, visiblement exténué par l'ascenseur émotionnel qu'il venait de vivre. Ace le réveilla pour qu'il aille dormir de son lit. Sur le pas de la porte, le plus jeune se retourna vers son aîné :
- Tu vas appeler hein ? marmonna-t-il en le fixant de ses yeux brumeux.
- Oui, si tu y tiens, soupira Ace pour le faire taire.
- Promet.
- Promis.
Le matin suivant, Luffy se préparait son habituel petit-déjeuner royal. Il remplit un énorme bol de céréales sans se soucier de ce qu'il faisait tomber à côté. Puis découpa des tartines qu'il grilla. Il étala le Nutella sur le pain encore brulant pour qu'il fonde bien. Il recouvra ses céréales avec du lait chaud et se servit un verre de jus d'orange. Satisfait, il mit le tout sur un plateau et se dirigea joyeusement vers le salon en laissant derrière lui un incroyable champ de bataille. Il se laissa tomber dans le canapé et alluma la télé. Dans la chambre, Ace gigota, perturbé par les bruits qui provenaient du salon. Il se retourna sur le dos et maudit un instant Luffy – c'était le week-end merde ! Il traîna sa carcasse jusqu'à la cuisine et ne remarqua pas le bordel, l'esprit embrumé, il but une gorgé de jus d'orange puis rejoint son frère sur le canapé.
- Chalut Ache !
Il regarda son petit frère lui sourire avec une immense moustache de Nutella et des céréales collés sur son t-shirt.
- Tu pourrais faire moins de bruit, Lu', grommela-t-il.
- T'en veux ? demanda-t-il en lui tendant un toast de Nutella.
Ace jaugea la tartine un instant et l'accepta finalement. Il croqua mollement dedans et perdit son regard vers la télé. Il entendait des voix mais son cerveau encore au repos n'arrivait pas à les déchiffrer.
- Tu regardes quoi ? marmonna-t-il
- C'est Batman, le plus cool de tous les super-héros ! Sa voiture est trop cool, tu m'en achèteras une comme ça, quand j'aurais mon permis ? Hein, Ace ?
Luffy tourna la tête et vit son grand frère terminer sa nuit à côté de lui. Il s'endormait souvent n'importe où depuis quelques années, à croire que Luffy avait vraiment trop d'énergie à canaliser. Ace était obligé de dormir par petite touche pour survivre à l'ouragan Luffy. Le plus jeune posa un coussin sur Ace pour qu'il n'est pas trop froid et se replongea dans son dessin-animé, suivant avec passion les aventure de Batman et Robin. Finalement, Ace se réveilla un peu avant midi. Il se frotta les yeux et balaya la pièce des yeux, Luffy n'était plus là. Il se leva et entra dans la salle de bain pour enfiler rapidement un bermuda et une chemise qu'il ne prit pas la peine de fermer. Malgré l'hiver rigoureux, Ace était atteint d'un mal mystérieux, il n'avait jamais froid. C'était lui le malade qui venait en t-shirt au lycée les jours de neige. Il entra dans la cuisine, poussé par son estomac vide. Il ouvra le frigo et soupira en le voyant à moitié vide. Luffy sortit de la chambre pour rejoindre son frère, lui aussi guidé par la faim.
- On mange quoi ? demanda-t-il en s'asseyant sur la table.
- Y'a plus rien dans le frigo – il se retourna vers Luffy - descend de là, tu veux ! Je crois qu'on n'a pas le choix, on va aller chercher un …
- OUUAAAAAAAAAAAAAAAAIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIS !
Luffy enfila son manteau et son bonnet en moins de temps qu'il faut pour dire "Mc Donald". Il passa ses chaussures en sautillant sur un pied alors qu'Ace rassembla ses affaires avec un soupire excédé :
- Allez, allez dépêche-toi ! S'impatienta-t-il.
- Oui, oui, c'est bon … grommela Ace en prenant son porte-feuille.
- Dis, j'ai le droit de prendre ce que je veux ?
- Dans la limite du raisonnable, oui, fit Ace en enfonçant son chapeau sur sa tête. Allez c'est parti !
Les yeux de Luffy s'illuminèrent quand ils arrivèrent devant le fast-food. Ace avait limité leur visite à une fois par mois de peur de voir son frère devenir obèse. Luffy courra vers les caisses et regarda avec envie les photos de tous les burgers exposés. Derrière lui, Ace était moins enthousiasme :
- Regarde, un nouveau ! Tu as vu le steak, il a l'air énorme !
- Ce sont juste des photos, Lu'. En réalité, il ne fait même pas un centimètre d'épaisseur.
- Bonjour, qu'est-ce que se sera ? demanda la serveuse.
- Alors, j'veux deux Big Mac et ce nouveau hamburger au poulet et cet autre avec l'énorme steak et puis un grand Ice Tea et deux grandes frites. Et en dessert, un Mc Flurry KitKat et caramel !
- Ce sera tout ?
- Non, rajoutez une boite des nuggets et des potatoes. Sur place. T'aurais pu un peu te retenir, grinça Ace à l'attention de Luffy pendant que la serveuse s'affairait pour préparer leur gigantesque commande.
-Désolé, c'est l'émotion, fit-il avec un sourire solaire.
Ace pesta. Comment au juste pouvait-il résister à ça ? Ils s'installèrent à une table au fond du restaurant. Luffy ne fit qu'une bouché des quatre sandwiches qu'il avait commandé. Ses frites et sa boisson disparurent tout aussi rapidement. De son côté, Ace picorait distraitement ses nuggets déjà froids et mous. C'est dans ces moments que ses responsabilités étaient les plus écrasantes. Quand il fut majeur, il décida de quitter leur famille d'accueil et d'embarquer son petit frère avec lui. Les deux n'avaient aucun liens de sang, juste une lourde histoire commune faite d'adoptions en cascade et de foyer sales. Il pensait pouvoir lui offrir une vie meilleure alors qu'il n'est même pas capable de lui offrir un repas équilibré. Dans quelques mois, il aura vingt-et-un ans et terminera le lycée, après cela il pourra enfin prendre un boulot sérieux pour s'occuper de son petit frère. Lui offrir la chance qu'il n'a pas eu.
- Dis, t'as téléphoné ? demanda subitement Luffy.
- Pas encore, marmonna-t-il, pensant qu'il avait oublié.
- C'était une promesse, Ace !
- J'ai pas encore eu le temps, c'est tout, murmura Ace.
- Tu travailles ce soir ?
- Oui, je risque de rentrer tard.
- J'peux aller chez Usopp ? Il m'a invité pour jouer à la console, sa mère lui a acheté un nouveau jeu.
- Il habite où de nouveau Usopp ? demanda-t-il toujours inquiet de voir son frère hors de l'appartement
- A côté de l'église, à deux blocs de chez nous.
- D'accord. J'viendrais te chercher demain matin.
- Super ! Je lui téléphone dès qu'on rentre !
Luffy et Ace rentrèrent chez eux en mangeant leur glace sur la route. La neige était encore tenace, rendant la circulation difficile même dans leur quartier peu fréquenté. Avant de remonter l'escalier de leur immeuble, Ace prit le courrier qui s'entassait dans la boite à lettre. Il ouvrait toujours au dernier moment, avec le temps, il avait appris à détester le facteur et les factures qu'il leur distribuait. Dans le salon, Ace épluchait les impayés du mois tandis que Luffy se bidonnait devant la télé. Il fronça les sourcils en regardant la facture d'eau, vraiment haute ce mois-ci, il jeta un regard inquisiteur à Luffy qui se ballonnait devant un bêtisier.
- Luffy ?
Ce ton, le plus jeune le connaissait par coeur. Son sourire disparut et il tourna gravement la tête vers Ace.
- La facture d'eau est deux fois plus chère que le mois dernier.
- Euh, dit-il en ravalant bruyamment sa salive.
- Tu as une explication à me donner ?
- Eh ben …
- Parle ! Gronda-t-il en se rapprochant dangereusement de lui, un regard de mort.
Les deux frères se disputaient souvent. Si leur bagarre tenait plus du jeu que du véritable affrontement, Luffy n'avait jamais réussi à renverser son frère. Alors il savait à quoi s'en tenir quand il haussait le ton.
- Bah, la dernière fois j'ai invité Usopp et Sanji quand t'étais au travail. On a voulu faire une patinoire sur le parking, alors on a jeté plein d'eau par-dessus la fenêtre pour voir si elle gèlerait. Et ça a marché ! La vieille Kokoro est tombée et on l'a filmée pour la mettre sur internet !
Ace leva sa main et mis toute sa volonté pour éviter de lui mettre un gifle mémorable. La dernière fois, il s'était sentit si coupable qu'il en avait pas dormit de la nuit.
- Sérieux, Luffy, tu mérites vraiment que je te prive de nourriture pendant une semaine !
- Mais si tu fais ça, j'vais mourir, s'étrangla-t-il
- Qu'est-ce qu'il te passe par la tête, nom de Dieu, marmonna-t-il.
- C'était drôle.
- J'en ai rien à battre, Lu' ! J't'ai dit des millions de fois qu'on était pas riche et toi tu gaspilles l'eau pour faire tomber les vieux de l'immeuble !
- T'aurais dû la voir, elle est d'abord tombée sur les fesses et après elle a voulu se relever mais elle s'est viandée sur le ventre ! Rigola-t-il.
Ace soupira et laissa sa colère retomber et continua de lire le courrier pendant que Luffy retourna à son émission. Luffy lâcha quand même un petit « désolé » qui arracha un sourire de satisfaction à son grand-frère. A la nuit tombée, Ace sortit de la salle de bain, les cheveux peignés en arrière, vêtu d'un impeccable costume trois-pièces noir et blanc. Luffy ne put s'empêcher de pouffer en voyant son frère vêtu comme un pingouin. Ace ne releva pas et enfila ses chaussures cirées.
- T'as préparé tes affaires, Lu' ?
- Ouais, ouais j'arrive !
Ace prit les clés de la vieille voiture que leur dernière famille d'accueil lui avait donnée et attendit Luffy qui se faisait désirer.
- Je vais être en retard !
- J'arrive !
Luffy déboula dans l'entrée portant tout un barda. Ace s'abstint de toutes réflexions pour ne pas avoir mal à la tête avant sa soirée de travail qui promettait d'être longue. Il déposa Luffy chez son ami Usopp et roula jusqu'au restaurant dans lequel il était serveur depuis le début du lycée. Celui-ci appartenait au père de Sanji, un copain de Luffy, qui avait accepté de le prendre en extra certains soirs et le week-end. Il entra dans le restaurant dont la décoration était inspirée des grandes tables européennes. Le menu attirait surtout les notables de Chicago et les touristes fortunés. Il était situé sur un abord calme du lac Michigan et offrait une vue sur Chicago assez inédite. Dans la cuisine, tout le personnel était réuni pour écouter les instructions de Zeff, le patron :
- Ce soir, on a une réservation exceptionnelle. Un groupe très célèbre à réservé une table. Portgas, c'est toi qui va t'occuper d'eux, alors donne le meilleur de toi-même.
Le service commença tranquillement, Ace servit plusieurs cocktail à des jeunes femmes qui débutaient leur soirée ainsi qu'à deux hommes d'affaires qui étaient en négociation. Il attendait plus que tout cette fameuse réservation, les clients fortunés laissaient toujours un bon pourboire. Vers vingt-et-une heures, un groupe de trois personnes entra dans la salle, le réceptionniste fit un signe vers Ace. C'était eux, enfin. Le jeune homme les détailla chacun leur tour, le premier avait une tête de serial-killer avec des cheveux rouges, hérissés et un étrange maquillage. Le deuxième était plus petit et semblait plus jeune mais il semblait tout aussi agressif malgré ses cheveux verts qui le rendaient un peu ridicule. Le troisième semblait plus calme et détendu mais pas forcément plus amical. Son air lui disait vaguement quelque chose. Ace se recoiffa mais une mèche rebelle ne voulait pas tenir en place et pendait contre sa joue. Il pesta et finalement décida d'y aller, avec un peu d'appréhension, ils ne semblaient pas vraiment commodes. Ils s'étaient attablé autour d'une table à l'écart des autres et discutaient vivement du menu du soir et des apéritifs qui prendront :
- Bonsoir, messieurs. Vous prendrez sûrement un apéritif ? fit-il d'une voix qui se voulait pleine d'assurance.
- Ton whisky le plus fort et le plus cher, gamin, fit celui aux cheveux rouges.
- Pour moi du rhum, continua le vert.
Le dernier n'avait rien dit, toujours plongé dans la lecture de la carte.
- Et pour vous monsieur ? demanda Ace à son égard.
Il leva un regard amusé vers Ace et lui offrit un sourire charmeur. Ace se sentit rougir et trouva rapidement un grand intérêt pour son carnet de commande et son écriture de cochon. Le brun à la peau tannée par le soleil posa avec flegme sa carte avant de parler d'une voix chaude et douce comme les siroccos :
- Un picon-bière.
- T-très bien, balbutia Ace, troublé.
Il récupéra toutes les cartes et détala derrière le bar comme un lapin. Pourtant même là-bas, il sentait les yeux brûlants de l'homme le scruter. Ace soupira en préparant les boissons, il n'avait jamais vu une paire d'yeux pareils, ils étaient d'un gris métallique froids et piquants. Une fois les boissons prêtes, il se concentra pour ne pas renverser son plateau et déposa les boissons commandées sans se tromper. Le brun murmura un merci qui le fit frissonner.
- Avez-vous choisi une entrée ?
- Ouais, moi j'vais prendre le foie gras, fit le vert.
- Pareil, continua le rouge.
Comme avant, le dernier le fit languir en lui lançant des regards pénétrant. Son sourire n'avait pas quitté son visage et Ace remarqua ses tatouages sur ses mains et ses avant-bras. Il n'en avait jamais vu autant et il déglutit en voyant le mot DEATH encré sur ses doigts. Quel genre de taré était-il ?
- Il y a quoi exactement dans la salade Piémontaise ? demanda-t-il de sa voix sensuelle.
Ace fronça les sourcils, c'est officiel, il le cherchait, la composition des plats était inscrit sous l'intitulé.
- Des pommes terres, des tomates fraîches du potager personnel du chef et du jambon cuit à l'étouffé. Elle est servie avec une mayonnaise maison faite à partir des oeufs de poules biologiques.
- J'vais prendre le foie-gras, conclut-il en lui tendant la carte. Merci.
Ses deux compères échangèrent un sourire entendu. Quand il fut parti, celui aux cheveux rouges bu l'intégralité de son whisky avant de s'adresser à son vis-à-vis :
- Oï Law, va pas traumatiser notre serveur, on a pas encore mangé ! Railla-t-il.
Il ne répondit rien. Il se contenta de faire tourner son picon-bière dans son verre avant de le boire cul-sec. La soirée promettait d'être intéressante car visiblement, le serveur ne l'avait toujours pas reconnu. Il allait pouvoir jouer un peu. Dans la cuisine, Ace déboutonna un peu son veston et secoua sa chemise humide de transpiration. Ici, le regard de l'autre ne lui vrillait pas le dos. Il accrocha les commandes à côté de celles des autres clients et souffla quelques instants.
- Ça va pas gamin ? demanda Zeff en le voyant perdu dans ses pensées.
- Vous savez qui c'est, les clients de la table onze ?
- Ace, des fois je me demande quel âge tu as ! Rigola-t-il. C'est le groupe de rock, The Supernovas ! Même moi je le connais !
Voilà d'où venais cette sensation de déjà-vu ! L'homme à la peau matte lui disait quelque chose. C'est lui qu'il avait rencontré au Starbucks, Luffy allait le tuer s'il lui dit que ça fait deux fois qu'il les voit en deux jours. Il pensa subitement au coup de téléphone ou plutôt à l'absence de coup de téléphone et se sentit soudainement mort de honte. Il aurait dû le faire, même si la réponse était négative, question de politesse. Le voilà encore plus stressé. Rien que penser à la suite de son service, ses jambes faisaient des claquettes.
- Ace ! Réveille-toi ! Le foie gras est prêt ! cria-t-il pour le faire sortir de ses pensées.
Ace prit les assiettes et passa la porte de la cuisine en déglutissant. A l'instant où il retourna dans la salle, il sentit son regard sur lui tel l'oeil de Sauron sur la Terre du Milieu. Il déposa les assiettes en tremblant et leur souhaitèrent bon appétit. Tous le service se déroula de la même manière. Chaque pas qu'il faisait attirait toute les attentions d'une paire d'yeux de métal liquide aussi froid que torride. Tandis qu'ils dégustaient un assortiment des meilleurs eau de vie française, Zeff lui octroya une pause bien méritée. Il sortit devant le restaurant pour calmer ses ardeurs. Il apprécia le vent glacial sur sa peau brûlante, il joua un peu avec la neige qui était à ses pieds, jusqu'à que des phares d'une voiture l'éblouie. Cette voiture, il la connaissait par coeur. Les phares s'éteignirent et la porte conducteur s'ouvrit. Voilà que des vieilles peurs remontèrent dans ses entrailles, acides et piquantes. Il était déjà exténué et n'avait sûrement pas la force d'affronter celui qui avançait inexorablement vers lui. Sa silhouette aussi, il la connaissait dans les moindres détails. Cette carrure imposante, ses bras réconfortants, sa voix enjôleuse et le moindre centimètre carré de sa peau qui firent autrefois son bonheur. Mais aujourd'hui, tout cela était synonyme de cauchemar. Il ne voulait pas à l'affronter, pas ce soir. Les traits de son visage se précisèrent, son air flegmatique qui lui donnait une certaine sagesse, ses yeux bleus et ses cheveux blonds. Ace paniqua, son cœur lui faisait déjà mal. Il sentit sa gorge se serrer et ses yeux s'humidifier.
Trop tard. La confrontation était inévitable.
- Bonsoir, Ace.
- Marco.
Sa voix n'était qu'un murmure, il ne voulait pas prononcer son nom à haute voix. C'était comme invoquer un démon.
- Tu as cinq minutes ? J'aimerais qu'on discute tous les deux.
- De quoi exactement, rétorqua-t-il en essayant de se donner de l'assurance.
Il avait terriblement mal mais il ne voulait pas le monter à Marco. Il voulait être fort devant lui, un roc. Il sentit une fissure remonter dans son dos alors que Marco faisait un pas vers lui. Acculé par le mur du restaurant, Ace était pris au piège. Marco s'approcha encore de lui, profitant de sa faiblesse. Il ne voulait plus qu'il le touche avec ses mains dégueulasses, il ne voulait plus entendre sa voix lui chuchoter des mensonges. Marco plaça ses mains de part et d'autre de son visage et lui sourit, Ace détourna les yeux, dégoutté.
- Dégage, Marco ! cria-t-il.
- Voyons, ne dis pas de bêtises. J'ai juste envie de t'embrasser, tout comme toi.
Marco écrasa ses lèvres sur celles d'Ace qui se débattait comme un beau diable. Il le rua du coup, bougea la tête dans tous les sens, mais Marco était un colosse. Il ne voulait plus sentir ce baiser néfaste sur ses lèvres. Son cœur hurlait de douleur alors qu'il tenta d'approfondir son contact. Marco fronça les sourcils et lui serra son poignet si fort qu'Ace ne put retenir un cri de douleur. Le blond en profita pour introduire sa langue dans la bouche d'Ace qui se débattait plus que jamais. Il essaya de le repousser de tout son corps alors qu'une de ses mains jouait vicieusement avec sa mèche rebelle. Ace lui donna un coup de pied mais il l'ignora.
- Un problème ? fit une voix forte
Marco s'écarta d'un Ace complètement choqué et toisa l'intrus durement qui ne se laissa absolument pas impressionner.
- Pas du tout. On discutait c'est tout.
- Me prends pas pour un con.
Il jeta un coup d'œil à Ace qui essuyait le reste de larmes sur ses jours, le corps encore transit de peur. Ses mains tremblaient comme ce n'est pas permis.
- Dégage.
- Et en quel honneur ? Ricana Marco.
- En l'honneur que, si dans dix secondes j'te vois encore, ta mère ne te reconnaîtra pas à la morgue, continua-t-il, d'un calme glacial.
Marco fourra ses mains dans ses poches et se recula sans dire un mot de plus. Mais Ace voyait bien qu'il n'en restera pas là. Il regagna sa voiture et repartit aussi vite qu'il était venu. Ace sentit ses jambes se dérober sous l'émotion et s'écroula sur le sol, se foutant de la neige qui lui glaçait les jambes. Trafalgar Law termina sa cigarette sans un mot et balança son mégot dans la neige immaculé :
- Pourquoi t'as pas appelé ? demanda-t-il.
Ace se releva en prenant appuie sur le mur mais ses jambes étaient encore frêles et chancelantes. Il lui tendit alors une main et Ace hésita, puis finalement la prit. Elle était chaude mais incroyablement rugueuse. Il la lâcha dès qu'il fut debout, un peu gêné.
- J-j'allais le faire mais …
- C'était qui ce type ?
Ace ne comprenait plus rien à la conversation, il passait du coq à l'âne en moins d'une minute. Il l'observa, il était grand et mince, sa nonchalance le rendait incroyablement charismatique et son costume noir lui donnait une classe folle, même si ses basket abîmée dénotaient. Il se jura de demander à Luffy de lui faire écouter leur musique. Il semblait attendre une réponse à sa question et Ace n'avait rien dit depuis un bout de temps, encore choqué.
- Mon ex.
- Ace ! Qu'est-ce que tu fous ! Retourne bosser ! Tes clients t'attendent ! gueula Zeff par la fenêtre.
Il fit un petit signe à son patron pour qu'il retourne à ses fourneaux. Son intervention fit redescendre la tension et permit à Ace de respirer. Il avait l'impression d'être passé dans une machine à laver tournant à plein régime. Alors que son sauveur se détourna pour rejoindre ses amis, Ace se décida enfin à le remercier :
- Merci, euh …
- Trafalgar Law.
Alors qu'il était sur le point de passer la porte du restaurant, une sorte d'urgence s'empara d'Ace. C'était maintenant ou jamais lui cria son coeur. Il courut pour annuler la maigre distance qui les séparait et s'écria d'une voix tremblante, par encore conscient des conséquences de sa décision :
- Attendez ! J'accepte !
Comme dans un film, il se retourna alors qu'il avait une main sur la poignée de la porte et lui balança alors un sourire à faire pâlir le soleil. Un soleil si franc et chaleureux qu'Ace en oublia instantanément tout ce qu'il venait de se passer. Sa fatigue et sa peur disparurent à cet instant même. Law rentra dans le restaurant sans dire un mot alors qu'Ace resta figé à l'extérieur. Le froid de la nuit finit par le faire trembler et il entra à nouveau dans le restaurant pour terminer son service. Il apporta l'addition à la table numéro onze. Law sortit une grosse liasse de billets de la poche intérieur de son veston et les compta soigneusement jusqu'à que le prix y soit. Puis il se tourna vers Ace et tendit un billet plié qu'il accepta. Les autres se levèrent et sortir du restaurant.
- On se revoit bientôt, alors … lança timidement Ace.
- N'oublie pas d'appeler.
Il rejoignit ses amis sans rien ajouter de plus. Ace regarda alors le montant du billet qu'il lui avait donné et faillit faire une syncope. Deux cents dollars ! C'était autant qu'une semaine de travail.
A l'extérieur, la neige s'était mise à tomber un fin flocon. Les trois compères montèrent dans une berline hors de prix après que Law eut terminé sa cigarette. Il s'installa côté passager alors que Kidd prit le volant, comme toujours :
- On a bien vu comment t'as pas arrêter d'allumer le p'tit serveur !
- La ferme Kidd, j'fais ce que j'veux.
- Au fait, tu as trouvé un graphiste oui ou merde ?
- Oui, c'était lui.
- Quoi ! L'serveur ? Le hasard fait bien les choses quand même.
- Y'a jamais de hasard, Kidd.
- Bon ! Tu démarres, j'aimerais bien rentrer me pieuter moi, grogna Zoro qui était assis derrière.
- Par moment, tu m'fous vraiment les boules, Law, marmonna Kidd en accélérant comme un forcené
Ils quittèrent le parking du restaurant dans un crissement de pneu. A l'intérieur Ace soupira, complètement exténué, la caisse était vérifiée et la plonge faîte, il pouvait enfin rentrer chez lui. Il jeta un coup d'œil à sa montre 01H10, Luffy devait déjà dormir. Il salua l'équipe du restaurant et monta dans sa vieille voiture givrée, il ouvrit la boite à gant et pris un des CD de Luffy pour gratter le pare-brise. S'il le voyait faire ça, il hurlerait au crime. Une fois la visibilité rétablie, il démarra et roula prudemment jusqu'à chez lui. Il gravit les escaliers jusqu'au deuxième étage avec une lenteur exagéré puis s'engouffra dans son appartement silencieux. Il se déchaussa et vit le voyant rouge du répondeur clignoter il appuya dessus :
« Yo Ace, c'est Lu'. J'm'éclate trop chez Usopp, c'était juste pour te dire que demain tu viens m'chercher vers 10 H, ça marche ? »
Il sourit et se dirigea vers la chambre pour s'effondrer dans les draps. Il fixa le plafond en étirant ses jambes lourdes. Il venait d'accepter un contrat, ou quelque chose de similaire, qui lui permettait de dessiner et de gagner de l'argent. Un sourire étira ses lèvres à cette pensée. Dessiner pour gagner sa vie, même en rêve, il n'y avait jamais songé. Une pointe de stress s'empara de lui. Personne n'avait jamais émis d'avis sur son travail, à part Luffy, mais ça ne comptait pas vraiment. Il ferma les yeux laissant le sommeil l'envahir, il plia les jambes et les serra contre sa poitrine. Il n'aimait pas ce moment entre l'éveil et le sommeil parce que ses pires souvenirs refaisaient surface. Mais pour une fois, il ne pensa pas à Marco.
