Chapitre I
Les éclairs déchiraient le ciel sombre, éclairant la Forêt d'une lumière pâle. Les coups de tonnerre étaient violents. Le vent malmenait les branches des arbres. Une pluie glaciale tombait sur l'Eryn Lasgalen, le Bois-des-Vertes-Feuilles.
Bien qu'il connût la Forêt, un cavalier essayait d'apercevoir le sentier caché sous la boue. Même sa fière stature recouverte d'une cape, ce mystérieux cavalier avait froid. Pourtant, il ne semblait pas en faire grand cas. Quant à sa monture, elle était glacée et trempée, et galopait depuis plusieurs heures déjà, en évitant de glisser. L'étrange personnage paraissait pressé et furieux. Cette longue chevauchée sous l'orage l'exaspérait.
Il cherchait quelque chose…
Ou plutôt quelqu'un.
Lorsqu'il aperçut des arbres majestueux qui se dressaient au loin, il accéléra. Son destrier, épuisé, soufflait. Il se dirigea vers les vastes écuries, légèrement éloignées des arbres splendides et immenses dans lesquels se reconstruisait la cité. Quand il arriva à destination, il se hâta de mettre pieds à terre et de confier sa monture aux soins d'un palefrenier. Avant de la quitter, il flatta son encolure. Puis il partit en direction de la caverne du Roi.
La caverne du roi de cette forêt, Thranduil Vertefeuille, était son palais. Mais en cas d'attaque, le peuple venait s'y abriter, sachant que la sécurité l'attendait. Elle remplissait aussi la fonction d'abri pour son trésor fort important et ô combien précieux, et abritait des prisons bien gardées. A l'entrée de cette caverne montaient de grandes et épaisses portes de pierre. L'intérieur n'apparaissait en aucun cas aussi sombre et malsain que chez les gobelins des Monts Brumeux à l'ouest moins profond et moins dangereux, l'air y demeurait plus sain. Le palais comportait de nombreux passages, ainsi que des salles spacieuses, éclairés par des torches et emplis d'une atmosphère chaleureuse. Dans une grande salle aux piliers taillés dans la pierre, et au milieu de laquelle se déroulait un long tapis rouge brodé d'or, trônait le Roi des Elfes sur un haut siège de bois sculpté.
Dans cette même pièce se trouvaient aussi quelques gardes qui commençaient à somnoler à cause de l'heure tardive. Le cavalier entra avec fureur dans la salle du trône. Les gardes sursautèrent et se redressèrent à son arrivée. Il rejeta violemment sa large capuche en arrière, dévoilant ainsi des yeux et des cheveux bruns, mais aussi des oreilles pointues, celles d'un elfe. Il s'approcha du trône où l'attendait Thranduil, son père, à une vitesse fulgurante. Le roi était légèrement plus grand que son fils. Ses cheveux blonds et lisses encadraient son visage, beau mais sévère, et longeaient ses oreilles pointues. Sur sa tête était posée une couronne de feuilles vertes et de fleurs sylvestres, comme chaque été, et il tenait à la main un grand sceptre de chêne sculpté.
Bien que facilement courroucé, c'était un elfe illustre et puissant. Thranduil Vertefeuille incombait à ses six enfants la rigueur d'une discipline vraiment austère, et la résistance de ces derniers face à une telle rigidité avait acquis une grande renommée.
Il conversèrent en leur langue :
« Est-elle rentrée ? jeta furieusement le cavalier tout en s'arrêtant.
-Elle est dans vos appartements, répondit Thranduil.
-Elle va m'entendre, décréta fermement le cavalier. »
Il s'engageait dans le couloir faiblement éclairé qui serpentait jusqu'aux appartements quand Thranduil se leva et l'arrêta en faisant semblant de s'apitoyer sur le sort de la pauvre personne dont ils parlaient.
« Attends, Willion ! Elle est rentrée bien après que tu sois parti. Elle ne savait pas…
-Ne vous inquiétez pas. Je lui ferais juste la remarque, ironisa Willion avant de partir. »
Une bonne raison de plus que lui avait donné son père pour hausser la voix lorsqu'il serait face à elle.
Willion Vertefeuille, fils aîné de Thranduil, aimait se faire remarquer en faisant l'impérieux envers les plus jeunes. Mais malgré le fait qu'il était adulte, il n'était pas marié, tout comme ses frères. Les femmes le trouvaient trop prétentieux, telle était la raison de son célibat.
Tandis qu'il avançait dans le couloir qui menait aux appartements, il songeait à ce qu'il allait lui dire. A elle. A sa petite sœur. Elle avait l'habitude de partir le matin, assez discrètement pour que personne ne sache où elle se rendait. Quel que soit le lieu, elle y restait toute la journée, et elle rentrait le soir.
Mais ce soir-là, voyant qu'elle ne revenait pas, Willion avait décidé de partir à sa recherche. Elle était apparemment revenue après son départ. Et dire qu'il avait chevauché toute la nuit sous ce dangereux orage qui pouvait très bien lui faire tomber un arbre dessus…
Willion arriva devant une porte imposante de chêne gravée de minutieux dessins. Deux gardes étaient postés à l'entrée. Des voix s'élevaient à l'intérieur des appartements. Il entra dans un autre couloir, qui menait directement à chaque appartement. La première que Willion réussit à discerner fut celle d'Albagon, son premier frère la seconde celle de Laïta, la plus jeune de la famille. Il s'approcha de la porte de la chambre de Legolas, son troisième et dernier frère, d'où les voix semblaient provenir. Pour mieux entendre ce qu'elles disaient, l'elfe se plaqua contre le mur de marbre et écouta attentivement la conversation. Il entendit Albagon prendre la parole :
« Tu es trop intelligente, mais quand m'écouteras-tu ? Un beau jour, ton cerveau finira par exploser ! s'écria-t-il.
Profondément ennuyée par la remarque immature de son frère, Laïta répliqua nonchalamment, mais avec calme :
« Et toi, quand grandiras-tu ? Laisse-moi tranquille. Arrête de m'énerver avec ça. »
Albagon resta silencieux sa sœur avait encore réussit à le mettre à quia. Il aimait chercher Laïta avec ce genre de chose : c'était dans son habitude. Laïta, elle, était très cultivée, et voulait en apprendre toujours plus. Mais ses frères avaient depuis longtemps deviné qu'elle apprenait sûrement dans son « lieu secret ».
Willion entra dans la pièce juste avant qu'Albagon ne reprenne la parole il avait déjà ouvert la bouche. Willion lança à son frère :
« Ferme donc la bouche, tu vas rester coincé comme ça ! »
Le jeune homme se reprit aussitôt. Albagon Vertefeuille, second fils du Roi, ressemblait beaucoup à son frère. Des yeux noirs et profonds accompagnaient son air narquois entremêlé d'une subtilité malicieuse. Derrière ses oreilles pointues cascadaient des cheveux d'ébène.
Willion parcourut la fratrie silencieuse réunie d'un regard circulaire qui se posa finalement sur Laïta. La jeune fille se tourna vers lui :
« Willion ! Il ne fallait pas…
-Silence! hurla-t-il. Premièrement, j'ai été contraint d'aller te chercher sous cet orage ! Et deuxièmement, on se demande bien ce que tu faisais ! »
Laïta garda le silence un instant. Alors qu'elle baissait la tête, ses yeux semblaient chercher la réponse.
« Je…Je lisais…et je me suis endormie…répondit-elle timidement d'une voix fluette. »
Elle évitait de dévoiler le morceau de sucre qu'elle tenait dans sa main. Willion la fixait avec mépris, en songeant que, lorsqu'elle serait adulte, ses petites escapades ne pourraient plus durer.
« Quand cesseras-tu tes enfantillages… »
Dans la pièce s'installa un silence pesant. Les yeux de leurs trois frères passaient de l'un à l'autre. Aucun d'eux n'osait bouger. Le tonnerre grondait au dehors comme un tambour.
Son regard restait, lourd, sévère, sur Laïta.
Après un long moment, Eldraen se leva. Eldraen Vertefeuille, troisième fils du Roi, possédait une carnation pâle, et était le seul de la famille à avoir des yeux d'un vert étincelant. La couleur de son regard s'accordait joliment avec ses cheveux blonds. Eldraen était un jeune homme posé et raisonnable. Il dit d'un ton badin, comme si de rien n'était :
« Bien. Je vais me coucher. Bonne nuit !
-Moi de même, ajouta Albagon. Bonne nuit ! »
Laïta se leva et se dirigea vers la sortie à la suite de ses frères, mais Willion l'arrêta, posant sa main puissante sur sa frêle épaule. Elle planta un regard suppliant dans ses yeux.
« Tâche de revenir plus tôt demain soir, dit-il d'un ton dur.
-Cela ne se reproduira pas, dit-elle en baissant la tête. »
Quelques seconde de fixation, puis Laïta fit rouler son épaule pour se libérer. Il raffermit sa prise et son regard. Sa sœur leva la tête la fatigue se lisait dans ses yeux. Willion la laissa partir, et elle s'éloigna en silence dans le couloir, la tête basse, comme souvent.
Willion se tourna vers Legolas, qui lui fit un signe tête en direction du couloir le comportement qu'il avait avec sa sœur ne lui plaisait pas, et à sa mine, Willion crut comprendre que son frère voulait qu'il la rejoigne pour lui présenter des excuses. L'elfe haussa les épaules :
« J'y vais aussi. A demain, Legolas, et bonne nuit.
-A demain, répondit le jeune elfe, déçu. »
Willion s'en fut, laissant Legolas seul.
