Les personnages du manga détective Conan appartiennent à Gosho Aoyama, ceux du manga Death note à Takeshi Obata et Ooba Tsugumi.

Sympathy for the devil

Prologue

Faisant de son mieux pour retenir un soupir, l'adolescent détourna son regard du tableau noir sur lequel son professeur inscrivait le contenu de son cours. Il y avait des choses infiniment plus dignes d'intérêt pour le meilleur élève de ce lycée, non, de ce pays. Ne serait-ce que ce monde qui s'étendait à l'extérieur de cette salle de classe. Ce monde qu'il avait jusque là trouvé ennuyeux par sa monotonie, écœurant par la corruption qui le gangrenait, désespérant par la stupidité et la lâcheté des misérables insectes qui en infectaient la surface. Aujourd'hui ce monde lui apparaissait autrement. Ce n'était plus la scène d'une comédie grotesque qui lui donnait parfois envie de quitter la salle de spectacle sans une once de regret. Maintenant, ce monde se réduisait pour lui à un livre.

Un sourire sarcastique plissa les lèvres du lycéen. Death note : le livre de la mort ? Non, le livre de la vie, et il était entre ses mains. Il n'appartenait qu'à lui de raturer d'un trait rageur les noms de tout ceux qui était indigne d'y figurer, tout ceux dont l'existence était non seulement inutile mais même nuisible.

Du jour au lendemain, il avait acquis le pouvoir de décider qui était digne de vivre ou de mourir. Le pouvoir d'être un Dieu…

Yamagami Light n'avait jamais cru en Dieu, ce monde était définitivement trop loin de la perfection pour qu'une volonté intelligente ait pu présider à sa création. Ce pouvait-il qu'il se soit trompé ? Est-ce que Dieu existait, et dans ce cas, avait-il entendues les critiques silencieuses qu'il n'avait cessé de lui adresser à défaut de prières ? Comment devait-il interpréter la découverte de ce livre ?

Etait-ce un signe qu'il était élu de Dieu en personne ? Celui chargé de rectifier sa création qui avait péché en s'éloignant trop du but qu'il y avait fixé ? Etait-il un ange vengeur entre les mains duquel son créateur avait glissé l'épée de la justice ?

Et dire qu'au début il avait cru que ce livre n'était qu'un simple attrape-nigaud, une plaisanterie stupide qui n'avait rien à envier à ces mails idiots qui infestaient son ordinateur et sur lesquels il ne jetait plus l'ombre d'un regard avant de les effacer d'un geste blasé.

D'un autre côté, peut-être que son intuition du moment n'avait pas été aussi éloigné que ça de la vérité. Si Dieu existait pourquoi n'avait-il pas pris la peine de corriger lui-même ses erreurs plutôt que d'abandonner cette tâche ingrate à un de ses subordonné ? Pourquoi avait-il commis des erreurs s'il était réellement digne du nom de Dieu d'ailleurs ? C'est au fruit que l'on juge l'arbre. Non, quand bien même Dieu existerait, et la possibilité n'était pas si irrationnelle si une chose comme la death note pouvait être réel, sa création démontrait amplement qu'il était indigne du titre de Dieu.

Ce mot ne devait s'appliquer qu'à l'incarnation de la perfection, pas à un obscur imbécile qui avait raté sa création et n'avait même pas le courage de la rectifier lui même. Si Dieu existait, il avait définitivement abandonné son titre dès l'instant où il avait laissé choir ce livre sur l'herbe de ce lycée. Oui, Dieu avait abdiqué, et il l'avait fait en sa faveur. Yamagami Light ne serait l'instrument de personne, et surtout pas d'une divinité incompétente qui fuyait ses responsabilités, Dieu ne lui avait pas confié une mission mais sa place, rien de moins, et il allait s'en montrer digne.

Mais si la création n'était que le reflet de son créateur, peut-être que la death note n'était effectivement rien d'autre qu'une sinistre farce dont il serait le dindon.

« Puisque tu t'estime tellement déçu de mon œuvre, eh bien voyons si tu as réellement les compétences pour faire mieux que moi à présent que tu ne peux même plus te plaindre de ton manque de moyens. »

Etait-ce ce défi moqueur ce qu'il aurait du lire entre ces quelques lignes en anglais sur la première page de la death note ?

Peut-être qu'il n'était ni l'instrument de Dieu ni le Dieu du nouveau monde qui allait être crée sur les ruines de l'ancien. Peut-être était-il simplement un jouet entre les mains d'une divinité sarcastique et dénué de morale qui se délecterait de la stérilité de sa tâche et du désespoir de sa créature quand elle prendrait conscience que, même avec le pouvoir d'un Dieu, elle n'était pas capable de créer un monde qu'elle jugerait digne d'exister…

La rage poussa Light à serrer le poing autour du stylo qu'il faisait tournoyer entre ses doigts avant qu'un sourire sarcastique ne plisse à nouveau ses lèvres.

« Rira bien rira le dernier.. »

S'il s'agissait réellement d'un jeu, son adversaire allait très vite comprendre qu'il ne serait pas le seul à s'amuser. Et à la fin de la partie, il ne s'amuserait plus du tout lorsqu'il comprendrait qu'il avait perdu sa place au cours d'une stupide partie d'échec qu'il avait initié lui-même.

Lucifer avait sans doute eu ce genre de pensée lorsqu'il s'était mis en tête de détrôner son créateur. Light pris la peine de prendre en considération cette comparaison. Est-ce qu'il se trompait ? Etait-il destiné à devenir Dieu…ou le Diable ?

La réponse était évidente, il serait les deux à la fois. Pour les pécheurs et les hypocrites qu'il frapperait de son feu purificateur, il serait le Diable en personne, pour ceux qui attendaient la venue d'un être supérieur qui répondrait enfin à leur prières, il serait la divinité venu enfin les sauver. Et lorsque tout serait consommé, il n'y aurait plus un seul être sur terre pour ne pas le considérer comme Dieu. Il prendrait un malin plaisir à expédier lui même en enfer tout les hérétiques qui s'obstinerait à voir en lui une incarnation du mal au lieu du bien.

Il n'y avait plus la moindre trace d'ennui ou de dégoût sur le visage de Light, juste une expression sereine. Il avait définitivement balayé les doutes qui le rongeaient depuis la mort de ses deux premières victimes.

Un simple coup d'œil sur ses camarades de classe renforça sa résolution.

« Est-ce qu'il y aurait une seule personne parmi eux à être digne de posséder la death note ? Est ce qu'il y aurait une seule personne au monde, en dehors de moi, qui serait digne de cette responsabilité et ne l'emploierait pas à des fins bassement personnels ? »

A cet instant précis, la réponse à cette question silencieuse était limpide dans l'esprit calculateur du lycéen tandis qu'il réajustait une des mèches de ses cheveux châtains avec un petit sourire supérieur.

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« Je te dit que je l'ai vu tomber du ciel ! »

« Quelqu'un a du le jeter dans l'herbe, c'est tout. Il n'y a pas de quoi avoir peur… »

« Non, il n'y avait rien dans le ciel et d'un seul coup, pouf, il est apparu ! Je te dis que c'est un fantôme qui l'a déposé là, ce livre doit être maudit et il va sûrement apporter des malheurs à celui qui le touche ! »

Ai contempla d'un regard aussi attendri qu'amusé la fillette terrifiée par un simple livre, au point de se réfugier derrière son camarade de classe en ne cessant de jeter des coups d'oeils horrifié à la couverture dont la couleur d'un noir de jais contrastait avec celle de l'herbe du parc. La chimiste ne savait pas ce qu'elle devait trouver le plus touchant dans la scène, l'innocence d'Ayumi ou bien le fait que les joues de Mitsuhiko avaient pris un teint rosâtre tandis que son amie se blottissait contre son dos.

« Ne dit pas de bêtises, les fantômes n'existent pas, c'est prouvé scientifiquement. »

« Si tu es si sûr de toi, va le ramasser ! »

La rougeur laissa instantanément la place à la pâleur sur le visage du détective en herbe.

« Euh, je pense que ce serait mieux de le laisser là… Ce serait plus pratique pour son propriétaire de le retrouver, et puis s'il voulait simplement s'en débarrasser, les gardiens du parc le ramasseront pour le jeter aux ordures, voilà tout… »

« Tu dit ça parce que toi aussi tu as peur et tu refuse de le reconnaître ! »

Mitsuhiko avala péniblement sa salive en se retournant vers Haibara dans l'espoir que la chimiste allait confirmer ses propos. Après tout, Ai était intelligente, elle serait d'accord avec lui, les fantômes et les malédictions, ça n'existait pas. Bon, on ne savait jamais, mais ce n'était pas le genre de chose à dire devant Ayumi et encore moins devant Ai, même si on les pensait.

Au grand désespoir du garçon, la chimiste, loin de lui apporter la moindre aide, se contenta de le dévisager avec un petit sourire moqueur, comme pour le pousser à prouver par lui-même qu'il croyait en ses propres paroles et qu'il n'y avait pas de quoi avoir peur.

Le gamin baissa les yeux vers le livre avec une expression semblable à celle qu'il aurait eu face à un chien enragé dont le regard témoignait amplement que cela faisait des jours qu'il n'avait pas refermé ses crocs sur un bout de viande aussi tendre et moelleux que la chair d'un petit garçons terrifié. Bon, il fallait se ressaisir, après tout les chiens enragés sentaient la peur de leur proie, pour les dompter, il fallait les regarder comme si on était leur maître et qu'on s'apprêtait à les réprimander pour une bêtise. C'était peut-être ce qu'il fallait faire avec les chiens enragés, en tout cas il l'avait lu dans un livre, mais il n'était marqué nulle part dans le livre en question si ça marchait aussi avec...les livres justement.

Oui, ce n'était pas marqué dans les livres parce que les livres n'étaient pas censé être dangereux et que seul les idiots croyaient que les livres maudits existaient, c'était ce qu'il fallait se dire. Le problème c'était que selon cette logique, il était lui-même un idiot puisqu'il ne pouvait pas s'empêcher d'avoir peur d'un livre.

Bon, respirer calmement, il allait prouver à Ayumi, Ai et à la stupide petite voix dans sa tête qu'il n'était pas un idiot. En tout cas, il était certain qu'il aurait réussi à le prouver si Ai ne l'avait pas devancé en allant ramasser le livre.

Mitsuhiko maudit son manque de courage comme la bêtise qui le poussa à tressaillir en même temps que la fillette qui le serrait dans ses bras à l'instant où la main de sa camarade taciturne se referma sur le mystérieux ouvrage.

« Alors ? C'est vraiment un livre maudit ? »

Intrigué par le titre mystérieux du livre, la chimiste entreprît de l'ouvrir pour déchiffrer d'un coup d'œil rapide les inscriptions qui en ornaient la première page.

Des instructions en anglais? Est-ce qu'elle était tombé sur la notice d'un appareil que son propriétaire aurait jeté d'un geste négligeant sans prendre la peine de vérifier si le projectile qui avait décollé de sa main avait bien atterri dans la poubelle qu'il visait ?

« Tout être humain dont le nom sera inscrit dans ce carnet sera condamné à mourir.

Toutefois, la personne dont le nom sera inscrit dans la death note ne mourra que si son propriétaire connaît le visage de la personne en question et le garde à l'esprit lorsqu'il inscrit son nom. En conséquences, ce carnet ne peut tuer que la personne dont son propriétaire désire la mort. Toutes personnes portant le même nom que celle qui est visé ne sera en aucune façon affecté par le pouvoir de la death note. »

Un sourire amusé plissa les lèvres de la chimiste. Un simple canular stupide. Enfin, on pouvait au moins accorder un semblant d'originalité à son auteur.

« Si la cause précise de la mort de la personne visé est inscrite dans ce carnet moins de quarante secondes après le nom de cette personne, alors cette personne mourra de la manière spécifié.

Si aucune précision sur la cause de sa mort n'est inscrite dans le carnet durant le temps imparti, la personne visé mourra d'une attaque cardiaque.

Lorsque vous avez spécifié la cause précise de la mort de la personne visé, il vous est accordé un temps de six minutes et quarante secondes pour inscrire dans le carnet les circonstances précises au cours desquelles vous voulez que cette mort se produise.

Oui, à défaut d'une activité constructive pour occuper son temps libre, on pouvait accorder à ce plaisantin une imagination débordante. Il avait fourni suffisamment d'efforts pour donner un minimum de crédibilité au pouvoir du livre maudit qu'il avait probablement crée à partir d'un cahier d'écolier bon marché. Mais quel était l'intérêt de cette blague idiote ? S'amuser à imaginer le dilemme dans lequel serait plongé le propriétaire de cette fameuse death note lorsque viendrait un moment où il ressentirait suffisamment de haine envers quelqu'un pour désirer sa mort ? Sans doute, et le pire était que cela pouvait parfaitement fonctionner. Après tout on n'avait rien à perdre à essayer, et beaucoup de meurtriers en puissance restaient d'honnêtes citoyen uniquement parce qu'ils avaient peur de voir la police se présenter à leur porte, un beau matin, s'ils se décidaient à concrétiser leur phantasmes, au lieu de se contenter de s'imaginer tuer ceux dont ils estimaient que le monde se porterait mieux ans eux.

Haibara s'amusa elle-même à imaginer l'un de ces nigauds plongé dans la terreur durant les quarante secondes qui s'écoulerait après qu'il se soit décidé à essayer le carnet. La terreur que ce ne soit pas un simple canular. Et lorsqu'ils auraient été forcé de se rendre compte qu'il ne s'agissait de rien d'autres qu'une plaisanterie morbide, quels auraient été leur réactions à ces imbéciles ? De la honte à l'idée d'avoir été assez stupide pour prendre au sérieux une idiotie pareil ? Du soulagement à l'idée de ne pas avoir à porter sur la conscience une mort qu'ils seraient trop faible pour assumer ? De la déception ? De la culpabilité en songeant qu'ils avaient été assez ignobles pour souhaiter l'espace d'un instant la mort d'un de leur semblables ?

Avec le recul, la chimiste fût forcée d'admettre que la plaisanterie était plutôt intelligente quand on prenait la peine d'y réfléchir. Il n'y avait aucun être humain sur terre chez qui le désir de tuer était inférieure à la rationalité, excepté sans doute une anomalie comme Shinichi Kudo, la quantité de personne qui pouvait se laisser aller à mettre leur crédulité de côté pour se laisser prendre au piège était donc potentiellement infini. Elle aurait bien hypocrite de s'exclure de ses semblables sur ce point. Si elle avait connu le véritable nom de certains de ses anciens collègues comme de son ex-employeur, nul doute qu'il y aurait eu quelques noms d'inscrit sur ce carnet par sa main.

Ceci dit, un mystère demeurait à propos de l'auteur de cette farce. Pourquoi avoir rédigé ces instructions en anglais plutôt qu'en japonais ? Cela ne rendait pas le pouvoir de ce carnet plus crédible et cela ne faisait que réduire drastiquement le nombre de ses victimes potentielles.

« Alors, de quoi est ce que ce livre parle ? »

Ai sortit de sa rêverie pour se retourner vers Ayumi qui la regardait d'un air anxieux. Visiblement la petite fille préférait avoir eue peur pour rien que de voir sa meilleure amie victime d'une malédiction pour confirmer ses dires. Une raison amplement suffisante pour ne pas lui révéler le véritable contenu de ce carnet.

« Ce n'est même pas un livre, juste le cahier d'un collégien qui y notait ses cours d'anglais. »

Se rapprochant craintivement de leur camarade, les deux Détectives Boy poussèrent un soupir de soulagement lorsqu'ils aperçurent les lignes griffonnés à la va-vite, dans une langue qu'ils ne comprenaient pas encore, sur la page de ce qui ne leur apparaissait plus que comme une simple liasse de papier

« Tu vois qu'il n'y avait aucune raison d'avoir peur ! »

« c'est facile pour toi de dire ça maintenant ! Tu faisait moins le fier tout à l'heure. »

Se retenant de pouffer de rire face aux visages renfrognés de ces deux camarades, la fillette baissa les yeux sur les instructions qu'elle se mit à relire tout en réfléchissant de nouveau au sens qu'elle devait leur donner.

« Bon, le mieux serait de le reposer maintenant, non ? Comme ça son propriétaire pourra le retrouver. »

Acquiescant silencieusement à Mitsuhiko, Haibara s'agenouilla pour reposer délicatement dans l'herbe le cahier noir. Mais au dernier instant, elle se ravisa et au lieu d'abandonner le carnet comme elle avait prévu de le faire, elle entreprit de le glisser dans son cartable au milieu de ses livres de cours.

« Eh ! Si tu fais ça, le propriétaire du cahier ne pourra plus le retrouver. C'est du vol ! »

« N'exagérons pas, j'appelle ça donner une leçon à un imbécile qui en a bien besoin. Après une nuit entière à avoir remué l'herbe de ce parc pour y retrouver le cahier qu'il y a stupidement égaré, il aura appris à prendre soin de ses affaires. »

Mitsuhiko et Ayumi écarquillèrent les yeux en entendant les paroles de la chimiste qui refermait son cartable avec un petit sourire satisfait.

« Mais peut-être qu'il a un devoir important à rendre à son professeur demain et que sans son cahier, il ne pourra pas le faire… »

« Une leçon douloureuse se retient plus facilement. De toutes manières, il n'y a que quelques lignes d'inscrites dessus, donc je pense que son propriétaire peut très bien s'en passer. A moi par contre, il serait très utile en me servant de brouillon. »

Ayumi fixa son amie d'un regard réprobateur avant de prendre un air suppliant.

« Est-ce que tu ne pourrait pas me le donner, Ai ? Ca fait des jours que je réclame un nouveau cahier à papa pour mes dessins et il oublie toujours de me l'acheter. »

Mitsuhiko regarda sa camarade avec une expression éberlué.

« Eh, mais tu avais l'air d'être d'accord avec moi pour le laisser là… »

« Tu devrais savoir que souvent femme varie. »

« Hein ? »

Le garçon fixa d'un air abasourdi celle qui lui tapotait gentiment la joue pour illustrer ses paroles.

« Et pour ce qui est du cahier, Ayumi, si tu en as tellement besoin, nous allons aller t'en acheter un tout de suite. »

« Oh, tu n'as pas à te sentir obligé… »

« Mais si, mais si, j'insiste. Quitte à t'offrir un cadeau, autant que ce soit quelque chose que je t'aurais acheté plutôt qu'un détritus que je me serais contenté de ramasser par terre. »

Ayumi détourna les yeux avec un air émue qui n'avait rien à envier à celui de Mitsuhiko tandis qu'il promenait doucement sa main sur la joue que les doigts de sa camarade avaient effleurée, une joue qui avait pris une couleur brusquement écarlate.

Tandis qu'elle s'éloignait doucement du jardin public, ses deux camarades sur ses talons, la chimiste se mit à réfléchir aux raisons qui l'avaient poussé à conserver ce carnet au lieu de le jeter. Pour pouvoir le glisser discrètement dans le sac d'un certain Conan Edogawa quand elle le rencontrerait de nouveau ? Allons donc, il ne se laisserait jamais prendre au piège. Cet idiot était trop rationnel pour se laisser aller à une peur superstitieuse et il était bien l'une des rares personnes sur terre chez qui ce carnet n'aurait suscité aucune tentation. Alors pourquoi ?

La chimiste se mit à sourire lorsque la réponse à sa propre question lui apparût dans toute sa limpidité. Parce qu'elle était le genre de personne capable de se laisser prendre au piège de son plein gré et qu'elle se sentait d'humeur à s'amuser à ses propres dépens. Et puis, d'un autre côté, ce carnet pouvait avoir une utilité. Il pouvait parfaitement constituer une preuve tangible qu'un certain imbécile de détective avait réussi à aider une certaine criminelle à trouver la rédemption. Une criminelle qui ne se laisserait plus aller à souhaiter de temps en temps redevenir une meurtrière, même en sachant que ses victimes mériteraient de mourir cette fois. Oui, si ce carnet continuait de prendre la poussière au fond d'un de ses tiroirs au moment où elle aurait l'occasion d'apprendre les véritables noms des assassins de sa sœur, ce serait le signe que son ancienne vie était définitivement derrière elle. Un signe insignifiant et puéril certes, mais elle avait appris à chérir ce genre de petits indices qui prouvait que Sherry était bel et bien morte en avalant son propre poison.

Mais durant l'espace d'un instant, le sourire serein de la chimiste s'effaça tandis qu'une petite pensée insidieuse se glissait dans les recoins de son esprit. Et si elle avait emporté ce livre en souhaitant secrètement de tout son cœur qu'il ne s'agisse pas d'un canular ? S'il s'avérait que ce n'était pas une plaisanterie, quelles conséquences cela pourrait-il avoir sur sa nouvelle vie ?

Ce genre de pensées était stupide. Ce carnet ne pouvait pas être réel, une scientifique comme elle devrait le savoir. Mais la chance pour qu'une telle chose soit possible avait beau être insignifiante, elle pouvait exister. Et quand bien même ils ont cinq chances sur six de survivre en jouant juste une fois à la roulette russe, la plupart des gens ne veulent pas y jouer, parce qu'ils savent très bien qu'ils ont une chance sur six de perdre…

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Les échos des rires moqueurs de ses semblables continuaient de bourdonner aux oreilles de Ryukuu tandis qu'il s'engageait sur l'interminable escalier au bout duquel se trouvait le passage reliant le monde des Shinigamis à celui des humains. Pour autant il ne ressentait pas la moindre amertume vis-à-vis de ses camarades. Que ces imbéciles continuent de se consumer dans l'ennui pendant des millénaires s'ils étaient trop blasés pour s'essayer à d'autres distractions que celles qu'offrait le monde pourrissant dans lequel ils végétaient tous depuis l'aube des temps. Pendant ce temps là, il séjournerait tranquillement dans un monde qui lui offrirait au moins l'attrait de la nouveauté.

Il avait hâte de voir de près l'heureux élu qui avait mis la main sur la death note qu'il avait jeté dans le passage il y a de cela quelques jours. Quantité d'histoires circulaient chez les Shinigamis à propos des humains qui étaient entré en posession d'une death note. Certains en avaient fait un usage modéré, se contentant d'assassiner discrètement les personnes pouvant représenter une gêne pour eux ou celles dont la mort pouvaient leur apporter un quelconque bénéfice. Ryukuu espérait qu'il tomberait sur mieux que ça. D'autres au contraire avaient été gagné par l'ivresse que leur offrait le pouvoir quasi-divin dont ils avaient été investis. Emporté par la démesure, ils auraient semé de véritable hécatombe autours d'eux au cours de leur bref passage sur terre, tuant sans discernement pour le seul plaisir d'utiliser leur puissance sans avoir de compte à rendre à personne. C'était déjà plus intéressant même si cela devait devenir très vite lassant au bout de seulement quelques mois. Quoique… Les humains pouvaient parfois faire preuve d'une surprenante créativité dans l'usage d'une death note, à l'inverse de la plupart des Shinigamis, qui se contentaient d'inscrire quelques noms dessus à la va-vite quand c'était nécessaire, sans même prendre la peine d'imaginer une mort intéressante pour leurs proies.

Il existait aussi des humains qui avaient eu des buts beaucoup plus ambitieux que de simples massacres aveugles et qui n'avaient pas hésité à avoir recours à la death note pour écraser sans la moindre pitié comme de vulgaires insectes tout ceux qui se dressaient sur leur route. Indiscutablement, c'était ce genre d'humain qui offrait le plus d'intérêt aux yeux de Ryukuu. Quoique, là encore cela pouvait s'avérer être décevant. Donner une death note à un humain revenait à lui donner une supériorité écrasante vis-à-vis de ses semblables, au point que personne sur terre n'aurait été capable de s'interposer entre lui et son but. Et quel plaisir tirer d'un affrontement dont on connaissait par avance l'issue ? Quand bien même il s'agirait de la guerre d'un humain contre le monde entier…

Ryukuu fût tiré de ses pensées par un chuintement qui résonnait plusieurs dizaines de mètres devant lui. Un autre Shinigami ? Bien sûr que oui, les dieux de la mort pouvaient passer d'un monde à l'autre chaque fois qu'ils le désiraient, mais aucun humain n'aurait pu en faire autant, donc quel autre créature qu'un de ses semblables pouvait remonter cet escalier qu'il était en train de descendre ?

« Alors Ryukuu, tu as une affaire à régler dans le monde des humains, à ce qu'on dirait. Est-ce que tu y viens simplement pour inscrire quelques noms sur ta death note ou bien est ce que tu aurais concrétisé ce projet dont nous avions parlé ?»

A quoi bon cacher la vérité à son camarade en lui disant qu'il avait égaré stupidement sa death note dans le monde des humains ? Le roi des Shinigamis n'avait jamais interdit à ses sujets de confier une death note à un humain, il s'était contenté d'imposer quelques restrictions à un échange de ce type, en établissant quelques règles strictes régissant le rapport unissant le possesseur temporaire d'une death note au Shinigami qui la lui avait offert. Aucune raisons pour Ryukuu de cacher ses intentions réelles par peur d'une quelconque représailles donc. Il avait inventé cette histoire stupide de la perte de sa death note uniquement pour ne pas perdre de temps à expliquer à ses semblables l'intérêt de confier une death note à un humain pour s'amuser à contempler les conséquences de ce geste.

Mais il n'avait aucune raison d'agir de la même manière avec celui qui lui faisait face. Après tout, c'était le seul à avoir manifesté un quelconque intérêt lorsque Ryukuu avait exposé son idée à quelques uns de ses collègues qui souffraient du même ennui que lui.

« Pour répondre à ta question, je me suis enfin décidé à utiliser ma seconde death note. »

« Je vois, depuis combien de temps ? »

« Dans le monde des humains, cela doit correspondre à cinq jours. »

Le semblable de Ryukuu promena l'un de ses doigts démesurément longs sur la mâchoire inférieure du crâne animal qui lui servait de tête.

« Cinq jours ? Donc tu penses que c'est une durée suffisante pour qu'une death note abandonné dans le monde des humains trouve un propriétaire et qu'il se décide à l'utiliser ? Bien, je vais m'en souvenir… »

Ryukuu haussa légèrement les sourcils.

« Alors toi aussi, tu te serait décidé à.. ? »

« je t'avais bien dit que j'étais d'accord avec toi quand tu disait que le monde des Shinigamis n'avait plus rien d'amusant à nous offrir et que nous devrions nous aventurer dans le monde des humains pour des distractions dignes de ce nom. »

« Oui, mais contrairement à moi, tu n'as jamais possédé qu'une seul death note, la tienne. Est-ce que tu aurais réussi à convaincre le vieux de t'en confier une deuxième pour t'amuser avec ? »

Le second dieu de la mort haussa les épaules dans un craquement sonore.

« Tu viens de le dire, j'avais déjà une Death note, pourquoi aller en réclamer une deuxième ? »

Ryukuu ne chercha même pas à dissimuler son étonnement devant les paroles de son camarade.

« Est-ce que tu as conscience du risque ? Si jamais ta death note venait à être détruite… »

« C'est justement le risque qui rend le jeu plus intéressant. Ca fait des siècles que le seul sentiment que j'éprouve est l'ennui, alors j'ai envie de changer… Tu vois, si les jeux de nos camarades m'ennuyaient tellement, c'est parce que, que l'on y gagne ou qu'on y perde, cela ne change rien. Cela ne nous apporte rien de nouveau et cela ne nous fait rien perdre… »

Pour une fois, Ryukuu ne comprenait pas le seul être de ce monde à partager, au moins en partie, ses opinions. Le besoin de s'amuser un peu dans cette éternité monotone était légitime mais il y avait des limites à ne pas dépasser quand même ! Oh et puis après tout, qu'est ce que ça pouvait bien faire ? Que son camarade s'amuse à sa façon, aussi bizarre et même stupide qu'elle pouvait paraître, il s'amuserait à la sienne.

« Chacun de nous trompe son ennui de la manière qui lui plaît après tout. Quand tu reviendras voir ce que devient ta death note, n'hésite pas à passer me voir pour m'en parler après avoir vu le propriétaire que le hasard lui a donné… Histoire de savoir lequel de nous deux a été le plus chanceux. »

« Ca pourrait être intéressant de comparer nos résultats, oui. Si j'ai le temps de te chercher, je viendrais voir si ton humain s'en tire mieux que le mien… »

Sur ces paroles, les deux entités se séparèrent, l'une revenant passer quelques jours dans son propre monde pour attendre que le germe qu'il avait semé dans celui qu'elle venait de quitter fleurisse, l'autre allant dans celui où son plan devait déjà porter ses fruits.

Tandis qu'il déployait ses ailes en s'apprêtant à s'engouffrer dans la porte dimensionnelle, Ryukuu se demanda si les deux humains dont lui et son camarade avaient fait leur égaux allaient finir par se rencontrer. Et si c'était le cas, quel serait le résultat d'une telle rencontre ? Le Shinigami haussa les épaules en se disant que quoi que cela puisse être, ce serait sûrement intéressant.