Petits mots, petites notes
Kate trébucha sur ses propres pieds en enfilant un gilet dont les manches ne voulaient pas coopérer avec le tee-shirt un peu trop large qu'elle portait en dessous.
L'appartement était presque plongé dans le noir, faiblement illuminé la lumière qui s'échappait de l'écran d'ordinateur qu'elle avait oublié d'éteindre la veille. Elle connaissait cependant les lieux suffisamment pour ne rien heurter sur son passage, mais tendit quand même ses mains devant elle, au cas où.
Elle atteignit la porte et l'ouvrit, son arme de service à bout de bras par précaution. Ses yeux tombèrent sur le tableau accroché au mur d'en face et elle avança. La lumière du couloir fonctionnait grâce à un capteur de présence, et elle était déjà allumée lorsqu'elle avait ouvert la porte, ce qui voulait dire que la personne qui était venue frapper à sa porte au beau milieu de la nuit (la réveillant ainsi alors qu'elle avait pour une fois pu éteindre son téléphone sans se soucier d'avoir de nombreux appels du commissariat au réveil) n'était pas rendue bien loin. Elle s'apprêtait à la rattraper lorsqu'elle sentit quelque chose contre son pied.
Un juron se glissa hors de sa bouche, qui était jusqu'à là restée fermée, et elle se retira dans la pièce qu'elle venait de quitter en emportant l'objet qui restait de son dérangement.
C'était une boîte blanche, tellement légère qu'elle crut tout d'abord qu'elle était vide, et pourtant au volume plutôt important.
Le lieutenant posa la main sur les deux interrupteurs sensés allumer la pièce principale de son appartement, et elle alla s'asseoir confortablement sur son canapé avant d'ouvrir la boîte en carton pour en découvrir le contenu.
Elle remarqua alors le bout de papier qui était coincé sur le petit socle métallique de l'objet de rangement.
Elle l'attrapa et en lu l'inscription, ses pouces survolant la surface granuleuse de ce qui semblait être une serviette de restaurant.
Les mots qui y étaient écrits prenaient l'intégralité du carré rouge, mais l'encre qui les y avait laissé semblait avoir dépassé, un peu comme si le stylo dont elle sortait n'était pas adapté à ce type de papier – un feutre ou un marqueur, probablement.
La petite note était simple et elle en reconnut immédiatement l'auteur, par son écriture et parce que personne d'autre n'aurait pu lui envoyer un mot pareil.
« Joyeux anniversaire. »
Sauf que ce n'était pas son anniversaire.
(Ou du moins pas celui de sa naissance.)
Intriguée, elle souleva le couvercle de la boîte et le posa à l'envers sur la table basse.
Des coupures de différents journaux y étaient collées, les unes sur les autres. Elle en lu quelques-unes et comprit qu'elles n'étaient pas récentes. Non, ces articles avaient quasiment tous écrits avant qu'elle ait atteint la majorité, et marquaient tous le même événement. Ils provenaient de différents endroits et elle n'aurait pu dire si la façon dont ils étaient pliés venait de la colle utilisée pour les fixer au couvercle ou parce que quelqu'un les avait roulés en boule et serrés dans son poing trop longtemps.
Elle laissa tomber le couvercle et reporta son attention sur le contenu de la boîte, comprenant que ces coupures n'étaient que le décor de ce qu'elle découvrirait à l'intérieur.
Les trois quarts de la boîte – dont les parois étaient couvertes de la même façon que le couvercle – étaient remplis. Des bouts de papiers, empilés les uns sur les autres sans ordre de taille ou de sujet. Sans ordre tout court.
Elle enfonça les mains au milieu du tas qu'ils formaient et comprit qu'elle n'arriverait pas jusqu'au fond sans les retirer un à un – de la même façon qu'elle séparait ses cheveux entremêlés lorsqu'elle enlevait une tresse.
Alors elle le fit.
Et elle lu, une par une, chacune de ces petites notes qui n'avaient rien en commun.
Ce n'était que quelques mots qui se suivaient, parfois quelques phrases. Certaines phrases racontaient quelque chose, certains mots n'avaient un sens que lorsqu'ils étaient détachés mais aucun les uns après les autres.
Des mots inscrits sur des feuilles blanches, des feuilles lignées, des tickets de caisse, des mouchoirs, des menus de restaurants et des cartons publicitaires.
Des mots inscrits dans des petits coins vides, parfois écrasés comme s'il avait voulu en étouffer la signification parfois si grands qu'ils donnaient l'impression d'être criés du haut d'une montagne.
Elle sentit leur écho éclater contre les parois de sa cage thoracique et les sentit fuir sa bouche alors qu'elle les murmurait un peu trop rapidement, en écorchant probablement plus d'un.
Ces mots n'étaient pas faits pour être prononcés, ils existaient pour être lus.
Au milieu de ces vallées et collines d'un papier qui avait été chiffonné, déplié. Sur une surface tellement lisse que ses doigts y glissèrent.
Des mots écrits à l'encre rouge, bleue, noire, verte. De l'encre grossière qui bavait et avalait le papier qu'elle tâchait. De l'encre qui traversait ces petits bouts de papier multicolores, de l'encre qui se voyait à peine.
Des coups de cayons qui creusaient le papier comme pour y imprégner leur importance avec eux.
Une ou deux larmes durent quitter ses yeux, puisque des petites goutes vinrent effacer les lettres qu'elle lisait sans terminer leur tâche.
Certaines notes étaient datées, mais pas selon la façon dont les dates étaient généralement inscrites. Des dates qui se terminaient par des symboles et des mots sans fin.
Kate reposa les petits bouts de papier parfois maladroitement déchirés à l'intérieur de la boîte en essayant de respecter l'ordre – ou plutôt le désordre – dans lequel ils étaient avant qu'elle les prenne.
Elle ne ferma pas la boîte, comme pour la laisser respirer un peu plus. A la place, elle remonta ses genoux contre sa poitrine et y posa sa tête, laissant les pensées qui arrivaient à son cerveau prendre un sens et s'y tenir pour qu'elle puisse les comprendre.
Elle se leva du canapé et rejoignit sa chambre, à la recherche de son téléphone portable. Il était trois heures du matin, le commun des mortels dormait et elle s'en fichait. Ces petites notes en désordre, ces petits mots sans queue ni tête avaient trop de sans à ses yeux pour qu'elle attende que le soleil se lève.
Elle savait que son interlocuteur – s'il répondait – était, de toute manière, debout. Probablement assis à l'intérieur d'un de ces endroits qui ne fermaient jamais et diffusaient des chansons de Bob Dylan à des heures tardives.
Il n'avait pas son téléphone.
Il n'avait pas son téléphone et il était assis à la banquette du café situé entre leurs appartements respectifs, où ils allaient ensemble bien souvent.
Elle en aurait mis sa main à couper.
Kate prit son portable et attrapa la veste grise qu'elle avait posée la veille sur le dos de la chaise à côté de son lit, enfilant en même temps la paire de ballerines – oui, Kate Beckett possédait des ballerines dans son armoire à chaussures. Elle ferma la boîte qui attendait toujours sur sa table basse et la prit sous son bras, tout en se dirigeant vers la porte d'entrée.
Les choses que cet homme lui faisait faire.
TBC.
