Chapitre 1 : Un Rôdeur au Prancing Pony

Je m'appelle Envinyatë Butterbur. Je n'ai que 17 ans, mais je vais pourtant aller au devant de la mort. Je mourrai si loin de chez moi, dans des terres inconnues de moi, et mon destin deviendra triste par ces lieux mêmes. Et si j'en réchappe, la Terre du milieu telle que je la connaît disparaîtra. Le Temps des Elfes est passé, et le Troisième Age s'achèvera bientôt, quelle que soit l'issue de la bataille. Je profite de ces quelques moments de quiétude pour écrire mon histoire. Peut-être y aura-t-il un jour quelqu'un pour la lire…

A l'époque où débute cette histoire, j'avais toujours vécu dans mon petit village, sans jamais m'en être éloignée de plus d'une demi-journée de marche. Mon village, c'est Bree. Il est placé sur le Pays de Bree, qui abrite trois autres villages : Staddel, au nord, Combe, à l'est, et Archet, au nord-ouest. Bree est situé à l'Est de la Terre du Milieu, à plusieurs journées de marche de Rivendell, la cité elfique du seigneur Elrond. Du côté Est de Bree, on trouve la Comté qui est peuplée par les Hobbits. Ils ne sont pas beaucoup connus par les Grandes Gens, comme ils nous appellent. Mais les voici en quelques mots : les Hobbits sont des personnages forts sympathiques, dont les principales préoccupations sont la « boustifaille », la bonne bière, et l'herbe à pipe. Ces Petites Gens ne dépassent pas 1m20 de haut, ont de grands pieds velus et ne portent pas de chaussures. Enfin, ils peuvent être aussi silencieux que des elfes s'ils le souhaitent.

A Bree, les Hobbits sont monnaie courante, et certaines famille se sont installée dans le village depuis longtemps. Leur nombre correspond maintenant à environ la moitié de la population du bourg. Les Grandes et Petites Gens, comme nous nous appelons entre nous, s'entendent parfaitement bien, la vie de la bourgade n'est en rien troublée par les discriminations.

L'économie du village repose sur les gens de passages qui empruntent l'ancienne route est-ouest. Cette route permet aux Elfes de se rendre aux Havres Gris et aux Nains d'aller aux Montagnes Bleues. Ainsi, toutes sortes de gens se rencontrent à Bree, même des Hommes qui viennent faire du commerce.

Mon père, qui nous a élevés seul, mon frère et moi, est fermier. Comme il est le cadet de sa famille, c'est mon oncle, Barliman Butterbur, qui a hérité de l'auberge familiale, mais il a aidé Wilhem, son frère (mon père) à acheter la ferme. Située à moins d'une heure en charrette de Bree, elle produisait assez pour répondre à nos besoins. Ainsi, bien que nous ne soyons pas riches, nous ne manquions de rien et mon frère et moi avons pu aller tout deux à l'école, ce qui nous délivrait un peu de notre autarcie.

J'étais de un an l'aînée de Lòndëyondo, et nous nous entendions à merveille. Etant les seuls enfants à la ferme, nous avions toujours joué ensemble. Quand nous étions petits, c'était moi qui le défendais contre les autres enfants du village, puis rapidement, les rôles s'étaient inversés, et dès que j'eus 14 ans, mon petit frère me sur-protégea, lançant des regards noirs à tout homme ou garçon m'approchant. Il me fit promettre d'apprendre à me battre pour savoir me défendre au cas où.

Lòndëyondo, lui, savait se battre. Il souhaitait pouvoir un jour partir de Bree car il n'aimait pas cette région et rêvait de voyager. Mais les contrées lointaines sont dangereuses. A six ans, déjà la tête pleine de ce rêve, il avait insisté auprès de notre père afin qu'il lui paye des cours d'arme. Il s'y était montré très doué et avide d'apprendre. A 13 ans, bien que moins fort, il avait déjà une très bonne technique et il égalait les hommes de la région dans les tournois annuels.

C'est donc mon frère qui me donna des cours. Ceux-ci étaient difficiles, mais je m'y prêtais de bon grès. Je ne trouvais pas normal d'être surpassée par mon frère, qui avait toujours été plus petit que moi, et je tentais de l'égaler dans l'art du combat, bien qu'en vain. Les jours où nous n'avions pas cours, en plus d'apprendre le combat à l'épée, nous apprîmes les rudiments du combat aux poignards, à la hache, ainsi que les rudiments du tir à l'arc. J'étais désavantagée par rapport à Lòn dans tous les combats, car il était plus grand, plus fort, et plus doué que moi. Il avait aussi une très bonne vue, lui prodiguant une précision extraordinaire au tir à l'arc, mais, ayant moi-même un bonne vue – moins bonne que celle de Lòn, quoique meilleure que la moyenne, mais je me rattrapait par ma très bonne ouïe – je réussi à devenir un assez bon archer, bien que ce ne soit pas mon arme de prédilection.

Le maniement des poignard demande agilité et rapidité, qualités que je possède plus que mon frère. J'arrivai bientôt à le concurrencer dans cet art et j'abandonnai l'apprentissage des autres disciplines, sauf du tir à l'arc. Cependant Lòn ne m'en tînt pas rigueur. En effet, nous savions tous deux que m'apprendre à se battre était l'excuse qu'il avait trouvée pour que notre père le laisse continuer à s'améliorer dans le maniement des armes. Car celui-ci savait l'espoir de mon frère mais voulait qu'il reprenne la ferme à sa suite.

L'avenir de mon frère était ainsi déjà tout tracé par notre père, mais, quand il lui laisserait la ferme, je me retrouverais à la porte. Le jour de mes 17 ans, âge de la majorité dans le Pays de Bree, je le questionnai à ce sujet :

— Père, sans vouloir te paraître envieuse ou avide, je sais que la ferme reviendra à Lòn en temps voulu. Mais que ferai-je, moi ?

— Ne t'inquiète pas, il est bien normal que tu poses cette question, me répondit mon père, comme s'il s'y attendait. Je comptais d'ailleurs t'en parler aujourd'hui. Tu entres maintenant dans ta majorité, et tu sais que ton oncle ne s'est jamais marié et n'a donc pas d'héritiers. Puisqu'il a toujours été établi que l'auberge a toujours était et restera toujours dans la famille, Barliman, ton oncle, à décider de faire de toi son héritière.

— Tu plaisantes ?

— Bien sûr que non. D'ailleurs, tu dois apprendre à t'occuper d'une auberge, ce n'est pas la même chose qu'une ferme. C'est pour cela que tu vas aller travailler au Prancing Pony maintenant que tu as fini l'école.

Comme toute bonne écolière, je fus effarée par la nouvelle. En effet, mon anniversaire est le 30 juin, le premier jour des vacances, et je ne pouvais même pas en profiter un seul jour. Voyant mon expression et comprenant la raison de mon effarement, mon père ajouta :

— Ne t'inquiète pas, je te laisse une semaine de vacances pour te préparer. Et n'oublie pas de faire tes bagages : tu vas habiter chez oncle Barliman pendant ton stage !

— Et j'apprends ça une semaine à l'avance ? Mais je ne veux pas aller habiter en ville ! Je veux rester là moi !

— Ne t'en fais pas, la ville n'est pas si terrible que ça, et surtout, tu ne crains rien, tu n'auras pas à sortir de l'auberge le soir après la fermeture puisque tu y logeras, et tu ne serviras pas en salle, j'y ai veillé !

— Je serai dans les cuisine alors ? demandais-je, soudainement intéressée.

— Il y a des chances, mais cela dépendra de ton oncle, tu pourras le lui demander. Je pense cependant que, au cours de ton apprentissage, tu dois apprendre à travailler à chaque place dans l'auberge, que ce soit en tant que cuisinière ou en tant que femme de chambre.

— Et combien de temps resterai-je ?

— Cela dépendra de toi et de ton oncle, mais je crois que tu y resteras au moins 6 mois, ensuite, si cela se passe bien, et si tu t'y plais, peut-être iras-tu habiter là-bas définitivement, car tu ne vas pas pouvoir vivre éternellement ici. D'ailleurs, je crois que dès que ton frère aura atteint sa majorité, je lui laisserai la ferme…

— Si tôt que ça ? … Bien… Je vais aller voir Lòn pour lui faire part de la nouvelle .

Sur ces mots, je le quittai, un peu sonnée par tant de nouvelles, à la fois triste et heureuse. J'allai pouvoir exercer le métier de cuisinière qui me passionnait, mais cependant ce métier, j'allai devoir l'exercer en ville, et la ville et ses habitants m' effrayaient, ce qui n'était pas étonnant avec tout ce que mon frère me racontait. Il avait introduit dans mon esprit une méfiance à l'égard des gens des villes. Selon lui, les femmes se faisaient agresser à tous les coins de rue, les rixes d'ivrognes étaient légions, et les crimes crapuleux monnaie courante. Je pouvais cependant compter sur mon amie Marguerite, une Hobbit de mon âge, pour me rassurer. Ses parents et elle habitaient en ville depuis toujours, et ils n'avaient jamais eu le moindre problème.

Le départ de la demeure familiale est une étape à franchir pour tout le monde. Pour certain elle est facile, pour d'autre, très dépendant de leur famille, cette étape est très difficile et certains ne la franchissent jamais. J'étais assez attachée à ma famille, tout en étant assez indépendante, donc ce départ était moyennement facile ; et afin de me persuader de l'avantage de cette nouvelle vie qui pour moi aller bientôt commencer, j'en récapitulai tous les poins positif. J'allai devenir cuisinière ; je n'habiterai pas loin de chez Marguerite ; je pourrai rencontrer plein de gens venus de toute la Terre du Milieu, des Elfes et des Nains, et écouter leurs histoires ; et pour finir, j'allai gagner moi-même ma vie, sans plus dépendre de mon père. C'est sur ces pensées positives que je trouvai mon frère en train de tirer à l'arc – encore et toujours. Il visait un arbre à plus d'une centaine de mètres de lui, et je remarquai que déjà plusieurs flèches étaient plantées sur cet arbre. Il se tenait droit, en appuie sur ses deux jambes. Ses deux yeux, d'un vert profond à l'instar des miens, se concentraient sur la cible. On avait toujours fait à peu près la même taille, mais il grandissait encore, et, bien que je mesurais presque un mètre quatre-vingt, il était alors plus grand que moi. L'un comme l'autre, nous avions des cheveux blonds – les siens coupés cours, les miens au contraire, très longs – et une silhouette fine. Nos traits étaient cependant assez dissemblables. Mon père me disait souvent que j'étais le portrait de ma mère, mais j'avais hérité des yeux de mon père. Lòn avait hérité des traits de mon pères, mais de la bouche, du nez et des yeux de ma mère.

Je l'interpellai, et, comme à mon habitude, je commençai à lui parler alors qu'il se préparait à tirer :

— Salut Lòn ! T'as pas de chance, cette année, ma période de martyr est finie : je pars pour Bree à la fin de la semaine, et à ce que j'ai compris, ce sera pour y vivre définitivement !

Sur ces mots, il tira sa flèche qui atteint non pas l'arbre qu'il visait, mais à un autre un peu plus loin, qui, lui, devait se trouver à bien plus d'une centaine de mètre. Je l'applaudis.

— Bravo ! Tu m'avais pas dit que tu t'entraînais sur des cibles aussi lointaines !

Je savais que ce tir était un coups de hasard et que ma nouvelle l'avait déstabilisé. Mais, tout comme j'avais choisi de lui dire ça de manière nonchalante, je préférai faire semblant de ne pas remarquer son choc.

Pour tout dire, je m'y attendais. Lòn adorait aller au Pony pour entendre les voyageurs parler de ce qui se passait en Terre du Milieu, tout comme lorsque nous étions enfants nous adorions qu'ils nous racontent les légendes et les contes faisant intervenir des Elfes ou les Homme de Nùmenor. De plus, nous avions toujours été très proches, et ce départ l'affectait. Nous ne pourrions plus nous réconforter lorsque l'un de nous déprimerait. Cela me peinait moi aussi, mais je m'efforçai à ne pas y penser, et je quittai mon frère après l'avoir une nouvelle fois félicité.

Durant cette semaine, je me préparai donc et, pour la première fois de ma vie, j'allai au cours de mon frère avec plaisir, puisqu'ils étaient une rares des occasions de le voir avant mon départ. En effet, je crois qu'il avait mal pris la nouvelle, et il m'évita toute la semaine. Je l'incitai cependant dès que je le voyais à venir à l'auberge aussi souvent que possible, puisqu'il avait maintenant une excuse pour venir écouter les nouvelles du monde à l'auberge.

Le jour de mon départ, mon père devait m'emmener en charrette en ville, tandis que Lòndëyondo resterait à la ferme. Il me prit dans ces bras juste avant que je ne monte dans la charrette, et me murmura à l'oreille :

— Je viendrai te voir une fois par semaine…je te le promets, alors ne déprime pas trop, hein Vinya ? »

Je lui souris sans lui répondre que je considérais ce déménagement comme le début d'une nouvelle vie, sûrement aussi bien que celle que je vivait à la ferme – ce en quoi je n'avais pas tort. Ajouter cela aurait sûrement renforcer le sentiment de jalousie ou de regret de mon frère. Je montai dans la charrette, tandis que mon père ordonnait aux chevaux d'avancer. Je me retournai et jetai un dernier regard à mon frère et à la ferme où j'avais passé toute mon enfance, qui lentement disparurent dernière les arbres, tandis que je me dirigeais vers mon nouveaux chez moi.

Après une heure de trajet, pendant laquelle mon père me fit l'éloge de la vie citadine, nous arrivâmes en fin à Bree. Nous étions en début de matinée, l'auberge était encore fermée et mon oncle nous attendait sur le pas de la porte. Il m'embrassa alors que mon père déchargeait mes valises. Quand celui-ci eu fini, il salua Oncle Barley, m'embrassa à mon tour, puis il remonta sur la charrette et repartit sans ajouter un mot.

Ce n'était pas la première fois que je venais au Prancing Pony, bien sûr. Maintes fois nous étions venus visiter mon oncle, mais nous restions toujours dans la grande salle. Je passai donc ma matinée à visiter l'auberge, avec les cuisines, les écuries, les chambres – pour Grandes Gens ou pour Hobbits -, et enfin la Grande Salle, qui faisait office de bar, de restaurant et de salon. Cette salle était le cœur de l'auberge, où, le soir, les habitués et les voyageurs se retrouvaient pour boire une bière et discuter des dernières nouvelles de l'Extérieur. Une grande cheminée en pierre au fond de la salle, sur laquelle se trouvait une peinture de poney, assurait une ambiance familiale qui convenait à une auberge de village. Je me rendis compte plus tard quelle servait autant à chauffer qu'à éclairer la pièce. En effet, le soir la pièce était remplie d'une telle fumée que les petites lanternes suspendues au plafond ne parvenaient pas à éclairer ce nuage.

La Grande Salle était meublée avec huit grandes tables, réparties aléatoirement dans l'espace, et ces tables étaient encadrées par des bancs. A chaque table, un des quatre bancs était plus haut que les autres pour permettre aux Hobbits de s'asseoir à la même hauteur que les Grandes Gens. Cette pièce avait trois entrées. La première, pour les gens venant de l'extérieur de l'auberge, était au milieu du mur adjacent à la cheminée. Ce mur donnait sur la rue, et trois fenêtres contribuaient à l'éclairage de la salle. En face de ce mur, une autre porte permettait aux pensionnaires de l'auberge d'entrer dans la Grand Salle. Cette porte ouvrait sur un couloir qui, sur la gauche, devenait un escalier menant aux chambres de l'étage supérieur, et, sur la droite, conduisait aux chambres du rez-de-chaussée, réservées aux Hobbits. Sur le mur faisant face à la grande cheminée se trouvait le bar qui s'étendait tout le long du mur, laissant à peine place à la dernière ouverture, donnant sur un couloir. Ce corridor servait de vestibule à l'auberge. Au fond du vestibule, avant qu'à la faveur d'un coude il ne rejoigne le couloir menant aux chambres, l'ouverture de la Grande Salle faisait face aux portes battantes de la cuisine. Elle ressemblait en tout point à une cuisine normale, comme celle que j'avais chez moi, excepté que tout était à plus grande échelle, de la taille de la cuisine elle-même à celle des ustensiles, afin de pouvoir cuisiner pour un grand nombre de personne.

L'auberge consistait en trois ailes formant un U. Au milieu de l'aile centrale, une arche séparait l'édifice en deux. La partie gauche était réservée aux clients, avec les chambres, la cuisine et la Grande Salle. Le rez-de-chaussée de l'autre moitié était occupé par les écuries. Le premier étage était loué aux employés de l'auberge, Nob et Bob, qui, bien qu'étant Hobbits, supportaient assez bien de dormir à l'étage. Mon oncle occupait un appartement au dernier étage, et le deuxième étage qui était inhabité depuis le départ de mon père devint le mien.

L'appartement était déjà meublé et je n'eus qu'à défaire mes valises pour m'installer. Le sol était recouvert de parquet, contrairement à la partie de l'auberge réservée aux client où il était recouvert de tommettes rouge. La décoration consistait en quelques portraits de mes grands-parents et mon père et son frère. Je rajoutais une peinture nous représentant mon frère et moi, et je me sentis immédiatement chez moi dans cet appartement. Les peintures venaient d'être refaites, et les couleurs qu'avait choisi mon oncle mon convenaient au mieux. Toutes les pièces avaient deux murs opposés en blancs, et les deux autres murs colorés, ce qui donnait une sensation d'espace. Les rideaux étaient assortis aux couleurs des murs. Le séjour était peint avec un beau vert marin, et la cuisine, avec un bleu mature, presque agressif. Je choisis pour chambre une pièce qui avait trois murs blancs et un mur violet naissant, et laissai comme chambre d'ami une autre pièce peinte pareillement, mais avec le mur orange clair. La salle de bain, elle, était carrelée de rouge et de blanc. Je découvris aussi, lors de la découverte de mon nouvel appartement, un cabinet de travail, avec un beau bureau trônant au centre de la pièce. La pièce était plutôt petite et faisait paraître le bureau plus grand qu'il ne l'était. Il était accompagné d'une armoire, faite dans le même bois. Les murs étaient peints de blanc uniquement, faisant ressortir les rideaux bariolés et colorés qui pendaient aux fenêtres. Dans cette pièce passait un conduit de cheminée qui apportait de la chaleur du feu que faisait Nob à l'étage au-dessous et continuait jusqu'à l'appartement de mon oncle. Le même procédé s'appliquait au conduit installé dans mon séjour, et qui lui amenait la chaleur du feu de Bob.

Je commençai le travail dès l'heure du repas de midi. Il avait été établi que je travaillerai en tant que cuisinière pendant quelque temps, puis je passerai à femme de chambre, et lorsque je serai assez assurée, je deviendrai barmaid. En même temps que je travaillerai à ces différents postes, j'aiderai mon oncle à gérer l'auberge ou, tout du moins, j'apprendrai.

Je m'installai donc derrière les fourneaux, et attendis les premières commandes. C'était heureusement un jour assez calme d'après mon oncle, mais je fus rapidement dépassée par les événements. Nob eu la bonté de venir m'aider, et nous fîmes ainsi connaissance. C'était un Hobbit semblable aux autres, c'est-à-dire très sympathique et blagueur, il était très ouvert aux gens, et bien entendu porté sur l'herbe à pipe. Grâce à lui, j'appris à cuisiner plus rapidement et en plus grande quantité. Il m'indiqua aussi quels habitués voulaient des plats bien salés, et ceux qui n'aimaient pas le sel.

Le dimanche soir, alors que j'étais là depuis déjà quelques jours et que je commençais à me débrouiller en cuisine, oncle Balrey vins me voir dans la cuisine :

— Ton frère est venu te voir !

J'étais alors concentrée sur ma cuisine et cette nouvelle me réjouit bien que je ne pusse voir mon frère avant la fin de mon service. Mon oncle continua :

— Il m'a dit qu'il viendrait tous les dimanches soir, alors puisqu'il sera là, ces soirs là tu serviras en salle. Cela te permettra de le voir, et puis il sera là si un client te fait des histoires. Nob te remplacera en cuisine.

Je l'embrassai pour le remercier, puis, je défis en hâte mon tablier et me précipitai dans la Grande Salle à la recherche de mon frère.

Je le trouvai accoudé au bar et discutant tranquillement avec un Nain des nouvelles de l'Extérieur. Cela faisait bien longtemps qu'il n'était pas venu à l'auberge et qu'il n'avait pu entendre ces histoires. Il me dit ensuite qu'il avait appris d'étranges choses, comme quoi une ombre s'étendait à l'Ouest depuis déjà quelque temps, et que les orcs se multipliaient dans les montagnes. Je m'approchai assez de Lòndëyondo pour qu'il me remarque. Il me prit dans ces bras, mais il me relâcha rapidement pour commencer à s'énerver contre moi :

— Qu'est-ce que tu fais là toi ? Père m'a dis que tu ne viendrais pas en salle, du moins pour le moment ! Je serai venu te voir à la fin de ton service ! Mais tu es

— Arrête, c'est bon ! Oncle Balrey va me faire travailler en salle tous les dimanches soir puisque, d'après ce qu'il m'a dit, tu viendras toujours. Ainsi tu veilleras à ce que les clients ne me pas fassent d'histoire !

Lòn ne trouva rien à redire à ça et me laissa faire le service. Les clients avaient entendu qu'il serait là si on me cherchait, et il n'y eut donc aucun incident.

C'est ainsi que je passais mon été puis vins le début septembre, et mon oncle, en accord avec ce qui avait été décidé, fis de moi une femme de chambre. Comme pour mon apprentissage du métier de cuisinière, je fus dépassée au début, mais je m'y retrouvai vite, avec l'aide de Bob cette fois-ci.

Tous les matins avant que l'auberge n'ouvre, je retrouvai mon oncle dans son bureau, et nous faisions les comptes, réfléchissant à quoi commander et à quel fournisseur, s'il fallait augmenter ou baisser les prix, et à toutes sortes de choses. Je devins rapidement une aide précieuse pour mon oncle, grâce à mon habitude du calcul que j'avais acquise à l'école, tandis que lui devait s'y prendre à deux ou trois fois pour arriver à faire ses comptes.

Le dimanche soir, Lòn venait toujours à l'auberge, parfois accompagné de mon père, parfois tout seul. J'eus une fois un problème avec un voyageur soûl qui refusait de se faire impressionné par mon frère, mais je le mis moi-même à la porte, et personne ne recommença : j'étais devenue La Future Patronne, j'étais bien plus assurée, et les habitués voulant se faire bien voir dissuadaient eux-même les voyageurs de me chercher.

Tout se passait donc bien pour moi à Bree, lorsque le premier dimanche soir de septembre arriva. Ce soir là, oncle Barley hésita à me laisser travailler en salle. J'arrivai à le convaincre, et en entrant dans la Grand Salle, je ne vis vraiment pas pourquoi mon oncle s'en faisait. Il n'y avait que les habitués ainsi que quelques voyageurs, par ailleurs en petit nombre. De plus Lòn était comme à son habitude accoudé au bar.

Je commençai donc mon service, naviguant entre les tables. Je servais depuis presque une heure lorsque, passant près d'une table à l'ombre de la cheminée, je trébuchai sur un pied de la table, et manquai de tomber. Un homme, que je n'avais pas vu, se tenait dans l'ombre et me retint.

Seuls ses yeux, brillant d'une lueur particulière, étaient visibles, et encore uniquement lorsque les braises de sa pipe s'allumèrent. Il semblait vraiment à part, seul dans la pénombre alors que toutes les personnes présentes étaient assises ensembles à la lumière. Il s'avança à la lumière et je pus le voir. Ses yeux gris indiquait un savoir et un âge avancé, un peu comme un Elfe, que ne traduisait pas son apparence. Cependant, il était un Homme, mortel. Les rides qui lui barraient le front ne faisaient aucun doute à ce sujet, bien qu'il paraissait plus usé par les voyages que par les années. Par ailleurs, ses vêtements renforçaient cette idée qu'il voyageait beaucoup. Il était vêtu d'un grand manteau, qui avait du être vert dans le temps mais qui maintenant était passé. De hautes bottes, elles aussi très usées, lui remontaient jusqu'aux genoux, et il tenait dans sa main gauche une pipe étrangement sculptée. Son visage sévère était encadré par des cheveux poivre et sel lui descendant jusqu'aux épaules. Cette sévérité alliée à ses yeux gris me frappa et je devinai que cet homme, malgré son apparence peu flatteuse de par ses vêtements, était un homme de sagesse et de savoir. Il me regardait avec compassion et gentillesse, et me rendit le sourire que je lui adressai pour le remercier.

Je n'eus cependant pas le temps de le remercier explicitement, car oncle Barley arriva et exigea à l'homme, qu'il nomma Grands-Pas, de sortir. Je compris alors que c'était de cet homme que mon oncle avait peur, et que c'était pour cela qu'il ne voulait pas que je serve ce soir-là. J'avais déjà entendu parlé de Grands-Pas : c'était un personnage connu dans le Pays de Bree, et il était craint par nombre de personne. J'essayais d'expliquer à mon oncle que Grands-Pas n'avait rien fait de mal lorsque mon frère s'approcha :

— Laisse-le oncle Barley, fit-il d'un ton calme et posé ; il n'a rien fait. Il l'a juste aidé à se relever.

Ses paroles me rendirent muette d'étonnement. Je m'attendais de sa part à son habituelle « crise de surprotection », comme je l'appelais. Puis, je me souvins que mon frère avait une très bonne vue et qu'il pouvait même presque voir dans le noir, ou plutôt… qu'il voyait dans le noir, « comme sous le soleil de midi un jour de beau temps », avait-il l'habitude de dire.

Barliman avait lui aussi été très étonné, et je profitai de son égarement momentané pour remercier le dénommé Grands-Pas. Je lui demandai aussi de m'excuser pour ne pas encore l'avoir servi, et lui demandai ce qu'il voulait boire, tandis que Lòndëyondo expliquait à notre oncle qu'il avait veillé sur moi, comme d'habitude, et qu'il avait vu que Strider n'avait fait que m'aider.

— Tu l'as vu, dis-tu, mais il s'est installé dans l'ombre, où personne ne peut le voir justement !

— Ne dis pas de bêtise, répondit Lòn à Oncle Balrey. Tu sais très bien que j'ai une très bonne vue, bien meilleure que la tienne !

— Oui…c'est vrai… mais quand même… »

Puis notre oncle nous quitta pour revenir à ses affaires, Lòn retourna au bar, et j'allai chercher la bière que l'homme m'avait commander. Je lui apportais, et il engagea la conversation :

— Alors comme ça votre frère y voie dans le noir comme en plein jour ?

— E n effet, c'est presque ça, il fait un peu comme les chats, si vous voyez ce que je veux dire.

— Ou comme les elfes… répondit lentement Grands-Pas.

— Je savais que les elfes avaient une très bonne vue, mais j'ignorais qu'ils pouvaient y voir dans le noir !

— Quelques-uns seulement le peuvent…

— Peut-être… dis-je sceptique. Mais enfin ! Vous devez sûrement vous y connaître mieux que moi.

— Sûrement, me répondit-il avec une sorte de sourire. Dites-moi, reprit-il après un silence, vous êtes de la famille de Butterbur, non ?

— Oui, je suis sa nièce, c'est le frère de mon père…

— Votre père… Wilhem Butterbur, c'est ça ? De la ferme Butterbur ?

— Oui, c'est ça.

— Ah, c'est bien ce que je me disais…fit-il lentement en me dévisageant.

Il rejoignit son ombre, et n'ajouta pas un mot.

La façon dont il avait dit sa dernière phrase me laissai perplexe, et je me posai des questions sur sa signification. Oncle Balrey avait l'air de bien le connaître, aussi lui posai-je quelques questions sur Grands-Pas dès que j'en eus l'occasion. Il m'apprit que l'homme faisait partie des Rôdeurs, des hommes qui vagabondait dans la région et passaient pour être dangereux, et qu'il allait et venait selon son bon plaisir, parfois disparaissant une année entière pour revenir, toujours égal à lui-même. Il parlait peu, mais pouvait parfois raconter de très bonnes histoires. Comme je souhaitai en apprendre encore d'avantage, je signalai les talents de conteur de cet homme à mon frère, et sans en demander davantage, celui-ci vint s'asseoir à sa table et engagea avec lui la conversation. J'avais remarqué que pour parler à quelqu'un, Strider sortait de son ombre, afin que son interlocuteur puisse le voir. Cependant, sûrement à cause du don de mon frère, il ne prit pas la peine de se mettre à la lumière pour discuter avec Lòndëyondo.

Mon frère resta avec lui toute la soirée, et semblait captivé par ce que lui disait le Rôdeur. Lorsque le bar ferma, comme à mon habitude, je raccompagnai les clients à la porte. Alors que je m'apprêtais à saluer Grands-Pas, il me glissa :

— La prochaine fois, au lieu d'envoyer votre frère, vous pourrez venir vous-même me parlez. Je ne vous mangerai pas !

Je le vis alors arborer son premier vrai depuis le début de la soirée. Je rougis de confusion de voir mon réel dessein démasqué, mais lui rendis son sourire en lui promettant de ne pas manquer de venir l'écouter un de ces jours.

Le vendredi qui suivit était le jour de mon congé hebdomadaire, et après avoir passer la journée à la ferme de mon père, je décidai de profiter de ma soirée pour discuter avec Grands-Pas, qui m'intriguait de plus en plus, à chaque fois que je lui parlais.

Avant qu'il n'arrive dans la Grande Salle, je m'installai à l'ombre de la cheminée et à l'abris des regards, en face de sa place habituelle, et j'attendis. Je n'eus pas à attendre longtemps d'ailleurs, car quelques minutes après, il entra dans la salle et vint rapidement s'asseoir en face de moi. Il ne m'avait pas vu, et je préférais ne rien dire pour le moment, m'annonçant un peu plus tard. Mon oncle vint lui prendre sa commande, et je m'apprêtais justement à me faire connaître en commandant une bière en même temps que lui, mais Grands-Pas en demanda deux et je mis quelques secondes avant de réaliser qu'il m'avait repérée. Dès que mon oncle disparut, il me demanda avec un ton ironique .

— Une bière vous conviendra j'espère ?

J'étais vraiment dépitée et je me sentais vraiment honteuse, alors, plutôt que de lui répondre, je l'interrogeai :

— Comment avez-vous deviné que j'étais là ?

— Votre pied dépasse de l'ombre…

Je me dépêchai de le déplacer et remerciai intérieurement la pénombre qui cacher mon teint virant au rouge. Il avait le don de me mettre mal à l'aise. Grands-Pas cependant continuait :

—… et je me doutais que vous viendriez ce soir puisque c'est votre jour de congés.

— Comment le savez-vous ?

— Un Rôdeur se sert de ses yeux et de ses oreilles, demoiselle. De cette manière, il apprend beaucoup de chose…

— On dit que vous êtes un Rôdeur, il est vrai, et vous le dites vous-même d'ailleurs, mais, qu'est-ce qu'un Rôdeur ?

— Votre oncle vous l'a déjà dit, non ?

— Il m'a dit que vous étiez un vagabond, mais …vous semblez être plus que cela…

— Ah oui ? s'étonna alors Grands-Pas, et dans sa voix, je pus deviner qu'il souriait.

— Mais vous vous entourez de beaucoup de mystère, et il est malaisé de lire en vous, contrairement à ce qu'il en est pour mes autres clients ! lui répondis-je, en souriant moi aussi.

— Vous avez sans doute raison…mais sachez que vous m'intriguez vous aussi…

— Moi ? demandai-je étonnée. Je ne vois pas en quoi…!

— Comment vous appelez-vous ? »

Cette question me fit reprendre mes esprits, et je rétorquai :

— Je ne donne pas mon nom à un homme si je ne connais pas le sien.

— Mais vous connaissez le mien, on me nomme Grands-Pas, dit-il en souriant.

— Je parle de votre vrai nom. Grands-Pas est le nom que vous donne les villageois de Bree, sûrement pas celui que vous ont donné vos parents !

— Vous avez raison, me répondit-il avec un rire bref. Mes parents m'ont appelé d'un drôle de nom pour votre contrée. Je m'appelle Aragorn.

— Aragorn…Je préfère à Grands-Pas. Puis-je vous appeler ainsi ?

— Si vous voulez, mais maintenant que vous connaissez mon nom, j'attends que vous me donniez le vôtre. Tous les habitués vous appellent Vinya, mais je suppose que c'est un diminutif… ?

— Et vous avez raison, mais mon nom est bizarre, même ici chez moi : je m'appelle Envinyatë.

— Ce n'est bizarre qu'ici ! Vous avez un nom elfique, tout comme votre frère.

— C'est vrai ?

Cette nouvelle m'étonnai car mon père ne cachait pas sa profonde aversion pour tout ce qui est elfique.

— Envinyatë signifie Celle qui renouvelle ou Celle qui guérit. Je suis moi-même appelé Envinyatar, le Régénérateur, par certaines personnes.

— Et c'est parce que j'ai presque le même prénom que vous que je vous intrigue ?

— A cause de ça et d'autres chose aussi … Mais je n'ai pas répondu à votre question! Alors… voyons … que pourrai-je dire des Rôdeurs…

— Vous êtes doué pour changer de conversation lorsque vous ne voulez pas vous dévoilez Aragorn ! le coupai-je en riant.

Il rit lui aussi :

— Je crois que vous m'avez démasqué ! »

Il continua néanmoins sur les Rôdeurs, ce qui, tout compte fait, ne m'allait pas si mal, puisqu'on ne parlait plus de moi, mais de lui, et j'étais donc un peu moins mal à l'aise :

— Les Rôdeurs viennent du Nord. Ce sont des Hommes qui, comme vous avez pu le constater, voyagent beaucoup et ne sont pas forcément très bien vus par les populations locales.

— Et, pourquoi voyagez-vous ? lui demandai-je alors.

— Je suis ici parce qu'un de mes amis m'a demandé de l'attendre ici, un homme qui tout comme moi va et vient au grès des saisons…

— Un autre Rôdeur ? Si c'est le cas, il n'est pas encore arrivé, vous êtes le seul que je connaisse.

— Ce n'est pas un Rôdeur, c'est un Magicien .

— Ah ! Vous parlez de Gandalf ? lui non plus il n'est pas là. Nob m'a raconté qu'il était passé en Juin, mais je n'en suis pas sûre…Je l'aime bien le vieux Gandalf : il raconte de bonnes histoires lui aussi. Lui seul les connaît, comme s'il les inventaient, et on a toujours l'impression qu'il les a vécues … D'après ce que m'a dit Nob, qu'il dût ne rester qu'un jour, et dans la nuit, il disparut, bien qu'oncle Balrey ne ce soit pas inquiété… Gandalf avait du le prévenir.

Il y eut alors un long silence au bout duquel Aragorn murmura :

— …Je vous remercie pour ces nouvelles, Envinyatë. Je vais aller faire un tour dehors. Bonne nuit. »

Il se leva sur ces mots, et quitta rapidement la salle. Il était encore tôt, et son départ m'intrigua, d'autant que les jours précédents il avait attendu la fermeture pour quitter l'auberge.

Au cours des semaines qui suivirent, je n'eus plus l'occasion de lui parler comme nous l'avions fait ce soir-là, et je ne pus donc pas apprendre ce qui le préoccupait. Il passait ses journées dans la nature, et il réapparaissait à la faveur la nuit. Il passa ainsi tout le mois de septembre. A partir de la dernière semaine, il arriva plus tard à l'auberge, paraissant plus fatigué et plus inquiet qu'auparavant, et son inquiétude semblait croître de jour en jour.

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