Le temps était maussade à Séoul. Malgré l'heure tardive, 23 heures, la circulation était toujours aussi intense dans la capitale qui résonnait du ronronnement continu des moteurs, ponctué parfois de brefs klaxons. Aujourd'hui avait été une journée à pic de pollution et l'air était encore peu respirable sous les néons flashy des boutiques chics, des immeubles de verre immenses et des panneaux publicitaires géants sur lesquels le dernier mannequin à la mode affichait des airs de fillette sur plusieurs mètres de toile haute en couleurs tandis la pluie y dégoulinait lentement. En ce mois de juillet, dans l'air chaud et humide de cette fin de mousson, tous les thermomètres avaient affiché les 45°C en plein après-midi, un record que le pays n'avait pas battu depuis des années. Alors que rues et ruelles étaient trop propres pour que puisse y être emportée une quelconque saleté, les gouttes, en les délavant, ne les rafraîchissaient pas. Au contraire, elles semblaient englober la moindre particule de chaleur pour la plaquer et l'étaler de tout son long sur l'asphalte. Derrière les vitres des bureaux climatisés sur lesquels elle continuait de taper comme une mendiante, feignant d'ignorer l'averse, au sec, des milliers de cerveaux continuaient de fumer, saturés de caféine, à bloc pour un duel avec machines et papiers qui se prolongerait encore quelques heures ou, pour certains, toute la nuit. En attendant, de leur haute scène d'un gris de plomb, les chaînes liquides cristallines continuaient de descendre, tendues, verticales, leurs extrémités martelant chaque centimètre de surface alentour sur toute la ville et ses banlieues désertes, leur lourde couverture de nuages ayant pris possession du ciel entier tandis que chacun en dessous d'elle se réjouissait chez soi de s'en être abrité.

Au cœur d'un des quartiers résidentiels, à l'entrée du parking souterrain à côté duquel passaient dédaigneusement Porches, Bentley et Maserati sans s'arrêter, la pluie battait toujours le bitume et le dos des espionnes comme un forgeron frappe le fer sur son enclume. Accroupies derrière des poubelles et des lampadaires, elles attendaient. Ainsi recroquevillées dans leurs grands blousons noirs, elles ressemblaient à des sacs prêts à être jetées aux ordures. Elles n'étaient qu'unes avec leur environnement, parfaitement immobiles, et s'oubliant complètement elles-mêmes, patientes, attentives.

C'était bientôt l'heure, elles allaient commencer.

Sur les visages, l'eau se mêlait à la sueur. Un bout de langue venait de temps en temps récolter un peu de l'eau sale pour l'amener aux lèvres jeunes mais à part ça, seuls les yeux, sous les capuches bougeaient, rivés sur le bout de route désert. Quand un passant, un salaud de riche sûrement, s'approchait de trop près, elles se repliaient derrière les piliers du parking et le laissaient passer son chemin en se cachant dans l'ombre.

Elles attendaient le bon. Et il n'était sûrement pas à pied.

Voilà des heures qu'il n'était passé personne. Pourtant, comme des louves devant leur tanière quand elles sont affamées, en boule, trempées jusqu'aux os, elles demeuraient ancrées. Le temps semblait avoir ralenti mais la détermination restait la même. Elle grandissait même de minute en minute.

Il viendrait. Elles en étaient certaines.

La pluie continuait de tomber et leur glissait dessus comme sur les épaules de statues luisantes. Quiconque aurait brisé leur concentration l'aurait sitôt regretté amèrement. Atrocement, même. Derrière les masques de détermination, un sourire enfantin menaça soudain de poindre : un taxi blanc passa en faisant clignoter ses phares.

Conformément au code, le van noir arriverait dans quelques minutes.