Chapitre 1 : Rencontre

« Tout commença par une nuit endiablée… »

Le soleil entrait dans la minuscule pièce, ses rayons vagabondant sur le doux visage d'un garçon, obligeant ce dernier à sortir de ses rêveries. Ses yeux, encore à demi-clos frémissaient à l'idée de devoir s'ouvrir. Ses iris noires et impénétrables refoulaient le monde extérieur, ce dégoût envers la société les taraudaient depuis trop d'années. Un rapide aperçu de son appartement lui rappela sa solitude, l'habitation aussi déserte que son entourage obscurcissait son esprit jour après jour. Après avoir goûté aux plaisirs de la compagnie, aux réjouissances familiales et aux liens indéniables de l'amour, l'arrivé soudaine à une existence égoïste, rythmée par une lutte pour une survie dont personne ne s'inquiétait, l'épuisait psychiquement. Jour après jour le garçon dépérissait, s'enfermant dans une bulle noire et sans espoir d'avenir.

Les matinées ensoleillées l'empêchaient de se réjouir. Il détestait le soleil, l'été et tout ce qui découlait du beau temps en général. Nonchalamment il passa sa main dans sa chevelure de jais, démêlant quelques mèches rebelles et réfléchissant à sa journée. Le vague souvenir d'une discussion avec ce qui s'apparentait à un ami lui revint. La veille, dans un petit bar miteux et à la limite de la bienséance, il avait rejoint Naruto Uzumaki, un garçon du même âge que lui. Par son physique il se distinguait du brun, le blond couleur paille de ses cheveux relevant son teint légèrement halé lui donnait un air angélique et innocent. L'air satisfait et heureux collé sur son visage contrastait violemment avec le visage fermé du brun. Toujours souriant et à l'affut de la moindre occasion pour rire, Naruto représentait la joie de vivre en personne. Il était surprenant de constater que le taciturne Sasuke n'avait pour unique fréquentation que ce garçon, manifestement très, voire trop opposé à son caractère. Il se remémora la fraicheur exquise de sa bière artisanale, commandé à un barman barbu et tatoué de la tête aux pieds. Alors qu'il se délectait du jus d'houblon légèrement alcoolisé, son ami, apparemment impatient et excité lui fit une demande incongrue.

- Tu te souviens de mon super pote Kiba ? Tu sais celui dont je te parle tout le temps ?

- Pas le moindre du monde, désolé.

- Mais si ! S'était écrié le garçon. Celui avec qui je sors souvent à « l'intime », le bar sur la péniche du fleuve.

- Si tu crois que je dresse une liste de tes fréquentations te tu te trompes. J'arrête de t'écouter quand tu me parles de tes potes bourgeois.

Le blond afficha une mine réjouie, le genre de mine satisfaite que seule une personne triomphante arbore.

- Tu fais genre mais tu sais très bien de qui je parle en fait.

Le brun soupira, lassé de l'entêtement du garçon.

- Comment tu saurais qu'il fait partie de mes amis bourgeois en sinon. Il mima des guillemets avec ses mains pour accentuer le terme injurieux de Sasuke.

- Plutôt simple à déduire, ça pullule dans ton entourage. Lâcha le brun, agacé.

Naruto feint d'être offusqué, ce qui irrita encore plus son ami, déjà embarrassé par tout le bruit que le blond émettait avec ses jérémiades, et qui leur valait des regards oppressants de la part des autres clients du bar.

- Bon du coup, pourquoi tu me parles de ce gars ? Demanda-t-il, finalement intrigué.

- Il organise une fête géante demain, je me disais que ça te ferait du bien de voir du monde.

- Sans façon, merci quand même pour la proposition.

Cette manière dédaigneuse qu'avait le brun de repousser les autres, plus particulièrement les liens affectifs taraudaient Naruto. Tous deux étaient orphelins et pourtant seul lui s'évertuait à se constituer un semblant de famille alors que l'autre s'enfonçait toujours plus loin dans sa condition.

- Mais quand est-ce que tu vas arrêter d'être aussi con Sasuke ? Il se leva. Je n'attends pas de réponse de ta part, juste ta présence demain soir.

Maintenant que le jour était levé, Sasuke encore enroulé et transpirant dans sa couette se devait de prendre une décision pour ce soir. Décidément il eût préféré ne jamais rencontrer ce garçon. Un vibrement retentit de sous le lit, une fois de plus il s'était perdu dans ses pensées trop longtemps, en oubliant son travail et ses obligations vis à vis de son patron. D'un bond, il se leva, prêt à subir sa journée, comme toutes les autres depuis la perte de sa famille entière.

Karin Uzumaki profitait de cette belle journée pour se pavaner dans le Nord de Konoha. Son esprit corrompu se délectait de ses balades régulières dans ce quartier jonché de vitrine hors de prix et de bons partis. D'habitude vêtue légèrement et misant tout sur ses courbes agréables elle se jetait aux bras de garçons de bonne famille mais depuis peu, ce jeu ne l'intéressait plus. Seul Sasuke Uchiha la captivait. On le disait mauvais comme la peste mais la jeune femme n'avait que faire des rumeurs colportées par des jaloux et des envieux pathétiques.

Elle n'avait jamais ressenti une passion aussi dévorante pour quelqu'un que pour le brun taciturne. Elle le vit pour la première fois à une soirée privée où seul les membres d'un club très élitiste pouvaient s'afficher. Le maître des lieux, un dénommé Orochimaru, un homme sophistiqué et élégant, admiré par Karin pour l'avoir sauvée de la misère de la rue, se tenait à droite du garçon.

Revoir cette image donnait des frissons à la jeune fille, tout son être tressaillait face à ce souvenir excitant. Elle se souvint de son ressenti au moment où elle croisa le regard fier de son employeur d'exhiber son nouveau protégé : le dernier représentant du prestigieux clan des Uchiha. Devant ce duo, la rousse se sentit insignifiante et inutile comme si leur prestance aspirait toute sa confiance en elle. L'un la terrifiait, l'autre l'intriguait. Autour du jeune garçon, une ombre obscure et mystérieuse planait, quelque chose de troublant le rendant inaccessible au commun des mortels. C'est ce jour-là qu'elle tomba follement éprise du garçon. L'aura noire et tourmentée de ce dernier appelait toutes les parties du corps de la rousse, elle en bavait littéralement, son corps ne vibrant plus qu'aux respirations de sa nouvelle convoitise.

Dans ce bar souterrain aux murs en velours pourpre, un spectacle attisait la sauvagerie du beau monde. Quatre jeunes femmes se déhanchaient sur une mélodie suave, s'évertuant à paraître désirables avec leurs tenues légères et leurs danses lubriques. Les spectateurs se délectaient de ces petites prestations quotidiennes offertes par la maison. Orochimaru savait recevoir, surtout à une époque où le gouvernement en place restreignait ce genre de frivolités. La plus élancée des quatre enleva délicatement le fin tissu qui couvrait sa poitrine et le laissa glisser lentement sur le sol. Une fois assurée que le textile trônait par terre, elle leva la tête arborant une moue innocente au visage, comme si on l'avait prise en flagrant délit. Cet air qu'elle se donnait semblait si vulgaire aux yeux onyx du brun qu'il en avait des hauts le cœur. Il préférait détourner le regard plutôt que de prendre part à une telle sauvagerie.

La tension sexuelle atteignait son paroxysme, tout comme les grammes d'alcool dans le sang des spectateurs, et la rousse jubilait. Cet endroit et ses clients la faisaient vibrer, elle adorait ce monde sombre et barbare. Il y a quelques années, la jeune fille vagabondait dans les rues, à la recherche de quelques pièces et d'un peu d'affection. Elle comprit vite que ses attributs féminins lui permettaient de gagner bien plus que les quelques centimes qu'on voulait bien lui offrir en sortant d'un commerce. Au début, elle travaillait à son compte, se faisait sa petite clientèle tranquillement, sans chercher à tapiner sur des trottoirs déjà occupés. Et puis un jour, une grosse limousine noire avec vitre teintée s'arrêta sous son nez et on l'obligea à entrer, ce fut le commencement de son adhésion à l'organisation la plus criminelle de Konoha. Certainement la plus pervertie aussi, son créateur, le propriétaire du bar souterrain, ne poursuivait qu'un but : faire basculer les mœurs, que le diable renaisse de ses cendres et règne sur le pays. Lucifer étant Orochimaru, car finalement, c'est lui qui aspirait au chao plus que l'être mystique vénéré.

Pour une raison inconnue, ce richissime patron d'Otto s'installa à Konoha quelques années après l'investiture au pouvoir de Sarutobi. Certains potins s'accordèrent à dire qu'il nourrissait l'espoir de dépénaliser l'inceste, la polygamie et l'eugénisme. A l'époque, Karin n'avait que faire de ces élucubrations. Pourtant elle aurait dû prêter plus attention à ce que les villageois racontaient car les plans d'Orochimaru semblaient bien plus noirs que supposé. Il se constitua une armée au fur et à mesure que les années passèrent. Au sommet de la hiérarchie, des hauts dirigeants politique, des directeurs de banque, des gérants de grandes entreprises prenaient place, au contraire tout en bas on retrouvait des petits dealeurs de drogues ou encore de pauvres étudiants fauchés. Tous se battaient pour obtenir les faveurs du maître et monter dans son estime.

La rouquine se souvint de tous les travaux qu'elle dut accomplir depuis son adhésion jusqu'à sa montée en grade. Maintenant, elle pouvait se pavaner tous les soirs au club, verre de vin à la main. Elle fut dans les premiers mois un amuse-bouche pour les clients, puis une danseuse, ensuite une serveuse jusqu'au jour où ses talents de fines manipulatrices furent repérés et mis à contribution.

L'alcool coulait tous les soirs à flot et la rousse s'abreuvait jusqu'à atteindre l'euphorie, le liquide âpre l'exaltait, elle appréciait tout particulièrement sa longue descente jusqu'à son estomac et s'amusait souvent à faire tourner son verre entre ses fins doigts telle une amatrice avertie. L'impatience d'être ivre se faisait toujours trop vite ressentir lorsque personne ne la distrayait. Elle allait entamer un énième verre lorsque l'objet de tous ses désirs apparut et s'assit à deux tabourets d'elle.

- Bonsoir, lâcha doucement la jeune femme, belle soirée, non ?

Il ne lui adressa même pas un regard, l'ignora délibérément et ordonna un whiskey au serveur.

Sasuke termina sa journée de dur labeur vers dix-neuf heure. Il ne prit pas la peine de repasser chez lui pour bien s'apprêter, d'avance il savait que cette soirée l'ennuierait. Même dans ses pires cauchemars, il n'avait jamais imaginé pareille soirée d'été. A peine arrivé dans le grand parc, surnommé "l'espace vert de l'électro", il fut écœuré par la dégaine des invités. Tous ces étudiants représentaient l'archétype de ce qu'il déteste : des filles et fils à papa ayant grandis dans une bulle dorée, préservés de la violence du monde extérieur et de ses méandres. Comme par hasard, l'hôte avait réservé le parc servant régulièrement d'aire pour des festivals de musique électronique. Cette étendue d'herbes réputée pour ce genre d'évènements où garçons et filles s'entremêlent les pupilles dilatées et la mâchoire serrée contribuait à l'enrichissement de son meilleur ami, ce dernier vendant régulièrement de la drogue dans le coin, soi-disant pour « mettre du beurre dans les épinards ».

Sasuke toisait leur hôte, un brun avec quelques centimètres de moins que lui, des traits semblables à ceux des chiens et des piercings à outrance. Il se maudissait pour avoir cédé aux caprices du blond, plus jamais on ne l'y prendrait. L'analyse du reste des convives l'alarma, leurs tenues toutes propres, identiques accordées à leurs mines béates le conforta dans son repli stratégique près du bar. Décidément, Sasuke haïssait cette période de l'année, plus propice que les autres aux débordements, aux touristes et aux soirées remplies de menteurs et de fourbes. L'air perdu, un verre dans la main droite, une cigarette dans l'autre, sa veste en cuir sur le dos et ses cheveux ébouriffés faisaient tâche dans le décor. Pourtant toutes les filles le regardaient, il se dit qu'elle n'avait pas l'habitude de voir un garçon des bas quartiers. En réalité, peu importe la tenue qu'il porterait, Sasuke Uchiha était un beau garçon, un très beau garçon.

- Naruto, arrête de te dandiner comme un abruti, ce n'est pas parce que je ne te regarde pas que je ne peux pas t'écouter. Lâcha le brun, las.

Le blond s'évertuait à capter son attention depuis dix bonnes minutes en s'agitant et gesticulant dans tous les sens. Il devrait savoir pourtant depuis tout ce temps que son ami est imperturbable.

- Pourquoi il faut toujours que tu prennes cet air supérieur ? S'exclama vigoureusement le garçon.

Sasuke se demandait de plus en plus comment leur relation fonctionnait, voire survivait. De toute évidence, Naruto était bien trop énergique pour lui. Avoir comme meilleur ami l'incarnation de la vivacité ne lui rendait pas tâche aisée tous les jours.

- Ce serait bien que tu essayes de faire connaissance avec mes amis. Si tu prenais un peu sur toi tu verrais qu'ils sont tous très gentils.

Il souffla de désespérance dans un premier temps, fatigué que son ami cherche constamment à le sortir de sa torpeur.

- Pour ta gouverne, gentil n'est pas synonyme d'intéressant.

Encore une parole cinglante qui eut pour réponse un haussement de sourcil désapprobateur. Non seulement, son air hautain agaçait son meilleur ami mais le blessait par la même occasion. Il en avait marre de l'isolement social que Sasuke s'infligeait. Pour éviter une énième dispute à propos de l'éternel insociabilité du brun, le blond s'éclipsa, espérant faire une romantique rencontre ce soir.

Une fois de plus, Sasuke se retrouvait seul. Cette journée s'achèverait comme toutes les autres, avec le ressenti d'être orphelin. Il ne supportait plus ce sentiment de solitude constant et pourtant était dans l'incapacité d'améliorer son état. Perdu dans ses pensées, il ne fit pas attention au regard turquoise qu'il croisa, au contraire de son détenteur.

C'était une belle soirée d'été. Le soleil se couchant libérait une douce lumière orangée et rosée sur le gazon et les pâquerettes. Sakura portait une robe rouge assez moulante et à faire tomber. Ses cheveux roses remontés en un chignon, ses fins pieds emprisonnés dans des escarpins, elle semblait sortir d'un conte de fée.

Dansant félinement sous un Lila, s'esclaffant de bonheur, hurlant effrontément sa félicité à qui voulait l'entendre, on ne voyait qu'elle. Comment ne pas succomber au charme de cette reine suprême ? Quant à cette dernière, perchée sur ses talons aiguilles, ses yeux ne pouvaient quitter un garçon bien solitaire au teint pâle et à la chevelure indomptée. Il avait beau être froid et hostile, personne ne pouvait contester son charme à couper le souffle, déstabilisant toutes ses rencontres. Impossible de lutter contre telle merveille de la génétique. C'est certainement ce qui attira la rose le premier soir de leur rencontre.

Elle ne le connaissait que de vue et l'admirait déjà, le dévorant du regard, cherchant son attention par tous les moyens. Peut-être aurait-il mieux valu qu'on l'avertisse que son cœur s'aventurait sur une pente vertigineuse et que sa chute le briserait en de nombreux morceaux. Cependant, ce jour-là, personne ne connaissait le psychopathe sommeillant en lui et mieux ne valait pas connaître ce meurtrier.

Il commençait déjà à se faire tard. Le ciel ensoleillé laissait place à la pénombre d'une nuit étoilée. Les quelques verres alcoolisés consommés par la rose traçaient dignement leur chemin, se diluant dans son sang, la rendant électrique et audacieuse. Son esprit s'embrasait, les flammes du désir la consumant, l'incitant à partir à l'assaut, sans aucune peur du rejet, vers ce garçon ténébreux.

Sasuke s'ennuyait, depuis plus de deux heures une blonde écervelée tentait de le draguer, manifestement la trivialité de la jeune femme ne choquait que lui puisque les autres jeunes à ses côtés la regardaient avec des yeux écarquillés, buvaient ses paroles et poussaient le vice jusqu'à rire avec elle.

- Je vais me dégourdir un peu les jambes, ne m'attendait surtout pas. Prétexta le brun pour les abandonner.

La soirée ne désemplissait pas, au grand dam du brun, pire encore, ses participants de plus en plus ivres devenaient ingérables et grossiers. Jonchés au sol, des filles déversaient le contenu de leurs estomacs pendant que des garçons peu scrupuleux forçaient certaines à les raccompagner.

Près d'un grand chêne il trouva un refuge assez près pour observer ce remu ménage et assez loin pour ne pas être importuné. D'un geste mécanique il s'alluma une cigarette et à peine fut-il à la moitié qu'il sentit un regard sur lui. Qu'elle ne fut pas sa surprise de voir une jeune fille aux cheveux roses et à l'air poupin le rejoindre. Il devina très vite à ses airs angéliques à quel genre elle appartenait. A celles qui voit l'été comme un entre-temps dédié à la découverte et la libération, encore une innocente couvée et choyée par des parents modèles.

Il l'appréhenda comme une rose délicate qui se devait d'éclore pour comprendre l'inaccessibilité de son utopie. Sasuke ne sut jamais pourquoi, bien qu'il suppose que son ennui mortel y était pour beaucoup, mais il lui accorda un regard qui se voulu bienveillant et qu'elle considéra invitation. La jeune fille s'assit à côté de lui, bouleversant ses habitudes solitaires de corbeau indomptable ainsi que sa soirée. Sans qu'ils ne s'en doutent, leurs existences jusqu'ici banales et monotones prenaient un tournant sans retour possible.