Cap au sud

Dès qu'elle rentrait dans le bureau, elle sentait l'odeur de vanille, puis elle voyait les fleurs. Ce bouquet tenait depuis plus d'une semaine sans présenter le moindre signe de fatigue. Alors d'accord ce n'était pas un bouquet ordinaire, mais tout de même... Elle suspectait son supérieur de changer les fleurs à son insu. Il faudrait qu'elle vérifie.

Depuis cette histoire avec Léo, il était différent. Plusieurs fois, elle l'avait surpris en train de la regarder du coin de l'œil. Bien sûr à chaque fois il avait détourné la tête, mais elle était certaine qu'il la regardait en douce. Les autres aussi se comportaient différemment. Ils étaient à la fois plus gentils avec elle et aussi plus attentifs et concentrés sur leur travail. Il y avait toujours des plaisanteries de temps à autres, mais les séances duraient nettement moins longtemps. Elle n'avait plus besoin de les rappeler à l'ordre. Et comble du changement, tous les rapports étaient rendus à l'heure, même ceux du colonel. Il y avait toujours des fautes et elle devait tout de même les relire, mais là aussi, le nombre avait diminué.

Finalement cette petite aventure avait eu du bon. Elle avait pu profiter de ses congés pour se reposer, elle avait aussi pu profiter de ses vieux amis, et le colonel semblait l'avoir enfin remarquée. Pour ce dernier point, il ne fallait peut-être pas trop espérer, mais il lui avait dit des choses plutôt gentilles, voire flatteuses. Et il avait eu l'air tellement triste et perdu quand elle était partie avec Léo... D'ailleurs, il faudrait qu'elle lui demande ce qu'il avait bien se raconter. Connaissant son ancien instructeur, il avait du vouloir tester son colonel. Et il lui avait fait plusieurs réflexions sur le fait qu'elle ne lui était pas indifférente. Comment pouvait-il le savoir ? Mustang lui aurait-il confié quelque chose ? Elle devait en avoir le cœur net. Elle n'avait pas réussi à lui tirer les vers du nez pendant sa semaine de vacances, toujours accaparée par les enfants d'Arthur, ou Arthur lui-même, mais maintenant, elle avait le temps de le faire parler. Et elle avait de bons arguments.

Un sourire machiavélique se dessina sur son visage.

Roy n'arrivait pas à se concentrer sur ses dossiers. Ce n'était pas très différents des autres jours, seule la raison changeait. En général, il n'était pas concentré parce que la paperasse ne l'intéressait pas, mais depuis quelques temps, il n'était pas très concentré, de manière beaucoup plus globale. Ni les rapports, ni les conversations de ses collègues, ni même les quelques missions qu'ils avaient du couvrir. La seule chose qui monopolisait son attention était la petite mèche folle sur la joue de son lieutenant. Pas vraiment une frange, juste trois petites bandes de cheveux glissant délicatement de son front vers son oreille. Il en était dingue. Depuis qu'elle était revenue de ses vacances, où il avait bien cru la perdre à tout jamais, il la trouvait différente. Déjà un peu avant, elle avait commencé à changer. L'arrivée de son colonel d'opérette et de son major, encore que celui-ci était plutôt sympa en fin de compte, avait transformé sa subordonnée. Elle s'était mise à rire, à plaisanter avec les autres, l'avait passablement humilié à la cafétéria en le traitant de coureur de jupon immature. Bon ce n'était pas le meilleur côté de sa transformation, mais ce n'était pas totalement faux... Elle était plus détendue. Et même maintenant que tout ce petit monde était rentré dans sa juridiction, elle avait gardé sa bonne humeur.

Il ne se laissait pas de la regarder. En plus, elle souriait beaucoup plus souvent. Comme à chaque fois que ses yeux se posaient sur le bouquet d'orchidées qu'il lui avait fait. Tout le bureau était parfumé, si bien que même quand elle n'était pas là, il la sentait. Ce qui ne l'aidait sûrement pas à se concentrer !

Les autres membres de l'équipe avaient eux aussi remarqué les changements chez Liza, mais ils avaient surtout noté l'attitude particulière du colonel. Il donnait tous les signes de l'adolescent en pleine transe amoureuse. Plusieurs réflexions avaient été faites à ce sujet, mais il ne les entendait pas. Même Havoc dans ses grands jours n'était pas aussi distrait. C'est pourquoi ils étaient bien déterminés à élucider le mystère de la soupirante de leur chef. Ce type avait toujours toutes les filles qu'il voulait, et ne s'était jamais vraiment emballé pour aucune, même s'il les trouvait toujours délicieuses et aimait vanter leurs charmes. En fin de compte, il n'avait jamais été amoureux. Alors pour les quatre compères, la curiosité était à son comble. Le colonel était raide dingue d'une inconnue, et ils étaient décidés à découvrir de qui il s'agissait. Mais rien ne filtra.

Les jours passaient et rien ne semblaient changer. La routine avait reprit son cours, et comme les fleurs commençaient à faner inexorablement, l'ambiance studieuse se dilua lentement pour revenir au rythme habituel de flemmardise généralisée. L'été approchait, et avec lui, la chaleur et l'envie de profiter de la vie. Pour changer, Havoc avait trouvé l'amour, et comme le colonel restait hors course, il put annoncer fièrement qu'il fréquentait la femme parfaite depuis près de deux semaines. Toute l'équipe se réjouit pour lui et n'attendait plus que la date officielle des fiançailles. Ils étaient en train de le charrier sur le choix de la bague quand ils furent interrompus par le téléphone.

Comme à son habitude Liza décrocha. Rapidement son visage s'éclaira d'un immense sourire. Elle parlait posément, comme toujours, mais ils remarquèrent tous qu'elle était ravie de ce que lui disait son interlocuteur. Puis elle se rembrunit et commença à écrire. Elle fit signe au colonel de venir et finit par lui passer le combiné après avoir présenté celui qui voulait parler, le colonel Adler. Roy se crispa à la mention du nom de son rival, mais prit la communication. Il attrapa aussi le papier qu'elle lui tendait où elle avait déjà noté plusieurs renseignements importants.

Le colonel Adler, Léo, était en poste dans le sud, dans la petite ville de Riviera, au nord ouest de South City.

C'était un endroit relativement calme, mais qui avait connu une agitation particulière dernièrement suite au soulèvement d'une partie de la population contre l'armée. Les militaires de la ville voisine avaient instauré un système de taxes sur les marchandises circulant sur leur territoire et ils s'étaient attiré les foudres des commerçants. La situation avait dégénéré et plusieurs groupuscules anti-gouvernementaux avaient récupéré cette histoire pour s'en prendre directement à l'armée, faisant exploser plusieurs casernes et tuant quelques soldats. L'affaire s'était rapidement propagée vers Centrale et Mustang et ses hommes avaient été mis sur le coup quelques temps plus tôt pour démanteler cette organisation, accompagnés par l'équipe de Léo.

Ce colonel et ses hommes avaient été très efficace, mais Roy ne les avait pas appréciés outre mesure, pour des raisons personnelles. En effet, Léo n'était pas seulement l'ancien instructeur de son lieutenant. Il était clair qu'ils avaient eu une relation très proche, et elle ne semblait pas indifférente à son charme. Mustang était convaincu que ce colonel voulait lui voler son meilleur élément. Et pas seulement pour des raisons professionnelles. Un autre membre de l'équipe, Arthur était aussi une vieille connaissance de Liza, et même si c'était un brave garçon qui ne s'intéressait à elle que par amitié, Roy ne pouvait s'empêcher d'envier la complicité qui existait entre eux. Malgré des années à travailler ensemble, jamais il ne s'était senti vraiment proche d'elle. Elle semblait toujours envelopper d'un mur infranchissable, sauf avec ces deux hommes-là. Et ça, il ne le supportait pas.

Il écoutait sans broncher ce que son rival avait à dire et ne laissa rien filtrer de ce qu'il pensait. Il avait appris à séparer son travail de ses sentiments, et Léo n'appelait absolument par courtoisie, ni pour le narguer, mais parce que leur précédente affaire avait pris un tour nouveau et qu'il jugeait nécessaire d'en avertir son collègue, lui aussi impliqué.

Quand il était retourné dans le sud, accompagné temporairement d'une Liza en vacances, il avait promis à Mustang de s'occuper de toute cette histoire et de tirer les choses au clair. Malheureusement pour lui, les choses ne s'étaient pas passées comme prévues. Et au bout de trois semaines de chasses à l'homme, les réseaux n'étaient toujours pas démantelés. Le général en poste à South City était alors intervenu personnellement et avait demandé de l'aide au QG de Centrale. Même si Léo n'était pas ravi de l'avouer, il avait réellement besoin d'un coup de main. Et il paraissait plus logique de se servir de quelqu'un connaissant déjà le dossier et qui avait en plus montrer son efficacité.

Roy finit par raccrocher, hésitant entre la joie et la contrariété. D'un côté, il prouvait aux yeux de tous qu'il était meilleur que ce petit colonel de province, puisque lui avait réussi rapidement sa mission et qu'il devait maintenant l'aider, mais d'un autre coté, il n'avait aucune envie de le revoir, ni qu'une certaine personne de son entourage puisse à nouveau être en sa compagnie.

Toute son équipe attendait qu'il leur donne une explication. Il se leva et donna ses instructions. Il partirait pour le sud au plus tôt avec Havoc et Hawkeye. Fuery, Breda et Falman resteraient au QG pour les maintenir au courant de la situation et faire tourner le service. C'était eux qui avaient le moins l'expérience du terrain. Fuery serait chargé des communications et permettrait de toujours maintenir le contact entre les deux parties de l'équipe. Et bien sûr, il pourrait garder Hayate, ce qui le ravissait au plus haut point.

Comme toujours, Liza s'occupa de réserver les billets, ils partiraient par le train de nuit dès le soir. Chacun put donc quitter son poste plus tôt pour préparer ses affaires.

Arrivée chez elle, Liza essaya de joindre Arthur. Elle voulait un complément d'informations, Mustang n'ayant pas donner grand chose. De plus, elle n'avait aucune envie d'être hébergée avec les autres dans le QG de l'armée. Elle connaissait le genre de chambres qu'ils proposaient, et elle ne pourrait jamais être seule. Non pas qu'elle détesta l'idée de partager sa chambre avec son colonel, mais si cela devait se produire, il faudrait que ce soit pour de meilleure raison que faire faire des économies aux militaires. Et comme elle connaissait plusieurs personne sur place, elle n'avait pas besoin de se faire remarquer en allant à l'hôtel.

Evidemment Arthur était ravi de la nouvelle. La situation était délicate, mais comme elle lui permettait de profiter un peu plus de son amie d'enfance, il n'allait pas se plaindre. Finalement, c'était plutôt cocasse. Ils n'avaient pas réussi à se voir pendant des années, et maintenant, ils étaient réunis pour des raisons professionnelles pour la deuxième fois en un mois. Il vivait dans une grande maison avec sa femme et ses enfants, et il avait largement la place pour une invitée. De plus, il comprenait parfaitement qu'elle n'ait pas envie d'être logée directement au QG. Il lui donna quelques informations supplémentaires sur la mission, mais rien de bien important, laissant clairement entendre qu'il ne pouvait pas lui en parler au téléphone et donc qu'il se préparait une affaire sérieuse.

Elle raccrocha, non sans l'avoir remercié plusieurs fois et informé de l'heure de leur arrivée le lendemain matin. Elle devait encore faire sa valise, prendre une douche et se changer avant de retrouver les autres à la gare. Le voyage s'étant organisé à la dernière minute, elle n'avait pas obtenu de couchette, mais seulement un compartiment. Elle devait donc prendre de quoi s'occuper pour le trajet, sachant qu'elle aurait beaucoup de mal à dormir sur son siège, surtout avec le reste de la troupe autour.

Elle fut surprise de voir à l'entrée de la gare son colonel en pleine conversation avec Fuery. Elle pensait être suffisamment en avance, mais pourtant, elle comprit rapidement qu'elle était la dernière. Havoc sortait du kiosque avec le plein de journaux et de cigarettes, ses bagages attendant à coté du sergent. Le petit brun les avait accompagnés pour leur confier directement l'équipement qu'il avait préparé et récupérer au passage les clés du lieutenant pour s'occuper du chien. Elle n'aimait pas tellement l'idée de laisser un étranger aller et venir librement chez elle, mais comme il ne pouvait pas prendre Hayate avec lui, elle n'avait pas le choix. De plus, elle faisait confiance à son subordonné pour ne pas être intrusif. Elle lui tendit un trousseau qu'elle gardait en double et lui fit quelques recommandations d'usages, puis ayant glissé son équipement radio dans son sac, avec ses armes favorites, elle monta dans le train sans attendre.

Roy et Havoc ne tardèrent pas à la rejoindre après avoir salué une dernière fois le sergent et pris eux aussi leur matériel. Ils s'installèrent confortablement à leur place, posant leur bagage sous les sièges.

La tenue civile n'était pas l'usage pour les déplacements professionnels, mais dans les circonstances actuelles, ils avaient préféré voyager incognito. Leur arrivée à Riviera devait rester discrète. Il n'était pas utile de se mettre à dos la population avant même d'avoir commencé. Liza portait donc un simple t-shirt blanc sur une jupe en coton beige, et les deux autres étaient en pantalon de toile et chemise. Il faisait plus bon pour la saison, du coup, ils avaient tous abandonné leur veste. En plus, ils allaient dans une zone désertique, donc il n'était pas la peine de se surcharger.

Le colonel état ravi de pouvoir profiter des jambes de son lieutenant, même si sa jupe lui arrivait aux chevilles. Chaque mouvement laissait entrevoir un bout de mollet et il ne désespérait pas qu'un coup de vent lui en montre davantage. Pourtant il ne fit aucun commentaires. Ils avaient plusieurs heures à passer ensemble, autant éviter de la contrarier tout de suite.

Enfin le train démarra , les entraînant lentement vers leur nouvelle mission.

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Premier chapitre un peu court pour rappeler les éléments important de l'histoire précédente et poser les bases de la nouvelle. J'espère que ça vous a plu. Le prochain chapitre sera un peu plus tonique, avec le voyage en train toujours propice aux grandes discussions et peut-être l'arrivée à Riviera avec un bref état de lieux du problème.
Je vais essayer de ne pas faire un truc trop long (c'est pas gagné…) et de mettre un chapitre par semaine.