Cette fic est très personnelle, j'ai eu besoin d'extérioriser certains sentiments (en me servant lâchement de personnages que j'adore déjà), et j'espère qu'elle vous plaira. Je me suis inspirée de la chanson « All the Trees of the Field Will Clap Their Hands », de Sufjan Stevens, une chanson magnique et très douce, que je vous recommande fortement ! Et oui, j'ai d'autres fics à continuer (je vais m'y mettre), mais après avoir passé 3 semaines sans pouvoir écrire, je me suis jeté sur mon ordi pour écrire ça en genre, 2 jours. Bonne lecture :) !
Note : c'est un OS, à la base, mais j'ignore pourquoi, ce site ne veut pas me laisser poster de fichiers de plus de 60 Ko et quelques. Donc coup, j'ai dû le séparer en deux parties.
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Depuis sa table, il peut entendre les éclats de voix — qui traversent aisément la pièce, comme des petits aimants attirés par sa propre personne — du personnel encore à peine réveillé. À cette heure-ci, ceux qui sont debout ne parlent que très peu ; ils se contentent de brèves salutations, et d'un bâillement mal caché — comme un bâillement en entraine un autre, ils se retrouvent rapidement tous à faire ça. Même Nico, situé au moins cinq rangées de tables plus loin, se voit porter sa main à sa bouche, sentant ses muscles s'étirer sous l'effet de la fatigue.
Il jette un regard circulaire à la pièce. Personne à l'horizon, à part un vieil homme tout maigrelet, qu'il aperçoit tous les jours, et un couple de jeunes randonneurs. Nico sait que ce n'est pas normal, d'attendre devant un café pour son ouverture. On fait ça devant une boutique en soldes — et encore —, ou bien pour d'autres raisons, mais dans ce contexte, même lui peut voir qu'il n'est pas très logique. Ce n'est pas comme s'il compte faire quelque chose de mieux à cette heure, il pense, ce n'est pas si mal. Il faut bien des clients le matin, ou les cafés n'ouvriraient pas si tôt, voilà tout. Il fait oeuvre de charité, voilà tout.
On se dirige vers lui ; et Nico reconnaît la démarche. Avant même de lever les yeux, il sait qui vient, et fixe un instant le sol pour garder une expression neutre. Lorsqu'il prend enfin son courage à deux mains, et lève le menton, décidant de diriger son regard droit vers celui qui s'adresse à lui, il n'arrive pas à masquer la gêne qui vient peu à peu teinter ses joues. Il savait que ça allait arriver, mais il n'a pas réussi à faire autrement, ce n'est pas de sa faute, si le jeune homme qui se dresse devant lui le rend complètement incapable du moindre geste. Et Nico se perd dans ses pensées. Il fixe docilement la mâchoire droite, la peau légèrement cuivrée, les lèvres récemment humectées — dont les reflets rosés suffisent à creuser un trou dans sa poitrine —, le nez long, joliment courbé, comme le bec d'une clarinette. Surtout, Nico n'arrive pas à se détacher de ses yeux, encore nébuleux de sommeil, d'un vert d'eau peu commun, et Nico peut presque sentir les vagues d'un océan encore calme se hisser jusqu'à son corps, l'emportant doucement au large. Ce n'est que lorsqu'il remarque la lueur amusée chez son interlocuteur, que Nico sort de sa torpeur.
— Qu'est-ce que je vous sers ? répète-t-il, et Nico comprend que ce n'est pas la première fois qu'il pose la question.
Nico se met à rougir, sentant la chaleur monter jusqu'à ses joues, son front, puis son visage entier. Une impression désagréable, ça, se dit-il. Il essaye de l'arrêter, mais l'embarras refuse de partir. Ça empêche Nico de parler pendant un petit bout de temps, alors il fait semblant d'hésiter. Il secoue la tête en levant sa main, comme pour dire ah, désolé, je n'y ai pas encore pensé. Le serveur — dont l'étiquette accrochée à son tablier indique « Percy » — lui sourit patiemment, tapotant son petit bloc-notes des doigts.
— Je vais prendre un chocolat viennois, dit Nico lorsqu'il retrouve l'usage de la parole. Oui, un chocolat viennois, avec, uh, avec un cookie, aussi. S'il vous plaît.
— Bien, je reviens, dit Percy en souriant.
Puis il tourne les talons, et la scène s'arrête là. Nico sent son pouls redescendre, et les murs autour de lui redevenir froids et mornes ; ils n'ont pas grand-chose de spécial, ses murs, avec leur couleur beige délavée. Nico soupire une fois, deux fois. Crétin, il pense, espèce d'idiot, espèce d'incapable. Incapable de parler normalement devant lui, c'en est presque drôle. Il doit bien se foutre de toi, là, tu crois pas ? Depuis deux mois, tu viens dans ce fichu café dès six heures, et tu n'arrives toujours pas à commander normalement. C'est lamentable, voilà c'que c'est.
Il entend des rires depuis le comptoir, et se retourne discrètement, comme s'il est hors la loi, essayant de capturer un moment insolite ; Percy qui vient de renverser la chantilly, qui en a même mis sur son nez, et la fille blonde, à côté de lui, qui lui dit quelque chose et éclate de rire.
Quand il revient avec sa commande, Nico murmure un vague merci, et se retrouve à fixer la chantilly, flottant au-dessus du chocolat, comme un petit nuage de mousse, regrettant déjà d'avoir mis les pieds ici. Percy lui dit quelque chose, que Nico n'arrive pas à bien saisir. Il sourit à moitié, pour faire comme si, et Percy finit par repartir. Le chocolat est un peu trop chaud, et les bouts de guimauve sont presque trop fondus, mais Nico boit tout d'un coup sec, et il termine son cookie en quelques secondes. Il laisse un billet de cinq euros et une pièce sur le comptoir, laissant quelques centimes en trop, puis il part. Il entend Percy faire signe, sûrement pour dire au revoir, à demain, peut-être. Nico répond vaguement.
Lorsqu'il se retrouve dehors, dans la circulation fumeuse de Los Angeles, Nico a mal au crâne. Il se sent brusquement fatigué, et décide de retourner jusqu'à son appartement directement, sans passer à la bibliothèque, comme il l'avait prévu. Sur le chemin, il fait quand même un détour au cimetière, et dépose une fleur sur la tombe de sa soeur.
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Il revient tous les matins. Chaque fois, il laisse un pourboire, et chaque fois, Percy lui dit qu'il ne devrait pas, qu'à ce rythme-là, il pourra se faire offrir des cafés pendant au moins un mois. Nico balaye ses protestations d'un geste de main, dit qu'il n'aime pas trop le café, de toute façon.
Lorsqu'il se sent particulièrement seul, parce qu'il ne connaît pas grand monde ici, il vient pour presque une heure, voire deux, emporte ses cours avec lui pour réviser. Parfois, Percy est une trop grande distraction, et il est obligé de bouger dans un parc voisin. Il remarque que c'est toujours Percy qui le sert, quoi qu'il arrive, et même si la fille blonde — Annabeth, il lit — semble le regarder avec gentillesse, il est reconnaissant pour ça. Dans un sens, Nico sent qu'il se passe quelque chose. Il est à la fois très proche et très éloigné de Percy, parce qu'il est là tous les matins, à attendre pour lui, et en même temps, il ne sait rien de lui.
Les rares fois où il initie la conversation — « quel sale temps », « eh ben, c'est vraiment bien à cette heure-ci, l'idéal pour bosser un peu », ce genre de connerie — semblent rendre Percy très heureux, si bien qu'à chaque fois, il s'assit pratiquement à sa table, et continue à parler pendant un bout de temps.
Nico ne sait pas quand est-ce qu'il arrive à répondre de façon à peu près naturelle, mais au bout d'un moment, les mots trouvent plus facilement leur chemin dans son esprit embrumé.
Il le croise à une fête étudiante, organisée par un certain Jason Grace. Nico s'y rend, juste parce que Rachel a insisté encore et encore, et qu'il n'a rien trouvé de mieux à faire. Les classes et les niveaux sont mélangés, il remarque, et il est probablement l'un des plus jeunes, encore en dernière année de licence. Rachel le retrouve devant chez lui, et le traîne jusqu'à la plage de Santa Monica, où Nico peut voir un immense feu de camp. Elle dit qu'elle va le présenter, qu'elle connaît plein de monde qui l'adorerait. Nico hausse les épaules, et la suit sans trop faire attention. Il y a plusieurs garçons, et plusieurs filles, tous semblent déjà avoir bu. Nico n'est pas tout à fait majeur, il vient d'avoir vingt ans, mais personne ne va le contrôler ici, il se dit.
— Oh, hey, hey ! il entend dans son dos.
Il se retourne, intrigué, et se retrouve face à la fille blonde, Annabeth, qu'il met au moins une minute à reconnaître, à cause du ciel trop sombre.
— Ah, il fait, hey.
— J'ignorais que tu étais un pote de Jason, dit-elle avec excitation. T'es dans la même promo que lui ?
— Je- nan, j'suis juste là à cause de Rachel, il dit. Je suis encore en licence. En littérature, précise-t-il.
Annabeth semble ravie. Elle il pose des questions sur ses études, sur ce qu'il fait en général, et ce qu'il veut faire. Nico est gêné, il dit qu'il sait pas. Il dit qu'il n'y a pas trop réfléchi encore, qu'il va terminer ses études et qu'il verra après.
— T'es comme Percy, alors, dit Annabeth avec un sourire en coin. Il est en histoire, ajoute-t-elle. Et complètement paumé. Mais je sais qu'il peut s'en sortir.
Et Nico pose la question, parce qu'elle le démange depuis tout à l'heure, et que c'est le bon moment, et qu'il doit savoir.
— Euh… Percy, c'est ton copain ?
Elle rit, et au même moment, une flamme crépite un peu plus fort que les autres, envoyant une brassée d'étincelles près du visage de Nico.
— Nan, c'est mon meilleur ami. Y'a rien entre nous.
— Je vois.
Annabeth sort un paquet de clopes, et en propose une à Nico. Ce sont des Lucky Strike, et Nico les trouve plutôt faciles à fumer, elles ont un gout pas trop agressif. Il regard d'un oeil absent la fumée sortir de sa bouche, et former une bulle compacte, avant de se disperser dans les airs.
— Tu t'appèles comment, déjà ? demande Annabeth.
— Nico. Nico Di Angelo.
Elle tapote sa cigarette du bout de son index, faisant tomber une petite braise dans le sable.
— C'est un joli nom, elle dit.
— Merci.
— Dommage que Percy soit pas là.
— Ouais, dommage.
— Il sera là la prochaine fois, tu sais. On remettra ça. Je crois qu'il sera déçu quand il saura qu'il t'a loupé. Il t'aime bien, tu sais ?
— Oh. Ah bon.
— Il dit que t'es son client porte bonheur. C'est pas adorable, ça ?
Nico porte la cigarette à sa bouche, imaginant la scène : Percy tout content de le voir tous les jours, disant à Annabeth qu'il doit être le seul à le servir. La scène s'efface, et Nico se dit que c'est complètement con. Annabeth dit ça pour être gentille, parce qu'elle sait que Nico est complètement obnubilé par Percy, c'est écrit sur son visage, qu'il vient juste pour le voir, lui. C'est juste une fille polie.
— Euh, si, il répond. C'est adorable.
Elle semble étudier son visage, le nez légèrement froncé, et Nico se dit qu'elle a deviné qu'il ne la croit pas. Peut-être qu'elle est intelligente comme ça. Son regard gris semble transpercer chaque mur que Nico a dressé, se faufilant dans ses pensées les plus secrètes — la sensation est désagréable, et laisse un gout amer dans la bouche de Nico.
— Tu sais quoi, elle reprend, je vais lui envoyer un texto. Il va peut-être venir, si je lui dis que t'es là.
Nico la regarde sans comprendre, et secoue la tête en signe de protestation.
— C'est idiot, il fait, t'es sa meilleure amie, et il est pas venu, alors c'est pas parce que je suis là qu'il— enfin, je ne veux pas le déranger, termine-t-il en baissant le ton.
— Tu ne vas pas le déranger, répond-elle. J'ai souvent l'occasion de voir Percy, donc c'est différent. En dehors des heures à bosser, elle rajoute d'un ton évident.
Nico hausse les épaules. Il regarde Annabeth écrire son message, et l'envoyer. Après ça, Nico ne fait pas vraiment attention à ce qu'il se passe ; on lui sert un verre de vodka qu'il boit, il fume deux autres cigarettes qu'Annabeth lui refile, et il fait un jeu d'alcool avec trois autres personnes : le fameux Jason Grace, un petit à la peau brune et aux cheveux en bataille comme des flammes, dont le prénom commence par un « L », et une fille qu'il trouve très jolie, accrochée au bras de Jason. La fille a un regard presque aussi perçant que celui d'Annabeth, et ses traits sont emplis d'une grâce qui lui est difficile d'ignorer. Pas parce qu'il est attiré par elle, mais parce qu'elle semble tout droit sortie d'une autre planète. Sa présence semble écraser Nico, et il se sent tout petit, tout chétif dans ce groupe solide, bruyant, et déjà soudé. C'est trop pour lui, il pense. Mais avant d'avoir le temps de s'enfoncer plus longtemps dans ses pensées, il se retrouve à boire encore, et oublie ce à quoi il pensait.
Lorsque Nico tend sa main vers son jean, sortant son portable de sa poche pour lire l'heure (trois heures et quelques du matin), il hésite à rentrer, se demandant comment tout le monde peut avoir autant d'énergie encore. Il est torse nus, à cause d'un jeu, sûrement, mais il n'a pas froid — Santa Monica livre ses dernières forces, réchauffant l'air une dernière fois avant de s'éteindre complètement. Ou, peut-être, il a trop bu, c'est à considérer, aussi.
Il essaye de se lever, et trébuche, évitant le petit tas de clope qui repose sur le sol. Sa tête lui fait un peu mal, mais c'est encore largement supportable, oui, tu peux tenir plus que ça, il se dit. Mais il sent son corps retomber vers le sable, les minis-dunes qui, une dizaines d'heures plus tôt, étaient si brûlantes qu'on ne pouvait pas mettre un pied dessus sans se faire mal. Avant de toucher le sol, une main rattrape son avant-bras, et Nico hausse un sourcil perdu, puis se retourne pour faire face à Percy.
— Ben alors, il dit, tu tiens déjà plus debout ?
Nico est tellement surpris qu'il éclate de rire, sentant sa gorge brûler à chaque inspiration qu'il fait. Il se redresse, tente de ne pas vaciller, et reporte son attention sur Percy. C'est Percy, il se dit, il est venu, même ça cette heure-ci. Puis : qu'est-ce qu'il fout là ? J'suis sûr qu'il est venu pour autre chose, pourquoi il viendrait pour toi, gros malin, parce que tu lui refiles des pourboires ? T'es vraiment un gros tas d'conneries.
— Oh— hey, Percy, il bredouille.
— Annabeth m'a dit que tu étais là. C'est dingue, quand même ! Rachel est une super pote— enfin, c'est pas si bizarre que ça, en fait, le café est juste à côté de l'université. Mais j'suis content, dit Percy.
Il libère le bras de Nico lorsqu'il voit qu'il peut avancer tout seul. Nico prend soudainement conscience de son apparence — ses cheveux emmêlés, sûrement emplis de sable, de son torse nu et de ses bras maigres. Il baisse les yeux, retenant un soupir dégouté. Pourquoi doit-il se retrouver aussi démunis devant Pery, hein ? Il voulait pas ça, à la base. Il pensait pas qu'Annabeth serait là. Et même s'il est heureux — bien plus qu'il ne devrait l'être — de voir Percy ici, il se retrouve soudainement idiot, et horriblement ridicule.
— Je… commence-t-il, la gorge sèche.
Remarquant sa difficulté à répondre, Percy prend la relève avec un naturel qui surprend presque Nico.
— Oh, dit-il, d'ailleurs, on s'est pas vraiment présenté, hein ? J'veux dire, ça fait des mois qu'on te voit tous les matins, et tu sais que je m'appelle Percy, vu que… C'est écrit sur mon torse (il prononce le mot en lançant un regard en biais à Nico, qui rougit brutalement), mais autant faire ça officiellement.
Percy tend sa main en avant.
— J'suis Percy Jackson, ravie de faire ta connaissance.
Nico lève timidement ses doigts, chassant sèchement les fourmillements qui peuplent sa main. Lorsque sa peau effleure celle de Percy, il retient sa respiration, et son oreille perçoit le bruit d'une vague plus haute que les autres, qui s'écrase à quelques mètres d'eux.
— Nico Di Angelo. Enchanté.
Contre la sienne, la paume de Percy Jackson chasse les ténèbres coincées dans le petit corps de Nico, et elles retournent à la nuit, là où elles appartiennent.
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Le jour suivant n'est pas vraiment agréable, et Nico doit même renoncer à aller jusqu'au café dès le petit matin, à cause de sa gueule de bois. Il reste dans son lit, enroulant les draps autour de lui jusqu'à assombrir tout l'univers, et compte les battements de son coeur. Il en est à mille-huit-cent-neuf lorsqu'il se décide enfin à bouger, rassuré. Son coeur fonctionne normalement, c'est un bon début.
Il se dirige machinalement vers le café, avec un peu moins d'hésitation que les jours précédents. Les musiciens de rue sont nombreux ce jour-là, et Nico se sent presque accueilli par leur musique, il accélère même la cadence sous l'effet d'une légère dose d'adrénaline que son corps lui envoie.
Le café, en début d'après-midi, est bondé. Des vagues et des vagues d'étudiants s'étalent partout, affalés sur leurs chaises, comme ramollis par le soleil. Nico se faufile parmi les tables, cherchant un endroit libre, et finit par en trouver un, à l'ombre d'un grand parasol blanc. Il s'assoie, sort un bouquin et commence à attendre Percy.
— Bonjour, lui dit-on. Vous avez fait votre choix ?
Nico relève les yeux avec une pointe de déception — il sait que cette voix n'est pas celle de Percy, bien sûr, il pouvait même le dire rien qu'à sa démarche, que c'était pas lui. Il se gratte la tête, cherchant des yeux un visage familier.
— Quelque chose ne va pas ? répète le type.
Il doit être plus âgé que Nico, ou même que Percy ou Annabeth. Ses cheveux bouclés forment une étrange couronne autour de sa tête, encadrant irrégulièrement son visage bronzé. Nico remarque qu'il a des grandes oreilles, dont le bout s'échappe de sa touffe de cheveux.
— Je- hum, dit Nico en s'éclaircissant la gorge, je me demandais si… Si Percy était là.
Nico n'y a pas pensé avant de venir, et il aurait dû ; peut-être que Percy a pris une journée de congé, après la soirée d'hier. Peut-être qu'il est en ce moment même toujours allongé dans son lit, à compter ses battements de coeur, comme lui un peu plus tôt.
Le visage du type — Grover, apparemment — se métamorphose subitement. Son expression auparavant dubitative s'éclaire, et un sourire empli d'assurance vient se former sur ses lèvres.
— Oh, il dit, tu es— je vois. Attend une seconde, je vais le chercher !
Nico n'a pas le temps de répondre, qu'il a déjà tourné les talons. Il reste seul, les sourcils froncés, un peu perplexe face à la réaction de Grover.
Percy ne tarde pas à jaillir. Il surgit de derrière Nico, posant une main sur son épaule avec une rapidité qui fait sursauter Nico. Percy, avec son sourire trop éclatant, et son jean troué, et ses vieilles tennis, est là, avec deux tasses.
— Nico ! il s'exclame. Ça fait plaisir de te voir !
Il pose la plus grande tasse devant Nico — il reconnaît son habituel chocolat viennois —, et vient s'assoir face à lui, prenant sa petite tasse, sûrement remplie de café. Nico reste silencieux, ne sachant pas quoi dire pour se détacher du brouhaha qui les entoure.
— Ça me fait aussi plaisir, dit Nico. De venir ici, je veux dire.
Il ne sait pas si sa voix porte assez pour couvrir le bruit ambiant, mais Percy semble avoir compris. Il hoche la tête, et tend la main vers la tasse de Nico avec une expression enthousiaste.
— Pour toi, il annonce.
Nico baisse lentement son regard vers le chocolat chaud. Il y a encore plus de chantilly que d'habitude, si bien qu'elle déborde presque, s'étale doucement sur les bords arrondis de la tasse. Comme il ne répond rien, Percy prend un air un peu gêné.
— Euh, peut-être qu'il fait un peu chaud pour ça ? demande-t-il. Tu en prends tous les matins, mais à cette heure-ci, peut-être que—
— Non, non ! C'est bon, ça me va. C'est parfait, ajoute Nico.
— Si tu le dis…
— Oui ! continue Nico. C'est très bien, vraiment.
Il prend la tasse, et la porte à ses lèvres. Le chocolat a un gout encore meilleur que d'habitude, se dit-il — ou peut-être est-ce juste une illusion, parce que Percy a pensé à lui —, et il le termine rapidement. Il essaye de se souvenir de la conversation qu'il a eu avec lui, la nuit précédente. Nico n'a pas assez bu pour vraiment oublier des passages entiers, mais certaines choses sont encore floues. Pourtant, il a envie de se souvenir, il a envie d'encrer chaque mot, chaque phrase de Percy dans son esprit, pour pouvoir se les répéter encore.
Des choses reviennent, lentement. Percy a beaucoup parlé de sa mère, il pense. Elle doit vivre à New York, toute seule, et elle lui manque beaucoup — Nico se souvient de quelque chose comme ça. Il avait particulièrement prêté attention, parce que l'image d'un Percy aussi plein d'amour envers sa mère était attendrissante. Nico aurait bien aimé être comme lui. Sa mère est morte, alors. Il ne peut pas vraiment se mettre à sa place. Les seuls souvenirs qu'il conserve d'elle sont très brefs : son odeur de cannelle, la boîte à bijoux qu'elle adorait tant, une chanson qu'ils écoutaient souvent à la radio. Ce genre de choses. Il a grandi avec sa grande soeur, Bianca, mais Bianca est morte, il y a quelques années. Et Nico est resté seul, sans histoire particulière. Il écoute les autres parler de leur famille, et il sourit, mais se fait tout petit ; il n'a pas envie qu'on lui pose des questions.
Il est presque sûr de ne pas avoir parlé de ça à Percy, et cela le rassure.
— Tu ne travailles pas ? demande Nico, lorsqu'il remarque que Percy est toujours face à lui.
— Nahh, j'ai pris ma journée. Trop fatigué.
Nico prend un air contrarié.
— Mais tu es quand même venu ?
— Je n'avais rien d'autre à faire, dit Percy en haussant les épaules. Annabeth bosse. Grover bosse. J'suis le seul loser trop fainéant pour ça, mais… J'avais pas envie de rester tout seul. Et puis, comme je me suis douté que tu allais venir, je me suis dit que j'pouais me poser un peu avec toi.
Nico a du mal à saisir les motivations de Percy, mais il acquiesce avec lenteur. Il se dit que c'est un chouette lieu, si ses employés choisissent de revenir lors de leurs congés. Ne sachant pas quoi dire, Nico dirige presque automatiquement son regard vers les différentes choses qui l'entourent — c'est aussi un moyen de ne pas trop fixer Percy, ce qui serait une mauvaise chose s'il se faisait prendre. Il remarque la vitrine toute proche, qui lui donne son propre reflet à peu près correctement. Nico se regarde un moment, discrètement, et sent son estomac se nouer. Il peste contre la chaleur pesante, qui donne une forme grotesque à ses cheveux ; et contre son corps tout maigre, trop léger et trop fragile, comme s'il risquait de se casser en deux au moindre choc. Et, Nico se dit, ça pourrait bien arriver — peut-être qu'après la mort de Bianca, il s'est un peu effacé du monde, et peut-être que c'est pour ça que son reflet lui paraît si pâle. Sa peau est si fine qu'il se trouve des airs de fantômes. Il se rappelle la jolie peau bronzée de Bianca, et son visage à lui, tout souriant et sûr de lui.
C'est le visage qu'il aurait aimé porter maintenant, au milieu de la foule. Pas cet air de cadavre, en tout cas. Et ça lui retombe dessus, comme ça, Nico sent ses pensées s'assombrir. Au bout de quelques secondes, une main s'agite nerveusement devant son visage, et il cligne des yeux.
— Nico, mec, Nico, dit Percy, ça va ? Tu n'as pas l'air dans ton assiette.
— Je- je vais bien, répond-il. Désolé, je pensais à quelque chose. C'est pas important.
Nico est embarrassé, jusqu'à en baisser les yeux. Faites que Percy ne me prenne pas pour un taré, il pense, faites qu'il veuille toujours passer du temps avec moi, même si je suis complètement à l'ouest. Mais il faut se rendre à l'évidence. À force de traîner avec lui, Percy finira bien par se rendre compte qu'il n'a rien d'intéressant, peut-être même qu'il cherchera à l'éviter.
— Ça a l'air important, vu la tête que t'as, marmonne Percy, mais si tu n'as pas envie d'en parler, c'est ok.
Il hoche la tête, reconnaissant.
— Merci pour le chocolat, dit Nico pour changer de sujet. Je vais te régler ça de suite—
— Nope, pas de ça, proteste Percy. Offert par la maison. Vraiment, Nico, c'pas la peine.
Il est affalé sur sa chaise, les bras fermement croisés sur son torse, et Nico peut dire que ça ne sert à rien d'insister. Il le remercie encore, marmonnant qu'il ne veut pas déranger, et Percy lui dit que c'est bon. Il le regarde tranquillement boire son propre café, prenant quelques petites gorgées de temps à autre. Des détails qu'il n'a pas réussi à capturer la vieille se montrent, plus évidants au grand jour. La façon dont il avance légèrement son épaule droite, comme pour l'étirer. La façon dont il bouge ses pieds sans arrêt, dont il contracte sa mâchoire dès que son regard se perd quelque part. Alors qu'ils parlent, Percy garde toujours ses mains occupées ; il joue avec sa petite tasse vide, ébouriffe ses cheveux, laisse trainer ses doigts sur la surface lisse de la table. Il doit être hyperactif, se dit Nico. Mais ça ne le dérange pas. Là où Nico est particulièrement calme, au point qu'il a l'impression d'avoir du vide à l'intérieur de son corps, Percy semble excité de tout ce qui l'entoure, et sensible à chaque touche de couleur, chaque matière différente.
Il aborde une expression je-m'en-foutiste, un sourire en coin et a une apparence presque négligée, maintenant qu'il ne travaille pas. Pourtant, il semble réellement intéressé par tout ce que Nico dit — même les choses les plus banales. C'est surprenant, peut-être agréable, aussi. Nico n'est pas habitué à ça. Il était proche de sa soeur, et à l'époque, il ne trouvait pas l'intérêt à avoir quelqu'un d'autre qu'elle. Depuis des années, il se retrouve seul, et il ne sait pas comment faire pour changer ça. Il reste un minimum sociable, mais ne s'attache pas. Rachel, sa voisine de palier, est presque la seule à être restée aussi longtemps près de lui, mais Rachel semble vivre dans un autre monde que le sien : elle a plein d'ambitions et de projets, et Nico se sent loin de tout ça, à des kilomètres. Il n'est juste pas doué avec les gens.
Percy arrive à le glisser hors de lui, à lui montrer une facette de lui qu'il ne connaissait pas.
Les jours qui suivent sont rythmés par sa présence. Plus qu'une attirance physique, Nico se retrouve complètement captivé par le jeune homme. Il cherche une signification aux légers tressaillements de ses lèvres lorsqu'il le regarde, ou aus plissures de ses yeux quand il semble penser à autre chose.
Et la façon dont il se faufile dans sa vie, dans chacun de ses recoins, est tellement naturelle que ça en devient amusant. Nico passe des heures à fixer sa peau bronzée, lorsqu'ils parlent en se promenant, le long de la plage. Régulièrement, Nico passe le chercher en scooter, et ils filent jusqu'à l'observatoire, là où le ciel étoilé semble être la porte à côté. Au reflet des astres, le visage de Percy est encore plus attirant que d'habitude. Très vite, les jours se transforment en semaines, qui se transforment en mois.
L'été passe, glisse du bout des doigts de Nico, sans qu'il ne s'en rende compte. Et cet été-là est tellement rempli d'images d'eux — pas seulement lui et Percy ; d'Annabeth, de Rachel, de Jason, Piper, Léo, Frank, Hazel, Grover, Reyna. Il apprend progressivement à mettre des noms sur ces visages-là, et il se retrouve scotché à eux en permanence. Au départ, il a l'impression d'être une sorte d'imposteur, mais les autres sont tellement déterminés à lui faire sentir qu'il a sa place au sein du groupe qu'il finit par s'y sentir presque comme chez lui. Au fil des jours, Nico sort de son état de torpeur ; il a l'impression d'être un peu plus actif, de faire quelque chose d'autre que de rester spectateur d'une vie qui ne ressemble même pas à la sienne.
Il y a des jours où toute cette bouffée de confiance retombe soudainement, où il reste chez lui avec un coeur gonflé, les yeux humides et les mains tremblantes ; tu n'as pas ta place ici, tu n'as pas de place nulle part, pourquoi ne pas rester silencieux à regarder les autres vivre comme tu l'as toujours fait jusqu'ici. Il y a des jours où Nico est complètement perdu, même dans sa propre chambre. Il regarde chaque objet d'un oeil morose, les fixe comme s'il ne les avait vu avant. Un bouquin que sa soeur n'a jamais terminé, sa lampe de chevet, un stylo qui ne marche plus depuis des semaines mais qu'il oublie toujours de jeter, un bloc de post-it. Il pourrait tout aussi bien être n'importe où ailleurs, l'atmosphère lui semblerait toujours aussi pesante. Ce genre de jours.
