/!\ Attention : Cette fiction est le préquel de "Rien qu'une photo sur un mur". Vous n'allez pas comprendre grand chose si vous ne l'avez pas lue.
Re /!\ Attention : Nombre des chapitres ne se suivront pas (sauf certains, qui dans ce cas auront le même titre, la mention I, II ou III...etc, après). Ils ne seront pas toujours dans un ordre chronologique, faites donc bien attention à la note avant le chapitre qui situera l'âge des personnages, ou les événements qui suivent/précèdent le chapitre.
Bref... SURPRISE ! Je ne sais même plus depuis quand j'ai ce projet de préquel ! J'ai bien longtemps voulu le réaliser sans trouver le temps ou la façon de le mettre en place. Finalement, faire un recueil de récits qui ne se suivent pas toujours était un bon compromis pour parler de tout ce que je souhaitais en temps voulu, sous forme de "nouvelles".
Les publications ne seront pas régulières. Je n'ai pas intention de ralentir RQPM pour respecter des délais raisonnables avec ces récits. Ce sont un peu comme des "bonus", même si je n'aime pas trop les qualifier comme ça, puisqu'ils sont pour la plupart "sérieux" et auraient pu constituer un réel récit articulé, si cela ne m'avait pas semblé un peu trop ambitieux de me plonger dans une telle entreprise...
Les faits contés ici ont pu être évoqués dans RQPM, ou ont toujours été présents dans ma tête pendant l'écriture de RQPM (d'où ma gêne de ne pas vous les transmettre avec !).
La longueur des chapitres variera entièrement en fonction du récit dont il sera question.
Le Triangle de Gálrae
Introduction : Deux Rois
17 ans après le conflit du Tesseract sur Midgard.
La salle du trône d'Asgard n'avait jamais été aussi figée. L'entrée du roi d'Álfheim avait jeté les Asgardiens dans un silence plus monumental encore que les murs d'or contre lesquels étaient venus s'évanouir l'écho des pas du Vane vers le trône d'Odin. Les gardes positionnés à chaque porte avaient resserré leur prise sur leurs lances, les riches nobles et ministres qui discutaient plaisamment sous l'œil attentif de leur roi s'étaient tus et avaient relevé le menton pour toiser fièrement ce souverain étranger – mais trop amèrement connu – qui osait fouler leur sol.
Arrêté devant le trône, l'air peu impressionné, Freyr percevait clairement la brûlure des regards haineux dans son dos, où plus d'un Asgardien aurait souhaité qu'une lame égarée trouve son chemin. Il inspirait le même air qui quittait en à-coups agressifs les poumons des soldats dont il avait massacré, des siècles plus tôt, les camarades. Il sentait, comme sur un champ de bataille, le flux fébrile et meurtrier qui parcourait l'atmosphère.
Il posa un genou à terre.
Ce geste provoqua une véritable vague de stupéfaction. Enfin, il tira une réaction du regroupement de nobles et de gardes asgardiens. Des murmures. Une agitation. D'intenses exclamations, qui se firent discrètes, car le Père-de-toute-chose ne s'était pas encore exprimé.
D'un geste de la main calme et sobre, Freyr congédia la vingtaine de guerriers alfes qui étaient restés immobiles à l'entrée de la salle du trône comme il le leur avait ordonné.
En les entendant quitter la pièce, le Vane ne put nier davantage la véritable excitation et anxiété qu'il ressentait, isolé au milieu des Ases. La tension dans l'air glissait sur sa peau comme la pluie sur les plumes d'un corbeau, sans l'atteindre, mais sans l'épargner non plus de la morsure du froid. Chaque seconde passée sous ces regards rancuniers et violents le rapprochait un peu plus du danger. Chaque accusation qu'il imaginait dans les pupilles rivées sur lui reflétait la colère qu'Odin ne pouvait sans doute pas s'empêcher de ressentir en le voyant, lui, le "Roi Traître".
Oh, Freyr n'avait jamais été fier de la reconquête d'Álfheim en elle-même. Elle s'était effectuée au prix de trop de victimes et de sacrifices personnels. Néanmoins, il ne regretterait jamais d'avoir aussi brutalement humilié Odin ce jour-là, de lui avoir prouvé qu'il n'était pas qu'un pion vane dans ses plans, et que, lui aussi, il userait de son pouvoir en Yggdrasil s'il le devait.
Pourtant, au-delà de cette rivalité, Freyr était patient et raisonné. Aujourd'hui, il devait faire un choix entre autorité et docilité, et il savait déjà lequel lui permettrait de d'obtenir ce qu'il souhaitait de son homologue asgardien.
Même s'il lui coûtait d'agir ainsi, poser un genou à terre n'était qu'un geste de soumission parmi tant d'autres, et peut-être moins douloureux que l'obligation de refouler quelques piques arrogantes ou irritées dans les minutes à suivre.
– N'est-ce pas là une vision exceptionnelle ? Déclara finalement Odin.
Un ensemble soudain de rires narquois, provocateurs et méprisants lui répondit. Freyr ferma son esprit à ces moqueries. Il les avait attendues. Il garda son regard vers le sol un instant de plus avant de se redresser de lui-même, conscient qu'Odin ne lui proposerait pas de le faire.
Son comportement attira des insultes qu'il entendit très distinctement. Et, au regard satisfait qu'Odin lui adressa, il comprit qu'elles ne lui avaient pas davantage échappé.
– Que me vaut cet honneur, Freyr ?
Le Vane ignora l'irrévérence de sa question et glissa ses yeux froids sur le groupe d'Asgardiens. Il ne leur fit pas l'honneur d'éviter leurs regards vengeurs.
– Roi Odin, je ne peux vous répondre en si… nombreuse compagnie.
Il se retint de prononcer ces derniers mots sur le ton acerbe qui aurait mieux reflété son état d'esprit.
Odin haussa un sourcil mais ne répondit pas. Il se contenta de faire signe aux Asgardiens de les laisser.
Ils quittèrent la pièce dans un silence pesant, mais n'emportèrent pas avec eux la tension qui figeait les deux rois. Freyr, la posture droite et l'expression impassible, ne lâchait pas l'œil valide d'Odin.
Les trois guerriers et Sif, que Freyr n'avait pas remarqués, trop concentré sur l'échange à venir, restèrent et allèrent se disposer de chaque côté du trône.
Odin fit un signe négligent de la main, comme pour demander le rapport d'un de ses soldats.
– Alors ?
– Je viens à propos du prince Loki.
Inutile de tourner en rond.
Odin ne réagit pas tout de suite. Il n'était pas du genre à éclater de rire grassement pour humilier son interlocuteur, il approchait ce genre de débats avec la froideur absolue qui caractérisait son règne. Son ton ne se levait qu'en présence de ses fils, quand leur désobéissance faisait naître en lui une colère plus personnelle que celle d'un souverain.
En tant que roi, Odin ne cherchait pas à raisonner son interlocuteur comme avec ses héritiers. Il décidait. Alors Freyr n'attendait pas de bataille ensanglantée entre deux opposés avec le Père-de-toute-chose, mais une agression bien plus simple : le mépris. L'humiliation. L'indifférence.
Plus jeune, Freyr avait haï Odin pour ce comportement. Combien de fois lui avait-il imposé avec insistance et hauteur son avis, ses leçons et ses jugements de valeur jusqu'à ce qu'il finisse par se sentir complètement idiot d'avoir une opinion contraire à la sienne ? Avec le temps, Freyr avait appris sagement à ne plus ressentir autant de rage face au roi asgardien, mais le souvenir de cette frustration était resté farouchement ancré en lui.
Odin finit par se pencher un peu vers lui, ses mains liées et ses coudes posés sur les accoudoirs de son trône dans une position autoritaire.
– Loki, laissa-t-il tomber platement. Vraiment ?
Freyr disciplina posément la magie qui vibrait dans ses veines, agressive.
– Je voudrais que nous passions un marché.
Odin haussa un sourcil. Il prit un ton sarcastique :
– J'apprécie tes efforts pour m'amuser, Freyr, mais tu es conscient que je suis bien assez diverti par mes sujets, n'est-ce pas ?
Crispé, le Vane sourit.
– Je ne suis pas sûr que vous soyez davantage d'humeur pour ces petits jeux que je ne le suis, Roi Odin.
– Aurais-je mal interprété tes paroles ? Rétorqua innocemment l'Ase. Moi qui pensais que tu plaisantais…
Freyr raffermit son expression.
– Je veux passer un marché avec vous pour libérer Loki, déclara-t-il.
– Oui, j'avais compris la première fois, Freyr.
Par les Nornes, la manière dont il prononçait son prénom commençait à sérieusement l'irriter.
– Parle donc, lui indiqua Odin dans un soupir ostensiblement lassé. Je suis curieux de savoir comment tu vas essayer de m'en convaincre.
Freyr détendit ses épaules, l'air serein, et commença à marcher pensivement devant le trône. Quand il s'arrêta, il reporta son regard sur Odin.
– Confiez-le moi.
Cette fois-ci, l'intéressé ne retint pas un ricanement hautain.
– Et pourquoi ferais-je une chose pareille ?
– Vous n'entendrez plus parler de lui. Je lui donnerai une place à Álfheim et cela rompra immédiatement ses liens avec Asgard sans que vous n'ayez vous-mêmes à le renier.
– Et ?
Freyr plissa les paupières.
– Vous ne l'avez pas condamné à vie, vous l'avez enfermé jusqu'à nouvel ordre. Si vous le libérez pour le renier par la suite, vous lutterez incessamment contre lui. Loki n'a aucun avenir en Asgard, pas plus qu'il n'en a dans les sanctions que vous lui infligerez.
– Et… ?
– Et, répéta Freyr avec acidité, vous ne ferez que forger un ennemi que vous serez forcé de tuer tôt ou tard. Donnez-le moi, Odin. Avec son ralliement à Álfheim, déshéritez-le, rappelez Thor ou l'un de vos bâtards pour prendre votre succession, et s'il vous nuit à l'avenir, tuez-le sans remords avec l'approbation de tout Asgard. Mais si vous le libérez et lui donnez une nouvelle chance en Asgard pour constater qu'il se moque de vous et vous hait, lorsque vous le supprimerez, vous passerez pour un roi faible qui n'a pas su anticiper les caprices de son propre fils…
Odin posa son menton contre son poing, l'air parfaitement désintéressé par le discours de son interlocuteur.
– Intéressant. Mais penses-tu que je vais te donner exactement ce que tu souhaites ? Ton Lærisveinn puissant et bien aimé… Pourquoi te le rendrais-je ? Pour que tu l'utilises contre Asgard ?
Freyr s'humecta les lèvres, un sourire discret ponctuant ses mots :
– Si je voulais nuire à votre royaume, Loki ne me serait pas nécessaire, et vous le savez bien, souffla-t-il un peu plus dangereusement.
A l'air plus sombre du roi d'Asgard, Freyr sut qu'il n'avait pas manqué sa provocation. C'était vrai. Vanaheim ne suffisait pas à écraser Asgard, mais unie avec Álfheim et même Jötunheim, le royaume des dieux serait anéanti. Il avait tout à fait conscience de sa supériorité.
– Crois-tu pouvoir me convaincre avec de telles manières ? Se moqua amèrement Odin.
Freyr fit un pas en avant, peu à peu agacé par les réponses vides du souverain.
– Il y a dix-sept ans, je me suis déjà prononcé contre l'emprisonnement de Loki. Puis j'ai pensé qu'il suffisait d'attendre. Que cette sanction, que vous pouviez lever à n'importe quel instant, prendrait bientôt fin. Dix-sept ans, siffla-t-il. Je n'attendrai pas davantage. Confiez-moi Loki.
– Pour qu'il obtienne les moyens de se venger contre Asgard ? Insista Odin.
– Il n'en aurait pas davantage qu'au milieu de votre palais si vous le graciez un jour, raisonna Freyr. De plus, je ne tiens pas à le laisser bouleverser la paix actuelle entre nos royaumes.
Piqué par son ton plus grave, Odin pencha la tête imperceptiblement. Freyr serra la mâchoire.
– Ne croyez pas que j'ai été satisfait des actes de Loki. Parmi toutes les choses que je lui ai enseignées, attaquer Midgard n'en était pas une, et, croyez-le ou non, se retourner contre Asgard non plus. S'il tente quoi que ce soit sous mon autorité, je réparerai de mes propres mains l'erreur de lui avoir confié mon savoir.
– Tu le tuerais ?
Le Vane rencontra son regard fermement.
– Je mesure ma responsabilité dans l'étendue de ses pouvoirs, répondit-il seulement.
Il ne tenait pas à passer plus de temps sur cette question, alors il enchaîna immédiatement :
– Et il y a autre chose…
Odin sourit discrètement. il commençait à paraître vraiment distrait par cette négociation, à défaut de sembler coopératif. De toute évidence, il se satisfaisait de voir Freyr se débattre pour faire valoir son avis. Alors, même s'il était convaincu par ses propres arguments, et qu'il s'était préparé à cette attitude de la part de l'autre souverain, le Vane doutait de sa stratégie lorsque toutes les réponses qu'il recevait ne semblaient prononcées que pour le moquer.
– Il trouvera le moyen de s'enfuir, finit par laisser tomber Freyr sérieusement.
Un rictus peu impressionné lui répondit.
– Tu le surestimes, Freyr.
– Vous savez très bien que non.
Ce ton parfaitement sérieux jeta un froid polaire entre les deux hommes.
– Vous n'êtes pas étranger au seidr, Odin, vous comprenez de quoi il est capable. Ce n'est pas seulement son potentiel inné pour la magie… Son intelligence et son assiduité en ont fait un mage tout à fait exceptionnel. Il essayera de s'enfuir, et vous ne voulez pas être sur son passage quand il aura réussi.
– Crois-tu vraiment que je craindrais un mage seul et sans attaches ?
– Mais est-ce que vous souhaitez vraiment devoir le tuer à ce moment-là ? Murmura doucement le Vane.
Un nouveau silence tomba sur leur conversation.
Freyr aurait préféré se taire. Il s'inquiétait qu'amener un tel sujet sur la table anéantisse définitivement ses chances de convaincre Odin. De longues secondes s'écoulèrent avant que son interlocuteur ne reprenne la parole, l'air froid :
– J'ai entendu ta requête, Freyr. Je pense qu'Álfheim t'attend, à présent.
A ces mots, Freyr maîtrisa avec mal un élan de colère et de frustration qui aurait pu être fatal à son objectif. La vague d'agressivité qui remontait vers sa gorge, prête à déformer ses paroles en une réplique furieuse, laissa une sensation brûlante sur sa peau.
Odin ne lui avait pas répondu et ne cherchait même plus à argumenter, il se contentait de le congédier comme une vulgaire nuisance.
Il hésita. Il avait esquissé un mouvement de recul, prêt à partir, mais il s'était figé en plein geste. Il y avait-il autre chose à dire ? Pouvait-il se le permettre sans condamner la cause de son Lærisveinn ? Pouvait-il apparaître si désespéré devant Odin, au risque qu'il continue de s'en réjouir et se contente de jouer avec lui ?
Le Vane serra la mâchoire et posa le pied, le regard figé sur le Père-de-toute-chose, qui, silencieux, contemplait son indécision avec indifférence.
Puis, soudainement, la colère de Freyr s'évapora alors qu'une sensation tellement particulièrement venait perturber sa magie. Il fit quelques pas en arrière et baissa la tête vers le sol.
Il sentait Loki. Sa colère avait agité sa magie, assez pour que son Lærisveinn soit alerté de sa présence. Il ignora un instant Odin et les quatre guerriers qui l'entouraient.
La magie de Loki transpirait la curiosité et non la haine et l'agressivité dont il avait fait preuve sur Midgard. Les filaments de magie de l'Ase frôlaient la sienne avec un intérêt non dissimulé, perplexes quant à sa présence en Asgard.
Le Vane plissa les yeux, pensif et morose face à cette situation, et permit à sa magie de se lier à celle de Loki un instant, laissant pour la première fois depuis des années cette sensation unique l'envahir. Même après Álfheim, même après Midgard, Loki ne lui semblait pas aussi loin qu'il ne l'aurait craint.
Il redressa la tête vers Odin. Si les trois guerriers et Sif semblaient clairement interrogés par son attitude, il ne semblait pas en être de même pour le souverain asgardien. Il n'avait pas pu percevoir l'échange de magie, mais il n'ignorait pas le fonctionnement du lien entre Meistara et Lærisveinn.
Freyr devait se retirer. Il n'obtiendrait rien de plus d'Odin mais avait tout à perdre dans une logorrhée furieuse.
~oOOoooOOo~
– De toute évidence, il n'a rien écouté de mes arguments.
Gerd regardait son époux faire les cent pas dans leurs quartiers depuis une demi-heure à présent. Assise dans un fauteuil, elle tenait entre ses mains la lettre d'Asgard qui avait déclenché cette frénésie.
– Mais Loki est libre à présent, peut-être il y a-t-il un moyen d'agir, rassura-t-elle.
– Odin a formellement interdit tout contact entre lui et moi, siffla le Vane.
– Pour te provoquer, soupira la jötunne. Je le sais…
Freyr s'arrêta, les yeux fixés à travers une fenêtre, mais le paysage splendide d'Álfheim n'occupait pas son esprit.
– Gerd, je connais Loki. Il ne va pas sagement s'occuper de diplomatie et d'échanges commerciaux avec Nidavellir et Álfheim pendant des années, jusqu'à ce qu'Odin rappelle Thor de force ou nomme quelqu'un comme Balder comme héritier légitime. Il ne va pas non plus apprécier de traiter avec Álfheim tout en étant forcé de m'éviter comme s'il était un adolescent privé de sortie… Je commence à croire qu'Odin désire sa trahison.
– Cela reste son fils, Freyr, et tu l'as dit toi-même, se faire trahir par Loki nuirait à son autorité.
– Mais peut-être pas autant que je ne le pensais. Si Loki est assez méprisé, personne ne se tournera vers Odin pour le blâmer d'avoir donné une autre chance à son cadet, ils préféreront s'attaquer à l'ingratitude de Loki.
Gerd resta silencieuse un instant. Freyr avait beau avoir choisi ses arguments soigneusement pour convaincre Odin, il n'en demeurait pas moins que certains d'entre eux se basaient sur des éventualités de réactions asgardiennes qui pouvaient très bien différer de ses prédictions.
Mais il avait raison sur un point, et même Gerd pouvait le comprendre sans connaître Loki autant que son époux : le prince n'allait pas saisir une occasion de rédemption envers Asgard. Il était trop tard pour cela.
Freyr souffla bruyamment.
– Maintenant que j'ai plaidé sa libération et que j'ai appuyé ma volonté de ne pas laisser Loki nuire davantage aux Neuf Royaumes, Odin sait que je serais forcé de m'opposer à lui s'il se rend de nouveau coupable d'actes aussi répréhensibles que ceux de Midgard. Peut-être qu'Odin souhaite que je le tue, après tout, il m'a semblé bien réceptif à cette éventualité...
– Freyr, cesse. Cela n'aurait aucun sens.
Il se tourna vers elle, sombre.
– N'oublie pas que j'ai trahi Odin par le passé et qu'il n'a jamais pu me le faire payer.
– Au prix de la vie de Loki ?
Le Vane secoua la tête.
– Honnêtement, je ne sais plus si quoi que ce soit les lie encore, Gerd.
– De toute façon, s'il devait à nouveau nuire à Yggdrasil, Odin l'arrêterait sûrement avec ses guerriers bien avant que tu n'aies le temps d'honorer ta volonté de défendre les Neuf Royaumes de lui.
– Peut-être.
Gerd s'enfonça un peu plus dans son siège, qu'elle n'avait pas quitté pour réconforter Freyr, très consciente qu'il supportait mal tout contact quand il était dans un tel état de nervosité.
– Tu devrais te reposer, Freyr, murmura-t-elle doucement. Même si Loki devait agir, il ne le ferait pas maintenant ni dans les mois à venir, il est plus réfléchi que cela.
Mais Freyr n'arrivait plus à penser correctement. Il poussa un soupir agacé.
– Je ne peux pas m'empêcher de penser au pire, Gerd. Dépendre du bon vouloir d'Odin, alors que je pense que Loki aurait une chance de notre côté est incroyablement frustrant…
– Tu n'es pas responsable des actes de Loki.
– Mais je le serai si je ne fais pas tout ce qui est en mon pouvoir pour l'écarter du chemin sur lequel il s'est engagé…
Gerd ne chercha pas à le convaincre, ils avaient déjà eu cette discussion. La culpabilité qu'éprouvait Freyr la frustrait mais elle comprenait ses sources et son intensité. Parfois, elle avait des mots durs à son encontre, énervée par tout ce qu'il s'infligeait à cause de son Lærisveinn. Souvent, il lui semblait que Freyr réagissait comme un parent envers l'échec de son enfant, impuissant et suivi de près par une tristesse qui ne le laissait jamais en paix. Constamment, elle le sentait prisonnier de souvenirs, d'affections et de remords qui le bridaient davantage que ne semblait le faire son passé avec Nerthus.
Il aimait profondément Loki. Elle le lisait dans chacun de ses actes, dans chacun de ses mots… Et cela aurait été un sentiment magnifique si elle ne le voyait pas en souffrir depuis des siècles, comme empoisonné par cette relation.
Celui que Freyr désignait comme sa seule accroche à une forme d'affection par le passé, celui qu'il pensait même être son sauveur face à l'influence de Nerthus, le condamnait aujourd'hui à dépérir. Peut-être était-ce à l'époque le seul genre d'amour qui aurait pu sauver Freyr de ses démons, en effet, mais Gerd se demandait maintenant jusqu'où allait le prix à payer.
Quand elle voyait Freyr se torturer ainsi, elle songeait que ce prix n'avait probablement aucune limite.
