Il savait qu'il ne devait pas s'arrêter. Courir, toujours courir. Il ne savait pas pourquoi il courrait, ni où il courrait mais il savait qu'il ne devait pas s'arrêter. Ses jambes ne le portaient plus, tous ses muscles le faisaient souffrir et respirer devenait de plus en plus difficile mais il ne devait pas s'arrêter. Alors il continuait de traverser cette allée sombre dont il ne voyait pas la fin, cachée par une nappe de brume. Des silhouettes fantomatiques se dressèrent sur les côtés de l'allée sombre, leur visage caché dans l'ombre. Il ne prêta garde à leurs cris. Ils n'étaient rien pour lui alors que d'autres l'attendaient au bout de cette ruelle. Il le savait qu'ils l'attendaient, qu'ils comptaient sur lui. Il continua donc de courir, pour eux. Soudain, une silhouette se détacha sur le côté. Il reconnut sa mère, décédée lorsqu'il n'était qu'un enfant. Ralentissant son rythme, il observa ses traits. La douleur se lut sur son visage. Douleur, car elle savait ce qui attendait son enfant au bout de cette allée. Douleur, car elle ne voulait pas le voir souffrir. Douleur, car elle savait qu'elle n'avait plus la première place dans son cœur. Alors il reprit sa course car d'autres l'attendaient. Son corps protestait contre le violent effort auquel il était soumis mais il lui imposa le silence. La chape de brume qui dissimulait à son regard le fond de l'allée commença à se disperser lentement. Il aperçut d'abord une chevelure, sombre comme l'ébène. Il s'arrêta, observant la jeune femme qui se retournait vers lui. Sa beau bronzée trahissait son origine étrangère. Il observa ses traits fins avant de croiser son regard. La lueur qui brillait au fond de ses yeux trahissait ses sentiments. Il y lisait d'abord de l'amour et de la tendresse, de la joie et de la fierté. Puis il décela la douleur et la tristesse qui étreignait son cœur. Il avait lu la même sur le visage de sa mère. Il aperçut alors l'enfant qu'elle tenait dans ses bras : une petite fille âgée de trois ans, possédant la même chevelure que sa mère. La jeune femme déposa sa fille sur le sol, à côté d'un garçon qu'il dit savait être son frère jumeau. La brume s'était levée, dévoilant toute la scène. A coté des deux enfants et de leur mère se tenait un lit où était couchée la petite dernière de la famille, jeune bébé de quelques mois. L'aînée surveillait sa petite sœur. Elle était le portrait de sa mère sauf ses yeux. De couleur vert émeraude, ils étaient semblables aux siens. Son regard semblait le supplier mais il ne pouvait bouger. Il était figé, cloué sur place, sans pouvoir agir. Il savait que quelque chose allait advenir ; il le pressentait mais ne pouvait rien faire. Il ne bougea pas lorsque cinq hommes armés et vêtus de noir s'approchèrent de la petite famille. Il ne bougea pas lorsque l'un d'eux tendit son arme vers le petit garçon et l'assassina avant de faire subir le même sort. Il ne bougea pas lorsqu'il vit la jeune femme se précipiter vers son bébé tentant de le sauver désespérément de cette exécution. Il ne bougea pas lorsque la petite fille aux yeux verts courut vers sa mère avant d'être touchée par l'une des balles meurtrières s'échappant des fusils des cinq hommes. Il ne bougea pas lorsque la mère, après avoir assisté à l'exécution de ces enfants, se tourna vers lui, le regard empli de douleur et de colère, de tristesse et de rage. Il ne bougea pas lorsqu'elle s'éloigna, le poids de sa culpabilité alourdissant sa démarche. Il reposa son regard sur la petite fille aux yeux verts qui vivait ses dernières heures. Elle se tourna vers lui, et un cri franchit ses lèvres. C'était un cri qu'il ne pourrait jamais oublier ; un cri qui le hanterait toute sa vie, jusque dans ses pires cauchemars. « PAPAAAAAAAAAA! ».
Lorsque Tony se réveilla en sursaut, le cri de la petite fille résonna encore quelques instants à ses oreilles. Il haleta, surpris de se retrouver dans son lit, le dos moite. La lueur de la lune se faufilait entre les interstices de ses volets et dansait sur le mur face à lui. Il se tourna vers son réveil qui affichait 5:30. Sachant qu'il ne réussirait à se rendormir, il décida de se lever et de se servir un bon café. Ce la faisait des années maintenant qu'il faisait régulièrement ce cauchemar et cela l'intriguait. Il ne connaissait pas la jeune femme qui apparaissait dans ses sommeils les plus profonds. Et ce n'était pas faute d'avoir cherché. Il avait épluché tous ses albums photos, ouverts tous les cartons contenant ses souvenirs d'enfance et de jeunesse sans pouvoir mettre la main sur la moindre image d'elle. Il ne comprenait pas pourquoi une parfaite inconnue revenait aussi souvent dans ses pensées, ni pourquoi il avait l'impression de bien la connaître dans ses rêves.
Il posa la tasse de café qu'il venait de finir dans l'évier. Il ne voulait plus penser à ce cauchemar qui lui faisait froid dans le dos. Car il devait admettre qu'il avait peur. Il se dirigea vers la salle de bains, espérant qu'une bonne douche bien chaude le calmerait. Lorsqu'il fut prêt, il décida de partir travailler, même si l'heure, 6h45, était extrêmement matinale pour lui.
Dans l'ascenseur qui le menait à son bureau, Tony se rendit compte que ce qui lui faisait le plus peur dans son cauchemar était cette impression qu'il avait de bien connaître la petite fille. La couleur de ses yeux, si semblables aux siens, le perturbait. Puis il y avait son regard, et la confiance et l'amour qu'il y lisait, à chaque fois qu'il la retrouvait dans son sommeil. Et enfin son cri, ce mot qui était le dernier à franchir ses lèvres et auquel il avait la curieuse impression d'être habitué. Le jeune agent du NCIS fut soulagé lorsque l'ascenseur s'arrêta et que ses portes s'ouvrirent, coupant court à ses pensées. Il se dirigea vers l'espace réservé à leur équipe, celle de Gibbs avant de s'arrêter entre les bureaux, étonné. Une jeune femme était assis au sien, feuilletant distraitement un magazine qu'elle avait probablement pris dans ses affaires.
Je peux savoir ce que vous faites à mon bureau, lui demanda-t-il.
J'attends l'agent Gibbs, lui répondit-elle sans lever le nez de ses affaires. Savez vous quand est-ce qu'il arrivera?
Non, mais j'aimerais bien que vous me rendiez mon bureau, si ce n'est pas trop vous demander. A moins que vous n'ayez décider de l'occuper toute la journée.
Vous savez, il suffisait de le demander, répliqua-t-elle en se levant.
Elle croisa son regard et il fut incapable d'articuler le moindre mot. Il reconnaissait ses yeux noirs et ses traits fins. Il se demandait comment est-ce que la simple vue de la chevelure noire ne l'avait pas intrigué. Devant lui, se tenait la jeune femme qui hantait ses cauchemars. Elle lui ressemblait comme deux gouttes d'eau, si ce n'est que celle qui se tenait devant lui lui paressait avoir au moins dix ans de plus que celle de ses cauchemars. Alors qu'il l'observait ainsi, sans rien dire, il vit une once de surprise, puis de peur traversait son regard. Il eut à peine le temps de voir la douleur se peindre sur ses traits avant qu'elle ne se ferme et que son visage n'exprime plus aucun sentiment. Elle s'écarta de son bureau et s'assit à celui de McGee. Tony l'observa sans la lâcher du regard. Sa silhouette lui paraissait familière. Il ne se lassait de l'admirer, notant l'habitude qu'elle avait de coincer derrière l'oreille une mèche de cheveux rebelles. Au bout d'un quart d'heure, la jeune femme soupira et leva son regard du magazine qu'elle lisait pour plonger dans les yeux de Tony :
Vous voulez quelque chose?
Oui... Non... Enfin... Pourquoi voulez-vous voir Gibbs?
Pour l'empêcher de tuer l'un des agents de mon agence?
Et vous travaillez pour?
Mossad. Je m'appelle Ziva David.
Agent spécial Anthony DiNozzo. Vous savez que votre agent a tué ma partenaire.
Vous vous trompez, Ari n'aurait jamais fait cela.
Son téléphone sonna, empêchant Tony de répliquer Il l'observa s'éloigner et discuter en hébreu avec son mystérieux interlocuteur. Il se demanda même si il était possible qu'elle ait le culot de parler à ri Haswari sous leur nez alors qu'ils tentaient désespérément de l'attraper. La main de son patron s'abattit sur l'arrière de son crâne, le faisant sortir de ses pensées.
Patron?
Concentre-toi Tony. Je tiens à attraper ce salop.
Justement... En parlant d'Haswari...
Que se passe-t-il Tony?
Le Mossad a envoyé un de leurs agents.
Gibbs claqua le tiroir de son bureau avec force avant de se tourner vers son agent. La fureur qui s'échappait de don regard était visible de tous.
Qu'est-ce qu'ils croient? Qu'il leur suffira de m'envoyer un de leur mercenaire armé jusqu'au dents pour me faire peur.
Agent Gibbs! Demanda une voix derrière les deux hommes.
Jenny? Répondit Gibbs.
Je viens de m'entretenir avec le directeur adjoint du Mossad. Il nous envoie l'un de ses agents pour que cette affaire soit réglée sans créer un incident diplomatique entre nos deux pays.
Je ne travaille pas avec des assassins.
Pourquoi tout le monde croit-il que les agents du Mossad sont des assassins? Demanda Ziva qui s'avançait vers eux. Je suis content de te revoir Jenny.
Moi aussi Ziva. Cela faisait longtemps. Comment vas-tu depuis?
Très bien. Rien n'a changé, tu sais.
Tu es toujours sur la piste de …
Oui, la coupa-t-elle avant qu'elle n'en dévoile plus.
Les deux hommes observaient sans dire un mot l'échange entre les deux jeunes femmes.
Agent Gibbs., vous travaillerez avec l'officier David. Vous partagerez toutes les informations sur cette enquête.
Gibbs ne répondit rien, montrant son mécontentement. Jenny sourit, reconnaissant la méfiance de son ancien partenaire.
Je luis dois la vie Jetro, lui murmura-t-elle avant de repartir vers son bureau.
