« Pourquoi Shin-sama ? Pourquoi continuer à espérer si c'est pour toujours être rejetée ? Pourquoi est-ce que je ne peux pas m'empêcher d'aimer me sentir prêt de vous ? M'empêcher d'aimer vous prendre en photo ? Vous « mitrailler », comme dirait Midori-chan. Pourquoi êtes-vous aussi attirant aussi, Shin-sama ? Pourquoi je ne pense qu'à vous ? Pourquoi est-ce tous les jours comme ça : je vous regarde, je fais du mieux que je peux ! J'essaye de faire attention à vous ! Pourquoi ne remarquez-vous jamais rien ! Pourquoi ? Hein, pourquoi !?

Je n'en peux plus. Je crois que ce jour devait arriver tôt ou tard. N'êtes-vous pas du même avis ? Bien sûr, bien sûr qu'il y aurait bien un jour où je craquerais, où je serais épuisée de donner sans rien recevoir en échange. Juste un petit sourire Shin-sama. Oh, les rares sourires que vous m'adressez ne sont pas pour moi, ils sont pour l'objectif. Ce petit appareil, cela fait un an que je l'ai. Je ne peux pas m'en passer, je l'emmène toujours, peu importe où je vais. Mais finalement, je crois qu'il m'aura fait souffrir, aussi. Car il contient tous les moments où je me suis retrouvée près de vous. Mélancolie, ma douce amie.

Mais ce petit boîtier mauve est une partie de moi, je ne peux pas me résigner à m'en séparer, pas aussi facilement. Un peu comme vous avec votre piano. Nous vivons tous deux avec une forme d'art qui nous est précieuse. La musique pour vous, la photographie pour moi. Quoique, c'est peut-être pour cela que cela ne fonctionne pas. Peut-être est-ce juste que nous sommes trop différents...

Toutes les larmes que je verse, celles dont seul mon oreiller s'est occupé, elles vous sont dédiées. Ne vous en voulez pas, vous ne pouvez pas savoir : il paraît que je joue très bien la fille heureuse. Je vis dans un monde de mensonges et de petits secrets.

La vue de ce balcon est splendide, elle me met de bonne humeur. D'ici, j'ai le soleil dans les yeux mais où est le problème ? Le soleil est source de bien-être, non ? Je suis fière d'habiter là, dans cet immeuble, malgré la hauteur. Combien de mètres du sol ? Peut-être bien une quinzaine, voire plus. Je suis au dernier étage après tout.

Maman n'est pas là. Papa non plus. Le travail, toujours le travail. Pourquoi dois-je toujours être seule dans les jours comme ceux-là ? La solitude est-elle une autre amie ?

Lorsque je me penche au dessus de la rambarde, je vois, loin en dessous de moi, quelques enfants qui jouent ensembles. Ils courent sur le trottoir, en direction du parc voisin. Ils ont bien raison de ne pas gâcher une journée pareille.

Je tourne la tête. Il y a un ballon de foot sur mon balcon. Vous savez, Shin-sama, le foot, c'est ce qui m'a fait vous rencontrer. C'est le seul moyen que j'ai pour passer un peu de temps avec vous. Pas que je n'aime ce sport que pour ça, bien au contraire, je l'ai toujours adoré, mais il représente maintenant le petit espoir qu'il me reste. Cet espoir, parfois, j'ai l'impression qu'il agit un peu contre nous. Vous qui êtes sur le terrain à vous battre de toutes vos forces et moi qui regarde impuissante. Oh oui, je vais vraiment finir par arrêter d'espérer, d'espérer que vous pourriez m'aimer.

Une larme, deux larmes, trois larmes. Pourquoi penser à cela me fait-il encore plus de mal ? Je ne comprends pas. Est-ce vraiment cela que d'aimer ? Pleurer encore plus quand on essaye d'oublier ? Shin-sama, j'ai quelque chose à affirmer : vous êtes inoubliable.

Je serre les poings, me mords l'intérieur de la joue. Ça m'aidera à stopper le torrent qui trouble ma vue, mais pour combien de temps ?

Je regarde ma montre. Déjà quinze heures. Ah oui, je dois me lever, le club a prévu un entraînement aujourd'hui. Pourtant, nous sommes samedi. Est-ce à cause de cette date particulière ? Certainement pas. Mais qu'ils jouent, si ça peut leur faire plaisir.

Moi du plaisir, je n'en ai plus, et la force de me lever, je l'ai perdue. Après tout, quelles conséquences cela aura que je ne sois pas là ? Aucune, je ne suis qu'une spectatrice. Une spectatrice qui assiste à leurs douleurs. Leurs joies aussi, mais je n'en parle pas trop. Je n'arrive plus à les partager avec eux.

Oh Shin-sama, pourquoi tout le monde oublie ce jour... »

La jeune fille posa son journal sur son transat et s'approcha de la rambarde. Les enfants étaient partis. Elle croisa les bras qu'elle appuya dessus, non sans soupirer. L'un des jours où elle devrait être la plus heureuse était toujours l'un de ceux où elle se sentait le moins bien. Elle serra les dents et essuya une larme qui s'apprêtait à tomber.

Lorsqu'elle comprit qu'elle avait besoin de pleurer pour se sentir allégée, elle essaya. Mais ce soleil l'en empêchait. Elle rentra à l'intérieur de l'appartement et s'assit sur son lit. Ses yeux ne se firent pas prier, elle lâcha tout ce qu'elle avait contenu depuis des mois déjà. Elle regarda les murs de sa chambre. Lui, partout. Dans un élan de rage, elle arracha toutes les photos qui étaient accrochées, les déchira et les jeta. Une nouvelle vie doit commencer.

Quand elle s'allongea sur son lit, elle n'eut aucun mal à trouver le sommeil dont elle avait besoin.

Elle fut tirée des bras de Morphée par la sonnerie de l'interphone. La personne présente en bas avait dû se tromper de bouton, cela ne pouvait pas être pour elle. Pourtant elle persistait, sonnant une deuxième puis une troisième fois. Elle en avait marre, elle voulait que cela cesse et qu'elle puisse se retrouver à nouveau seule, avec le calme constant. Elle demanda : « Oui ? Qui est-ce ? »

Pour unique réponse, elle eut le droit à un silence. Alors elle avait raison : c'était une erreur. Elle se reposa sur le lit. Les oreillers étaient encore un peu humides, mais ça ne lui causait aucun problème. Elle avait pris l'habitude. Elle ferma les yeux.

Pourtant, des bruits de pas martelant les marches de l'escalier se rapprochaient. Qui oserait, rien que pour elle, faire tous les étages alors que l'ascenseur était en panne ? Elle réfléchit et arriva à une conclusion. Elle avait des voisins de palier, non ? Cette personne pouvait très bien être là pour l'un d'eux.

Mais les pas s'arrêtèrent devant le seuil de sa porte.

« Akane ? Je sais que tu es là. Ouvre-moi... »

Akane, oui, c'était bien elle. Quant à cette voix... non, impossible, elle avait forcément rêvé.

« Tu as répondu tout à l'heure. Ne fais pas semblant de ne pas m'entendre.

- Pars. » lâcha-t-elle.

Il n'en revenait pas. Elle, Akane Yamana, lui demandait de partir ?

« Akane, tu as intérêt à ouvrir sinon je devrais enfoncer cette porte.

- Tu n'as pas assez de force, Shindou. »

Elle se félicita. Tenir ses résolutions n'était pas si difficile lorsqu'elle ne l'avait pas sous les yeux. Si elle réussissait à se contenir de lui sauter au cou, alors elle aurait fait un pas mille fois plus grand que jamais. Elle ne devait pas se laisser aller. Allez, sois forte, Akane !

Lui resta longtemps devant la porte, hébété. Elle ne l'avait pas appelé « Shin-sama ». Elle avait dit qu'il n'était pas assez fort pour entrer. Elle l'avait négligé.

« Qui es-tu ? » demanda le capitaine.

Ce fut au tour de la jeune fille de ne plus rien comprendre. Bien sûr qu'il savait qui elle était, voyons ! Alors pourquoi lui poser la question ?

« Où est passée l'Akane que je connais ? enchaîna-t-il. Celle qui était joyeuse ? Celle dont les joues rosissent si souvent ? Celle qui ne rate aucun de nos entraînements, qui vient à tous nos matchs, qui nous encourage ? Celle qui nous donne la force de nous battre ? Qui m'aurait sans problème laissé entrer ?

- Cette Akane-là doit mourir, Shindou. » cracha-t-elle.

Elle entendit les pas du garçon s'éloigner. Alors comme ça, la discussion s'arrêterait ainsi ? Elle était contre. Comment pouvait-on clore une discussion de cette manière ? Mais elle n'allait pas sortir pour le réprimander. Ce serait lui donner l'impression d'avoir remporté la victoire. Surtout qu'il avait commencé une si belle tirade, elle aurait pu flancher ! De toute façon, aujourd'hui, elle resterait enfermée chez elle.

Contre toute attente, Shindou revint, quelques minutes plus tard. Derrière la porte, elle l'entendait : il était essoufflé. Clic. Par une manipulation intelligente dont il avait le secret, le verrou n'était plus, et la porte était ouverte.

Akane attrapa un oreiller et s'assit par terre, à côté du lit sur lequel elle était. Elle ne savait pas expliquer la raison de ce geste, c'était impulsif. Comme si elle voulait se cacher, ne pas être dans son champ de vision dès qu'il entrerait dans la pièce. Elle attendit qu'il arrive. La respiration du pianiste se rapprochait, elle semblait reprendre sa cadence habituelle. Les battements du cœur de la jeune fille, quant à eux, agissaient à l'inverse. Presto. Bordel, Akane, reprends-toi !

Lorsqu'il franchit le pas de la porte séparant la chambre du couloir, il traversa la pièce du regard. Bien qu'il ait remarqué la jeune fille, il s'attarda sur autre chose. Il ne pouvait s'empêcher de se dire qu'il ne voyait l'endroit comme ça. Les murs étaient d'un blanc d'hôpital, vides de toute décoration, impersonels. Rien ne dépassait des étagères, une lampe trônait seule sur le bureau. Le bel appareil photo mauve était posé au milieu du lit. On aurait pu croire qu'elle venait d'emménager s'il ne restait pas quelques bouts de pâte jaune pendant un peu partout, fraîchement arrachés.

Akane le dévisagea. Qu'est-ce qu'il fait ? se demanda-t-elle. Puis elle fit attention à ses vêtements : survêtement habituel du collège, un ballon et un sac de sport sous le bras gauche. Il devait tout juste sortir de l'entraînement.

Finalement, il déposa son sac dans le coin de la pièce, vint s'asseoir à ses côtés sur le parquet froid, et regarda le plafond. Il serrait toujours auprès de son ventre la balle contre laquelle il avait dû s'acharner une bonne poignée de minutes auparavant.

« Shindou, que fais-tu ici ?

- Tu n'es pas venue tout à l'heure, répondit-il sans détourner le regard. Je m'inquiète. C'est interdit ? »

Elle ne dit rien. Lui s'inquiétait pour elle ? Ben voyons ! Elle voulait bien être naïve, mais il y a des limites à ce qu'elle peut croire.

« J'ai bien fait, non ? À voir ta tête, tout n'a pas l'air d'aller. »

Il ne voulait tout de même pas qu'elle se confie à lui, non plus ? Jamais elle ne pourrait lui avouer qu'il était la cause de cet état. Déjà, parce qu'elle ne voulait pas lui causer de peine, ensuite car c'était bien trop difficile à admettre.

Il se releva et lui tendit une main, qu'elle attrapa. Je n'aurais jamais cru que la main de Shindou était si chaude, pensa-t-elle. Puisque le sol n'était pas très agréable, il s'empara de l'appareil photo afin de s'asseoir sur le lit, et invita la jeune fille à faire de même. Personne ne touchait jamais le précieux bien d'Akane mis à part elle, c'était une première. D'ailleurs, elle n'avait pas encore effacé son contenu, il ne fallait absolument pas qu'il ne le voit ! Elle baissa la tête dans le but de masquer ses joues qui rougissaient à présent d'une honte qu'il ne comprenait pas. Cependant, cela ressemblait beaucoup plus à son Akane, et cela suffit à le faire sourire. D'une petite torsion du dos, il posa l'appareil sur une table de chevet avant de se replacer face à son amie.

« Aller, arrête de déprimer. Tout va bien. Je suis là. Et je ne suis pas le seul, s'il le faut, tout le monde est là. » lui murmura-t-il en remplaçant une mèche de cheveux de la demoiselle.

La manageuse acquiesça lentement. Soudainement, il se pencha vers elle, tentant maladroitement une approche, mais le ballon qu'il gardait avec lui agissait comme un mur entre eux, le stoppant net dans sa course. Il détourna le regard, et se gratta l'arrière de la nuque, gêné. Akane trouva ce geste particulièrement adorable.

« Hum, toussa-t-il pour couvrir un silence un peu trop long. Il y a quelque chose que je voulais te dire, en fait. Bon anniversaire Akane. »

Il y a pensé ! Elle n'en revenait pas. Elle était aux anges, jamais elle ne s'était sentie aussi bien. Elle qui quelques minutes avant avait les yeux rouges et la mine bouffie laissait à présent un magnifique sourire se dessiner sur son visage. D'un revers de la main, elle rejeta le ballon et s'approcha de l'oreille du brun, qui l'attrapa dans ses bras.

« Merci beaucoup, Shin-sama... »