Prologue
Il était une fois un jeune sorcier, beau, riche et talentueux, qui avait remarqué que ses amis devenaient sots lorsqu'ils tombaient amoureux folâtrant et se pomponnant, perdant dans l'appétit leur dignité.
Le jeune sorcier décida qu'il ne serait jamais la proie d'une telle faiblesse. Il eut recourt à la magie noire pour assurer son immunité.
Ignorant son secret, la famille du sorcier riait de le voir si froid et distant.
- « Tout changera » prophétisaient-ils, « Lorsqu'une jeune fille lui tournera la tête. »
Mais la tête du sorcier ne lui tournait pas. Bien que de nombreuses jeunes filles intriguées par ses airs hautains, eussent employé leurs arts les plus subtiles à essayer de lui plaire aucune ne parvint jamais à toucher son cœur.
Le sorcier tirait gloire de son indifférence et de la sagacité qu'il avait suscité.
Lorsque la première fraîcheur de la jeunesse déclina, les amis du sorcier commencèrent à se marier et à engendrer des enfants.
- « Leur cœur ne doit plus être qu'une coquille ratatinée par les exigences de cette progéniture vagissante. » ricanait-il intérieurement en observant les jeunes parents qui batifolaient autour de lui.
Une fois de plus il se félicitait de la grande sagesse qui l'avait amené à faire ce choix très tôt dans sa vie.
Le temps vint où les parents du jeune sorcier, qui étaient âgés, moururent. Leur fils ne les pleura pas. Au contraire. Il considéra leur décès comme une bénédiction. A présent, il régnait seul sur le château. Après avoir transporté son trésor le plus cher dans le plus profond des cachots, il s'adonna à une vie de bien-être et d'abondance. Son confort devenant le but unique de ses nombreux serviteurs.
Le sorcier était convaincu qu'il devait inspirer une immense envie à tous ceux qui contemplaient sa superbe et paisible solitude. Sa colère et son dépit n'en furent donc que plus violents lorsqu'il entendit un jour, deux de ses valets, parler de leur maître.
Le premier serviteur exprimait sa pitié pour le sorcier, qui, malgré toute sa richesse et tout son pouvoir, n'avait personne pour le chérir.
Mais son compagnon eut un rire moqueur et demanda pourquoi un homme qui possédait autant d'or et un château semblable à un palais n'avait pas été capable d'attirer une épouse.
Leurs paroles furent autant de coups terribles, portés à l'orgueil du sorcier. Il résolu aussitôt de prendre femme et d'en trouver une qui serait supérieure à toutes les autres. Elle devra être d'une beauté renversante et susciter désir et envie chez tout homme qui la verrait.
Elle serait d'une lignée de sorcier pour que leurs enfants héritent de dons magiques exceptionnels et elle posséderait une fortune au moins équivalente à la sienne, afin que la confortable existence du sorcier soit assurée en dépit de l'agrandissement de sa maisonnée.
Le sorcier aurait pu mettre cinquante ans à trouver une telle femme. Mais il arriva qu'au lendemain même du jour où il avait décidé de la chercher, une jeune fille répondant à tous ses choix, vint rendre visite à sa famille qui habitait dans le voisinage.
C'était une sorcière aux dons prodigieux, et elle possédait également beaucoup d'or. Sa beauté était telle, qu'elle saisissait le cœur de tous les hommes qui posaient les yeux sur elle. Tous, sauf un.
Le cœur du sorcier ne ressentit rien du tout. Néanmoins, elle était la perle rare qu'il cherchait, et il commença donc à lui faire la cour.
Tout ceux qui remarquèrent ces changements dans les manières du sorcier, en furent stupéfaits, et dirent à la jeune fille qu'elle avait réussi là où une centaine d'autres avaient échoué.
La jeune femme, elle-même était à la fois fascinée et rebutée par les intentions du sorcier. Elle sentait la froideur qui existait derrière ses chaleureuses flatteries. Elle n'avait jamais rencontré d'homme si étrange et si distant.
Sa famille cependant, estimait qu'ils étaient très bien assortis, et impatiente de favoriser cette union, ils acceptèrent l'invitation du sorcier à un grand festin en l'honneur de la jeune fille.
La table chargée d'une vaisselle d'or et d'argent, offrait les vins les plus fins et les mets les plus somptueux. Les ménestrels s'accompagnant de leurs luths aux cordes de soie, chantaient un amour que leur maître n'avait jamais ressenti.
La jeune fille était assis sur un trône aux côtés du sorcier, qui lui susurrait des mots tendres volés aux poètes, sans avoir la moindre idée de leur véritable signification.
La jeune fille écoutait, perplexe, et finit par lui répondre : « vous parlez bien sorcier. Et je serais enchantée de toutes vos intentions si seulement je pensais que vous aviez un cœur ». Le sorcier sourit et il lui assura qu'elle n'avait pas de crainte à avoir en la matière. La priant de le suivre, il l'emmena à l'écart du festin et la fit descendre dans les cachots, soigneusement verrouillés, où il conservait son plus grand trésor. Là, dans une chape de cristal ensorcelée, reposait le cœur palpitant du sorcier. Depuis longtemps privé de tout contact avec des yeux, des oreilles ou des doigts, il n'avait jamais été sous le charme de la beauté, de la musique d'une voix, de la douceur d'une peau soyeuse. En le voyant la jeune fille fut terrifiée car le cœur était tout ratatiné et recouvert de longs poils noirs.
- « Oh ! Qu'avez-vous fait ? » Se lamenta-t-elle. « Remettez-le là où il doit être. Je vous en implore. »
Comprenant que c'était indispensable pour lui plaire, le sorcier tira sa baguette, déverrouilla la chape, se trancha la poitrine puis l'ouvrit et remit le cœur velu dans la cavité béante qu'il avait autrefois coupé.
- « Vous êtes guéri à présent. Et vous connaîtrez le véritable amour. » S'écria la jeune fille.
Puis, elle l'étreignit. La douceur de ses bras blancs, la légèreté de son souffle dans son oreille, le parfum de sa lourde chevelure d'or; tout cela transperça comme des lances, le cœur nouvellement éveillé. Mais il était devenu étrange au cours de son long exil. Aveugle et sauvage dans l'obscurité à laquelle il avait été condamné. Il avait développé des appétits puissants et pervers.
Les invités du festin avaient remarqué l'absence de leur hôte et de la jeune fille. Au début, ils ne s'étaient pas inquiétés. Mais à mesure que les heures passaient, ils avaient fini par s'alarmer et avaient entrepris de fouiller le château.
Lorsqu'ils découvrirent enfin le cachot, un spectacle effroyable les attendait. La jeune fille était étendue, morte, sur le sol. La poitrine ouverte d'un coup de couteau et à côté d'elle, le sorcier fou était accroupi tenant dans sa main sanglante un grand cœur écarlate, lisse et brillant, qu'il léchait et caressait, s'étant juré de l'échanger contre le sien. Dans son autre main, il tenait sa baguette magique, essayant d'inciter le cœur desséché et velu à sortir de sa propre poitrine. Mais le cœur velu était plus fort que lui et refusait d'abandonner l'emprise qu'il avait à présent sur ses sens ou de retrouver le cercueil dans lequel il avait été si longuement enfermé.
Devant les yeux horrifiés de ses invités, le sorcier jeta alors sa baguette, saisi un poignard d'argent, faisant le vœux de ne jamais se laisser dominer par son cœur, il l'arracha de sa poitrine à coups de couteau. Pendant un instant, le sorcier triompha, resta à genoux, un cœur dans chaque main, puis il s'affaissa en travers du corps de la jeune fille et il mourut.
Le sorcier au cœur velu, Les contes de Beedle Le Barde.
