Introduction

La lettre froissée gisait à ses pieds. Jane choisissait de l'ignorer, le regard tourné vers un ciel clair.

Pourtant, les mots violemment imprimés sur le papier blanc continuaient de résonner dans sa tête.

"Refusée."

"Suite à de nombreuses délibérations, le jury est arrivé à une décision quant à votre candidature ..."

"Refusée."

"… nous avons le regret de vous informer que votre application pour notre université a été..."

"Refusée."

"… Veuillez agréer, Mlle. Foreville, l'expression de nos sentiments les plus distingués."

"Refusée."

Refusée. Refusée.

Elle jeta au sol un regard froid, là où la lettre se moquait encore d'elle d'une façon odieuse. Mais elle ne l'écrasa pas ni la rejeta d'un coup de pied rageur comme elle l'avait fait presque toute l'après-midi. Il semblait que l'épuisement avait finalement eu raison de sa colère inutile.

Finalement, Jane prit une grande inspiration et leva quelques doigts vers la poignée de la porte. Elle s'ouvrit presque silencieusement, et aussitôt elle se retrouva à l'extérieur.

Elle espérait que l'air froid effacerait de ses pensées toute trace des mots durs et coupants gravés dans sa tête, qui n'avaient de cesse de lui rappeler son échec.

Mais elle avait travaillé si dur, pensa t-elle, sans réaliser que ses jambes avaient cessé de la supporter, pour la laisser agenouillée sur le sol froid.

Elle avait travaillé pendant des mois pour préparer cet concours menaçant, certaine qu'elle pourrait réussir. Ce n'était pas juste – non, ça ne l'était pas, gémit-elle presque – sauf qu'elle ne pouvait pas pleurer, car elle n'était plus une enfant – non, elle ne l'était plus.

Sa vision brouillée – par le vent, pensa t-elle – rencontra finalement la lueur d'une étoile dans le ciel. Elle savait précisément de laquelle il s'agissait. Hier encore, elle avait prononcé avec ferveur ses mots magiques. Mais elle craignait de ne plus jamais être capable de les dire à nouveau. La magie avait disparu. Pourquoi ne l'avait-elle pas réalisé plus tôt?

Elle pouvait chanter et prier ''Je crois aux fées'' autant que possible – cela ne l'avait jamais sauvée. Chaque nuit, depuis la plus tendre enfance, elle avait cru aux fées en regardant cette si spéciale seconde étoile à droite. Hier, elle rêvait de frégates volantes, d'indiens et de sirènes...

Elle sentait le vent refroidir son front brûlant, causant avec son passage la création d'une série de frissons le long de son bras. Puis, des mots échappèrent de ses lèvres, bien qu'elle n'eut pas l'impression de dire quoi que ce soit.

''Je crois aux fées...''

Quand elle entendit les mots, un petit rire lui échappa, secouant ses épaules. Elle suivirent les variations de son petit et misérable rire, jusqu'à ce qu'elles suivent les pleurs qu'elle ne pouvait plus contenir. Et soudain elle se rendit à l'évidence – elle était terrifiée.

Elle paniqua, elle pleura, son crâne semblant imploser; elle ne savait pas quoi faire désormais. Elle avait pourtant eu sa vie entièrement planifiée devant elle: des mots noirs imprimés sur un papier fin et tranchant venaient de tout effacer.

Elle ne savait pas où aller. Jane n'était même plus certaine de savoir ce qui la passionnait. Les choses qu'elle aimait, qu'elle voulait étudier, lui avaient été refusées par une feuille de papier.

Elle voulait pleurer auprès de sa mère, pleurer auprès de son père; pleurer, tout simplement. Son esprit était en feu et rien ne pouvait la calmer, rien ne pouvait la convaincre qu'elle paniquait pour des raisons inutiles.

Puis elle entendit des pas derrière elle.

''Jane, qu'est-ce que tu fais, toute seule dehors? Tu es enfin devenue folle?''

La remarque froide de sa jeune cousine, Clara, eut l'avantage de réveiller Jane. Elle ne répondit pas mais se mit sur ses deux pieds, bien que ses jambes furent encore tremblantes; mais elle garda sa tête relevée dignement.

''Tu fais encore ce truc avec les fées? Tu n'es pas censée être, genre, une adulte?''

En vérité, Jane était censée fêter son anniversaire dans quelques jours, ce qui expliquait la venue de sa cousine dans le foyer des Foreville. Elle aurait dû dire à Clara ce qu'elle s'était dit à elle-même quelques minutes plus tôt: que oui, elle était une adulte, et qu'elle ne croyait donc plus aux fées.

Mais la dernière chose qu'elle souhaitait était de recevoir des leçons de la part d'une fillette de treize ans en colère, plus jeune qu'elle de cinq ans; et, quoiqu'elle se dise – elle n'était pas encore prête à renoncer aux fées.

''Va au lit, Clara.'' La fillette l'ignora magnifiquement.

''Oh, est-ce que tu demandes de l'aide à ton 'Peter Pan' car tu ne peux pas aller à ta stupide école, maintenant?'' Clara était incrédule – pourquoi quiconque serait triste de ne pas aller à l'école? Elle continua. ''Eh bien, tu sais quoi? J'ai des nouvelles pour toi: Peter Pan et les fées? Ils n'existent même p-''

''Clara, boucle-là! Tu comprendras quand tu seras plus grande.'' Comme Clara ne répondait pas, Jane soupira, profitant d'un court moment de paix. Fermant ses yeux pour quelques secondes, elle inspira et les ouvrit à nouveau. Elle vit une lumière faible flotter devant ses yeux, comme on l'aperçoit parfois en ressentant de la fatigue. Elle s'attendait à la voir s'estomper; mais ce ne fut pas le cas. A la place, elle devint plus forte et plus intense, presque comme si elle se rapprochait. Presque comme s'il s'agissait...

Clara vit la lumière également, légèrement perturbée. Mais en voyant l'expression d'émerveillement peinte sur le visage de Jane, elle ne put s'empêcher de lancer une dernière remarque amère.

''A quoi tu t'attends, Jane? C'est juste une stupide luciole, évidemment; car les fées – et tous ces trucs – ça n'existe pas.''

Jane était trop hypnotisée par la lueur pour comprendre ce que Clara venait de dire – et elle le regrettait déjà. Paniquée, elle se tourna vers sa cousine, à demi furieuse et à demi terrifiée, pour observer le choc sur le visage de la jeune fille. Quand elle se tourna à nouveau pour observer la lumière dansante, celle-ci était tombée à terre.


''Mais qu'as-tu fait?'' Jane était aux abois.

''Pourquoi tu t'énerves? C'était juste une blague!'' Mais quelque chose dans les yeux de Clara trahissait des émotions qu'elle refusait de ressentir. Une sorte de panique; une sorte de remord. Elle avait vu la lumière tomber au moment où elle avait prononcé ces quelques mots, et ne refusait de comprendre ce que cela impliquait.

''Tu sais quoi, tu es vraiment bizarre, Jane. Moi, je retourne me coucher. Je ne vais pas gâcher mon temps avec une cousine à moitié folle qui croit encore aux contes de fées. Grandis un peu!'' Et, sur ces mots, elle partit, sans se douter que ce serait les derniers mots rageurs qu'elle adresserait à sa cousine.

Ce fut presque comme si Jane n'avait pas entendu les mots amers de sa cousine. Clara disparue, Jane se précipita immédiatement vers la lueur, brillant de moins en mois.

Baissant les yeux, elle découvrit esseulée au milieu de sa terrasse une petite forme, inerte.

Cette petite chose; de loin la chose la plus délicate et précieuse qu'il lui avait jamais été donné de voir – était, évidemment; une fée. Pourquoi avait-elle jamais douté de leur existence? Son sang ne fit qu'un seul tour tandis que son cœur bondissait dans sa poitrine.

Juste au moment où les dernières lueurs de son imagination s'estompaient et disparaissaient en elle, la vue de cette fée ralluma les flammes de son cœur avec une vivacité sans pareil; avec un feu si fort qu'il pourrait la consumer toute entière.

Une fée, comme dans les livres. Une fée aux cheveux argentée, aux ailes fragiles de libellule. Une fée morte, étendue aux pieds de Jane.

Passant en quelques secondes d'une joie qui aurait pu illuminer un millier d'âmes à une tristesse déchirante, Jane tomba à genoux. Sa vision se brouilla doucement avec les larmes qui encombraient peu à peu ses yeux.

Elle aurait dû l'empêcher. Toute sa vie, elle avait attendu un signe, quelque chose, pour prouver qu'elle n'avait pas tort. Pour prouver que ses croyances; de la magie, des fées, de Peter Pan – étaient fondées. Et voilà qu'au moment où sa vie lui paraissait la plus sombre, apparaissait une lueur dans les ténèbres. Sauf que cette lueur était désormais partie, pour toujours. Elle n'eut pas le cœur de détester Clara – elle était trop déchirée par la douleur de voir ses rêves partis en fumée, pour la seconde fois en une seule journée.

Combien de temps elle resta là, à pleurer la petite fée aux cheveux argentés, elle l'ignorait.

Lorsqu'elle cru voir une ombre se glisser parmi les nuages, elle n'y prêta guère attention, blâmant sa vue brouillée par les larmes. Cependant, elle entendit un sorte de souffle; un qui n'était pas causé par le vent passant parmi les feuilles de l'été.

Seul l'atterrissage d'un petit garçon face à elle lui fit réaliser que quelque chose se passait. Cela ne semblait pas très important au départ – elle avait traversé tant d'émotions en une soirée qu'elle acceptait déjà toute chose qui suivait comme naturelle.

Le petit garçon baissa les yeux et découvrit la fée aux pieds de Jane.

Quand il ouvrit sa bouche pour crier, horrifié, en colère et – empli de tristesse, Jane put seulement observer, laissant doucement ses larmes rouler sur ses joues à chaque fois qu'elle clignait des yeux. C'était sûrement un rêve, désormais. Mais alors, le garçon la fixa avec un regard qui aurait fait reculer de peur des hommes adultes.

''C'est de ta faute! Elle est morte à cause de toi!''

La dureté, le faux jugement, tout cela ramena Jane à elle-même. C'était comme être avec Clara à nouveau. Et elle n'était certainement pas capable de le supporter encore une fois.

''Non! Ce n'est pas vrai! Tu te trompes – je le jure, le le promets, je n'y suis pour rien!''

''C'est faux! Tu es une...'' Il la dévisagea des pieds à la tête avec dégoût. ''Tu es une adulte!'' Le mot sortit avec la plus grande intonation de dégoût possible.

Jane recula alors légèrement. Elle ne savait pas ce qui la choquait le plus: être haïe par un garçon volant, ou être qualifiée d'adulte – quand, en vérité, elle n'était pas sûre d'en être une.

''Mais – écoute! Je peux avoir un peu vieilli, mais ça ne m'empêchera jamais de croire aux fées!'' Une voix lui rappela qu'elle avait presque renoncé à cette croyance, mais elle l'ignora. Elle continua, refusant d'être accablée injustement par un crime qu'elle n'avait pas commis – et qu'elle ne voudrait jamais voir se reproduire. "En réalité, c'est ma jeune cousine qui a dit... Qui a dit..." Elle s'interrompit, incapable de répéter les mots, mais le garçon comprit.

Il la fixa pour un long moment, un air sérieux sur son visage d'enfant. "Explique-toi" finit-il par dire simplement, à la surprise de Jane.

"Ma cousine l'a fait. Elle l'a fait car depuis que je suis enfant, j'ai toujours cru aux fées – aujourd'hui encore. Clara et moi – nous étions proches et elle m'imitait, mais en grandissant... Elle a fini par s'en lasser." Jane regarda la fée, puis se retourna vers Peter. "Je suis tellement désolée pour ce qui est arrivé. C'est juste arrivé si vite, je ne pouvais pas..."

Jane tourna son regard vers le sol, tentant de dissimuler les larmes lui montant aux yeux. L'une d'entre elles coula le long de sa joue et atterrit – d'une façon douce et étrange – sur l'aile de la fée.

Le garçon avait désormais l'air convaincu par son histoire, changeant de convictions d'une minute à l'autre. Il vola quelque peu plus haut avec aise. Et ce fut à ce moment que Jane réalisa soudainement que tout était vrai – les fées, Peter Pan; tout était vrai. Et combien d'autres choses l'étaient aussi?

"La fée que tu vois" commença t-il solennellement, trop solennellement pour un petit garçon, "était descendue ici dans le but d'exaucer le vœu du plus vrai des croyants – la personne qui croit encore aux fées même adulte." Jane écouta, la bouche entrouverte. "Croire aux fées en tant qu'adulte sauve de nombreuses fées – elles en sont reconnaissantes." Peter s'interrompit, avant d'ajouter plus bas: "Mais il est trop tard pour ton vœu, maintenant." Il regarda Jane et la fée. "J'étais venu pour rencontrer un adulte qui croyait aux fées – c'est fait. Alors adieu."

Alors qu'il commençait à s'en aller, Jane ressentit un choc la parcourir, plus violent que si elle avait été frappée par la foudre. Non, ça ne pouvait pas être la fin! Pas si vite, pas alors qu'elle avait l'impression que tout commençait. Elle devait l'arrêter – peut importe comment.

"Non, attends! Même si la fée est morte, mon rêve peut encore s'exaucer!"

Peter fit une grimace – comme s'il ne la croyait pas, ou comme s'il avait déjà éntièrement oublié son existence. Cependant, curieux, il revint vers elle. Face à son visage déconcerté, elle s'expliqua:

"Mon rêve le plus cher – depuis toujours – est très simple. Je n'ai pas besoin du vœu d'une fée – juste de poussière de fée." Elle s'interrompit, le regardant droit dans les yeux, avant de finir, catégorique: "Je veux partir à Neverland."

Mais le petit garçon hésita.

"Tu en es sûre? Tu es une adulte. Si tu y vas, tu ne pourras pas repartir. Si tu y vas... c'est seulement pour toujours."

"Ce n'est pas long du tout." répliqua Jane, un petit sourire au coin des lèvres.

Sa réponse sembla lui plaire, et le sourire que lui rendit l'enfant était étincelant; plein de petites dents de lait, prêtes à mordre le monde entier. La réponse qu'il lui donna allait de pair avec ce sourire, illuminant le cœur de Jane.

"Très bien, pourquoi pas? Ca pourrait être drôle!" Il exécuta avec grâce un looping dans les airs. "Alors, qu'attendons-nous? Allons-y! Foi de Peter Pan, je t'amènerai à bon port!" Jane s'était préparée – eh bien, toute sa vie – pour ce signal. Elle sourit, emplie d'une allégresse sans commune mesure, ne croyant presque pas en sa chance – presque.

Elle demanda à Peter de l'attendre un instant et couru droit dans sa chambre, plus rapidement que jamais. Quand elle ressortit, elle était rayonnante de joie, avec des chaussures désormais attachées à ses pieds et un sac solide serré sur ses épaules.

Elle glissa à Peter: "J'avais tout préparé depuis longtemps – c'est mon kit de survie pour île déserte. Je l'ai avec moi à chaque fois que je prends l'avion". Elle avait vu LOST, après tout – elle devait savoir à quoi s'attendre.

Peter la regarda sans trop saisir – un avion ? Ce genre de choses devait bien sûr lui être inconnu... Néanmoins, il farfouilla dans son sac et saisit une poignée de poudre lumineuse.

"De la poussière de fée", se sentit-il obligé de préciser – bien que Jane savait parfaitement de quoi il s'agissait.

Peter ouvrit sa paume et souffla dans sa direction. Le cœur battant, Jane ferma les yeux et sentit la poussière se répartir sur son corps. Elle n'avait pas besoin de pensées heureuses; car heureuse, elle l'était déjà. Plus qu'elle ne l'avait jamais été et plus qu'elle ne le serait jamais. Quand elle ouvrit ses yeux, elle flottait haut dans les airs. Elle dû reprendre ses esprits pour réaliser totalement – qu'elle flottait!

Elle s'imprégna de l'instant, jusqu'à ce que son cœur ne menace d'imploser avec tant de joie qu'elle se laissa monter, monter, si bien qu'elle dû se reprendre pour ne pas dépasser la hauteur du ciel. Elle inspira doucement – et soudain, elle se retrouva en train de voler vers le bas, au plus proche des moindres grains d'herbe. Avant de toucher le sol, elle repartit de plus belle – et elle comprit à ce moment que tout allait changer.

Le garçon la laissa faire quelques tours et dans les airs, l'observant d'un œil amusé. Quand elle en eut fini, il lui tendit la main.

"Prête?"

Jane regarda derrière elle – juste une fois. Ce qu'elle vit alors ne fut pas sa maison, mais son avenir sombre et las, rempli de doutes, qui l'attendait si jamais elle reposait les pieds sur terre. Elle se retourna vers Peter. Le regardant droit dans les yeux, elle n'eut qu'à répondre:

"Plus que jamais."

Et ils prirent leur envol.