Coucou les gens !
Nouvelle histoire, sous forme d'un OS posté en 4 parties. Parce qu'il est long. Les quatre parties sont postées en même temps, parce que cette fic est censée se lire d'un seul coup, d'un seul souffle, mais je propose des coupures stratégiques à celles d'entre vous qui n'ont pas le temps de lire 13 194 mots d'un coup. Voilà voilà :3
Je tombe complètement dans le hurt/comfort avec cette fic, ce qui est assez nouveau pour moi (mais depuis que je l'ai écrite il y a un mois et demi, je n'ai rien pu pondre d'autre que du hurt/comfort, on va dire que ça finira par passer).
Merci à Nalou pour sa super relecture !
Oh, puis vous me connaissez, comme je raffole des sujets légers et joyeux, y'a des WARNINGS. Drogue, violence implicite, menaces, tout ça. Sexe, aussi.
J'espère qu'elle vous plaira !
Toucher le fond
partie 1
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John fixe par la fenêtre les jardins à la française que quelques lumières bleues éclairent d'une façon subtile dans la nuit. Des ombres s'y meuvent, parfois seules, parfois en groupes de deux ou trois. Avec calme et régularité, pour certaines, qui transforment alors une des nombreuses allées en le théâtre de la discussion ou la signature d'un contrat illégal. D'autres qui ne se déplacent pas, dissimulées derrière un fourré, mouvements frénétiques et fébriles qui, s'il était à côté d'eux pour les entendre, s'accompagneraient de grognements sourds et de gémissements obscènes.
Comment ce type de soirées est-il devenu ma routine ?
C'est une question qu'il se pose souvent. Plus souvent encore, il s'interdit formellement ces pensées. Depuis qu'il a compris que le futur n'a rien d'autre à lui proposer. Plus maintenant, malgré ce qu'il a voulu croire pendant des mois naïfs.
Avec des gestes d'automate, il ouvre la fenêtre. Troisième étage. Risque de survivre. Et de tétraplégie. Est-ce que ce serait pire ?
Il ferme les yeux pour sentir l'air froid sur son visage et sur ses bras que le marcel ridicule de l'armée qu'il est contraint de porter avec son treillis, ce soir, ne couvre pas. Vieilles affaires inutiles qui ne lui inspirent plus que du dégoût quand il avait vu une certaine fierté à les porter, dans ce qui lui semblait être une autre vie.
Ça fait une demi-heure que Vince l'a planté là. En pleine pipe, alors que le type qui se plaît à se considérer comme son mec lui a maintenu le crâne et imposé de continuer à le sucer même quand un des dealers avec qui il traite est entré dans la pièce et qu'ils ont commencé à parler contrat au-dessus de sa tête. Quand le nouveau venu lui a dit de le suivre, Vince s'est exécuté sans un regard ni un mot pour John qui, agenouillé devant le fauteuil devenu vide alors que sa jambe droite protestait depuis plusieurs minutes, s'est demandé s'il venait vraiment de faire ça. « Ça » dans le sens le plus large du terme : est-ce que Vince venait vraiment d'exiger une pipe alors que John, aussi bourré que lui, la drogue en moins – Vince avait tous les symptômes de la MD – n'en avait absolument pas envie ; est-ce qu'il l'a forcé quand ils avaient eu du public ; et est-ce qu'il vient vraiment de l'abandonner de cette façon ?
À une époque, John aurait été en colère. Sans doute n'aurait-il déjà rien osé dire. Aujourd'hui, c'est du soulagement qu'il ressent à être laissé seul, sans ce type ni les individus peu fréquentables devant lesquels il l'oblige à parader comme son trophée personnel.
Il attrape la bouteille de vodka que Vince a amenée avec eux dans la pièce – un salon duquel il a éteint la lumière, quand il s'est retrouvé seul, parce que la simple vue est devenue un sens qui l'agresse quand cela l'oblige à admettre l'échec de sa propre existence. Il garde le goulot entre ses lèvres jusqu'à avoir l'impression que sa gorge le brûle trop pour pouvoir continuer. Puis observe à nouveau le terrain, en contrebas. Est-ce qu'il s'en sortirait indemne, s'il sautait et tentait de se rattraper sur ses pieds ? Selon l'instant, il lui semble que trois étages, ce n'est pas si haut que ça. Avant qu'un vertige ne le prenne et qu'il ait l'impression que la mort l'attend au bout de la chute. Le plus perturbant se trouve certainement dans le fait qu'il ne sait pas bien dans lequel de ces deux cas il a le plus envie d'enjamber le parapet et la petite barrière contournée en fer forgé.
Il vient de se décider pour « peu importe, tant que tu le fais » quand la porte s'ouvre. Il cligne des yeux une fois, deux fois vers l'entrée. Cheveux foncés et bouclés, stature assez haute, voit-il en contre-jour. John sent sa poitrine se serrer.
« Vince ? » demande-t-il stupidement.
La main du type trouve l'interrupteur et John découvre que, non, ce n'est pas Vince malgré l'impression de ressemblance très très globale que son alcoolémie et l'obscurité ont permise plus tôt. Mais les traits du visage sont beaucoup plus fins et esthétiques, affichent quelques années de moins que Vince – mais plus que lui-même. Les doigts du type sont plus longs et la chemise plus cintrée. Et violet royal. Pas vraiment une couleur que son mec porterait.
« Où est ton petit-ami ? » demande le type avec un accent incroyablement snob, sans doute pas tant que ça mais dans cet environnement, bordel, c'est étrange. Encore qu'il est plus à sa place dans ce manoir de la décadence que l'intégralité des criminels qui l'occupent en ce moment.
Il lui faut une dizaine de secondes pour s'apercevoir que le type ne lui est pas inconnu. Du tout. Il a déjà eu à traiter avec lui quelques fois, alors que Vince était dans le mal et incapable d'honorer des rendez-vous, comme il aime le dire, qu'il ne pouvait pas faire sauter. Ce type-là se fait appeler Sheeza, dans le milieu. Ridicule, autant que les autres. Surtout, c'est lui qui a fait irruption dans cette même pièce une demi-heure plus tôt.
« Comment tu veux que je sache ? Il est parti avec toi tout à l'heure. Tu l'as perdu ?
- Visiblement, puisque je suis ici et te pose cette question. »
John se contente de hausser les épaules. Son regard se porte à nouveau sur le sol où les petits graviers blancs dessinent un chemin dans la noirceur du jardin, rendus vaguement fantomatiques par les lumières bleutées. Le Moment est passé, observe-t-il avec aigreur. C'est la faute de ce Sheez-
Le blond ferme les yeux quand un vertige lui indique que la vodka est en train de passer dans son sang, et son sang d'irriguer son cerveau.
L'homme laisse échapper un 'tss' contrarié après l'avoir observé pendant une dizaine de secondes, s'avance comme à contrecœur, l'écarte du vide d'une main sur l'épaule accompagnée d'une pression légère qui envoie John tituber maladroitement en arrière, puis ferme la fenêtre. Nouvelle main sur l'épaule, il le guide par des gestes directifs vers le fauteuil où John s'avachit dans un grognement.
« Ne bouge pas d'ici, » ordonne Sheeza d'un ton sec avant de disparaître.
John ricane. Comme s'il était en état de se relever.
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« Eh, toi, y'a ton mec qui demande après toi.
- Rien à foutre, » articule John avec beaucoup de difficulté.
Il se sent à moitié endormi – ou, moment de pessimisme, à moitié éveillé – et son crâne l'informe que la lumière qui le transperce ne lui est pas plaisante du tout. Mh. Il s'est apparemment endormi dans le fauteuil.
S'il a su d'instinct que c'était à lui qu'on s'adressait, c'est parce que personne ne connaît son nom – normal – et que personne n'a cherché à savoir s'il a un surnom. Il répond depuis plusieurs années à Eh toi, et on parle de lui comme du mec à Vince. C'est assez facile de s'en rappeler, ce qui est très pratique dans les moments où il se réveille courbaturé dans un fauteuil étranger et que le monde est trop instable pour que ses pensées ne vacillent pas avec lui.
« Nan mais il est complètement mort, là, faut que tu le bouges. Il est en train de pioncer devant la baraque et y'a pas moyen qui rentre chez moi dans c't'état : y va gerber je sens.
- Putain. » Parce que, vraiment, il n'existe aucun autre mot dans le dictionnaire pour décrire mieux les ressenti(ments) du blond en cet instant.
Malgré tout, il s'extrait du fauteuil et tente d'oublier qu'il est lui-même dans un état passablement larvesque et que se lever est en soi un effort qui devrait lui mériter la légion d'honneur.
En effet, découvre-t-il en sortant d'un pas mal-assuré de la maison, Vince est bien prostré sur le ventre dans l'allée, sous la neige qui s'est mise à tomber, capuche de survêtement – ah oui, c'est vrai, il l'a jouée détendue aujourd'hui – sur la tête et... pas de chaussure. Ses deux gants bien en place, par contre. Mais qu'est-ce qu'il a foutu, putain ?
Un autre type que John n'a jamais vu est avec lui et, debout, regarde le truc informe à ses pieds en ayant l'air de ne pas vraiment savoir quoi en faire.
« Je m'en occupe, s'entend dire John d'une voix similaire – en bien plus pâteux – à celle qu'il a prise tout au long de son stage aux urgences, les trois derniers mois.
- Je crois qu'il est pas loin de l'overdose.
- Normal. »
Il passe un bras droit amorphe autour de ses épaules, pousse sur ses reins pour soulever le poids mort qui grogne en même temps que lui, et remercie son addiction au sport, même après son reclassement de l'armée, qui lui permet de tenir sous la charge malgré son genou droit. Encore qu'il a l'air d'avoir perdu du poids. John ne va clairement pas s'en plaindre en cet instant, même si le médecin en lui devrait s'alarmer de voir que son toxico de mec maigrit encore.
Grognement du toxico en question qui tend un vague bras vers le sol où repose, découvre John, un sac de sport. Le blond avise l'objet, s'aperçoit que la vodka frappe vraiment fort quand le simple fait de baisser les yeux le fait presque tomber, songe avec ironie qu'un homme bourré est comme une bicyclette : il tient mieux debout en avançant qu'en restant immobile, avise encore le sac, puis finit par offrir un regard qu'il sent désespéré au troisième type qui est toujours là et l'observe en silence avec des sourcils froncés. L'homme finit par secouer la tête, ramasse le sac pour lui et le lui tend. Il ne lâche pas la poignée immédiatement quand John s'en empare :
« C'est quoi ton nom ?
- John Watson, répond la vodka avant que son cerveau prenne le relais et se souvienne du genre de soirée dans laquelle il se trouve – et merde. Pourquoi ? interroge-t-il alors sur un ton qui se veut acéré.
- Parce que je sais pas qui t'es et que je me demande où tu vas l'emmener. »
John l'observe avec suspicion. Cheveux poivre-et-sel, la quarantaine. Qu'est-ce que ça peut lui faire, l'endroit où il emmène l'abruti qui lui sert de copain ? Pourquoi John les a-t-il retrouvés ici ensemble, seuls tous les deux ? Qu'est-ce qu'ils ont fait avant ? Aucune jalousie ne s'empare de lui. L'inquiétude, plutôt. Mais c'est son instinct, un peu plus aigu quand il est bourré que le reste du temps – la survie, tout ça – qui pose une question que sa conscience n'a même pas concrétisée jusque-là :
« T'es flic ?
- Je pense pas qu'un flic te laisserait partir avec un mec complètement défoncé d'une soirée comme ça, si tu veux mon avis, » ricane l'autre en s'éloignant.
John ne répond rien. Il songe que ce serait une excellente façon de savoir où habite un « gros poisson » dans le commerce de la drogue sur Londres, au contraire. Mais il n'en a rien à foutre à cette heure-ci. Il veut juste rentrer, se débarrasser du type qui pèse sur son dos en puant l'alcool et la sueur. Alors il avance, cahin-caha, sur le kilomètre qui le sépare de leur appartement. Celui qui fait passer des beaux quartiers à la banlieue dégueulasse où il a cru, un jour, pouvoir vivre enfin d'une façon décente le temps de ses études. Aujourd'hui, il songe qu'il patauge dans le fond du gouffre depuis suffisamment longtemps pour que même la fumée de ses beaux espoirs cramés se soit volatilisée depuis belle lurette. Surtout quand son copain est mort comme ça.
Putain, il est encore pire que d'habitude. Incapable d'aligner deux mots cohérents, il ne pousse que des grognements quand il en a marre et veut s'arrêter de marcher. John commence à désespérer quand il voit, après une heure de lutte dans l'obscurité où il n'a pas regardé le visage de Vince de peur de lui foutre une mandale réflexe, l'immeuble miteux qui contient leur appart'.
Une fois arrivés, il laisse tomber l'homme amorphe sur le lit double qui occupe la pièce principale – la seule, en dehors de la salle d'eau. Il a honnêtement failli l'abandonner au milieu des escaliers entre le troisième et le quatrième. Mais l'idée de devoir affronter la colère d'un Vince en pleine possession de ses moyens le lendemain lui a fait revoir cette idée peu judicieuse avec un frisson.
Il est assis sur le lit et observe le mur décrépi en face de lui. Il n'a allumé la lumière à aucun moment, pas envie de voir le peu de meubles merdiques qui occupent l'espace, le sol jonché de détritus, et encore moins envie de voir Vince. Alors comme il n'y a rien à voir, il se tient la tête, les paumes sur les yeux. Puis ose un regard vers le réveil. Un trois, deux points et deux zéros rouges qui dansent à l'en rendre malade sur le cadran nuit. Il doit être à l'hôpital dans cinq heures. Et merde. Et son genou droit qui le tire… Demain, la douleur ne le laissera pas tranquille de la journée.
Il avise la porte de la salle-de-bain, mais elle tangue bien trop pour qu'il contemple sérieusement l'idée de prendre une douche maintenant. Tant pis, en sautant le petit-déjeuner, il devrait avoir le temps de se laver avant de partir pour son stage.
Son stage... Il jette un coup d'œil sur la forme qui ronfle dans son dos. Qui ronfle. Pire que d'habitude, donc. Il tend une main tremblante, la suspend deux secondes, puis va pour le secouer. Grognement contrarié, suite de mots inintelligibles d'une voix beaucoup trop grave pour appartenir à un être humain. Putain, comment peut-il se mettre dans des états pareils ?
John entend sa voix rendue inégale par l'appréhension quand, sans oser regarder son copain, il annonce :
« Je… Je ne pourrai rien ramener de l'hôpital, demain… Les serrures de l'armoire à pharmacie du service ont été changées, ils ont dû remarquer que… que du personnel s'y servait. Peut-être mardi quand je serai dans le service de psy adulte, mais… je suis pas sûr. »
Il se recroqueville instinctivement quand il entend un mouvement dans son dos. Aucune explosion de rage n'advient, cependant, et il se détend légèrement quand il discerne les yeux fermés, à peine visibles entre la barrière de cheveux bruns et bouclés qui couvrent ses sourcils et la couette remontée jusqu'à son nez. Suffisamment mort pour ne pas réagir à une telle information. John sourit piteusement en se disant que, peut-être, il pourra passer une nuit tranquille pour une fois, quoique courte. Alors il se débarrasse de l'intégralité de ses vêtements à part son caleçon et se couche à l'extrême bord du lit tout à l'opposé du corps endormi, où il se roule en boule. Le matelas tangue à cause de la vodka et de ce qu'il a bu avant, quoi que ça puisse être et quelle qu'en ait été la quantité, mais il est tellement épuisé par tout qu'il s'endort immédiatement.
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Fin de la partie 1.
