Chapitre 1 :

Il avançait dans le noir. Autour de lui, les arbres et les buissons se découpaient en ombres chinoises. Il avait le vertige, il marchait de travers, le cœur ivre de larmes, déjà coulées tant de fois. Une torpeur glaciale l'envahissait peu à peu, lui donnant envie de tout rompre.

Ne pas se laisser gagner…Il n'avait pas le droit …Mais ce n'est pas possible de toujours lutter…Il faut bien s'étendre un jour…un jour…

Il ferma à moitié les yeux, ne se rendant pas compte que ses pas de somnambule le rapprochait doucement d'une maison, isolée. Et, derrière les fins paravents de papier qui fermaient les fenêtres, la lueur frêle et solitaire d'une lanterne.

Il pensa qu'il était la lanterne.

Le sol crissait sous ses pas. Il se trouvait dans une arrière-cour. Il se rapprochait encore et encore. Il voulait voir la lanterne, mettre ses doigts au-dessus de la flamme et attendre patiemment le moment où la chaleur deviendrait insupportable.

Soudain une porte s'ouvrit. Il n'était plus qu'à quelques mètres de la maison. Une silhouette pâle s'avança vers lui, dans un flottement de soie jaune et ocre, tache clair incongrue dans cette nuit d'encre.

- Qui êtes-vous ? Vous m'avez fait peur ! Que voulez-vous ?

Quel étrange désarroi dans cette voix ! Il n'en avait jamais entendu de pareil. Il s'arrêta d'avancer pour tenter d'en comprendre le sens. De nouvelles larmes en profitèrent pour venir perler au coin de ses yeux, acides.

- Garçon …Oh ! Garçon …?

La voix s'était fait plus basse, plus rauque, avec, au fond, un doux roulis de chagrin et ces mots avaient été prononcés à la fois comme une interrogation et une supplique.

Il garda les yeux clos.

- Garçon…Garçon…

La voix chantonnait maintenant, comme on berce un enfant triste, dont on partage la détresse.

Des mains légères se posèrent sur ses épaules et glissèrent doucement vers son dos. Il sentit les manches du peignoir de soie caresser ses joues et finalement, les deux bras fins se nouer dans sa nuque.

- Voilà…Je suis ici …

Une main remonta lentement et se glissa dans ses courtes mèches brun roux. Le corps de l'inconnue s'éloigna du siens mais elle garda ses bras autour de lui et une main dans ses cheveux.

- Viens…Tu veux venir ?

Il lui restait à peine assez de volonté que pour faire signe de la tête qu'il voulait bien venir. Elle le tira doucement vers la maison et lui fit gravir les deux marches qui menaient à la porte. L'intérieur était d'une telle sobriété que cela en avait quelque chose d'effrayant mais il remarque les oiseaux aux plumages extraordinaires, brodés au bas et sur les épaules du peignoir, et cela le rassura singulièrement.

Sa bouche s'ouvrit mais il ne fit pas attention aux mots qu'il prononçait. L'inconnue disparut un instant dans la pièce d'à côté et revient avec une petite lanterne en métal forgé. Elle la déposa devant lui et s'éloigna à nouveau.

Il fixa longuement la flamme, jusqu'à pouvoir la voir danser même lorsqu'il fermait les yeux, un court instant.

Il sentit qu'on lui glissait un verre dans la main et le porta à ses lèvres sans réfléchir. Du lait de soja avec quelque chose d'autre…. Une liqueur quelconque, sans aucun doute.

- J'en ai juste mis une petite lampée.

Il inclina la tête, la torpeur était si forte. Elle lui reprit son verre vide et le fit s'étendre sur un mince matelas posé à même le sol, avant de se coucher près de lui et de rabattre la couverture sur eux.

Lorsqu'il se réveilla, sa première pensée fut qu'il allait disparaître pour s'être ainsi laisser aller, que le démon du sable devait déjà être en train de l'annihiler. Il était encore tout engourdi par le sommeil. Comme c'était la première fois qu'il éprouvait cette sensation, cela lui fit très peur, renforçant sa conviction de s'être perdu. Une chape de plomb s'abattit à nouveau sur lui, le tirant vers le fond , et il referma les yeux.

Un souffle chaud lui caressa le bras, le ramenant à lui. Il observa le beau visage large et solide de l'inconnue, qui affichait dans son sommeil une impression de force et de satiété, adouci par les mèches éparses couleur blés dorés par le soleil qui l'encadraient et sa moue enfantine.

Sans réfléchir, il suivit du pouce le tracé impeccable de ses sourcils, glissa jusqu'à sa tempe, descendit le long de sa joue, effleura les ailes de son nez et stoppa sa course sur ses lèvres. Elle ouvrit les yeux et il retira vivement sa main.

L'inconnue s'assit dans un bâillement sonore. Il trouva amusante sa façon de s'étirer, méthodiquement, d'abord le bras gauche, flexion de l'épaule, du coude, des doigts puis le bras droit pareil, mais ce qui l'étonna surtout c'est qu'elle fasse ça naturellement, devant lui, sans éprouver la moindre gêne.

Elle lui sourit, voyant son regard.

- Merci.

- De quoi ? Dit-il surpris.

- Oh ! Rien ! C'était agréable, comme façon de se réveiller…

- Heu…

- Enfin ! Vas pas t'imaginer que…

Elle paraissait tellement embarrassée à l'idée qu'il se fasse des idées. Durant une seconde, il reconnut le même désarroi étrange que la veille. Il hocha la tête pour dire qu'il avait compris.

-Alors, garçon ! Tu ne me dis pas ton nom ?

- Je m'appelle Gaara.

- Et moi, Nadie.

La dénommée Nadie se leva, avec souplesse et s'étira une dernière fois, les bras tendus vers le plafond et le dos arqué. Un pan du peignoir fut remis comme il faut et Gaara eu juste le temps d'apercevoir une cuisse robuste.

Une musculature aussi dessinée aurait pu paraître regrettable et compromettre la silhouette d'une autre jeune fille mais, n'étant pas exagérée, chez elle, elle entrait dans un esprit d'ensemble. La générosité de sa charpente ne l'alourdissait absolument pas. Elle était solide et cela lui allait très bien.

- Tu ne te lève pas, Gaara ?

Nadie avait prononcé son nom, comme s'il c'était s'agit d'un cadeau inestimable, à manier avec précaution. Gaara sortit de sous les draps, regrettant aussitôt cette chaleur qui n'était qu'en partie la sienne, surtout lorsqu'il vit les gouttelettes de sang séchées sur ses vêtements et qu'il se souvint des circonstances qui l'avait amené devant la maison de Nadie.