Comme tous les dimanches soirs, tu es là, dans ce salon, les jambes croisées, un verre à la main. Tu regardes ces hypocrites évoluer dans la pièce, répondant par un signe de tête à chacun de leurs compliments qui sonnent atrocement faux. Ces gens-là tu ne les as pas choisis, tu ne peux te passer de leur pseudo amitié, ils font partie de ton monde et ont droit de vie ou de mort sur ta carrière.

Tu portes l'alcool à tes lèvres et jettes ta tête en arrière. Tu entres en transe, tu planes et t'éloignes de ce lieu qui ne veut rien dire. Un cocon moelleux t'enveloppe, tu n'es plus ici. Tu es à Lima, sur cette balançoire du parc public. Tu es devant ton miroir posté en face de ton lit dans cette chambre jaune. Tu es au lycée chantant pour le Glee Club. Une douleur sourde mais diffuse arrive comme à chaque fois. Tu regrettes. Broadway n'est pas si beau. Ton rêve n'est qu'un château de carte qui s'est écroulé trop vite. Mais tu continues, toujours. Pour eux, pour la Rachel d'autrefois.

Le spleen t'adore et tu adores le spleen.

Tu te laisses faire, tu le laisses s'infiltrer. Et bientôt tu danses. Au milieu du salon, au milieu de ces gens qui croient tout savoir, mais qui ne savent rien. Puis la langueur survint, tes gestes sont lents, imprécis et tu caresses l'air autour de toi. Tu caresses les souvenirs d'une nuit, tu caresses un corps qui n'est plus là.

Ton armure se brise le dimanche soir. Tu n'es plus Rachel Berry étoile de New York depuis dix ans. Tu es juste Rachel Berry, gamine perdue aux grands rêves de Lima. Les fissures sont là, tu ne les caches même pas, mais personne ne les voit. Du moins ne veulent-ils pas les voir, ils désirent la star et se fichent bien de la femme.

Tout le monde voudrait oublier. Mais pas toi. Quand les autres se voileraient la face et s'adapteraient à ce mode du faux semblant, tu t'empêches de l'accepter. Quand les autres voudraient oublier le calvaire de leur ancienne vie, tu ne cesses d'y penser. Mieux vaut souffrir que laisser disparaître ce passé que tu maudis autant que tu le vénères. Parce que dans ce passé, ils étaient là, elle était là. Et puis, tu as toujours été si dramatique.

Le spleen t'adore et tu adores le spleen.

Il te gagne toujours plus en profondeur. Ton monde tremble et tourne. Tu ris. Tu te ris de toi, tu ris des convenances, tu ris de cet environnement infesté par le mensonge, par les courbettes futiles. Toi qui voulais être acclamée, tu te sens prostituée. Tu dois te vendre, c'est le deal. Pour être respectée, oublie qui tu es. Le dimanche soir, tu la comprends.

Tu te sens reine, ces soirs-là. Reine d'un bal de boulets. Tu aimerais te sentir plus forte qu'eux, plus lucide mais quand tu perçois ton reflet dans le miroir, ton espoir se brise. Une vodka à la main, tu leur es supérieure certes, mais tu es encore plus stupide. Tu sais, mais ne fais rien. Tu méprises mais te conforme. Au moins, elle, a eu le courage de tourner le dos à tout ça. Avec tes sourires, tu encourages leurs tours de passe-passe. Tu te sens sale.

La mort est sûre, puisque la mort est là. Tu es un corps sans valeurs, prêt à s'incliner pour donner l'illusion de dominer. Tu n'es rien et tu ne peux que te contenter de penser à ton entrée à NYADA. Ce jour qui a entraîné ta perte.

Tu tournes la tête et fixes la cheminée. En son ventre, les dernières braises vont s'éteindre. Comme toi. Alors tu te lèves. Droite et déterminée, l'alcool n'a plus d'emprise. Tu te lèves et déverses le contenu de ton verre dans le foyer. Les flammes renaissent. Une fumée noire virevolte et s'élève dans l'appartement. On se retourne, étonné. Tu pars sans un regard.

Le spleen t'adore et tu adores le spleen.